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Accès à l’eau dans les zones pastorales sous l’effet de la variabilité climatique et de la pression foncière

Publié le mardi 19 décembre 2023 à 11h48min

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Accès à l’eau dans les zones pastorales sous l’effet de la variabilité climatique et de la pression foncière

Introduction

L’eau occupe une part importante dans les organismes vivants et joue un rôle clé dans le fonctionnement des écosystèmes. Dans le cas précis de l’élevage, l’eau qui constitue 60 à 70 % du poids corporel, est essentielle au maintien des fonctions physiologiques vitales des animaux (FAO, 2009 : 142). Le défi de la disponibilité de l’eau, fait d’elle l’une des problématiques importantes concernant l’élevage extensif en milieu rural (Renard, 2010 : 45). En effet, l’élevage traditionnel de type extensif se caractérise par la recherche permanente de l’eau et du pâturage par les animaux.

Or ces ressources ne sont disponibles simultanément que pendant la saison pluvieuse. Ce constat appel à une réflexion sur l’accès à l’eau pour l’élevage dans les zones pastorales de Gadeghin et de Sidéradougou qui connaissent de plus en plus d’énormes difficultés. L’objectif de la présente étude est d’analyser les stratégies développées par les agropasteurs pour améliorer leurs accès à l’eau dans un contexte de pression foncière et de variabilité climatique.

La zone d’étude est constituée de deux entités géographiques que sont les zones pastorales de Gadeghin et de Sidéradougou (carte 1). La zone pastorale de Gadeghin, située dans la commune de Mogetédo relève de la province du Ganzourgou dans la région du Plateau central. Elle est sous l’influence du climat soudano-sahélien avec une pluviométrie moyenne annuelle entre 700 et 800 mm.

La zone pastorale de Sidéradougou est située dans le domaine climatique sud-soudanien limité au nord par l’isohyète 1000 mm et au sud par l’isohyète 1200 mm couvre une superficie de 51 500 ha repartie entre les communes de Sidéradougou, de Péni et de Tiéfora.

1- Méthodologie

La méthode non-probabiliste à choix raisonné a été utilisée lors des entretiens individuels réalisés à l’aide d’un questionnaire. Le type d’échantillonnage non-probabiliste choisi est celui par quotas. La taille de l’échantillon déterminée à travers la formule de Kothari (2004 :177) a permis de retenir 290 ménages comme échantillon représentatif composé de pasteurs et d’agropasteurs.

Les données ont été collectées à travers des entretiens individuels et des focus groupes de discussion. Des fiches d’enquête adressées aux agro-pasteurs ont permis d’appréhender les défis de l’accès à l’eau dans l’espace pastoral.

La collecte des données a été réalisée en avril 2021 dans les deux zones pastorales. Les données quantitatives ont été traitées avec le logiciel SPSS 22 pour sortir des tableaux et des graphiques. Cette phase a permis de mieux présenter les résultats qui sont ensuite discutés.

2- Résultats des travaux

Les ressources en eau dans les zones pastorales sont constituées des eaux souterraines et des eaux de surfaces mobilisables au niveau des cours d’eau, des barrages et des bouli. Au niveau de Sidéradougou, les cours d’eau (affluents des fleuves Bougouriba et Comoé) et certains points d’eau naturels font partie des sources d’abreuvement des animaux. Les ressources en eau dans la zone pastorale de Gadeghin sont également en partie fournies par les cours d’eau de cette zone dont le principal est la Bomboré, un affluent du fleuve Nakambé.

2.1. Accès à l’eau dans les zones pastorales sous l’effet de la variabilité climatique

L’eau disponible varie beaucoup d’un point à l’autre et dépend fortement de la pluviométrie (Yarga H P et al., 2023, p 57). En effet, la quantité d’eau tombée détermine le niveau d’eau mobilisable dans les différentes sources d’eau ainsi que la durée d’utilisation. On observe de fortes variations dans le temps, particulièrement pour les points d’eau de surface et pour ceux des nappes superficielles.

Pour les 2/3 des agro-pasteurs, l’accès à une source d’eau dans les zones pastorales de manière générale est acceptable. Cependant, cette situation varie selon la saison et à travers la nature des sources d’approvisionnements. Ainsi, il ressort que la disponibilité de l’eau dans les pâturages influence la fréquence d’abreuvement du bétail et la valorisation du fourrage.

La fréquence d’abreuvement du cheptel consigné dans le tableau 1 confirme la facilité d’accès à l’eau en saison pluvieuse. En effet, pendant la saison des pluies plus de 65% à 70% des agro-pasteurs déclarent avoir accès à l’eau pour l’abreuvage des animaux toute la journée contre au plus 4% en saison sèche.

Cette vision est partagée par Deygout P et al., (2012 : 55) qui affirment que la saison des pluies permet, pendant quelques mois, une très grande dispersion du cheptel et la valorisation de vastes étendues de pâturages de graminées annuelles et éphémères des confins sahariens.

Par contre, le manque de points d’eau limite l’utilisation des pâturages naturels surtout en saison sèche (Diallo A, 1991 :97). En effet, la longue saison sèche favorise une grande concentration de l’activité pastorale autour des points d’eau permanents. Cette situation traduit en partie les difficultés d’accès aux sources d’eau dans les zones pastorales en cette période.

Il ressort qu’en saison sèche, les forages et les puits sont les sources d’eau les plus accessibles par environ 60% des agro-pasteurs. En saison pluvieuse, l’accessibilité est plus facile eu égard à la disponibilité des eaux de surface temporaires telles que les cours d’eau, les barrages, les bouli et les flaques d’eau. La figure 1 indique les difficultés d’abreuvement du bétail en saison sèche. Elles sont en grande partie liées à l’état de la source, celle-ci s’asséchant ou étant en mauvais état.

L’assèchement précoce des cours d’eau limitant la pratique des activités agro-pastorales est dû en partie à la variabilité climatique. En effet, l’irrégularité des pluies ne favorise pas la disponibilité de l’eau de surface sur une longue période et les nappes d’eau sont également faiblement approvisionnées. Ainsi, il est constaté que la majorité des sources d’eau sont hors services sur la période allant de décembre à avril durant laquelle les besoins en eau sont cruciaux. Ce constat est plus marqué dans la zone pastorale de Gadeghin comparativement à celle de Sidéradougou.

La concurrence croissante entre éleveurs augmente également le tarissement des points d’eau (Renard M, 2010 : 49). Aussi, il est mentionné que le manque d’entretien des ouvrages hydrauliques entraine leur mauvais fonctionnement. En effet, sur un total de 13 forages réalisés de 2000 à 2013 par l’État dans la zone pastorale de Sidéradougou, 10 étaient fonctionnels en 2022 et accordaient une priorité à l’abreuvement du bétail. La situation des infrastructures hydrauliques dans la zone pastorale de Gadeghin montre que le nombre de forages fonctionnels (huit) en 2022 avec un bouli et quatre puits pastoraux étaient en deçà des besoins en eau du cheptel. Ce résultat est conforme à celui de Ouoba-Ima S (2018 :12) soutiennent que la difficulté d’accès à l’eau est liée au nombre insuffisant et au tarissement précoce des points d’eau de surface (artificiels et naturels) ainsi qu’aux problèmes d’entretien des ouvrages hydrauliques dans la zone pastorale de la Nouhao au Burkina Faso.

Toutefois, il existe des difficultés d’accès à la ressource en eau en cette période dues à l’obstruction des voies d’accès par les zones de cultures.

2.2. Accès à l’eau dans les zones pastorales sous l’effet de la pression foncière

Les données collectées indiquent que 80% des voies d’accès à une source d’eau sont occupées par des cultures en saison hivernale. La pression foncière croissante due à l’accroissement incontrôlé des superficies cultivées en est la cause principale. La plupart des pistes d’accès aux ressources pastorales et des couloirs de transhumance dans les zones pastorales sont mis en culture. Les cultures au milieu des pâturages, à côté des points d’eau ou même sur les pistes de transhumance, entravent souvent la mobilité des troupeaux pourtant essentielle au développement de l’élevage (Bonnet et al., 2005 :8). En effet, les agro-pasteurs laissent rarement un passage pour les animaux, cela oblige les bergers soit à augmenter la distance à parcourir pour contourner les champs, soit à causer des dégâts dans les cultures afin d’avoir accès à la ressource en eau. Cet état de fait a été également confirmé par Renard M (2010 : 49) qui affirme que « les obstacles à l’accessibilité de certaines ressources pour les éleveurs, notamment les points d’eau, sont en général dus à l’implantation de cultures autour de ces derniers ». De même, la mauvaise répartition des sources d’eau oblige la majorité du bétail (68%) à parcourir de longues distances afin d’accéder à un point. La distance par rapport au point d’eau en saison pluvieuse est comprise entre zéro et un kilomètre pour la majorité des agro-pasteurs (78%) tandis qu’en saison sèche cette distance peut atteindre douze kilomètres. L’inégale répartition des points d’eau sécurisés dans l’espace ne permet pas une valorisation optimale de la ressource en pâturage (Bonnet B et al., 2005 : 8). Le bétail doit ainsi parcourir des distances de plus en plus longues entre les lieux où il trouvait les pâturages (ces derniers étant de plus en plus éloignés) et la station où il venait s’abreuver. Durant ces longs trajets, il perdait non seulement du temps, qu’il aurait mieux utilisé à paître, mais aussi de l’énergie, surtout lors des éprouvantes chaleurs des mois d’avril et de mai (Baroin C, 2003 : 215).

De manière générale, il est reconnu que l’accès à l’eau dans les zones pastorales devient de plus en plus difficile ces dernières années dû à la fois à l’augmentation du cheptel et de la population humaine (Yarga H P et al., 2023, p 63). Cette situation est en relation avec le type d’élevage pratiqué et la zone climatique. En effet, les agropasteurs soulignent que le besoin d’accès à l’eau est plus important dans la zone pastorale de Gadeghin due à la température plus élevée qui entraine conséquemment un besoin en eau plus important pour le bétail. Doreau M et Corson S (2017 : 7) ont affirmé qu’en climat chaud, la consommation d’eau est accrue pour faire face à la déperdition d’eau par transpiration et évaporation, mécanismes physiologiques pour évacuer la chaleur. Face aux difficultés liées à l’accès à l’eau, il est nécessaire que des stratégies de gestion des sources d’eau soient mises en place pour un meilleur accès et une protection de ces sources d’eau.

2.3. Stratégies d’accès à l’eau dans les zones pastorales

Dans le souci de garantir l’accès à l’eau pour les activités pastorales dans les zones de pâtures, le gouvernement burkinabé avec le soutien des partenaires au développement, a mis l’accent sur la réalisation d’infrastructures hydrauliques. L’exécution de certains projets dont le Projet d’appui au pastoralisme au sahel (PRAPS) a permis d’augmenter le nombre d’infrastructures pastorales composées de forages, de bouli, de parcs à vaccination, de magasins et de postes vétérinaires de 2000 à 2015 dans les zones pastorales de Gadeghin et Sidéradougou. De ces aménagements pastoraux, ceux liés à la disponibilité de l’eau occupent la première place.

Malgré la multiplication des infrastructures hydrauliques, les agro-pasteurs éprouvent des difficultés d’accès aux ressources dans ces sites. En effet, l’accès à la ressource en eau est plus criard bien que le nombre de forages et de bouli ait significativement augmenté. C’est dans ce contexte que les agro-pasteurs ont mis en œuvre des stratégies endogènes pour s’adapter à l’insuffisance d’eau en certaines périodes dans les zones pastorales. De l’analyse des données présentées dans le tableau 2, il ressort que cinq stratégies sont pratiquées en réponse à l’insuffisance de l’eau dans les espaces pastoraux.

Il s’agit entre autres du rationnement de l’abreuvement des animaux en saison sèche. De ce principe, les bovins sont conduits une fois par jour à une source d’eau. En réalité, pendant la saison sèche, le troupeau conduit au pâturage le matin, s’abreuve à 14 h et y reste en repos avant de repartir au pâturage vers 16h. Cette pratique plus utilisée dans la zone pastorale de Gadeghin (73%), permet à l’animal de perdre moins d’eau selon les pasteurs. Cette vision est soutenue par une étude de la FAO (2009 : 146) qui indique que dans les systèmes extensifs, l’effort que fournit les animaux pour chercher à s’abreuver et à se nourrir augmente considérablement leurs besoins en eau. Une autre stratégie plus pratiquée dans la zone pastorale de Sidéradougou (67%) est le parcage mobile à proximité des points d’eau en saison sèche. Toutefois, cette pratique, bien qu’elle permette de minimiser la distance d’accès à l’eau, accentue la dégradation de la végétation au autour de ces sites. C’est l’avis également de Baroin C (2003 : 215) qui affirme que de fortes concentrations de bétail autour des points d’eau, provoquent rapidement la désertification du pâturage dans un cercle toujours plus large.

Le creusage de nombreux puits de plus en plus profonds (plus de 20 m) est aussi une technique qui permet de pallier le manque d’eau dans les zones pastorales durant une longue période de l’année (15%). Les travaux de Renard (2010, p : 61) dans la commune de Djougou au Bénin, montrent que certains agropasteurs en milieu rural sont même obligés depuis quelques années de creuser des puisards en saison sèche pour abreuver leurs animaux. Cependant, ces puisards creusés au long des cours d’eau favorisent l’ensablement de ces derniers. D’autres stratégies moins développées participent également à la gestion du stress hydrique dans les zones pastorales. C’est le cas de la diminution des quantités d’aliments concentrés comme le sel dans l’alimentation du cheptel. Cette pratique qui a pour objet d’atténuer la sensation de soif chez l’animal concerne respectivement 2% et 3% des acteurs dans les zones pastorales de Gadeghin et Sidéradougou. La transhumance vers les zones pastorales et les réserves forestières disposant de sources d’eau pérennes (barrage et cours d’eau) où en direction d’autres contrées est la solution ultime pour les agro-pasteurs disposant d’un important noyau de troupeau.

De l’analyse des stratégies pratiquées par les agro-pasteurs, il est reconnu qu’elles sont dans l’ensemble peu efficaces car elles affectent en partie le développement normal de l’animal et dans une certaine mesure contribuent à la dégradation de l’environnement. Ainsi, les stratégies développées par les agro-pasteurs ont plus un caractère de survie face à la rareté de la ressource en eau dans les zones pastorales.

Conclusion

Le constat général qui se dégage est que la ressource en eau est insuffisante et mal repartie dans les espaces pastoraux. Les causes sont imputables en partie aux activités de production agricole et à l’irrégularité de la pluviométrie. En définitif, il est clair qu’assurer un meilleur accès à l’eau dans les zones pastorales peut permettre d’accroître les effectifs et le poids des animaux. Toutefois, l’entretien des ouvrages hydraulique et l’occupation de l’espace autour des points d’eau doit être maitrisée. De ce fait, un plan d’aménagement et de gestion des ouvrages hydrauliques qui permettra une bonne répartition des points d’eau et leur meilleur entretien est indispensable. Cela appelle à un développement de systèmes de gestion adaptés, garantissant la vocation pastorale de ces ouvrages et l’accès équitable à l’eau pour les agro-pasteurs. Redéfinir les voies d’accès à cette ressource, les baliser et les protéger par la plantation d’espèces ligneuses fourragères serait l’une des solutions. La mise œuvre de ces stratégies contribuera à prévenir de façon durable le surpâturage et la dégradation écologique autour des points d’eau dans les zones pastorales. Ce qui rendra le système postural durable avec moins de conflits et plus d’accès aux ressources fourragères pour des produits animaux bon marché.

Remerciements

Le présent document a été élaboré avec l’aide de l’Union européenne à travers le projet CaSSECS. Son contenu relève de la responsabilité exclusive des auteurs et ne saurait en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’union européenne. Nous remercions également les populations des différentes localités des régions des Cascades, Hauts Bassins et du plateau central du Burkina Faso pour leur collaboration.

Bibliographie

Baroin Catherine (2003), L’hydraulique pastorale, un bienfait pour les éleveurs du Sahel ? Afrique Contemporaine, la Documentation Française, 205, pp.205-224.

Bechir Ali Brahim et Mopate Logtene Youssouf (2015), Analyse de la dynamique des pâturages autour des ouvrages hydrauliques des zones pastorales du Batha Ouest au Tchad, Afrique Science 11(1) (2015) 212 – 226.

Bonnet Bernard, Marty André, Demante Marie-Jo (2005), Hydraulique et sécurisation des systèmes pastoraux au Sahel, appui à la gestion locale, institut de recherches et d’applications des méthodes de développement, 28 p.

Diallo Abdramane (1991), hydraulique villageoise et pastorale dans le sahel burkinabè, mémoire de maîtrise, Université de Ouagadougou, 146 p.

Deygout, P., Treboux, M et Bonnet Bernard (2012), Systèmes de production durables en zones sèches quels enjeux pour la coopération au développement  ? Rapport, 154 p.

Doreau Michel, Corson Michael S (2017), Production de viande et ressource en eau. Analyse des modes de calcul de la consommation d’eau en élevage bovin et production de viande, La revue scientifique Viandes & Produits Carnés, 8 p.

FAO (2009), L’ombre portée de l’élevage, impacts environnementaux et option pour leur atténuation, Rapport, 391 p.

Kothari CR, (2004). Research methodology, methods and techniques, New Age International (P) Ltd publishers, 414 p.

Renard Martin (2010), Vulnérabilités des populations pratiquant l’élevage et gestion des ressources naturelles pastorales, la commune de Djougou au Bénin. Université Toulouse II, Le Mirail Sous. Master 2, 68 p.

Yarga Hahadoubouga Paul, Ouédraogo Lucien, Kiéma André et Ouédraogo Souleymane (2023), Problématique de l’hydraulique pastorale dans un contexte de variabilité climatique au Burkina Faso, revue Della/Afrique Vol.5 NO 14 Novembre 2023, p 52-69.

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