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Koubri : Les barrages agonisent, la population s’enfonce dans le désespoir et le désarroi

Publié le mercredi 16 février 2022 à 19h00min

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Koubri : Les barrages agonisent, la population s’enfonce dans le désespoir et le désarroi

Ensablement, délabrement, perte de profondeur, non-maîtrise de l’eau et pollution, les mots manquent pour décrire l’état dans lequel se trouvent les barrages de Koubri, de Goughin-Poedogo et d’Azoum-Bongo. Ces trois barrages de Koubri (région du Centre) profitent à plus de 96% de la population de la commune. Leur état actuel menace la culture maraîchère et compromet la pêche, deux principales activités génératrices de revenus et sources d’alimentation pour les ménages. Et si rien n’est fait, ces ouvrages risquent de ne plus servir à ce pour quoi ils ont été construits, et des milliers de familles s’enfonceront dans le désespoir et le désarroi. Constat !

Reconnu pour ses potentialités hydro-agricoles, le barrage de Koubri s’est presque vidé de toute eau en ce début d’année 2022, laissant place à la désolation et à la misère des maraîchers et pêcheurs de toute la zone. En cette matinée du 9 février 2022, c’était un vrai silence de mort qui régnait autour de la digue pourtant très animée d’habitude. On pouvait même entendre les mouches voler. Et même le marché de légumes, fruits et poissons situé à quelques 800 mètres du barrage n’est pas épargné. Pourtant, des dizaines de personnes s’y approvisionnaient en ces produits, de retour de voyage pour Ouagadougou.

Presqu’aucune présence humaine sur le barrage (construit dans les années 40) en cette matinée du mois de février. Sauf un jeune « ado » d’une quinzaine d’années, Salif Ouédraogo. Ce dernier rodait à côté de la vanne du barrage, amassant du sable au milieu des tas de déchets plastiques qui jonchent le lit du barrage, sans doute pour ses besoins financiers. La vente du sable est une activité lucrative très développée dans la localité. Il n’était que 9 heures du matin, mais le soleil avait déjà commercé à ‘’taper fort’’. De gauche à droite, des trous asséchés, laissent apparaître une vaste étendue de béton tout le long de l’infrastructure. La petite quantité d’eau qui résiste encore à l’évaporation est impropre à la consommation.

Lors de notre passage sur les lieux, le site était désert et on aurait même dit qu’il n’a jamais été exploité. Il nous a fallu parcourir quelques kilomètres avant de nous rendre compte de la présence de quelques exploitants sur ce barrage à vocation agricole, piscicole et pastorale. Au loin, un maraîcher arrose des plants de choux, sous un temps pas du tout clément, soufflant ‘’du chaud et du froid’’.

Amidou Tiemtoré, c’est le maraîcher que nous avons aperçu de loin. L’homme ne semblait pas de bonne humeur, à l’image de ses plants. Perdu dans ses pensées, le quadragénaire faisait des allers-retours dans son périmètre, arrosoir à la main. Feignant de ne pas entendre nos salutations, il finit par répondre après notre insistance. Puis, il nous rejoignit au bord de sa clôture grillagée.

Un jardin d’aubergine de 25m2 jauni par manque d’eau

C’est un avisé du domaine qui totalise plus de 28 ans d’expérience. Il exprime son inquiétude par rapport à l’issue de cette saison maraîchère. Car, dit-il, il avait tout perdu l’année dernière du fait de la mauvaise pluviométrie et à l’ensablement du barrage. Une situation qui risque de se répéter, s’inquiète-t-il, vu que la quantité d’eau tombée cette année n’a pas suffi pour les cultures et que l’ensablement du barrage a empiré. « Nous souffrons ici madame, vous savez », commence-t-il. « L’année derrière, nous avons presque tout perdu, tous mes plants ont séché ici, parce que l’eau était finie avant que les plants n’arrivent à maturation. J’ai perdu plus de 500.000 FCFA et cette année si ça arrive, je ne sais pas ce que je vais faire. On a parlé avec la mairie mais elle dit que ça la dépasse », relate-t-il avec un profond soupir.

En face, un jardin de papayers d’une superficie de 25 m2. Toutes les feuilles ont jauni et les plantes asséchées. La sècheresse est passée par-là. Les papayers sont morts avec leurs fruits. Le temps de se renseigner que le propriétaire se présente comme si nos esprits étaient synchronisés. L’homme, la cinquantaine bien sonnée mais avec une apparence plus jeune, était expérimenté dans le maraîchage. Il nous raconte que le jardin en question était le sien et qu’il l’avait abandonné, faute d’eau. « Vous voyez tous ces espaces vides, nous pointe le quinquagénaire, ce sont des champs des gens qui ont tout abandonné et qui sont rentrés chez eux. Ils n’avaient pas le choix, on ne peut pas travailler. Le sable a gâté le barrage et il ne pleut plus assez. Si tu persistes, c’est tout ton argent que tu vas dépenser et tu vas tout perdre. L’an passé, on a tout perdu ici, donc cette année, je n’ai même pas tenté », regrette-t-il. Pour celui qui dit être maraîcher depuis sa jeunesse, c’était un métier noble dans le passé mais plus maintenant. « Avant si vous vous mettez au sérieux, vous gagnez, mais maintenant, nous souffrons de voir notre barrage qui est en train de disparaître sans pouvoir faire grand-chose ».

Amidou Tiemtoré, maraîcher inquiet pour cette saison maraichère

Ensablement contagieux des barrages de Koubri

Telle une maladie contagieuse, l’ensablement n’est pas seulement une affaire du barrage de Koubri mais il affecte presque tous les barrages de la commune voire plus. Et même les plus récents sont aussi concernés. A Goughin-Poedogo comme à Azoum-Bongo, l’ensablement est ce qui a poussé plusieurs maraîchers et pêcheurs à abandonner leurs dabas et pirogues.

Mamadou Compaoré, un jeune maraîcher, n’a pas déposé sa daba mais a décidé de poursuivre la trace de l’eau. Il a ainsi quitté son village pour s’installer à Goughin-Poedogo. Ce barrage est situé à une dizaine de kilomètres du centre de Koubri. Il est aujourd’hui installé au bord de ce barrage de Goughin-Poedogo, construit en 1977 et réhabilité en 2019. Et même s’il vient d’être réhabilité, la question de l’eau dans ce barrage persiste toujours et pour le jeune qui avait migré de son village pour la même cause, le problème, c’est l’ensablement. « Ils ont monté la digue mais il faut aussi curer le sable », explique-t-il. Arrêté au milieu de ses jeunes plants de choux et d’oignons, Mamadou Compaoré, arrosoir à la main, nous montre son champ d’aubergine abandonné par manque d’eau. Les plants sont calcinés de telle sorte qu’on est tenté même de dire qu’ils ont été incendiés.

De l’autre côté de la digue de Goughin-Poedogo, enfin, a une quinzaine de kilomètres aussi du centre de Koubri, un autre barrage « agonise ». Il faut rappeler que la commune rurale de Koubri compte six grands barrages et 46 retenues d’eau, selon le secrétaire général de la mairie de Koubri, Éric Sondo. Selon ses explications, c’est l’une des communes les plus desservies en matière d’infrastructures hydrauliques et de retenues d’eau.

Le barrage en question est celui d’Azoum-Bongo, par ailleurs le plus récent par rapport à ceux que nous avons déjà visités. 1982, c’est l’année où l’infrastructure a été érigée. Mais sa situation semble plus critique. La digue est presqu’à sec. Issouf Sawadogo que nous avons rencontré sur les lieux se demande si ce n’est pas un sort. Parce que, dit-il : « Je ne peux pas comprendre qu’en février l’eau soit déjà finie dans le barrage ». Ses papayers et ses plants de choux sont en voie d’assèchement. Mais l’homme de 46 ans continue de les arroser afin de sauver ce qui peut l’être encore.

Jean-Jacques Kouraogo, maraîcher

A côté de lui, des forages sont installés dans certains jardins. Des installations faites par les propriétaires eux-mêmes. Mais pour notre interlocuteur, cela n’est pas permis à tout le monde. « Un forage coûte combien ? », nous questionne-t-il, avant de répondre à sa propre question : « Je vais vous répondre, c’est beaucoup d’argent et nous autres, nous n’avons pas ce moyen. On demande seulement qu’on nous aide avec le barrage, et on ne sait pas à qui s’adresser maintenant, parce qu’on a parlé, se fatiguer », raconte-t-il avec un air désespéré.

De la gloire à la déception

Les problèmes de ces barrages à plusieurs vocations sont légion et selon les exploitants, si rien n’est fait, ils risquent de disparaître dans quelques années. Mais disparaître, c’est peut-être trop dire, selon le spécialiste de la géographie de l’eau et des aménagements agricoles, Lassane Yaméogo. Ce qui risque d’arriver, si rien n’est fait dans quelques années, selon lui, c’est qu’ils ne serviront plus à ce pour quoi ils ont été construits.

Mais ces infrastructures vieilles de 40 à 80 ans ont connu leurs années de gloire, parce que les gens venaient de partout pour faire soit la maraîcheculture ou la pêche et plusieurs hameaux de culture ont même été construits sur le lit des barrages, selon les confidences du président du comité des usagers d’eau, Germain Tassembédo. « Je ne suis pas aussi vieux, mais j’ai vécu quand même. Avant, quand vous arrivez à Koubri, la ville était très animée et même les enfants avaient l’argent. Mais maintenant, il n’y a rien et certaines gens commencent à partir, parce qu’il n’y a plus l’eau pour travailler », regrette le président du comité.

Il faut trouver une solution, sinon ce n’est pas bon, explique le porte-parole des usagers d’eau, parce que plus de 96% de la population de Koubri gagnaient sa vie dans ces barrages et aujourd’hui plus de la moitié d’entre elles se trouvent au chômage. « Il n’y a pas cette famille à Koubri qui n’est pas dans le maraîchage ou la pêche. C’est pourquoi, nous demandons qu’on nous aide, sinon s’il n’y a plus de barrages, que va faire toute cette population, je ne vois pas, parce qu’il n’y a plus de travail à côté », plaide Germain Tassembédo pour sa communauté.

Germain Tassembédo, président du comité des usagers de l’eau de la commune de Koubri

Un plaidoyer également mené par ce pêcheur septuagénaire. Joseph Dipama dit avoir connu plusieurs générations de pêcheurs et de poissons pêchés, ce qui arrive à ces barrages est inexplicable. « Avant, tous ceux qui passaient à Koubri faisaient leur marché ici. Mais ils sont peu qui le font encore, parce que tout est devenu cher, le poisson, les légumes et tout le reste. Parce que les gens ne produisent plus en grande quantité à cause du manque d’eau et les pêcheurs ne peuvent plus pêcher. Avant, on était plus d’un millier, mais maintenant, ils sont tous partis. Je suis dans la pêche depuis plus de 50 ans et j’ai presque 70 ans, je n’ai pas encore vu ça. Vous voyez, nos pirogues sont garées et ceux qui ont encore la force se déplacent pour aller là où il y a de l’eau, mais moi je ne peux pas faire ça », souligne le septuagénaire, tout en indiquant que c’est triste mais c’est la vérité. « Le manque d’eau et l’ensablement des barrages se sont empirés ces cinq dernières années et nous demandons pardon aux autorités de venir nous aider », plaide celui qui est devenu comme un « papi » pour les jeunes pêcheurs qui n’ont pas encore jeté l’éponge.

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Tous ces problèmes qui dégradent et détruisent ces ressources ne datent pas d’aujourd’hui. Car à titre d’exemple, un rapport du ministère de l’Agriculture réalisé en 2001 sur la gestion durable des petits barrages dans le Plateau central donnait une vue d’ensemble sur tous les autres, alertait déjà sur leur ensablement causé par les mauvaises pratiques des utilisateurs et le manque d’entretien de ces ouvrages. Selon le spécialiste de la géographie de l’eau et des aménagements agricoles, Lassane Yaméogo, l’ensablement d’un cours d’eau naturel ou artificiel est un phénomène naturel, même si cela est aussi lié aux mauvaises pratiques des utilisateurs et au manque d’entretien des ouvrages. Il explique que ces ouvrages hydrauliques qui ont été construits à l’époque, avaient été faits sans un réel mécanisme de suivi sur le terrain et d’entretien. Et dans le cas de la commune de Koubri, le président du comité local de l’eau (CLE), Athanase Compaoré, a fait savoir que c’est ce à quoi ils sont confrontés, parce que dès le départ, ces infrastructures ont été construites et mises à la disposition des populations sans une moindre sensibilisation, ni formation sur ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire.

Lassane Yaméogo, enseignant-chercheur et spécialiste de la géographie de l’eau et des aménagements agricoles

Pour faire face à ces situations, des actions sont menées sur le terrain, même si elles ne sont pas visibles. C’est d’ailleurs pourquoi, les CLE (comité local de l’eau) ont été mis en place pour sensibiliser les populations à la gestion durable de l’eau et au maintien des infrastructures. « Mais comme toujours, selon le président du CLE, nous sommes confrontés à des problèmes de moyens, parce que cette année, nous n’avons pas eu de financement qui était géré par l’agence de l’eau du Nakambé (AEN) et c’est cela aussi la difficulté sur le terrain ».

Outre le CLE, il faut aussi rappeler qu’une phase pilote d’une étude bathymétrique avait été lancée en 2021 par le ministère de l’Eau sur le barrage de Koubri et dont les travaux sont toujours en cours. Ces études, selon l’équipe de la direction régionale de l’eau du Centre, notamment l’ingénieur du génie rural, Hamidou Ouédraogo, permettront de faire le point sur le niveau d’ensablement de ces barrages et les solutions à proposer.

Mais en attendant que tous ces projets se réalisent concrètement sur le terrain, les populations ont les yeux rivés sur Ouagadougou. Elles plaident pour que des actions rapides soient menées avant que la situation ne s’empire, plus qu’elle ne l’est déjà.

Yvette Zongo
Lefaso.net

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