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Cyclisme : « Le Tour du Faso est devenu folklorique », regrette Michel Bationo, ancien ardoisier des tours du Faso et de France

Publié le dimanche 9 juillet 2023 à 21h00min

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Cyclisme : « Le Tour du Faso est devenu folklorique », regrette Michel Bationo, ancien ardoisier des tours du Faso et de France

Ancien ardoisier du Tour de France de 2002 à 2006, le Burkinabè Michel Bationo est revenu sur son expérience et les conditions de sa désignation en tant qu’ardoisier de la Grande Boucle. Dans cet entretien accordé au journal Lefaso.net, Michel Bationo est également revenu sur l’organisation du Tour du Faso et la gestion de la Fédération burkinabè de cyclisme. « Le premier Noir au Tour de France en tant qu’officiel » qui est toujours invité au Tour de France et pour des conférences à l’international regrette les mises à l’écart de certaines personnes ressources comme lui dans l’organisation du Tour du Faso. Ci-dessous l’intégralité de son entretien.

Lefaso.net : Présentez-vous à nos lecteurs.

Michel Bationo : Je me nomme Michel Bationo. Je fus ardoisier du Tour du Faso avant d’être ardoisier du Tour de France. Je suis de carrière professeur d’éducation physique et sportive.

Quel est le rôle de l’ardoisier sur un tour cycliste ?

Dans le tour cycliste, entre le peloton, ceux qui sont restés groupés derrière et les échappés, ceux qui se sont détachés devant, s’il y a quelque chose, notamment les écarts, ils ne peuvent pas savoir. Donc le rôle de l’ardoisier en ce moment va consister à énumérer le dossard du coureur ou des coureurs sur son ardoise, il mentionne le temps qui existe entre l’échappée ou les échappés et le peloton. Quand il finit de mentionner, il montre aux échappés le nombre de minutes d’écart. Ensuite, il s’arrête un peu, quand le peloton arrive il lui montre l’écart. Maintenant quand ils ont ces informations, ils essayent de communiquer entre coureurs pour savoir ce qu’il faut faire. Mon rôle c’est de communiquer directement avec les coureurs pour que chacun puisse avoir une stratégie de course. C’est un rôle capital au tour de France.

Que devient maintenant Michel Bationo ?

J’ai donné ma petite pierre au tour cycliste de France de 2002 à 2006. Après 2006, j’ai été régulièrement invité au tour de France pour faire partie des personnes ressources de ce tour. A ce titre, je continue d’aller au tour de France, pas en tant qu’ardoisier mais en tant qu’invité du tour. (Ndlr : Il est invité pour cette édition 2023 du Tour de France qui bat son plein actuellement).

Comment êtes-vous devenu ardoisier du tour de France ?

J’ai commencé à exercer au Burkina Faso en tant que chronométreur du tour du Faso. A un moment donné, lors d’une interview, on me demande « quel est ton rôle ? » J’ai répondu que je suis le maître du temps. Ça semblait drôle pour le journaliste qui a demandé : « Le maitre du temps, c’est-à-dire ? ». J’ai dit : « A travers moi, on peut connaître qui est le leader du maillot jaune ». L’expression leur a plu et un jour il y a le rôle d’ardoisier qui est venu au Tour du Faso et que le chronométreur sur une moto peut faire ce rôle. Donc j’ai accepté volontiers et j’ai assumé ce rôle. Lors d’une autre interview, on m’a demandé « quel est ton souhait ? ». J’ai répondu que mon souhait c’est de participer au Tour de France. J’ai été invité trois mois après par Jean-Marie Leblanc, et j’ai participé au Tour de France 2002.

Après cinq ans de services, que retenez-vous de cette expérience ?

Ça m’a beaucoup apporté puisqu’aujourd’hui, je continue d’aller au Tour de France en tant qu’invité d’honneur, avec prise en charge des billets d’avion, per diem et autres. Il faut retenir que je fus le premier Noir au Tour de France en tant qu’officiel. Et en 2003 qui était le centenaire du tour, je faisais partie des 100 personnalités du tour. A travers ce rôle d’ardoisier, j’ai eu beaucoup de relations en France, au Mali, au Sénégal, en Côte d’Ivoire où j’ai même été décoré par le président Laurent Gbagbo en son temps.

Quel est votre meilleur souvenir du Tour de France ?

C’est lorsque Lance Armstrong en son temps était dans les échappées et quand je suis arrivé pour lui présenter l’écart, il m’a dit : « Michel, Michel ! ». Je lui ai donc dit « Tu me connais ? ». Il m’a répondu « oui oui ». Il m’a dit : « Va dire au peloton en arrière de s’arrêter faire pipi ». Ça m’a semblé drôle. Je me suis dit mais voilà quelqu’un qui fait un effort tout fatigué et arrive à s’exprimer et à reconnaître mon prénom. Deuxièmement, il y a Nicolas Jalabert lorsqu’il était coureur. Il m’a dit : « Michel, changeons de rôle ». Je lui ai dit : « Mon cousin gaulois, la vie est un choix ». Il a rigolé et à chaque fois qu’il me voit et jusqu’à ce jour, il m’appelle son cousin gaulois. Et Nicolas Sarkozy qui m’a reconnu une fois au Tour de France lorsqu’il était ministre. J’ai côtoyé de nombreuses personnalités et je garde de bons souvenirs.

Pour Michel Bationo, le cyclisme burkinabè n’a pas d’avenir si « les obscurantistes » sont toujours là.

Hormis les tours du Faso et de France, avez-vous eu l’occasion d’officier sur d’autres tours cyclistes ?

C’est moi-même qui refuse les invitations. J’ai présidé au Tour de Côte d’Ivoire trois fois ; après j’ai décliné l’offre. Je suis membre organisateur du Tour du Sénégal, j’ai participé aussi au Tour du Mali. Les autres pays, j’ai décliné l’offre parce que il y a « mon Tour du Faso » qui est là. Plus tu es dans les différents tours, plus tu fais leurs éloges. Il faut être jaloux par rapport au Tour du Faso. Je préfère maintenant prendre du recul pour le Tour du Faso.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans ce métier ?

Quand on a l’amour de la chose, quand on est motivé, tout est facile. C’est quand tu ne connais pas que tout devient difficile. Peut-être faut-il avoir une bonne condition physique. Au Burkina Faso, on a souvent fait maximum 160 km par étape contre 250 km maximum par étape en France. Mais souvent, je me sens plus fatigué au Tour du Faso qu’au Tour de France. C’est sûrement dû au climat, à l’état des routes et aux équipements. Je dirais qu’en Afrique, on a plus de difficultés à exercer ce métier qu’en Europe.

Comment se fait votre rémunération en tant qu’ardoisier ?

En Europe, tout est déclaré, on te paye officiellement et il y a les sponsors aussi qui te donnent quelque chose. Etant professeur d’EPS, en son temps en 2002, je me retrouvais avec un salaire de 300 000 F CFA. Mais au Tour de France, quand je prenais le salaire, j’avais un an de mon salaire au Burkina Faso sans compter les sponsors. Lorsque j’étais ardoisier en 2004, j’ai fait venir près de onze conteneurs de vélos et autres qu’on a distribués aux gens. Voilà ce que j’ai pu faire. Pour les hôpitaux, quand tu prends Saint-Camille, j’ai contribué à ce qu’on amène en son temps deux Burkinabè au Bénin afin qu’ils se perfectionnement en kinésithérapie. Dans la ville de Réo, j’ai fait des SOS et on a pu avoir de l’argent pour aider les orphelins et réhabiliter le barrage.

Que pensez-vous du cyclisme burkinabè de façon générale et du Tour du Faso en particulier ?

On est revenu à la case départ. Le Tour du Faso aujourd’hui est devenu folklorique. On ne met pas les gens qu’il faut à la place qu’il faut. Sans me vanter, comment tu peux imaginer que moi, Michel Bationo, ardoisier du Tour de France, on me met à l’écart chez moi à cause de mes propos, de mes prises de position ? Comment tu peux comprendre, le premier Noir au Tour de France, chez lui, on ne l’invite pas. Est-ce que vous pensez qu’il y a quelqu’un qui peut faire mieux ce travail que moi ici, sans compter que ce sont des diplômes que j’ai eus. Ceux qui organisent le Tour du Faso aujourd’hui et qui ont des diplômes ne dépassent pas dix. Pourquoi donc laisser des gens qui ont des diplômes, qui sont expérimentés et qui font leurs preuves à travers les différents tours pour une question de point de vue ; ce n’est pas sérieux. J’ai toujours dit aux gens de ne pas regarder la tête de Michel, voyez ce qu’il sait faire.

Je reçois les rapports des commissaires internationaux de course qui sont des amis. Ces rapports sur le Tour du Faso ont toujours été catastrophiques. Ça veut dire que c’est une personne qui décide à la place de tout le monde. On a mis à l’écart des anciens coureurs, des hommes d’expérience qui pouvaient encadrer les coureurs. Heureusement qu’il y a le DTN [directeur technique national] Martin Sawadogo, mais est-ce qu’il est libre de s’exprimer ? Je ne suis pas contre quelqu’un mais il faut prioriser la compétence.

Après le Tour de France, je suis invité en Belgique pour une conférence sur le rôle de l’ardoisier par exemple. Je vends mes compétences. Mais ici, c’est gratuitement. Je faisais le Tour du Faso, je gagnais 250 000 F CFA ; et quand je pars à un tour international, j’ai 1 500 000 F CFA. Malgré ça, je refusais des offres pour ne pas que ça joue sur la visibilité des autres tours. Donc j’ai présélectionné quelques tours. Je viens pour le Tour du Faso pour 250 000 F CFA et vous me mettez à l’écart. Je suis prêt pour une confrontation sur un plateau. J’ai tous les documents, les preuves. C’est vrai, le président, il travaille mais je fais partie des gens qui ont amené assez de matériel pour le cyclisme burkinabè sans tapage. La plupart des présidents savent ce que j’ai fait.

Que faut-il faire alors pour améliorer les choses ?

Il faut former la jeune génération. Le cyclisme burkinabè n’a pas d’avenir si « les obscurantistes » sont toujours là. S’ils sont toujours là, le Tour du Faso sera un tour de kermesse. Nous avons des talents comme les Paul Daumont, mais s’ils doivent aller se confronter dans les petits tours, ils régressent. Au contraire, ce sont les autres qui progressent. Tant qu’il n’y a pas de la sincérité, rien ne marchera parce que le sport a des valeurs. Il y a plein de « requins » qui sont là-bas (ndlr : faitière du cyclisme burkinabè) juste pour arrondir leurs fins de mois. Si on a la possibilité de faire partir nos coureurs à l’extérieur, c’est tant mieux. Il faut travailler avec tout le monde. Malheureusement, aujourd’hui, on a toujours écarté des gens. Si vous travaillez dans la division et l’hypocrisie, ça ne peut pas marcher. Le ministère des Sports doit avoir un œil regardant sur la fédération, ils doivent fouiller pour mettre de l’ordre au sein des fédérations parce que ça ne va pas.

Est-ce que vous avez un club de cyclisme ou une structure de formation de cyclistes au Burkina Faso ?

Non. En son temps je devais créer l’école de cyclisme mais j’ai vu que les gens me mettaient les bâtons dans les roues. Donc j’ai distribué tout le matériel que j’avais à tous les clubs, parce que je ne suis pas politique. Aussi, parce qu’il faut avoir le temps, les moyens et les partenaires pour faire un club. On ne crée pas un club parce qu’il faut créer.

Est-ce que vous avez reçu une reconnaissance de l’Etat burkinabè ?

J’ai été décoré à l’époque du ministre Yacouba Ouédraogo, après des tractations. C’est grâce au colonel Yacouba Ouédraogo, ministre des Sports d’alors, que j’ai été décoré et ce n’est pas grâce à la fédération ou une autre personne, et c’est dommage. A travers moi, il y a plein de gens qui travaillent et qui sont dans les oubliettes, comme des anciens champions.

Quel est votre mot de fin ?

Merci au journal Lefaso.net de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer. Ce que j’ai dit, ce n’est pas parole d’évangile, c’est pour que ceux qui ont l’amour du vélo, surtout les supporters, comprennent que ça ne va pas. C’est notre pays, c’est le contribuable qui paie pour que le Tour du Faso ait lieu, il faut donc mettre les gens à la place qu’il faut.

Interview réalisée par Mamadou ZONGO
Lefaso.net

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