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L’organisation des producteurs maraichers et dynamisme de la filière maraichère au Burkina Faso : Cas de Bobo-Dioulasso, Ouagadougou et Ouahigouya

Publié le samedi 8 avril 2023 à 13h30min

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Introduction

Au Burkina Faso l’agriculture constitue la principale source de revenus pour les populations rurales. Elle est le pilier de la sécurité alimentaire (MAAH, 2017), et implique aussi les cultures fruitières et légumières qui occupent une place importante et stratégique (MAHRH, 2007). Le maraîchage est une composante importante de la filière fruits et légumes (SDR, 2015).

Elle est pratiquée tant dans les zones péri-urbaines que celles rurales. Le développement progressif d’une économie de marché au Burkina Faso, a favorisé le développement des centres urbains, ce qui a augmenté les besoins en légumes des citadins, (Ouédraogo, 2019). Les revenus issus du maraîchage ont un impact positif sur la vie sociale et économique des maraîchers, à travers la création de nouvelles activités rémunératrices, l’acquisition des biens d’équipements et manufacturés, la contribution à la sécurité alimentaire, à la santé et à l’éducation (Bognini, 2010).

En valeur macro, le maraichage représente 16,5 % de la production agricole totale et 10,5 % de la production totale du secteur primaire. La filière fruits et légumes, contribue en général, à hauteur de 4,5 %, au PIB du pays (DGPSA, 2007). La province du Houet bénéficiant de la Vallée du Kou fournit environ 15 % de la production nationale (Traoré, 2006). Le Kadiogo est une des grandes zones de production maraichère du Burkina Faso (Robert et al, 2018). La région septentrionale notamment le Yatenga, constitue une des grandes zones de cultures maraîchères. Cependant la filière maraichère n’est pas assez dynamique, malgré les performances économiques constatées.

Conscients de cela, les maraichers adoptent des stratégies telle la création des organisations de producteurs, pour faire face aux contraintes qui les maintiennent dans la pauvreté (Grandval et al, 2013). La position de ces organisations sur le développement des cultures maraichères au Burkina Faso reste en effet peu explorée (Ouédraogo, F, Kagambega L, Kaboré/Konkobo M, 2022),
.
Au regard de cette réalité, il nous ait apparu impérieux d’explorer la dynamique de ces organisations de producteurs agricoles à travers l’analyse de l’impact socioéconomique que peut avoir l’organisation des maraichers sur la filière et les ménages de maraichers. C’est ainsi que la situation ci-dessus décrite a suscité en nous la question suivante :

Quels sont les effets induits de l’organisation des maraichers sur la dynamique socioéconomique de l’activité maraîchère ?

Approche méthodologique

La présente recherche a concerné trois villes du Burkina Faso. Il s’agit des villes de Ouagadougou, de Bobo Dioulasso et de Ouahigouya. Notre recherche est de type mixte autorisant une approche quantitative et une approche qualitative (Campenhoudt, L.V.et al., 2017).

Les données ont été collecté grâce à une enquête par questionnaire auprès de 120 producteurs maraîchers soit une moyenne de 40 producteurs maraichers par zone géographique de production maraichère. Nous avons également réalisé quelques entretiens semi-directifs auprès de personnes ressources (agents du Ministère de l’agriculture, représentants de maraîchers, représentants ou responsables d’organisations) actives dans le développement de la production maraîchère. Les données quantitatives ont fait l’objet d’analyses descriptives par SPSS. Quant aux entretiens semi-directifs, ils ont fait l’objet d’analyses thématiques simples.

Résultats

Diversité des situations d’organisations des maraichers

Sur chaque site de production, les maraichers se sont constitués en groupements afin de mieux s’organiser et de profiter de certains avantages (appui technique et financier interne ou extérieurs) pour la production maraîchère. L’analyse des données indique que plus de 63,5% des maraîchers occupent les sites de manière collective ou associative et 36,4% de manière individuelle.

Caractéristiques sociodémographiques des maraichers

Le financement de la production maraichère

L’accès aux crédits est délicat pour selon les maraichers interviewés. Les crédits octroyés par les institutions de microfinance sont de type individuel. L’appartenance à une structure associative n’est pas un moyen d’accès à ce type de crédit. Néanmoins, les structures associatives peuvent remplir les conditions d’accès à un crédit commun auprès des instituts de microfinance. Actuellement, ce sont la FNGN, le PROFIL, le PAFASP qui appuient les Organisations paysannes à Ouahigouya.
Evaluation de la rentabilité du maraîchage

Le compte d’exploitation établi d’une part, pour les producteurs membres d’une structure associative et d’autre part pour les maraichers organisés individuellement que les maraîchers ont été capables de générer des revenus au cours de la saison sèche 2014-2015 (Octobre à novembre). Il en résulte que le Résultat Net d’Exploitation (RNE) moyen annuel de la saison sèche, s’élève à 332 838 F CFA pour un producteur membre d’une organisation de base, alors qu’un producteur n’appartenant pas à une structure associative génère un RNE moyen annuel de 242 609 F CFA. En moyenne, les maraichers organisés en structures associatives dégagent, de loin, un Résultat Net d’Exploitation plus élevé que les maraichers organisés individuellement.

Résultats et discussions

Socio démographie des maraîchers

L’âge moyen de l’ensemble des maraîchers enquêtés est de 40,65 ans et l’âge minimal de 23 ans. La majorité des producteurs (89,2 %), est mariée, 9,1% sont célibataires et 1,7% sont veufs ou divorcés. En ce qui concerne le phénomène migratoire, Il y a peu de producteurs qui ont migré sur les sites, (10 %). C’est dire que 90 % des enquêtés sont natifs des sites où ils pratiquent le maraichage. Le niveau d’instruction des producteurs maraichers est relativement faible.

En effet, seuls 47,5 % ont un niveau d’instruction, 35,5 % ont le niveau primaire et 15 % ont fait le secondaire. C’est dire que 52,5 % n’ont pas fait l’école. Les données récoltées montrent une faible proportion des femmes à Ouahigouya (4,45%) par rapport à Ouagadougou (11,43¨%) et une absence des femmes dans la production maraichère à Bobo-Dioulasso. Plus de 85% des producteurs ont plus de cinq ans dans le maraîchage.

Dans la production maraîchère au sein des sites zone cibles, les femmes sont sous-représentées. Cette sous-représentation de genre est plus prononcée en maraîchage urbain et périurbain avec uniquement 7,5 % de femmes (Tougma, 2007). Cependant, la majorité les femmes interviewées sont membres d’une organisation de producteurs. Les organisations de producteurs auxquelles appartiennent les femmes comme les hommes présente des trajectoires différentes.

Diversité des situations d’organisations de maraîchers

Une bonne partie des producteurs maraîchers du Houet du Kadiogo et du Yatenga intègrent ou créent des organisations faitières afin de défendre leurs intérêts. A Ouahigouya, la forme associative d’organisation est moins répandue que la forme individuelle alors qu’à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, les formes associatives sont plus importantes que les formes individuelles. Dans l’ensemble l’organisation des maraîchers en groupements ou coopératives est très peu développée au Burkina Faso (Ripama, 2009 ; MAAH, 2017). La diversité des formes d’organisations des maraîchers dans les zones est liée essentiellement à la manière dont les sites ont été aménagés et au soutien que les structures d’appui apportent aux maraîchers (Wellens et al., 2010).

Le financement des activités maraîchères

Plusieurs types de financement sont utilisés par les maraichers à l’entame de chaque campagne de production. Hors mis les maraîchers qui s’autofinancent, la majorité profite de sa collaboration avec les commerçants distributeurs d’engrais et de semences pour avoir accès au moyen de production. Cette réalité est confirmée par les travaux de (Ouédraogo 2019), qui considèrent le préfinancement comme une alternative aux structures formelles de financement.

Ainsi, les maraîchers sont prêts à accueillir tout soutien qui peut les aider à atteindre leurs objectifs (Ouédraogo, 2019). La caisse populaire est le système de financement décentralisé qui accompagne certains maraîchers. Le système financier formel est faiblement utilisé par les producteurs (Diakité et al., 2003, Ouédraogo, 2019)

Impacts socio-économiques de l’organisation des maraîchers

L’organisation des producteurs en associations a permis l’affirmation (accès à la terre, autonomie, participation à la gestion du site, responsabilisation) des femmes sur les sites aménagés de Goinré à Ouahigouya et celui du barrage n°1de Ouagadougou. Le regroupement des producteurs renforce la solidarité et la cohésion sociale entre membres et entre structures associatives. Cette solidarité conduit à l’entraide dans l’exécution de certaines opérations culturales (repiquage et sarclage/binage).

Les structures associatives offrent non seulement des opportunités de formation, toute chose qui crée des moments d’échanges et de partage de connaissances, de compétences et d’expériences, d’abord entre structures associatives à travers des partenaires techniques et ensuite entre les membres (Ouédraogo, 2004). Le niveau d’organisation et d’encadrement influencent celui des rendements et par conséquent la rentabilité des cultures maraichère en particulier la pomme de terre (John, Tshomba Kalumbu, et al. 2015). Les différents programmes de formation et de sensibilisation ont des impacts positifs sur la gestion des groupements (Ouédraogo, 2004).

Limites de la structuration des maraichers

La plupart des organisations de maraîchers interviewés ont été créées sur incitation des organisations faitières, de l’Etat ou de ses structures déconcentrées, des projets, des ONG et organismes de développement (Ouédraogo, F, Kagambega L, Kaboré/Konkobo M, 2022), . Le soutien qu’elles comptaient avoir des partenaires qui les ont amenés à se mettre en place, n’a pas souvent été acquis, ce qui a constitué pour certains producteurs une source de démotivation.

Par ailleurs, la faible capacité des organisations à mobiliser des ressources financières (fonds de roulement) réduit l’efficacité des services que ces organisations fournissent à leurs membres dans le cadre de leurs activités de production. De même, les crédits octroyés sont majoritairement à titre individuel (SY, 2011). C’est ainsi qu’au sein des zones urbaines ou péri-urbaines les conditions d’accès aux crédits auprès des organismes publics et privés sont faibles, voire inexistants.

Conclusion

Le maraîchage constitue une source de revenus pour les producteurs, son efficacité technico-économique exige une bonne organisation des maraîchers. Il est ressorti de cette étude que les maraîchers s’organisent soit en associations soit individuellement et que la forme associative est plus avantageuse pour les maraîchers que la forme individuelle.

Cette forme d’organisation associative a révélé le renforcement de la solidarité et la cohésion sociale entre les maraichers ; la création d’un cadre d’échanges et de partage de connaissances et compétences, la responsabilisation des producteurs, l’amélioration nette de l’accès à des formations en techniques de production maraichère importante et en gestion des sites ; l’amélioration de l’accès aux semences et engrais de qualité ; l’amélioration des revenus maraichers annuels moyens ; la contribution plus ou moins importante au développement communautaire.

Le maraîchage constitue de ce fait une alternative dans la lutte contre la pauvreté. Au-delà des difficultés que rencontrent les maraîchers, il est impérieux de soutenir leur organisation en associations au regard des avantages que cette situation leur offre comparativement aux producteurs organisés individuellement.

OUEDRAOGO Félix Chargé de recherche, Institut des Sciences des Sociétés (INSS), Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)
KAGAMBEGA Levy, socioéconomiste, chargé d’étude
KABORE/KONKOBO Madeleine, Directeur de recherché, Institut des Sciences des Sociétés (INSS), Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)

Bibliographie

Bognini S. (2011). Impact des changements climatiques sur les cultures maraichères au nord du Burkina Faso : Cas de Ouahigouya. ASDI/RENAF, 2011, Ouagadougou. 38p.
Creswell, j. w., & plano clark, v. (2007). Designing and conducting mixed methods research. thousand oaks, ca : sage.

DGPSA (Direction Générale des Prévisions et des Statistiques Agricoles) (2007). Analyse de la filière maraichage au Burkina Faso. Ouagadougou, Ministère de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources Halieutiques (MAHRH), 115p.
Diakité L. ET Zida M. (2003). Etude diagnostique de la filière pomme de terre dans trois pays de l’Afrique de l’ouest : Cas du Burkina Faso. Rapport final. CILSS/Institut du Sahel Ouagadougou 2003. 31p.

Grandval F. (2013). Pour un partenariat efficace avec les organisations paysannes et de producteurs ruraux, WCA/FIDA, Rome, Italie, 42p.

John, T. K., Léopold, N. M., François, N. N., Arsène, M. B., Emmanuel, M. M., & Jules, N. M. F. (2015). Le maraÎchage et ses fonctions dans le contexte socioéconomique de Lubumbashi en RD Congo [The functions of Market gardening in the socio-economic context of Lubumbashi in DR Congo]. International journal of Innovation and Applied Studies, 11(2), 291.

Kolié O-O. J-P. (2009). Identifier des groupes homogènes de maraichers et l’évaluation de leurs performances économiques au Burkina Faso. CIHEAM-IAMM : Montpelier 115p. (Master of science ; n° 101).
MAAH. (2017). Ministère de l’Agriculture et des Aménagements Hydrauliques. Programme de développement des cultures fruitières et légumières. Situation de référence. (2018-2022).64 p.

Ouédraogo S. (2004). Le groupement des productrices maraîchères de Oula-Koulsin (Burkina Faso). Février, 2004, Les Cahiers du CRISES. Collection Études de cas d’entreprises d’économie sociale. Bibliothèque nationale du Québec, ES0402. 61p.
Ouedraogo, F. (2019). Analyse de la durabilité des exploitations maraîchères du Burkina Faso : essai d’une approche socio-écosystémique (cas de la Province du Houet). Université Catholique de Louvain : Ottignies-Louvain-la-Neuve, Belgium.

Ouédraogo, F, Kagambega L, Kaboré/Konkobo M, (2022), Retombées socio-économiques de l’organisation des producteurs maraichers sur la filière maraichère au Burkina Faso : cas de Bobo-Dioulasso, Ouagadougou et Ouahigouya, Revue Sciences et technique, Sciences humaines et sociales, Vol. 38, n° 2, Juillet – Décembre 2022, pp 279-297

Ripama W. Y. E. B. (2009). Les performances économiques des maraichers au Burkina Faso : Régression linéaire. Mémoire de master en génie de l’eau et de l’environnement. Ouagadougou. 60p.

Robert, A., Yengué, J. L., Augis, F., Motelica-Heino, M., Hien, E., & Sanou, A. (2018). L’agriculture ouagalaise (Burkina Faso) comme modèle de contribution au métabolisme urbain : avantages et limites. VertigO-la revue électronique en sciences de l’environnement, (Hors-série 31).

SY. M. (2006). Financement de l’agriculture urbaine et périurbaine. Etat des lieux des stratégies alternatives. Le cas de l’Afrique de l’ouest francophone. Atelier d’experts 23.09.2011, Casablanca. 10p.

Tougma T. A. (2007). Déterminants de la durabilité des pratiques d’irrigation dans les systèmes de production maraîchères urbains et péri urbains au Burkina : analyse de la situation à Bobo-Dioulasso et Ouagadougou. Mémoire de fin d’étude d’ingénieur du développement rural, option sociologie et économie rurales, Université polytechnique de Bobo-Dioulasso (UPB), Institut du développement rural (IDR), Bobo-Dioulasso, Burkina Faso, 70p.

Traoré S. (2006). Production maraichère de la ville de Bobo-Dioulasso. Rapport de fin de stage ATAS 2006, Centre Agricole Polyvalente de Matroukou. Bobo-Dioulasso. 30p.

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