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Discours médiatique sur les attentats terroristes : une polyphonie monosémique

Publié le lundi 18 décembre 2023 à 16h30min

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Discours médiatique sur les attentats terroristes : une polyphonie monosémique

Introduction

Cet article résume partiellement les résultats d’une recherche que nous avons menée et publiée en 2022 dans la Revue REFSICOM (Yaméogo, 2022). Il interroge les attentats terroristes perpétrés contre Ouagadougou le 15 janvier 2016 et le 13 août 2017 pour mettre en lumière la polyphonie du discours journalistique sur le terrorisme. La polyphonie renvoie à la pluralité ou la diversité des voix qui s’expriment à l’intérieur d’un même discours ou d’un événement médiatique (Arquembourg-Moreau, 2003 ; Neveu et Guéré, 1996).

La polyphonie peut être analysée sous un double prisme : au sens où l’événement médiatique fait entendre plusieurs voix en tant que sources d’information médiatiques et au sens où il constitue une instance socio-discursive à laquelle participent volontairement des énonciateurs non journalistiques. Dans le premier sens, les voix qui s’expriment dans les contenus sont appelées discours-sources (Davier, 2009), lesquels renvoient aux personnes physiques ou morales auprès desquelles le journaliste collecte l’information et dont les propos sont cités dans les textes qu’il publie.

Dans le second cas, l’événement médiatique est rapporté par des instances énonciatives autonomes que nous nommons par le vocable discours-auteurs (Yaméogo, 2022). Les auteurs des discours-auteurs peuvent être soit des journalistes, soit des non-journalistes. Ces derniers participent, de leur propre initiative, à l’événement médiatique par des contributions discursives signées d’eux-mêmes. Nous avons consacré un article de vulgarisation au discours-auteurs (Yaméogo, 2023).

Dans le présent article, nous focalisons l’analyse sur les discours-sources c’est-à-dire sur les sources d’information consultées par les journalistes et dont les propos sont utilisés comme extraits dans le discours journalistique. Les questions auxquelles nous tenterons de réponse sont celles-ci : quelles sont les voix qui s’expriment dans la presse quotidienne à propos des attentats terroristes de janvier 2016 et d’août 2017 en tant que discours-sources ? Comment la polyphonie se manifeste-t-elle du point de vue sémantique ? Est-elle polysémique ou monosémique ?

Corpus et méthodologie

L’analyse de la polyphonie du discours journalistique sur le terrorisme repose principalement sur un corpus de presse portant sur les trois plus anciens quotidiens burkinabè : L’Observateur Paalga, Sidwaya et Le Pays. Le matériau analysé concerne les productions journalistiques et non-journalistes traitant des deux attaques terroristes parues dans ces journaux du 16 au 31 janvier 2016 pour le premier attentat et du 14 au 31 août 2017 pour le second. L’ensemble des textes sélectionnés a fait l’objet d’une analyse de contenu (Bardin, 1996). L’analyse de contenu a permis de dégager les grandes tendances du corpus, les occurrences qui le structurent et les catégories à partir desquelles se fonde l’analyse.

Grâce au logiciel d’enquête, de production et d’analyse de données, Sphinx, les « genres de discours » (Davier, 2009) ont été classés selon les catégories suivantes : Journalistes, Acteurs politiques, Acteurs de la société civile, Experts, Religieux, Citoyens. Ces corps sociaux discursifs sont identifiés sur la base de leur référencement dans les articles en tant que sources d’information.
Résultats

1. Les voix s’exprimant dans la presse comme sources d’information ou discours-sources

Les catégories sur lesquelles repose l’analyse des discours-sources sont : Éditorial / Déclaration, Acteurs politiques, Citoyens ordinaires, Acteurs de la société civile, Religieux et Experts. La catégorie « Éditorial / Déclaration concerne les productions qui ne font pas référence aux discours-source dans leur contenu. Il s’agit des éditoriaux, des commentaires, des communiqués, et des déclarations. Les graphiques ci-après indiquent le nombre d’occurrences mentionnant les discours-sources par journal et par attentat.

L’Observateur Paalga, Le Pays et Sidwaya ont mentionné dans leurs publications respectivement 113, 154 et 95 occurrences sur les discours-sources (graphique 1). La catégorie « Édito / Déclaration » enregistre le plus grand nombre d’occurrences avec un total de 204 pour les deux attentats, soit 126 occurrences sur l’attentat de janvier 2016 et 78 sur celui d’août 2017 (graphique 2). Pris isolément, le journal Le Pays occupe le premier rang avec 104 occurrences. Il est suivi de L’Observateur Paalga (53 occurrences) et de Sidwaya (47 occurrences) (Graphique 1). Après les éditoriaux et déclarations, la catégorie « Acteurs politiques » vient en 2e position avec 95 occurrences dont 60 sur l’attentat de janvier 2016 et 35 sur celui d’août 2017 (graphique 2). Elle est suivie de la catégorie « Citoyens ordinaires » (31 occurrences dont 17 sur l’attentat de janvier 2016 et 14 celui d’août 2017), de la catégorie « Acteurs de la société civile » (17 occurrences dont 10 sur l’attentat de janvier 2016 et 10 sur celui d’août 2017), de la catégorie « Religieux » (9 occurrences dont 7 en 2016 et 2 en 2017) et de la catégorie « Experts » (6 occurrences dont 5 en janvier 2016 et 1 en août 2017) (graphique 2).

Globalement, Il y a eu plus d’occurrences dans les publications mentionnant les discours-sources sur l’attentat de janvier 2016 (225 occurrences) que sur celui d’août 2017 (137 occurrences) (graphique 2). La catégorie « Experts » est l’instance socio-discursive la moins consultée par la presse en tant que source d’information. Elle est représentée par seulement 6 occurrences dont 4 publiées à L’Observateur Paalga et 2 au journal Le Pays. Sidwaya n’a pas interviewé un « Expert » pendant la période étudiée. Le champ religieux est également moins représenté dans le discours médiatique sur le terrorisme avec seulement 9 occurrences dont 3 mentions par journal (graphique1).

2. Une polyphonie monosémique

Si une mosaïque de voix s’exprime à propos du terrorisme dans la presse quotidienne burkinabè, cette polyphonie n’est pas polysémique. Elle ne révèle pas une représentation polysémique du phénomène. Condamnation, compassion, patriotisme et neutralité constituent globalement l’occurrence dominante du discours polyphonique. La notion de « neutralité » fait référence aux comptes rendus et reportages qui ne font pas cas des variables « condamnation », « approbation », « solidarité/compassion » et « patriotisme ». Les graphiques ci-dessous illustrent cette polyphonie monosémique :

Comme le montre le graphique 3, l’attentat de janvier 2016 a donné lieu à 86 occurrences de condamnation, 117 occurrences de solidarité et de compassion, 24 occurrences de patriotisme, 40 occurrences de neutralité et 7 occurrences pour la catégorie « Autres », soit au total 274 occurrences. L’attentat d’août 2017 a fait l’objet de 154 occurrences dont 44 mentions sur la condamnation, 94 sur la solidarité / compassion, 1 sur le patriotisme, 14 sur la neutralité et 1 « Autre ». On observe que le patriotisme s’est plus manifesté en 2016 (24 publications) qu’en 2017 (une publication). Cette différence significative de chiffre s’explique par le fait qu’en 2016, c’est à la surprise générale que les médias et les populations burkinabè découvrent pour la première fois le phénomène terroriste en plein cœur de Ouagadougou. Cette situation inédite s’est ainsi traduite dans la presse par de nombreuses réactions de soutien au peuple burkinabè.

On note également que les deux attentats ont constitué un moment de communion et d’union contre un ennemi commun : le terrorisme. Dans les publications analysées, aucune réaction d’approbation des actes terroristes n’a été constatée. Le Pays est le journal qui a le plus publié les réactions des populations, toutes catégories confondues. Ses publications font cas de 60 occurrences sur la condamnation contre 32 pour Sidwaya et 38 pour L’Observateur Paalga. Pour la catégorie « Solidarité / compassion », il en a publié 88 contre 69 pour Sidwaya et 54 pour L’Observateur Paalga.

Conclusion

Lors des deux attentats, les acteurs politiques, les acteurs de la société civile et les citoyens ordinaires sont les instances socio-discursives non journalistiques qui ont, le plus, produit de réactions sur les attentats. Les champs religieux et intellectuel ont été faiblement représentés dans le discours médiatique. Dans une moindre mesure, les opinions des populations ont été plus médiatisées dans la presse privée (Le Pays et L’Observateur Paalga) que dans le quotidien public (Sidwaya). L’analyse montre également que la diversité des voix qui s’expriment sur les attentats ne révèle pas un discours polysémique, mais plutôt monosémique. Les publications journalistiques et non-journalistiques sont fondamentalement caractérisées par des condamnations, des compassions / solidarités et des messages patriotiques.

Références bibliographiques

Arquembourg-Moreau Jocelyne, Le Temps des événements médiatiques, Bruxelles, De Boeck, 2003.

Davier Lucile, « Polyphonie dans le discours journalistique : une étude comparative de la presse anglophone et francophone », ASp La revue du GERAS, 2009, n°56

Neveu Éric et Guéré Louis (dir.), « Le temps de l’événement I », Réseaux, n°75, 1996, p.7-21

Yaméogo Lassané, « La polyphonie du discours journalistique sur le terrorisme : une analyse de la presse quotidienne sur les attentats de Ouagadougou de janvier 2016 et d’août 2017 », REFSICOM, 2022 (http://www.refsicom.org/1093#copyto)

Dr Lassané Yaméogo
Chargé de Recherche, CNRST

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