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La « domanialisation » des terres et ses conséquences sur l’exploitation des ressources forestières au Burkina Faso

Publié le vendredi 17 février 2023 à 16h59min

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Résumé

Après l’indépendance de la Haute Volta en 1960, l’une des mesures prises par l’État était la « domanialisation » des terres pour un meilleur contrôle de la gestion des ressources. Et cela a entrainé la cohabitation de deux systèmes : le droit moderne et le droit coutumier sur la gestion des terres impactant ainsi l’exploitation des ressources forestières.

Introduction
La question foncière n’est véritablement apparue comme préoccupation nationale qu’à partir des années 1980. Face à cette préoccupation nationale, l’État semble écarter les autorités coutumières, et cette gestion étatique serait une des causes des crises liées au foncier au Burkina Faso. L’État demeure celui qui définit les orientations, les stratégies de politiques de gestion du foncier, et doit le faire avec l’implication des collectivités territoriales et des autres acteurs. Le succès de la réforme agraire et foncière dépend du jeu de pouvoir entre plusieurs entités et institutions imbriquées à plusieurs échelles : règles locales, traditionnelles, modernes, villages, communes, régions. L’objectif de la présente publication est d’analyser les initiatives et pratiques développées par l’État pour la gestion du foncier, afin d’enrichir le débat sur la base des données relatives aux questions foncières au Burkina Faso.
Cette étude s’adresse aux autorités politiques et aux coutumières pour une bonne gouvernance du patrimoine foncier

Matériels et méthodes

Dans cette étude, nous avons eu recours, aux enquêtes de terrain et à une bibliographie composée d’ouvrages et d’articles scientifiques sur la question. Les données de ces documents nous ont permis de bâtir notre réflexion autour de deux axes principaux : le contexte d’appropriation des terres par l’État burkinabè et le problème de la gestion bicéphale du foncier au Burkina Faso (État et coutumes)

Résultats

1.Le contexte d’appropriation des terres par l’État burkinabè

Depuis plusieurs décennies, la plupart des pays africains connaissent les problèmes fonciers. L’impérialisme européen en Afrique au XIXè siècle serait le point de départ des crises foncières en Afrique pour avoir écarté les coutumes ou le droit coutumier dans la gestion de ce patrimoine semant ainsi les germes de conflits au sein des communautés. Le colonisateur a imposé ses modes d’exploitation occidentale basés sur la délimitation des terres comme biens d’appropriations privatives. C’est le principal facteur déclencheur de l’insécurité foncière en Afrique. La genèse des problèmes fonciers burkinabé se situerait donc à la période coloniale. Plusieurs lois forestières ont été votées en Haute-Volta de l’indépendance jusqu’à la création d’un ministère en 1976 intégrant dans ses actions la gestion des ressources forestières. Dans la Haute-Volta indépendante, les cercles furent subdivisés en préfectures, sous-préfectures et arrondissements. Au sein de ces derniers, les cantons et les villages étaient maintenus. La structure territoriale de la Haute-Volta a été modifiée en 1974 (Hochet P. et al., 2014, p.8.) La province, le département et le village devinrent les nouvelles unités administratives. Les chefferies fabriquées à travers les Cantons ayant été reconnu comme une entité administrative à part entière, les chefs de village étaient choisis par la population, puis nommés par arrêté du ministre en charge de l’Intérieur. Dans cette situation, les populations anciennement installées, avaient leurs systèmes traditionnels de choisir leur chef devant orienter de concert avec les autres membres de la communauté. Mais, hélas avec la colonisation, un autre système vit le jour : le droit moderne d’origine européenne avec ses lois qui s’accommodent difficilement avec nos coutumes. La loi portant réglementation du domaine de l’Etat organisa l’occupation et l’aliénation des terres au moyen de trois types de concessions : rurale, urbaine et individuelle. La loi autorisant le Gouvernement à garder pour l’État une part des terres faisant l’objet d’aménagements spéciaux ou des terres peu peuplées ou éloignées des agglomérations, réserve à l’État le droit de s’approprier les terres considérées comme vacantes, notamment dans les zones rurales reculées. Après l’indépendance de la Haute Volta en 1960, l’une des mesures prises par l’État était la « domanialisation » des terres pour un meilleur contrôle de la gestion des ressources. Cette « domanialisation » a entrainé la cohabitation de deux systèmes : le droit moderne et le droit coutumier sur la gestion des terres. Une opposition du légal ou droit moderne au légitime ou droit coutumier fut institué, créant un contraste entre la théorie liée à la loi moderne et la pratique liée au droit coutumier. Ce droit coutumier était même de fait accepté par l’administration au niveau local. La Réforme Agraire et Foncière (RAF), initiée en 1985 sous la Révolution politique de 1984, vint lever l’équivoque qui semblait caractériser la gestion forestière. La RAF conférait la propriété exclusive du patrimoine foncier à l’État. Ainsi, l’article 4 souligne : « le domaine foncier national est de plein droit propriété de l’État ». Quelques années plus tard, dans le but de renforcer davantage cette politique, l’État décida de confier la question foncière à la Réorganisation Agraire et Foncière (RAF) en 1996. Elle présentait les grands principes d’utilisation des terres, les structures de gestion du patrimoine foncier et les procédures d’adoption des plans d’aménagement forestiers.

2.Le problème de la gestion bicéphale du foncier au Burkina Faso (Etat et coutumes)

Les conflits fonciers sont anciens et les causes diverses et diversifiées. Cependant, le facteur colonial semble plus évident. Ce n’est pas pour tout justifier par la colonisation, parce que dans l’Afrique, les crises foncières existaient, mais les communautés parvenaient plus ou moins à trouver des solutions. N’oublions pas que les causes étaient endogènes et les acteurs connus. De nos jours, il s’agit des problèmes de superposition de droits, des problèmes d’héritage foncier entre populations anciennement installées et de convoitise des meilleures terres d’acteurs étranger. Le tout orchestré par l’impérialisme européen. Traditionnellement, les conflits sont réglés à différents niveaux. Il s’agit du niveau de la famille où est d’abord recherché un arrangement à l’amiable entre membres. Il y a aussi le niveau village où le conseil des anciens rend un jugement similaire. Les conflits qui ne trouveraient pas de solution à ces différents niveaux sont soumis au chef de terre qui a recours aux coutumes pour départager les protagonistes.

À l’époque de la colonisation, une nouvelle organisation socio-politique des communautés fut amorcée. De nouveaux espaces administratifs et politiques plus vastes ont été créés au détriment des cantons coloniaux. En effet, la déconcentration consacre le processus de construction des autorités traditionnelles créant un nouvel espace. On note l’existence du gouverneur qui est le représentant de l’administration ! au niveau régional. Il est le répondant direct de l’État au niveau régional. Hiérarchiquement, le Haut-Commissaire rend compte au Gouverneur. Il est le répondant de l’État au niveau provincial. La province commande le département qui a pour responsable le préfet. Il répond au niveau départemental. Enfin le Conseil Villageois de Développement s’occupe du niveau village - Quant au niveau décentralisé, il existe deux entités qui sont le conseil Régional (au niveau Régional) et le conseil Municipal (au niveau communal). Cette architecture politico-administrative devant faciliter la gestion des communautés, la rend souvent plus complexe avec l’arrivée de nouveaux migrants et autres investisseurs en quête de terres cultivables. Cette hiérarchie administrative prend des décisions qui s’accommodent difficilement avec la vie des communautés car, elles ne se retrouvent pas dans cette structure pyramidale.

Et l’insatisfaction des populations face aux décisions juridiques d’origines européennes, relatives aux questions foncières est de plus en plus prononcée, aussi bien dans les villes que dans les campagnes burkinabè. Les points de mésentente se résument aux difficultés qu’éprouvent la plupart des populations à avoir des logements décents à prix sociaux surtout en zone urbaine, à la précarité des paysans en milieu rural dans la sécurisation de leurs exploitations, aux agissements souvent confus de l’administration dans le domaine foncier, aggravés par l’affairisme dans l’accès à la propriété foncière.

Malgré l’encadrement officiel du foncier au plan national par la loi n° 014/96/ADP portant Réorganisation Agraire et Foncière (RAF) adoptée en 1984 et relue en 1991 et 1996 et la loi N° à 034-2009/AN du 24 juillet 2009 portant Régime Foncier Rural, la gestion du foncier sur le terrain reste encore le domaine du coutumier : « l’État et les collectivités territoriales prennent toutes mesures appropriées pour assurer l’implication des autorités coutumières et traditionnelles, de la société civile et des personnes ressources dans la gestion des conflits fonciers ruraux ». De nos jours, la gestion traditionnelle tout comme celle moderne du foncier a montré ses limites. Ce constat conjugué à l’ignorance des textes et à l’arrivée continue des populations des zones sahéliennes, crée une gestion chaotique des ressources naturelles avec comme conséquence la prévalence de nombreux conflits relatifs à la gouvernance foncière et des ressources forestières. Face à ces difficultés, la pleine participation des populations locales à la base est plus que nécessaire (HIEN, 2020 : 208). Cette situation va impacter négativement les activités des femmes liées à l’exploitation des ressources forestières. Du fait que la femme n’est pas propriétaire terrienne elle souffre doublement. La forte pression sur les ressources naturelles nécessite une intervention des institutions publiques et des populations locales dans la gestion du foncier et dans la gouvernance des ressources forestières. Cependant, l’Etat ne semble pas tenir compte des us et coutumes des populations, notamment les droits fonciers existants, les modes de gestion traditionnelle du foncier et des forêts. Cette inadaptation questionne l’efficacité des mécanismes juridiques qui ne parviennent pas à réduire les conflits sociaux et la dégradation continue de l’environnement. Les enjeux du foncier se transforment du fait de ses interactions avec les déterminants sociaux, politiques et techniques.

Conclusion

Si pour les populations, l’appropriation de la terre relève d’un acte pour la survie économique et sociale, pour l’Etat, l’intérêt est tout autre. Son rôle de régulateur lui fait obligation apporter des solutions à la crise foncière qui impacte négativement sur l’exploitation des ressources forestières, à sécuriser les producteurs et à rationaliser l’utilisation de l’espace afin de maintenir, au moins à son niveau du moment, un secteur important de l’économie nationale : l’exploitation des ressources forestières.

Dr HIEN Sourbar Justin Wenceslas
HISTORIEN
Chargé de Recherche à l’INSS/CNRST
Éléments de bibliographie

- BOUDA (H.-N.Z., S.d, (2008), Textes et textes de loi sur la gestion des ressources naturelles au Burkina Faso
- HIEN (S. J. W.), 2020, « Savoir et savoir-faire féminin avec le patrimoine forestier au Burkina Faso : le cas du néré et du karité » in Actes du colloque international de Lomé des 6 et 7 décembre 2019 « Art, patrimoine et tourisme dans l’espace UEMOA : enjeux, défis et perspectives », Presses de l’IRES–RDEC Lomé-TOGO, ISSN-2303-9167, pp.195-221.
- loi n°014/96/ADP du 23 mai 1996 portant réorganisation agraire et foncière.
- la loi n°005/97/ADP du 30 janvier 1997 portant maintien des équilibres écologiques, de préservation et de valorisation des ressources naturelles.
- a loi n°006/97/ADP du 31 janvier 1997 portant code forestier au Burkina Faso.

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