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Regard sur les méthodes et pratiques de l’alphabétisation au Burkina Faso

Publié le mercredi 15 juillet 2020 à 15h14min

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Introduction

Le Burkina Faso comme la plupart des pays sous développés a très vite perçu la relation qui existe entre l’éducation et le développement et plus singulièrement celle qui existe entre l’alphabétisation et le développement.

Il a entrepris dès 1960, l’alphabétisation de sa population active en s’appuyant sur des méthodes élaborées à travers le monde. Notre propos ici, est donc de donner un aperçu sur les différentes méthodes qui ont été expérimentées dans le pays de 1960 à nos jours. Après une revue de la littérature sur les différentes méthodes et certains travaux de nos devanciers, nous avons juste voulu porter un regard sur ce qui est déjà fait. Le présent article comprend deux points : les méthodes utilisées et l’analyse critique des méthodes utilisées au Burkina Faso

1. Les méthodes utilisées au Burkina Faso

La notion d’alphabétisation a subi une évolution au cours du temps. Au début des indépendances, l’on a pratiqué dans la plupart des pays du tiers monde une alphabétisation de type traditionnelle qui visait à apprendre à lire et à écrire aux adultes et ce en vue d’augmenter leur productivité. Cette alphabétisation ne prenait pas en compte les besoins réels des apprenants. Elle visait à former des hommes compétents pour promouvoir le développement en assurant un enseignement comparable à celui dispensé dans les écoles classiques. C’est ce qu’on appelle le rattrapage scolaire.

a. Le rattrapage scolaire

Ici, l’alphabétisation se donne explicitement comme objectif de permettre aux adultes de rattraper la scolarité obligatoire. Elle constitue donc une filière parallèle à cette scolarité et conduit au certificat d’études primaires. Dans cette optique, on comprend que l’alphabétisation, soit dès le départ, récupérée par l’école traditionnelle et de ce fait, ses méthodes ne se distinguent pas des programmes d’éducation des adultes qui se proposent un tel but.

Dans le cadre de ce rattrapage scolaire, des cours du soir ont été organisés au Burkina Faso à l’endroit des adultes analphabètes pour d’une part, leur permettre de s’alphabétiser et d’autre part, pour amener les plus courageux à aller jusqu’au certificat d’études primaires (CEP).

A l’école, il faut ajouter les centres de formations de jeunes agriculteurs dans lesquels on apprenait aux apprenants à lire et à écrire en français mais également les nouvelles techniques culturales. Très vite cette structure a montré ses insuffisances, car les jeunes une fois alphabétisés abandonnaient la campagne pour la ville à la recherche d’un emploi rémunéré délaissant le travail de la terre.

Avec cette méthode, les populations sont alphabétisées dans la langue officielle, langue qu’elles ne parlent pas. La conséquence d’une telle situation est que l’on enregistrait des abandons massifs des classes par les apprenants/tes, une fois que s’est émoussé l’attrait de la nouveauté. Au regard de cette réalité, on s’est aperçu qu’une alphabétisation ne peut être efficace que si elle se fait avec la participation des intéressés eux-mêmes ; chaque adulte devenant le sujet de sa propre alphabétisation et ayant conscience de la nécessité de cet engagement personnel.

C’est la prise en compte de cet ensemble de faits qui a conduit, le Burkina Faso à s’orienter vers une alphabétisation de type fonctionnel pour prendre en compte les recommandations de l’UNESCO de 1965.

b. L’alphabétisation fonctionnelle

Le concept d’alphabétisation fonctionnelle est né au Congrès mondial des Ministres de l’Education organisé par l’UNESCO à Téhéran en 1965. Mais bien avant cela, on peut souligner que l’idée même d’alphabétisation fonctionnelle a pour point de départ, la résolution 1677 de l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptée en décembre 1961 et invitant l’UNESCO à examiner sous tous ses aspects la question de la suppression de l’analphabétisme dans le monde en vue de mettre au point des mesures concrètes et efficaces tant internationales que nationales pour éliminer l’analphabétisme. Ce regain d’intérêt dans la lutte contre l’analphabétisme s’expliquerait par les relations reconnues étroites entre l’éducation et le développement.

La définition proposée de l’alphabétisation fonctionnelle est « qu’elle doit chercher à accroître la production et la productivité des analphabètes à travers l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Elle est donc essentiellement liée au développement. Ainsi, l’alphabétisation ne doit plus être une fin en soi menée isolément. Elle doit chercher à accrocher les adultes et à cet effet, les projets d’alphabétisation doivent être liés à des activités de développement. L’alphabétisation devrait offrir aux apprenant/tes des avantages du point de vue économique et sociale. Elle devrait donc être conçue en vue de préparer l’homme à un rôle social, civique et économique débordant les limites d’une alphabétisation rudimentaire réduite à l’enseignement de la lecture et de l’écriture.

C’est donc dans cette ambiance que le Programme Expérimental mondial a vu de jour (PEMA). La mise en œuvre par les institutions nationales chargées de l’alphabétisation s’est faite à partir de cette méthode » alphabétisation fonctionnelle et sélective. Cette méthode a fonctionné au Burkina Faso avec l’expérience du Projet UNESCO Haute-Volta d’accès de la femme et de la jeune fille à l’éducation mis en place après la conférence mondiale des Ministres de l’éducation tenue à Téhéran. Ce projet en langues nationales s’est implanté dans quatre zones du pays (Kongoussi, Banfora, Pô, Ouagadougou).

Elle a été utilisée également en 1970 par l’association de bienfaisance « frères des hommes pour l’alphabétisation des paysans, pêcheurs et commerçants de Mogtédo. D’autres structures vont par la suite expérimenter la méthode. Il s’agit de :
-  Les ORD (Six) ;
-  Les missions religieuses ;
-  L’Office National de l’Education Permanente et l’Alphabétisation Fonctionnelle et Sélective (ONEPAFS) ;
-  L’INAFA (1983) ;
-  L’INA (1983).

Cette alphabétisation se voulait fonctionnelle dans la mesure où le contenu de la formation porte sur les vécus, les habitudes et les besoins des apprenants. Elle se veut sélective parce qu’elle cible un ou des groupes spécifiques qui seront le moteur du développement comme le cas des pêcheurs et riziculteurs à Mogtédo avec l’association « frères des hommes ».

Mais très vite, l’on s’est rendu compte que l’alphabétisation fonctionnelle mondialement adoptée, s’est trouvée aussitôt chargée d’un sens beaucoup plus restreint. La fonctionnalité devint synonyme de productivité, les visées humanistes étant reléguées à l’arrière plan.

Les multiples controverses soulevées à propos des finalités de l’alphabétisation fonctionnelle, ont amené l’UNESCO à expliciter ce terme lors du symposium international de Persépolis en 1975. Désormais l’alphabétisation fonctionnelle ne doit plus viser uniquement la croissance économique mais également le bien être social et culturel de l’individu. Avec l’évolution du concept d’alphabétisation, on parle de plus en plus d’alphabétisation intégrée. Un tel processus est conçu pour favoriser l’accroissement de la productivité des travailleurs, faciliter leur intégration dans une société en voie de modernisation rapide et accélérer le développement. Cependant, le caractère sélectif de ce type d’alphabétisation ne permet pas de toucher le maximum d’analphabètes.

A la suite de l’alphabétisation fonctionnelle de l’UNESCO, il y a eu l’alphabétisation conscientisante de Paulo Freire. La philosophie de cet auteur est basée sur le développement des capacités des groupes défavorisés et surtout ceux qui n’ont jamais été à l’école. Selon Paulo, l’éducation n’est jamais neutre. Deux types d’éducation coexistent : l’éducation domestiquante et l’éducation libératrice. La première est une forme d’éducation qui vise à imposer aux apprenants les valeurs de la classe dominante. La deuxième vise la prise de conscience des individus

c. L’alphabétisation conscientisante de Paulo Freire

La méthode Paulo Freire du nom de l’auteur est bâtie sur l’ambition de conscientiser les masses populaires en vue de les sortir du joug de la domination du patronat. En effet l’auteur d’origine brésilienne a dirigé le programme national d’alphabétisation de son pays. Il a travaillé à la rénovation des systèmes éducatifs dans le monde et particulièrement en Afrique et en Guinée Bissau où son influence a atteint des degrés jamais égalés dans le domaine de l’éducation non formelle. Ayant pris conscience très tôt de la non-rentabilité de toute éducation, il a choisi de s’engager dans l’éducation libératrice par opposition à l’éducation domestiquante. Son approche part de mots générateurs ou mots clés, bases de discussions et d’échanges porteurs.

Tout mot isolé est segmenté en syllabes qui engendrent l’étude des voyelles. Les voyelles évolueront en syllabes, en mots puis en phrases.

Au Burkina Faso la méthode Paulo Freire a servi de socle à la méthode d’alphabétisation en vigueur et a permis de développer la théorie de la causerie conscientisation au début de chaque journée d’alphabétisation dans toute son ampleur.

Le concept de l’alphabétisation conscientisante met l’accent sur la prise de conscience politique, économique et sociale et culturelle de l’apprenant au détriment de l’aspect fonctionnel de l’alphabétisation. Elle estime que la prise de conscience permet à l’apprenant de jouer un rôle prépondérant à multiple facettes dans son environnement.

Paulo Freire de par cette disposition d’esprit autour des problèmes d’éducation a dû s’exiler en Chili parce que l’ancrage dans sa vision du monde dessinait le monde nouveau qui désarticulerait le monde actuel. Ainsi les responsables politiques en Afrique se sont montrés méfiants quant à la promotion de l’alphabétisation conscientisante. En effet, cette éducation préconisée par l’auteur incite à la violence. Il ne s’agit pas dans cette forme d’éducation, de faire assimiler aux apprenants des contenus « tout fait » mais de développer, avec eux leurs capacités d’analyse, de réflexion et de changement de leur vie quotidienne.

d. La méthode INA

C’est une méthode fonctionnelle et sélective qui s’appuie sur la causerie conscientisante. Contrairement à la méthode conscientisante de Paulo Freire qui invite les apprenants à la révolte, la causerie conscientisante a pour but d’amener les apprenants à réfléchir pour trouver les solutions aux problèmes qui se posent à eux tous les jours (les feux de brousses, la mauvaise qualité de l’eau, le manque d’hygiène, les maladies, etc.).

Cette méthode d’alphabétisation a connu un long cheminement jusqu’à la situation actuelle. Depuis l’organisation voltaïque pour l’éducation des adultes (OVEA), l’office national de l’éducation permanente et de l’alphabétisation fonctionnelle et sélective (ONEPAFS) en passant par la Direction de l’Alphabétisation Fonctionnelle et Sélective (DAFS), l’Institut National d’Alphabétisation et de la Formation des Adultes (INAFA), l’Institut National d’Alphabétisation (INA) et enfin l’Institut National de l’Education de Base Non Formelle (INEBNF), la méthode est restée la même avec en toile de fond des procédés divers propres à certains milieux spécifiques. Cette méthode donc est un panier commun dans lequel l’association Tin-Tua, la Fédération Wend Yam, et l’Association Manegdbzanga (3 grands opérateurs en alphabétisation) ont puisé pour en faire des approches propres à eux.

Cette méthode d’essence mixte utilise l’approche participative et a un volume horaire de 300 heures dans le premier niveau de formation. A raison de 6 heures par jour. 50 jours sont nécessaires pour épuiser le programme du niveau dit alphabétisation initiale (A.I.). La formule peut être intensive (50 à 48 jours), semi-intensive (75 jours) et étalée (90 jours et plus).

Le deuxième niveau ou formation complémentaire de base (FCB) dure 36 jours et vise la consolidation des acquis du premier niveau de formation en vue de permettre à l’apprenant d’entamer le niveau d’apprentissage des activités professionnelles ou formations techniques spécifiques.

Le troisième niveau est de durée variable en fonction du thème de la formation. Il s’agit de la formation technique spécifique (FTS).

Un apprenant qui a franchi les trois étapes est considéré comme un alphabétisé fonctionnel sur le terrain.

2. Analyse critique des méthodes utilisées au Burkina Faso

a. Le rattrapage scolaire
Le rattrapage scolaire est une autre forme d’enseigner le français. Elle consiste à organiser des séances d’enseignements pendant les temps de repos et les moments qui semblent qui pouvaient être consacrés à la vie en communauté, et aux causeries pour alimenter le ciment social. L’heure consacrée au cours du soir sont les moments les plus propice pour faire les contes au clair de lune, ou pour organiser des soirées récréatives pour permettre à la nouvelle génération de profiter des musiques anciennes, de découvrir des sons et du même coup recevoir une éducation traditionnelle. Car beaucoup de chose se faisait la nuit.

b. L’alphabétisation fonctionnelle
L’alphabétisation fonctionnelle, n’est autre qu’une autre manière d’aliéné nos peuples par la langue française et jamais de langue nationale. Cette méthode va du fait qu’on ne peut pas réussir dans la vie sans maitriser le français. Alors est déclaré alphabétisé, celui qui sait lire, écrire et compter en français. Cette méthode a eu beaucoup de succès à travers toutes les générations et même certains s’en vantent toujours aujourd’hui.

c. L’alphabétisation conscientisante de Paulo Freire
L’alphabétisation conscientisante de Paulo Freire est également une autre manière d’enseigner le français et faire sa promotion. Elle veut utiliser les insuffisances des sociétés africaines pour mieux l’envelopper. D’où cette phrase de gérard KEDREBEOGO qui parle de « langue d’enveloppement et non de langue de développement ».

d. La méthode de l’Institut National d’Alphabétisation (INA)
Pour nous cette méthode a été plus qu’une catastrophique. Il consiste à courber la langue nationale, pour faire monter le français. C’est plutôt une méthode dévalorisante. Elle ne permet pas de valoriser nos langues, mais d’utiliser nos langues pour promouvoir le français.

Conclusion

Retenons que chacune des méthodes énumérées à ses exigences, ses avantages et ses inconvénients qu’il faut maîtriser ; mais si on s’en tient à la méthode INA qui connaît une grande diffusion aujourd’hui, le problème majeur est et demeure le niveau de formation des acteurs (animateurs, superviseurs et coordonnateurs) censés répercuter son contenu sur le terrain. Pour la plupart de ces acteurs, le niveau fait défaut si bien qu’il faut envisager un autre profil pour être formé comme animateur, superviseur et coordonnateur si on veut de meilleurs résultats.
La meilleure méthode est celle qui serait monolingue, entièrement orienter vers nos langues nationales.

Dr OUEDRAOGO Tiga Alain
INSS/CNRST
Mail : alainoued1@yahoo.fr
tiiga.a@gmail.com

Références bibliographiques

CALVET L.J., 1982 : La tradition orale, Que sais-je ? Puf, Paris,

GOODY Jack, 1979 : La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Editions de Minuit, Paris, 279 p.

HAMADACHE A., et MARTIN D., 1999 : Théorie et pratique de l’alphabétisation, politique, stratégies, illustrations, UNESCO, Paris, 231 p.

IDEA, 1998 : Cahier pédagogique de l’animateur – alphabétiseur, série Kande ni bayra, Niamey.

IDEA, 2000 : Cahier pédagogique Langue N°1, Amérique Latine.

NAPON Abou, 1999 : La question de l’alphabétisation fonctionnelle dans la région des Hauts-Bassins.

PAULO Freire, 1971 : L’éducation : pratique de la liberté, CERF, Paris, 155 p.

PAULO Freire, 1982 : Pédagogie des opprimés suivi de conscientisation et révolution, traduit du Brésilien, Français, Maspero, Paris, spero, Paris, 202 p.

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