Obsèques du Pr Joseph Ki-Zerbo : Pourquoi il n’a pas été inhumé dans le caveau de son père
Décédé le 4 décembre dernier à Ouagadougou à l’âge de 84 ans, le professeur Joseph Ki- Zerbo a été inhumé le 8 décembre dernier dans son Toma natal selon sa volonté et celle de sa famille. Il repose désormais entre le caveau de son père et la tombe de sa mère.
Plusieurs personnalités venues de l’intérieur du pays, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Mali, des parents, amis et connaissances ont accompagné le baobab africain à sa dernière demeure. Des obsèques à la dimension du professeur se sont déroulées dans la ferveur liturgique catholique, empreintes d’émotions fortes à en juger par les multiples messages délivrés. A cette occasion, Mgr Zéphirin Toé, évêque émérite de Dédougou, explique pourquoi le professeur n’a pas été inhumé dans le caveau de son père.
Le professeur Joseph Ki-Zerbo s’est couché à jamais le 8 décembre à 84 ans. Il repose désormais à Toma aux côtés de son père Di Alfred Diban décédé en 1980 à l’âge de 112 ans et de sa mère Thérèse Ki morte en 1986 à 96 ans. Le professeur n’a pas été inhumé dans le caveau de son père. Pourquoi ? Mgr Zéphirin Toé, évêque émérite de Dédougou, en donne les raisons : " La cause de béatification de son père Di Alfred Diban est introduite à Rome depuis quelques années. Si le projet se réalisait, il serait déclaré bienheureux, il aurait droit à une vénération de tous les fidèles soit individuellement, soit par communauté, par groupe. Si les deux tombes sont proches l’une de l’autre, puisque Joseph ne sera pas béatifié, c’est son père, d’où l’éloignement de sa tombe de celui de son père. Ce lieu, par le fait de la béatification, deviendra un lieu de pèlerinage où des groupes viendront d’autres pays pour prier. De ce fait, il ne faut pas faire de confusion."
En cette matinée de la fête de l’immaculée conception, les obsèques du professeur Ki-Zerbo ont mobilisé une foule immense à Toma en présence de personnalités venues de l’intérieur comme de l’extérieur du pays. Parmi lesquelles on peut citer Gérard Kango Ouédraogo, Cheikh Amidou Kane du Sénégal, Doulaye Konaté du Mali, le professeur Toumondji de la Côte d’Ivoire.
D’autres personnalités et pas des moindres ont également, par leur présence, témoigné leur compassion à sa mémoire. Il s’agit des leaders du collectif, du G14, du PDP/PS, des autres partis et formations politiques du pays, des responsables du CAMES, du CES du Burkina et du Mali. L’absoute qui a duré environ 4 heures d’horloge dans l’église Sacré-Coeur de Toma a été célébrée par Mgr Zéphirin Toé, évêque émérite de Dédougou, entouré des évêques de Ouahigouya, Dédougou, Nouna et de l’archevêque de Bobo.
Selon Mgr Zéphirin Toé, dans cette même église située à quelques encablures du domicile du défunt, tant fréquentée par ce dernier et dans laquelle il a été baptisé, il retourne une dernière fois pour dire au revoir à Dieu. Dans son homélie qui a suscité de fortes émotions, Mgr Zéphirin Toé a dit que Joseph Ki-Zerbo était un homme accompli. Un homme qui réalise le développement de deux dimensions essentielles qui composent l’homme. C’est-à-dire le corps et l’âme. Il a aussi évoqué ses 67 ans d’engagement dans la vie chrétienne et ses 50 ans dans la fidélité conjugale. En encensant et en bénissant le corps, les évêques l’ont confié au Seigneur tout en lui souhaitant un bon repos dans la grâce de Dieu.
Que d’émotions à travers les différents messages livrés par ses parents, ses compagnons, ses amis et connaissances ! Du professeur Ali Lankoandé à Tolé Sagnon en passant par Doulaye Konaté, Cheik Amidou Kane, le professeur Toumondji, la Conférence épiscopale Burkina Niger, le CAMES ... tous ont relevé les mérites de ce baobab africain .
On retient que l’illustre disparu était un citoyen du monde. Un homme qui a vécu utilement pour son pays, l’Afrique et le monde. En reprenant le slogan du Collectif "nan lara, an sara", le maire de Toma a dit au professeur "hi lara, hi ma sa" "vous êtes couché, vous n’êtes pas mort". Cette immortalité, Ki-Zerbo la mérite bien et rentrera sans doute dans le panthéon de l’histoire du Nayala et du pays san.
De l’église, la dépouille du professeur a été portée par ses enfants jusqu’au domicile entre chants, danses san et mossi et accompagné de coups de feu des chasseurs traditionnels. Mais sur le chemin comme à l’arrivée à la ville dans Toma, la dépouille a été bloquée à plusieurs reprises par les Mossis (parents à plaisanterie des Samos) avant l’enterement, il a fallu d’intenses négociations pour inhumer le professeur à 14h50.
Ainsi le professeur Joseph Ki- Zerbo s’en est allé pour de bon. Dans ce dernier voyage, il laisse derrière lui une veuve, 5 enfants, 9 petits-fils, une province, une région, le Burkina, l’Afrique qu’il a tant défendue, le monde entier et un héritage pour les générations présentes et futures.
Par Serge COULIBALY
Voici ce qu’a dit Françoise Ki-Zerbo, fille aînée, lors de l’absoute
Notre père, notre frère, notre grand-père le professeur, comme nous aussi nous l’appelions en toute affection, nous a donné bien des leçons tout au long de sa vie. Pas toujours par parole, mais par action aussi. Ces dernières semaines, il nous a donné plus que des leçons, des recommandations aussi. Il nous a expressément demandé de prier en son nom par nos voix lorsqu’il ne pourrait plus le faire lui-même.
En cette fête de l’immaculée conception, en ce moment d’enrichissement spirituel particulier, à la suite de spiritualités intenses que nous avons vécues avec lui ces dernières semaines et pour lesquelles nous rendons grâce du fond du coeur. Notre merci à Dieu est infini. Nous ne finirons jamais de remercier Dieu pour toutes ces grâces qu’il a accordées et encore plus dans l’épreuve de sa maladie qu’il a vécue. Il nous a invités, frères et soeurs.
Croyants et frères et soeurs en Christ, hommes et femmes, je vous invite à dire avec moi cette prière, celle qu’il a adressée à la vierge Marie, à l’Immaculée Conception. Cette prière qu’il a dite bien des fois et dernièrement avec plus d’intensité et de ferveur. Je demande tout simplement de le confier à la vierge Marie. Confions-le aussi à son saint patron Saint Joseph modeste de divinité et de pureté. Je vous demande de sécher toute larme. Soyons serein. Je témoigne et je certifie ici en cette fête de l’Immaculée Conception : notre père, notre frère et notre grand- père a été exaucé. Il a demandé avec ferveur de rester ferme dans la foi et l’espérance.
Nous avons vécu avec foi et sérénité son départ vers notre Dieu de miséricorde. Au moment où il acceptait de prendre sa croix et de cheminer à la suite de Jésus, comme l’exil douloureux qu’il a vécu, que nous avons vécu avec lui , que nous avons traversé dans la foi et dans la dignité à Dakar. Dans ces moments qui sont uniques dans la vie d’un homme, nous vous demandons de prendre comme témoignage ce qu’il a dit. Il m’a dit au coeur de l’épreuve avoir vu le doigt de Dieu. Il a dit "ma souffrance est une goutte d’eau dans la mer de miséricorde de Dieu".
Il a également dit "je vogue sur le fleuve de l’Eternel et dans ce sillage il n’y a pas de mal" "Barka allah wa", comme disait notre grand-père. Que la volonté de Dieu soit faite ! Que Dieu vous bénisse et action de grâce sans fin !
Parents, amis, compagnons et connaissances témoignent
Témai Pascal Bénon, gouverneur de la région de la Boucle du Mouhoun
L’Afrique a perdu un grand fils, un homme de très grande valeur. Nous avons été touché par cette disparition qui est un phénomène naturel, mais malgré tout, nous avons un pincement au coeur quand un homme de cette valeur, de cette grandeur disparaît. C’était un homme, tout le monde en convient, un homme d’une très haute culture, une sagesse incarnée. En le décorant comme commandeur des palmes académiques, le gouvernement n’a fait que reconnaître en cet homme toute sa valeur.
C’est un fils originaire de ma région, pour nous, c’est quelqu’un de très important qui disparaît et vous constatez toute la mobilisation qu’il y a à cet enterrement. Ce n’est pas un intellectuel seulement , c’est en même temps un politique très apprécié qui a mené un combat tout le long de sa vie, qui est resté fidèle à ses pensées, à ses idées, nous ne pouvons qu’être fier d’un homme de cette carrure .
C’est au nom de toute l’Administration régionale et des populations des autres provinces de la région que nous sommes venu nous incliner devant l’illustre et présenter nos condoléances à sa famille.
Jean Baptiste Ki-Zerbo, frère cadet du professeur
C’est un très grand regret pour nous et toute la grande famille. Joseph était le premier à diriger la famille depuis la mort de notre papa. L’héritage qu’il nous laisse, c’est sa simplicité et l’amour de Dieu.
Emile Paré, homme politique, ancien compagnon du professeur
Tout le monde est unanime à dire qu’un grand baobab est tombé. Un baobab qui a plusieurs facettes. Grand baobab intellectuel, grand baobab culturel, grand baobab politique. Un grand homme est tombé. Moi qui ai travaillé avec lui plus que quiconque, j’ai su mesurer la grandeur de l’homme, surtout au plan politique.
Je l’ai côtoyé et il a toujours eu des verbes qui piquent, qui enseignent, qui donnent à réfléchir. Et les générations comme nous qui étions à ses côtés, notre objectif était de tirer les enseignements de tout ce qu’il disait afin de poursuivre la lutte qu’il a engagée. Comme le dit la sagesse samo, quand un grand baobab tombe, il pousse toujours soit par les flancs ou sur ces cendres un autre baobab. Et nous, nous enttendons être ce nouveau baobab qui va pousser sur les cendres du professeur Joseph Ki-Zerbo pour poursuivre le combat dans le domaine de la culture, mais aussi et surtout dans le domaine de la politique et des enseignements intellectuels.
Je crois, comme on l’a dit, le professeur n’est pas mort. Il est toujours parmi nous par ses idées, par ses pensées et par ses enseignements. Nous prenons l’engagement de mériter la confiance qu’il nous avait donnée.
Abdoulaye Konaté, Président de l’association des historiens d’Afrique
On ne peut pas remplacer Ki- Zerbo. J’ai pris de ses mains le témoin de l’association des historiens d’Afrique. L’image que j’en garde est qu’au-delà de son grand âge, il était le plus jeune parmi nous. Dans la mesure où le monde, tel qu’il se profile, Ki-Zerbo le réfléchissait, il l’envisageait mieux que nous.
Je crois qu’il a accompli son devoir de génération, il nous a laissé un héritage considérable, et à nous d’en faire ce que nous pouvons. Véritablement, Joseph Ki-Zerbo m’a donné le sentiment d’un homme accompli, d’un humaniste, de quelqu’un qui a hissé l’Afrique. L’image que j’en garde aussi, c’est l’image de générosité de quelqu’un qui s’est mis au service de l’Afrique.
Professeur Tomondji de la Côte D’Ivoire
Ki-Zerbo est un grand savant africain, un historien de grand talent, un grand frère fraternel. C’est quelqu’un qui a une conscience aiguë de sa mission dans la vie et surtout de l’Afrique et qui a milité pour une paix africaine pour sa libération, pour la promotion de notre démocratie africaine. En définitive, c’est l’un des plus grands directeurs de notre temps.
Député Sarah Séré
C’est un homme exceptionnel qui nous laisse un héritage lourd et difficile à porter. Il a évité les compromis et nous les hommes politiques, pour suivre son image et sa voie, il y a du chemin à faire. Nous avons deux grands arbres qui ont été déracinés : le général Sangoulé Lamizana et le professeur Ki Zerbo. Nous demandons à Dieu de nous laisser les autres pour quelques temps encore, pour que la société samo et le Burkina ne perdent pas beaucoup. La sagesse du professeur m’a beaucoup marquée.
Cheikh Amidou Kane compagnon fidèle du professeur
Ki-Zerbo est l’image d’un grand et digne fils du continent africain. Après une vie de 84 ans, il s’est investi pour la défense et l’illustration du continent africain. Au plan de son identité culturelle, au plan de son unité, au plan de la lutte contre les injustices sombres de la main du colonisateur et des injustices subies de la main malheureusement de nos responsables.
Ki-Zerbo a accédé au niveau le plus élevé du savoir occidental en même temps, il a milité pour la reconnaissance de la culture africaine, de l’identité africaine, notamment la culture orale du continent africain. Il a milité pour que les Africains sachent qu’ils ont là un patrimoine dont il ne faut pas qu’ils se détournent. Il ne faut pas qu’en allant chez les Occidentaux apprendre leur manière de parler, leur manière de vivre, leur valeur, nous oublions nos valeurs, nos propres valeurs.
Ki-Zerbo était un homme qui a cheminé sur deux voies, à la fois dans la voie de l’identité africaine, la culture africaine et dans la voie de l’ouverture à l’identité moderne, la culture moderne. Il a été celui qui a contribué à la renaissance de l’histoire africaine, à la remobilisation de cette histoire africaine pour le continent africain.
J’ai aussi beaucoup d’admiration pour l’homme politique qu’il était. J’ai été en effet avec lui l’un des fondateurs du mouvement de libération nationale (MLN) en 1957 et les objectifs de ce mouvement sont encore valables et valides. Ces objectifs étaient l’indépendance. Nous avons acquis l’indépendance nominale, mais pas encore totalement l’indépendance qu’il nous faut. Le 2e objectif était les Etats unis d’Afrique. Nous n’aurons jamais achevé notre travail si nous ne substitutions pas aux 55 petits Etats que nous avons dans cette Afrique. Les Etats unis d’Afrique qui mettront ensemble les ressources matérielles, morales, intellectuelles et culturelles du continent africain.
Le 3e objectif, c’était le socialisme africain. Que nous sachions que nous avions une vocation socialiste dans la culture africaine. Le monotariste qui partage , qui ne pose pas , qui ne divise pas , qui ne met pas en avant d’abord soit la lutte des classes , soit la lutte des générations, soit la lutte des sexes , mais au contraire le consensus. Voilà les valeurs de la culture africaine que le professeur Ki-Zerbo avait rappelées.
Il a souhaité que les nouvelles générations africaines réinvestissent par une authentique reconnaissance africaine et pour un développement endogène de l’Afrique. Voilà les leçons qu’a laissées ce grand homme dont la disparition laisse un vide parmi tous les visiteurs d’Afrique et du monde.
Propos recueillis par Serge COULIBALY
Le Pays