Burkina/Coutumes et traditions : Dr Dramane Konaté parcourt les différentes facettes des valeurs traditionnelles
Le sémiologue et structuraliste Dr Dramane Konaté a présenté une communication intitulée “Faso Palabre’’ autour de la principale thématique « Le culturel, le spirituel, le cultuel ». C’était le 13 juin 2024, à Ouagadougou, lors du colloque "ENDO-LAB", organisé par le Groupe d’expertise et de normalisation endogène des symboles, initiatives et savoirs (GENESIS). Enseignant-chercheur et conseiller technique au ministère en charge de la culture, Dr Konaté est également le président du conseil d’administration du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Selon Dr Konaté, les jeux de la parenté à plaisanterie ont pour but de dédramatiser les situations conflictuelles. Il affirme que la spiritualité se manifeste souvent à travers des rites propitiatoires pour assurer une bonne pluviométrie et de bonnes récoltes.
Dr Dramane Konaté a entamé son exposé en soulignant l’étroite relation existant entre la culture et la tradition. « La définition universelle de la culture fait de la tradition un des éléments constitutifs. Vu sous cet angle, la tradition se rapporte à un ensemble de normes, de doctrines, de lois, de légendes sacralisées, entretenues par les communautés ethnoculturelles, et transmises par écrit ou oralement, de génération en génération dans le temps et dans l’espace », a-t-il planté le décor. Dans la structuration sociale des communautés africaines, la culture, selon Dr Dramane Konaté, est un pilier fondamental qui englobe à la fois coutumes, traditions, langues et savoir-faire endogènes.
Dédramatiser les situations conflictuelles
L’enseignant-chercheur soutient ses propos à partir d’illustrations suivantes. « La tradition initiatique en Afrique apprend que la sagesse n’est pas forcément liée à l’âge, et l’enfant qui naît, en est démuni, et doit apprendre de ceux qui l’ont précédé dans le passé. D’où le devoir et le droit pour les aînés d’initier, d’instruire, d’éduquer », a-t-il argumenté. Dr Dramane Konaté poursuit ainsi, son argumentaire en affirmant que la parenté à plaisanterie est une tradition multiséculaire, issue d’alliances sacralisées par les groupes sociaux en présence. Par contre, renchérit-il, les jeux de la parenté à plaisanterie relèvent du profane, et ont pour but de dédramatiser les situations conflictuelles. « La forge est sacrée, les instruments de la forge sont à usage profane : houe, daba, etc », relève-t-il.
Du point de vue du sémiologue et structuraliste, reposant sur la transmission, la tradition fait appel à une forme de pédagogie dans l’appropriation des valeurs socioculturelles par la nouvelle génération. Ce qui implique notamment la connaissance de la fondation du village et de l’ancêtre fondateur lui-même, en remontant la généalogie. « Certains villages et même certains centres urbains gardent toujours une configuration d’habitats traditionnels. C’est le cas par exemple de la cité de Sya, avec le quartier mythique de Dioulassoba », a-t-il montré.
Dans ce sens, Dr Dramane Konaté estime que pour une imprégnation réussie de la nouvelle génération dans les us et coutumes, il y a la nécessaire connaissance de l’institution traditionnelle et coutumière, les mythes et les légendes qui entourent la royauté ou la chefferie. À cela s’ajoutent les préceptes de socialisation comme la fraternité (familiale, clanique), la solidarité (participation aux funérailles, baptêmes, mariages), l’entraide mutuelle (labours, dons, soutiens), le système matrimonial : précoce, fiançailles, polygamie, lévirat, etc.
Les interdits sociaux et les coutumes
Pour ce faire, Dr Konaté précise que la gérontocratie, pouvoir exercé par les vieux sages, est indispensable à cette imprégnation de la nouvelle génération aux us et coutumes. Ces vieux sages déclare-t-il, sont la plupart, les dépositaires des traditions et des savoirs endogènes. Car plusieurs d’entre eux sont initiés et détiennent des pouvoirs mystiques.
Selon le structuraliste, les coutumes et les interdits sociaux jouent un rôle crucial dans la régulation de la vie communautaire. La rupture du pacte ancestral, la destruction des biens d’autrui, l’égoïsme, le sang versé, la profanation de la mémoire des disparus, le vol, l’adultère, et d’autres comportements antisociaux sont sévèrement sanctionnés, illustre-t-il. Les sanctions, dit-il, varient de l’obligation de réparation au bannissement, en passant par la maladie ou la mort, censées être infligées par la terre ou les esprits.
La langue et l’organisation sociale
De l’analyse de l’enseignant-chercheur, l’usage de la langue maternelle et la découverte des systèmes langagiers locaux sont également essentiels. Dr Konaté a mis en avant les similitudes linguistiques entre différentes langues africaines telles que le san/bissa et le mooré/sonraï. L’organisation sociale explique-t-il, repose sur des systèmes de castes (griot, forgeron, tisserand), remplissant des fonctions sociales spécifiques, mais aussi des habitudes alimentaires et vestimentaires traditionnelles à l’instar du chitoumou consommé chez les bobo, du bandji chez les gouin, et du boubou pris comme vêtement traditionnel chez les dagara.
L’oraliculture, ou la valorisation de la tradition orale, est un autre aspect crucial évoqué par le Dr Konaté à travers son exposé. Elle englobe pour lui, l’art du griot, les contes, les proverbes et les légendes qui sont transmis de génération en génération afin d’éduquer les jeunes sur les valeurs et les enseignements traditionnels.
Les savoirs et arts traditionnels
Dr Konaté a ensuite abordé les savoirs et arts traditionnels, soulignant leur importance pour les sociétés africaines. Pour sa part, parmi les savoirs traditionnels, il y a la forge ancienne qui s’entoure de mystère et dont le dépositaire, qui est le forgeron, joue un rôle de médiateur social. La chasse traditionnelle est l’apanage des dozo ; la pêche traditionnelle est l’apanage de la confrérie bozo ; et la cueillette traditionnelle est l’apanage du genre en toute société : il importe d’identifier les fruits de cueillette qui sont source de revenu ou de transformation endogène : noix de karité (beurre), néré, liane, mangue (jus local), etc.
Concernant les savoirs traditionnels, le sémiologue relève que la phytothérapie, autrement dit, la médecine traditionnelle, profite à un grand nombre de congénères. Quant aux arts traditionnels, Dr Konaté indique que plusieurs variantes pourraient servir de sources d’inspiration pour la nouvelle génération. C’est le cas notamment de l’art divinatoire, confie-t-il, que l’on retrouve dans toutes les sociétés sous forme de géomancie (Gourmance) ; d’onirologie, la science ou l’art de l’interprétation des songes, de chiromancie (lignes de la main), de consultation des entrailles d’animaux, à travers la calebasse d’eau, de nécromancie (âme défunte), etc.
Dr Dramane Konaté note que les formes d’expressions artistiques sont diverses et variées en société traditionnelles. Celles-ci vont des arts appliqués (textile local, mets locaux, poterie, vannerie, etc.) ; aux arts scéniques (mimique, danse, musique) ; en passant par les arts graphiques (formes de représentations/Tiébélé) ; jusqu’aux arts plastiques (joaillerie, esthétique, masques, etc.) et l’art capillaire (typologie de la coiffure traditionnelle).
Aussi, l’architecture, c’est-à-dire l’habitat traditionnel n’est pas en reste. De l’avis de l’enseignant-chercheur, la découverte de la typologie de l’habitat endogène est nécessaire : cases, huttes, soukala, dagara, kasséna, etc. (Musée national).
Les sports traditionnels sont également à prendre en compte en société traditionnelle (lutte, tir-à-l’arc), de même que les jeux traditionnels qui participent à la fois du ludique et de l’éveil de l’intelligence chez les plus jeunes : devinettes, waré, cache-cache, etc.)
Le spirituel
Dr Dramane Konaté explique que le spirituel englobe tout ce qui est lié à la nature de l’esprit. Il définit le spirituel comme la primauté de l’esprit sur la matière, une caractéristique présente chez tous les êtres humains et développée par toutes les sociétés pour définir leur rapport au monde et à ce qui les entoure. Ainsi, la spiritualité n’est pas nécessairement synonyme de religion.
Toutes les autres civilisations renchérit-il, ont également développé des aspirations spirituelles, notamment les civilisations arabo-musulmane, judéo-chrétienne, confucéenne, amérindienne, etc. Dr Konaté souligne ainsi que le spirituel est universel, civilisationnel, culturel et même personnel. La spiritualité prend une dimension religieuse lorsqu’elle se rapporte à la foi et aux croyances en une vie dans l’au-delà ou à un meilleur devenir de l’homme sur terre. « Si toute religion est fondée sur une spiritualité, toute spiritualité n’est pas une religion. Par exemple, dans les sociétés traditionnelles, la spiritualité se manifeste souvent à travers des rites propitiatoires pour assurer une bonne pluviométrie, de bonnes récoltes, etc., ainsi que des rituels funéraires », a-t-il révélé.
Dr Konaté poursuit son raisonnement en affirmant que le monde contemporain, marqué par le capitalisme avec son exigence de rendement excessif, de quête d’excellence absolue, de déshumanisation, de stress et de survie, le spirituel devient un refuge, une source de ressourcement et de développement personnel. Dans ce contexte, la spiritualité tend à devenir une démarche individuelle plutôt que communautaire ou collective, juge-t-il.
Dr Konaté fait savoir que dans les sociétés traditionnelles africaines, la spiritualité se manifeste de manière tridimensionnelle : par le spiritisme, le mysticisme et l’occultisme.
Le spiritisme
Dr Konaté enseigne que le spiritisme a précédé le spiritualisme. Le premier met l’accent, explique-t-il, sur la possession spirituelle (convocation de l’esprit). Tandis que le second se concentre sur la communication spirituelle (élévation de l’esprit). Aucun des deux selon lui, n’est une religion car ils ne répondent pas à un ordre canonique ou à un dogme. « Dans les sociétés traditionnelles, le spiritisme concerne les rituels d’invocation des âmes ou “esprits’’ des morts, des génies, des démons, etc. Par exemple, l’interrogatoire du défunt est une pratique courante fondée sur le spiritisme », a-t-il dévoilé.
Le mysticisme
Le mysticisme, selon Dr Konaté, est le transfert spirituel vers le mystère et les choses cachées. Il constitue un état d’esprit, une spiritualité fondée sur la croyance aux phénomènes surnaturels. Le mysticisme nourrit la superstition et le paranormal, l’irrationnel, à travers des présages, des visions (fantômes, djinns, esprits), des animaux symboliques (chat noir, hibou, hurlement de chien), des phénomènes naturels (foudre, tourbillon, éclipse, pleine lune), des matières (terre, forêt, eau, feu, or), et des parties du corps (paume qui gratte, gros orteil qui danse, œil qui clignote, oreille qui siffle). Les pouvoirs mystiques, émanation spirituelle, peuvent être utilisés pour le bien ou le mal.
L’occultisme ou l’ésotérisme
Parlant de l’occultisme, il s’agit d’une composante des arts et sciences ésotériques, réservée aux seuls initiés, à en croire le structuraliste. Il englobe la magie, la divination, la sorcellerie, etc. Dans les pratiques spirituelles des sociétés traditionnelles, la terre et la nature sont très sollicitées. Le Dafra, explique-t-il, une eau sacrée dans le Houet, abrite des silures considérés comme des esprits des eaux, qui reçoivent les offrandes des visiteurs en quête de bien-être et de bonheur. Le baobab mystique de Toumousséni symbolise la spiritualité à trois niveaux : les racines (sous-réel) représentent les ancêtres, le tronc (réel) abrite des personnes, et les branches (surréel) se connectent au cosmos.
Dr Konaté ajoute que dans les sociétés traditionnelles, les morts ne sont jamais vraiment partis. La métempsychose suppose un retour à une autre vie, que ce soit sous forme humaine, animale ou végétale. La réincarnation, quant à elle, implique la transmigration de l’esprit du défunt dans un autre corps humain, et seuls les sages peuvent interpréter les signes de l’âme réincarnée.
Le cultuel
Dans la dernière partie de sa communication, Dr Dramane Konaté explique que le cultuel appelle à l’expression de la foi, de la piété, et du sentiment religieux. Bien que, dans les sociétés traditionnelles, il englobe la spiritualité, il s’en distingue à plusieurs égards.
Dr Konaté cite l’égyptologue Théophile Obenga pour illustrer la complexité de la cosmogonie africaine : « En vérité, en Afrique noire profonde, les rites agraires, les cultes aux morts, les cérémonies aux ancêtres divinisés, les conceptions essentielles sur la vie sociale et communautaire, sur la mort, sur l’au-delà, sur l’ordre cosmique (dieux-ancêtres-morts-vivants) : avec des mouvements de va-et-vient entre toutes ces réalités forment une vaste et dynamique cosmogonie (Obenga 1990 : 183) ». Dr Konaté précise que ce que l’on appelle religion traditionnelle en Afrique se rapporte souvent à l’animisme, c’est-à-dire la croyance en une force vitale présente aussi bien dans les êtres vivants que dans les objets inanimés et les éléments naturels comme les pierres ou le vent, ainsi qu’en des génies protecteurs.
Cette définition de l’animisme, selon Dr Konaté, est réductrice par rapport à la dimension cosmogonique du culte ancestral. Il soutient que l’hénothéisme est une expression plus adaptée pour désigner « le Dieu suprême » à qui un culte prédominant est rendu, sans pour autant exclure l’existence possible d’autres divinités qui peuvent bénéficier d’un culte à l’échelle familiale, clanique ou communautaire. Chaque système de croyance en Afrique traditionnelle attribue un nom originel au Dieu suprême, présent dans chaque communauté.
Le culte ancestral
Dr Konaté mentionne que les pratiques coutumières en Afrique s’organisent autour des mânes des ancêtres. Dans la symbolique africaine, ces ancêtres sont perçus comme des saints qui intercèdent auprès du Dieu suprême et des divinités. Il souligne l’importance de l’iconographie dans la sphère religieuse des sociétés traditionnelles, car elle joue un rôle crucial dans les représentations spirituelles et cultuelles.
L’exposé de Dr Dramane Konaté lors du colloque ENDO-LAB a été une exploration profonde et riche des dimensions culturelles, spirituelles et cultuelles des sociétés africaines, en particulier, celle du Burkina Faso. En mettant en lumière l’importance des coutumes, des savoirs traditionnels, et des croyances spirituelles et religieuses, Dr Konaté a souligné la nécessité de préserver et de valoriser ce patrimoine pour les générations futures. Ses observations et analyses offrent une perspective sur la manière dont les sociétés africaines peuvent s’appuyer sur leurs traditions endogènes pour renforcer leur identité et leur développement.
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Hamed Nanéma
Lefaso.net