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Renaissance démocratique et 15 octobre : "Il ya quelque chose de pourri dans notre processus démocratique" Jean Hubert Bazié

Publié le lundi 15 octobre 2007 à 06h40min

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Jean Hubert Bazié

Proche de Thomas Sankara, sankariste "fiéfé" aujourd’hui, Jean Hubert Bazié que nous avons rencontré, apprécie l’homme Thomas Sankara et affiche des réserves quant à la renaissance démocratique. Il commence cet entretien par un témoignage sur la journée du 15 octobre 1987 telle qu’il l’a vécue..

Jean Hubert Bazié, ami de Thomas Sankara : Le jour du 15 octobre à 16h, j’étais en communication avec Fidèle Toé, ministre du Travail à l’époque. Pendant que nous échangions, nous entendions des coups de feu au Conseil de l’Entente. Il m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai répondu que j’entendais des coups de feu à travers le téléphone. Nous avons raccroché en promettant de nous voir après. La suite, on le sait. ..Ainsi, au soir du 15 octobre quand nous étions quasiment sûrs du drame, j’ai eu comme un vertige. C’est un état second où vous ne sentez pas votre corps. Vous êtes là, hébété et vous attendez.

C’est véritablement un drame sur le plan national et individuel. J’ai côtoyé les deux : Blaise Compaoré et Thomas Sankara. Je les ai vus vivre ensemble. Quand j’ai découvert l’ampleur du drame, je suis resté interdit. Il n’appartient pas à nous autres de prononcer des sentences, de jouer aux gémonies. Jusqu’à présent, 20 ans après la disparition de Thomas Sankara, les gens, ceux qui ont une position morale, continuent de dire que c’est inacceptable. Ce qui est arrivé pouvait être évité. Sauf les seconds couteaux qui avaient intérêt à ce que ce drame advienne. Je ne veux pas rentrer dans les détails. Laissons tout à Dieu. Dieu est le maître d’œuvre suprême et nous ne pouvons que nous mettre à genou devant sa volonté. Mais sachez que personne ne peut lutter contre l’histoire. Vous savez le 15 octobre, c’est comme si on avait jeté le bébé avec l’eau du bain. J’ai connu Thomas Sankara au début des années 80. Nous étions restés amis et nous avons fait chemin ensemble jusqu’au dernier moment. Nous, continuateurs de son œuvre, je pense qu’il faut rester optimistes et suivre le chemin que le sort a tracé pour nous. Je ne vois pas ce qui était fondamentalement mauvais dans la Révolution en dehors de quelques erreurs reconnues au point que ses propres fils en viennent à la renier.

A propos de Thomas Sankara...

"Thomas Sankara était un homme simple, un homme de foi et de conviction qui avait un sentiment profond d’utilité pour son peuple. Je pense que son origine modeste, la foi de ses parents (son père était gendarme) ont formé Thomas Sankara à la modestie, à la prise de conscience des souffrances des hommes. Je dis aussi que Thomas Sankara était un homme riche, un champ riche qu’il faut cultiver en tant que continuateur de son œuvre. Il nous a donné tellement de choses et nous avons si peu réfléchi à la richesse de ses idées et aux conséquences positives de ses actions. Dans ce pays qui fait partie des plus pauvres d’Afrique, un homme est né, qui a abordé les problèmes de son peuple avec une certaine originalité en provoquant l’admiration et le respect de millions de citoyens à travers le monde. Vingt ans après sa disparition, sa mémoire continue d’être vivace. Il a suscité en nous la réflexion de se conduire modestement par rapport à ses moyens, surtout sur l’utilité qu’on peut avoir pour autrui. Pour être utile à autrui, il faut aller jusqu’au sacrifice suprême. Quand on est convaincu réellement de sa foi, de la nécessité de transformer le monde positivement pour les autres".

Tout sauf une super révolution

"La démocratie n’est pas encore totalement implantée au Burkina Faso. Nous ne sommes que dans une phase. La démocratie étant un long processus. Selon les exécuteurs du 15 octobre, Thomas Sankara n’était pas assez révolutionnaire et qu’il déviait vers une contre-révolution. Ils ont dit qu’ils allaient consolider la Révolution mais ce qu’on constate de nos jours au Burkina Faso, est tout sauf une super révolution. Aujourd’hui nous vivons un régime de non droit. C’est un régime qui n’a pas réussi à mettre en œuvre les principes fondamentaux de la démocratie. Pour ne prendre que le cas des élections, la transparence n’y est pas, les moyens entre le pouvoir en place et ce qu’on peut qualifier d’opposition sont disproportionnées. Tout l’appareil administratif est mis en œuvre pour appuyer le pouvoir en place.

L’expression plurielle à travers les médias d’Etat n’est pas assurée. Ici, lorsque le chef du gouvernement ou un ministre pose un acte, on ne permet pas à l’opposition de donner son avis ou son appréciation. Qand le président du Faso fait une déclaration, on ne demande pas à l’opposition de faire une réaction dans le même temps avec la même durée. Au niveau aussi de la promotion sociale, il y a beaucoup de plaintes au niveau des concours. Des "fils à papa" sont présélectionnés alors que les autres vivent dans le désespoir. Il faut avouer qu’il ya quelque chose de pourri dans notre processus démocratique. Il existe beaucoup de choses qui peuvent être améliorées.

Par exemple, les présidents du Conseil supérieur de la communication (CSC), de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) etc, sont nommés par le chef de l’Etat. Toute chose qui fait que ces personnes ne sont pas totalement libres dans leur prise de décision. Je ne nie pas qu’il flotte dans l’air un sentiment démocratique. Et ce sentiment est une exigence profonde des Burkinabè. Mais comment appliquer cette démarche ? Des gens ont peur de perdre le pouvoir mais ont le souci constant de vouloir faire croire aux gens à l’extérieur que les choses vont bien parce que les institutions sont créées, parce que la façade est respectée alors que c’est autre chose".

Boureima SANGA
Alban KINI
Alassane KERE

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