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Diagnostic socio-agronomique, leviers et initiatives de promotion de l’agroécologie dans le maraîchage au Burkina Faso

Publié le mercredi 15 mars 2023 à 19h00min

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Introduction

Au Burkina Faso, la promotion de l’agroécologie n’est pas suffisamment portée par les pouvoirs publics qui sont plus tournés vers la promotion de l’agriculture conventionnelle caractérisée par l’utilisation d’intrants chimiques (MAAH, 2017, p.4). La FAO, faisant le point sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture avait affirmé que l’adoption des pratiques agricoles durables par les producteurs est souvent freinée par des politiques étatiques telles que les subventions en intrants, qui encouragent des pratiques de production non durables aux dépens de pratiques favorisant l’utilisation plus efficace des ressources, la conservation des sols et la réduction de l’intensité des émissions agricoles de gaz à effet de serre (FAO, 2016, p.xii).

Au Burkina Faso, la production maraîchère est une activité agricole en forte croissance à l’intérieur et aux alentours des villes. En milieu rural, il est généralement pratiqué en saison sèche et il y représente une véritable source de revenus pour les ménages. En 2016, une recherche réalisée par Ouédraogo. F (2016) sur les obstacles à la transition agroécologique dans le secteur du maraîchage de la Province du Houet identifiait trois principaux types de contraintes structurelles, limitant la transition agroécologique dans le domaine du maraîchage.

Il s’agit des contraintes d’ordres organisationnels, institutionnels et commerciaux. De même, une évaluation de la durabilité des exploitations maraîchères du Houet (F. Ouédraogo, 2020) a montré que la pratique du maraîchage est encore dominée par l’usage de techniques et pratiques de production non durables. Devant une telle configuration, nous nous interrogeons sur la nature des actions à mener pour asseoir un maraîchage durable. Devant une telle configuration, nous nous interrogeons sur la nature des actions à mener pour asseoir un maraîchage durable.

Quels leviers actionner pour amorcer une véritable transition des modes de production actuels vers plus de durabilité ?

Approche méthodologique

A travers une revue documentaire approfondie des entrevues semi-structurées réalisées à l’aide d’un guide d’entretien élaboré en fonction du sujet et de la cible de l’étude, des données ont été collectées auprès des maraîchers et maraîchères afin de faire ressortir leurs perceptions, leurs expériences et leurs attentes par rapport à la problématique de la transition agroécologique dans le maraîchage. Les acteurs rencontrés sont des membres de ménages de maraîchers des milieux urbain, périurbain et rural des provinces du Kadiogo et du Houet. Un échantillon de 60 producteurs a été interviewé dont 30 par province.

Des entretiens ont également été menés auprès de quelques personnes-ressources choisies en fonction de leurs positions administratives et de leur niveau de connaissance des thématiques abordées. Les entretiens semi-directifs avec les actifs des ménages (producteurs) ont fait l’objet d’analyses thématiques à travers le logiciel Nvivo 10. L’analyse thématique a été choisie en raison de son caractère polyvalent (P.Paillé et A.Mucchiellini, 2016,P.36).

Résultats et discussion

Contraintes conjoncturelles au développement de l’agroécologie au Burkina Faso
L’indisponibilité géographique des intrants biologiques est la première contrainte conjoncturelle évoquée par les producteurs rencontrés. Selon les maraîchers, l’indisponibilité permanente de semences locales et d’intrants biologiques dans leurs localités de production les amène à se tourner vers les semences importées, dont les prix sont sans cesse fluctuants. Sur cet aspect, il importe de souligner la faiblesse du nombre de structures spécialisées dans la production et la distribution d’intrants de nature agrobiologique.

Celles qui existent sont géographiquement peu accessibles pour un nombre élevé de producteurs car, situées dans les centres urbains.
Le faible niveau d’information sur l’existence de structures spécialisées dans la production et la vente d’intrants biologiques est une réalité constatée sur le terrain.
Sur le plan des contraintes conjoncturelles, il faut également relever que la charge de travail supplémentaire qu’exige le tournant vers l’agroécologie ainsi que le faible accès au crédit à même de permettre le financement des initiatives agricoles nouvelles et durables sont régulièrement soulignés par les maraîchers.

Contraintes structurelles au développement de l’agroécologie au Burkina Faso
L’agroécologie n’est pas assez portée par les acteurs publics et privés de manière à susciter la définition d’une vision commune autour de sa promotion. Concernant la définition de la stratégie nationale de développement de l’agroécologie au Burkina Faso, il est à souligner un manque de projets clairs de mise en œuvre. Aussi, le manque de débouchés commerciaux concrets, voire spécifiques pour les producteurs agroécologiques.

Les producteurs évoquent également l’inexistence d’une demande spécifique et populaire de produits agroécologiques en raison non seulement de l’indisponibilité géographique de ces produits, mais également des prix élevés des produits disponibles.

L’accès au foncier et le faible niveau de sécurisation foncière en milieu rural sont également un frein à l’investissement durable dans le secteur agricole. Les producteurs maraîchers évoquent la problématique de leur inaccessibilité aux résultats de la recherche en dépit des nombreuses publications et innovations scientifiques existant en agroécologie. L’ensemble de ces contraintes telles que présentées se doivent d’être levées pour amorcer une réelle transition agro écologique.

Propositions de pistes pour le développement d’un maraîchage agroécologique au Burkina Faso
Pour produire une profonde modernisation écologique de l’agriculture, les innovations doivent être technologiques et techniques mais aussi sociales, économiques et institutionnelles (Duru et al., 2014 : 5).

Le changement d’échelle au plan agricole devrait s’accompagner d’un paradigme nouveau partagé par les différentes couches sociales et les différentes catégories socioprofessionnelles du Burkina Faso. Il faudrait faire de cette transition vers l’agroécologie un mouvement social total, mobilisant les pans technologique, économique, social, culturel, juridique, politique et institutionnel de la société, fondés sur la volonté commune de consommer sain et durable tout en préservant les ressources périssables (Ouédraogo.F et Tapsoba.P, 2022)

Un préalable fondamental

Au cours d’un l’atelier sur le changement d’échelle en agroécologie tenu en octobre 2018 à Ouagadougou, les acteurs publics et privés présents se sont accordés sur la nécessité de définir du concept de l’agroécologie qui s’accompagnerait de la détermination participative d’indicateurs qui permettent d’apprécier l’évolution de la transition agroécologique aussi bien à l’échelle de l’exploitation qu’à l’échelle territoriale.

Elle servirait de fil conducteur de toute initiative de développement de l’agroécologie à l’échelle nationale. De même, elle pourrait permettre d’éviter les cloisonnements internes sur ce qu’est l’agroécologie d’autant plus que le débat est encore présent sur le fait que certaines pratiques d’utilisations raisonnées de pesticides sont considérées par des organismes de recherche (ex : CIRAD) comme de l’agroécologie, une vision rejetée par des associations. C’est dans ce sens qu’une définition consensuelle de l’agroécologie s’avère fondamentale.

Fares et al. (2012) estimaient que l’accompagnement politique est nécessaire dans toute initiative de développement de l’agroécologie à l’échelle d’une nation. Cette vision politique devrait servir de base aux actions telles que le renforcement des subventions en intrants agrobiologiques aux producteurs maraîchers, l’aménagement d’espaces spécifiquement dédiés au maraîchage agroécologique.

Selon (Ouédraogo.F et Tapsoba.P, 2022), elle devrait également appuyer la diversification de lieux de commercialisation des produits agroécologiques et servir de cadre de référence aux initiatives privées menées sur le terrain. Le soutien en amont de l’Etat (accès aux intrants, accès au crédit, appui technique) est donc très déterminant au changement de paradigme de production agricole.

Le maraîchage est une activité agricole hautement économique et la sensibilisation au changement de mode de production, l’accompagnement du producteur devrait être une étape incontournable. En effet, selon Inter-réseaux (2018), la conversion de l’agriculture conventionnelle à l’agroécologie devrait passer par un accompagnement à moyen terme du producteur en fonction de ses motivations et de ses objectifs.

Dans le même sens, la FAO (2015) prône l’approche holistique caractérisant l’agroécologie et consistant à intégrer les savoirs et savoir-faire traditionnels des communautés paysannes du monde entier avec une recherche scientifique approfondie dans le domaine de l’écologie. La contribution du monde de la recherche (organismes publics ou privés) en matière de valorisation scientifique des savoir-faire locaux, de production et de vulgarisation des innovations agroécologiques ou biologiques est nécessaire.

Pour renforcer les connaissances des maraîchers en matière de production agroécologique et susciter une adoption massive de ce mode de production, la création à l’échelle étatique de pôles régionaux de productions agroécologiques avec des producteurs pilotes (volontaires), soutenus par les pouvoirs publics en matière de formation, de suivi-conseil et en matière de commercialisation de leurs productions dans les institutions publiques (casernes militaires, cantines scolaires) est une piste à explorer (Ouédraogo.F, Tapsoba P, 2022).

L’organisation d’une foire nationale ou internationale des productions agroécologiques et biologiques au Burkina Faso pourrait être une approche à envisager pour soutenir les niches de marché.

L’existence d’un dispositif de certification fondé sur l’approche des systèmes participatifs de garantie (SPG), responsabilisant les producteurs, les consommateurs, les transformateurs et les opérateurs de certification est une réelle avancée vers le renforcement de l’accès aux produits agroécologiques à l’échelle nationale et dont la vulgarisation de la certification s’avère nécessaire. Il faudra aussi développer une stratégie marketing adaptée aux réalités culturelles des principaux acteurs engagés dans l’offre et la demande de produits certifiés.

Afin de mutualiser les efforts de promotion de l’agroécologie au Burkina Faso, le renforcement des cadres d’échanges et de partages d’expériences permanents autour des contraintes et défis relatifs au changement d’échelle en agroécologie est également nécessaire.

Initiatives porteuses d’espoir pour la promotion de l’agroécologie au Burkina Faso
Si la transition agroécologique dans le secteur du maraîchage se fait attendre, plusieurs lueurs d’espoir pointent à l’horizon aussi sur le plan politique, de la recherche scientifique que sur le plan de la dynamique des acteurs. En effet, des avancées politiques notoires favorables à la transition agroécologique s’observent au Burkina-Faso. L’État du Burkina Faso a tout de même réalisé un pas important en inscrivant ce paradigme agricole durable dans son Programme national du secteur rural (PNSR II) qui couvrait la période 2016-2020.

Dynamique des acteurs de la promotion de l’agriculture durable

Le cercle des acteurs travaillant au développement de l’agroécologie au Burkina Faso s’agrandit avec de nouveaux acteurs dont la volonté est d’accompagner la transition agroécologique au sein du pays. La mise en place d’un collectif Citoyen pour l’Agroécologie et la lutte contre les OGM, la création du Comité Ouest-Africain des Semences Paysannes (COASP/Burkina), la création d’une Alliance pour l’Agroécologie en Afrique de l’Ouest (3AO) sont encourageantes.

Naissance d’un marché des produits agroécologiques

La création de cadres de concertations entre producteurs, consommateurs et revendeurs de produits biologiques organisés par un certain nombre d’ONG et d’associations (ARFA, Autre terre, Terre et Humanisme, AIDMIR, etc..) évoluant dans la promotion de l’agroécologie est une réelle avancée dans la promotion de l’agroécologie. D’autres initiatives telles que TERRA MADRE/Burkina Faso, actives dans la sensibilisation à la consommation locale, contribuent efficacement à la vulgarisation de produits agroécologiques auprès des consommateurs locaux.

Avancées dans le monde de la recherche

Les initiatives scientifiques de formulation de bio-intrants, de capitalisation scientifique et de vulgarisation des expériences agroécologiques sont en cours dans les universités et les centres de recherche. Aussi, la recherche s’implique de plus en plus dans l’accompagnement des acteurs à travers une collaboration plus forte avec les ONG, les associations, les producteurs. Des projets de développement de curricula intégrant une approche agroécologique dans les écoles et la création d’une filière de formation universitaire en agroécologie sont également en cours.

Conclusion

Le maraîchage tel qu’il est pratiqué au Burkina Faso a une influence négative sur la durabilité des exploitations agricoles. Cet état de fait influence les revenus générés par les exploitations maraîchères, en plus de ses conséquences négatives, non seulement sur les sols (dégradation, pertes des éléments minéraux) mais aussi sur la santé des consommateurs. Une transition agroécologique des modes de production actuels devient impérieuse.

C’est dans cette optique que cette recherche s’est proposée de faire le point des contraintes conjoncturelles et structurelles au développement de l’agroécologie au Burkina Faso puis de définir les bases d’une dynamique transitionnelle en agroécologie basée sur un processus multi acteurs, participatif et concerté. Sur le plan de la formation des acteurs, un renforcement des curricula en matière de production agroécologique permettrait au vivier de techniciens du Ministère de l’Agriculture d’accompagner les producteurs.

Une collaboration directe entre la recherche et les producteurs est également essentielle au transfert des savoirs innovants et à la vulgarisation des résultats de recherche au sein du monde agricole. L’intensification des efforts de certification biologique et d’aide à la commercialisation engagée par le CENABIO contribuerait à étendre la certification à toutes les régions du Burkina Faso.

Félix Ouédraogo, Chargé de recherche, Institut des Sciences des Sociétés (INSS), Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)
Parfait K. Tapsoba, Docteur de la School of Economics, Socio-Anthropology and Communication for Rural Development (EESAC), Faculty of Agronomic Sciences (FSA), University of Abomey-Calavi

Bibliographie

Campenhoudt, L.V., Marquet, N., & Quivy, R. (2017). Manuel de recherche en sciences sociales. 5ème édition. Dunod, - 379 p.
Duru, M., Therond, O., & others. (2014). Un cadre conceptuel pour penser maintenant (et organiser demain) la transition agroécologique de l’agriculture dans les territoires. Cahiers Agricultures, 23(2), 84–95.

FAO. (2016). La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. Changement Climatique, agriculture et sécurité alimentaire. 119-136, FAO.214 p.
FAO. (2015). Rencontres régionales sur l’agroécologie en Afrique sub-saharienne. Rapport.5-6 novembre 2015. Dakar. Sénégal. 74 p.

Fares. M., Magrini. M.B., Triboulet P. (2012). Transition agroécologique innovation et effets de verrouillage : le rôle de la structure organisationnelle des filières
Inter-réseaux. (2018). Journée de partage d’expériences sur les dynamiques d’accompagnement des organisations paysannes (op) pour le changement d’échelle en agroécologie – 25 octobre 2018. Document de rapport. 13 p.

MAAH. (2017). Programme de développement des cultures fruitières et légumières. Situation de référence. Ministère de l’Agriculture et des Aménagements Hydrauliques. (2018-2022).64 p.41

Mucchielli, A. (2005). Etude des communications : Approches constructivistes. Armand Colin.
OUEDRAOGO, F. TAPSOBA. P.2022, Transition agroécologique dans le maraîchage au Burkina Faso : entre contraintes, pistes et espoirs, Harmattan Burkina Faso Collection, pp 23-42

Ouédraogo, F. (2016). Dynamiques locales et transition agroécologique : le cas du maraichage au Burkina Faso (région des hauts-bassins). Mémoire de Master Complémentaire Université Catholique de Louvain-la-Neuve. 58-68, 116 p.
Ouédraogo, F., Ahouangninou, C., Kestemont, M. P., & ép Konkobo, M. K. (2020).

Évaluation de la durabilité des exploitations maraîchères du Burkina Faso suivant une approche socio-écosystémique (cas de la province du Houet). Tropicultura.
Paillé, P., & Mucchielli, A. (2016). L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales-4e éd. Armand Colin.

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