Demande de démission de Roch Kaboré : « On est en train d’ajouter un problème à un autre », voit El Hadj Harouna Gouem (Coalition nationale des acteurs économiques pour un commerce équitable)
Lefaso.net
Face à la situation nationale que traverse le pays, la Coalition nationale des acteurs économiques pour un commerce équitable a décidé de donner sa lecture et d’appeler l’ensemble des populations à la retenue et à la préservation des acquis. Par cette interview qu’il a accordée dans la soirée du jeudi 25 novembre 2021, le porte-parole de cette association, El Hadj Harouna Gouem, relève que la crise que connaît le Burkina va au-delà de l’aspect sécuritaire, elle est une crise de citoyenneté. Interview !
Lefaso.net : Comment discutez-vous, en votre sein, de la situation qui prévaut aujourd’hui au Burkina ?
Harouna Gouem : Je tiens vraiment à m’incliner devant la mémoire de nos frères qui sont tombés au front pour défendre la patrie et tous les Burkinabè. J’ai une pensée également pour tous ces parents, ces femmes, ces enfants qui ont perdu leurs proches. Ce sont des moments très difficiles, car à chaque fois qu’un seul Burkinabè souffre, c’est nous tous qui ressentons la souffrance.
Nous, opérateurs économiques pour un commerce équitable, sommes vraiment impactés par cette situation ; parce que les affaires ne marchent pas. Une partie du territoire étant inaccessible, cela veut dire que ceux qui importaient ou qui parcouraient les provinces pour écouler leurs produits ne peuvent plus le faire. Il n’y a plus de clientèle dans ces zones impactées par la situation. Donc, nos membres sont beaucoup impactés. On en discute, mais on se limite à cela, n’ayant pas le pouvoir de poser des actes. Nous apportons nos contributions par des prières aux côtés des efforts du peuple burkinabè.
Face à cette situation, quels conseils vous vous donnez ?
C’est d’abord de varier les importations et de diminuer la qualité de certains produits. Certains produits sont vendus à l’intérieur et avec la situation, ça devient difficile. Il faut revoir donc les choses. Mais, la variation et le fait que, pour certains produits, notre réseau de vente s’étend jusqu’à des pays voisins, permet de compenser le manque à gagner au plan national. Le conseil qu’on se donne est qu’il appartient à chacun de prendre ses précautions pour ne pas se retrouver dans des difficultés. Vous avez certains de nos membres qui ont des engins qui se trouvent dans les zones à risques. Il y en a qui ont des marchés et bien d’autres problèmes qu’ils posent et on en débat pour trouver des solutions.
On sait également que vous faites des propositions au gouvernement pour l’amélioration du monde des affaires au Burkina… !
Nous en faisons régulièrement. C’est seulement en 2020 que nous ne sommes pas sortis. Par exemple, nous avons fait des propositions au niveau de la douane, plus précisément sur les tarifications. Nous avons fait des propositions lors de la crise liée du Fonds commun. Nous avons également fait des propositions lors des débats sur le partenariat public-privé. Certaines des propositions ont été prises en compte, d’autres non. C’est ainsi. Nous en ferons toujours, lorsqu’il s’agit de faire évoluer les choses dans notre pays pour le bonheur de tout le monde.
Certains pensent que les crises sont des moments pour pouvoir tirer leçons pour la construction nationale. Est-ce une idée qui est aussi partagée dans le domaine des affaires ?
En réalité, dans une crise, il y a ceux qui perdent et d’autres s’en sortent. Cela fait partie de la nature même des affaires ; quand il y a des crises qui surviennent, certains en payent le prix et d’autres en profitent pour s’en sortir. Mais ceux qui en profitent sont moins nombreux. Quand vous imaginez la crise de l’insurrection populaire (2014), il y en a qui ont totalement perdu leur commerce et d’autres en ont profité. Donc, en réalité, très peu gagnent. De la crise de 2014, certains ne se sont plus relevés, leurs biens ont été pillés. Cela entraîne des pertes d’emplois.
Dans une situation comme celle que traverse le pays, comment le gouvernement peut faire pour que ça ne bascule pas du côté économique, quand on sait que son impact social est très important ?
Le gouvernement a intérêt à ce que les affaires ne soient pas au rouge, parce que si c’est le cas, la survie de la nation est menacée. Voilà pourquoi, en réalité, tout n’est pas concentré sur la sécurité, il faut continuer à mener des activités d’investissements pour que l’économie puisse rouler. Si le gouvernement n’investissait pas, ce serait pire ; les gens n’allaient pas être en activité, les impôts n’allaient plus rentrer, etc.
Aujourd’hui, on a des localités vidées de leurs habitants, les populations manifestent leur ras-le-bol… ; comprenez-vous cette vague de mécontentement ?
Oui, je comprends parfaitement la colère de certaines personnes et c’est normal que des gens manifestent leur sentiment vis-à-vis de la situation qu’ils vivent. Ce n’est pas facile de se retrouver dans ce genre de situation. Seulement, il faut que les gens essaient d’avoir de la retenue, parce que si vous maintenez la pression jusqu’à un certain niveau, vous risquez d’aggraver la situation. Je vois par exemple des gens qui manifestent et qui demandent le départ des Français (l’armée française). Je ne défends pas les Français, mais je ne crois pas qu’on a, pour le moment, un meilleur partenaire que la France.
Je ne les défends pas, je demande même qu’ils améliorent leur façon de faire pour que notre partenariat nous soit plus bénéfique. C’est pour dire qu’en réalité, personne ne va venir nous aider, en dehors de son intérêt. Ceux qui viendront, c’est avec intérêt. C’est donc à nous, en premier lieu, de nous organiser pour nous sécuriser. Donc, quand on manifeste ici, ça doit être pour éveiller nos consciences. Par exemple, ce qui s’est passé à Inata, on peut manifester contre ces traitements inhumains que ces gendarmes ont subis. On ne peut pas permettre que des gens qui ont l’information que leurs frères d’armes sont dans des difficultés et ils ne peuvent pas leur porter secours. Il y a eu des sanctions administratives certes, mais je crois que la justice doit prendre le relais (je ne suis pas contre ceux qui ont été limogés) pour qu’on ait des responsabilités situées.
Ce sont des vies humaines qui ont été perdues, ce n’est intéressant que ça reste impuni. Je pense que si on doit manifester, c’est d’interpeller le gouvernement sur ces aspects : le traitement. Je sais que le gouvernement a quand même mis les moyens, on nous a même dit qu’en 2018 ou 2019, le budget de la défense n’a pas pu être absorbé par le ministère de la Défense. Comment comprendre alors que des gens qui sont au front aient un problème pour se nourrir. Non ! En situation de guerre, on ne doit quand même pas avoir un problème de primes. Il faut leur donner le minimum alimentaire et sanitaire, il y a des soucis qui ne doivent plus être ceux des soldats.
Aujourd’hui, on a des sorties tous azimuts, certaines demandent la démission du président du Faso. Quel commentaire pouvez-vous en faire ?
Je pense qu’on ne veut plus revivre la situation de 2014. Les quelques jours d’absence de président qu’on a vécus ont été pires que les 27 ans de règne du président (Blaise Compaoré, ndlr) ; parce que des gens sont morts, des gens se sont succédés pour s’auto-proclamer président, il y a eu des pillages. Des personnes apolitiques ont vu leurs biens brûlés, pillés, tout simplement parce que des gens avaient des rancunes contre eux, etc.
A la limite, il y a des gens qui veulent s’insurger pour profiter de certaines situations. Il y a des gens qui ont pillé des choses pour envoyer chez eux. Comment vous pouvez sortir pour défendre une cause, une valeur démocratique et vous pillez des biens pour envoyer à la maison ? Nous ne souhaitons pas que de telles situations arrivent encore au Burkina Faso. Quand vous regardez aujourd’hui, ceux qui revendiquent le départ du président, la plupart sont des gens qui l’ont combattu dans les urnes. Je crois qu’il sera plus pertinent pour eux de travailler pour attendre encore les élections ; parce que si vous voulez prendre des raccourcis, ce n’est pas intéressant. Le président n’est pas désavoué, donc on ne peut pas vouloir profiter de la situation. En réalité, le président n’a pas posé d’actes qui font qu’il soit vomi par le peuple. Donc, il faut que les gens s’abstiennent de toute démarche anti-démocratique et se préparent pour les urnes. On ne peut pas demander sa démission comme cela, ce n’est pas intéressant. Le président a prêté serment pour nous protéger, mais ça ne suffit pas, il lui faut l’aide de tous. Chacun doit travailler à la sécurité du Burkina Faso. Le terrorisme n’est pas un problème que le président du Faso ou les militaires, seuls, peuvent régler.
En réalité, il faut combattre une idéologie. Des gens qui rassemblent des personnes autour d’eux, prêchent, font passer des messages. Il faut déconstruire leurs messages. Certes, d’autres ont eu des propositions pour être recrutés dans les groupes terroristes, mais beaucoup y ont été recrutés sur la base de l’idéologie. Il y a des gens qui croient fermement que s’ils meurent dans ça, ils vont aller au paradis. Mais tant que vous n’avez pas déconstruit cela, c’est impossible de vaincre ce fléau. Il faut donc que le gouvernement implique les leaders religieux et que les prêches soient abondants. Il faut que les gens sachent que le fanatisme n’apportera rien. Dieu n’a jamais demandé à quelqu’un de venir forcer l’autre à l’adorer. Je crois donc qu’à ce niveau-là, on ne fait pas assez, parce qu’il faut combattre l’idéologie. C’est très important qu’on déconstruise le discours par l’abondance des prêches, sinon on ne peut pas tuer jusqu’au dernier terroriste. Si on maximise sur les prêches, ça va diminuer la chaîne de recrutement et si le nombre baisse, on pourra y parvenir.
Vous estimez donc que ce n’est pas le combat aujourd’hui que de demander la démission du président du Faso ?
Non, pas du tout. Ce n’est pas le moment. En réalité, en le faisant, on est en train d’ajouter un problème à un autre. Voyez-vous, le gouvernement a déjà un problème sécuritaire qu’il doit gérer. Si vous ajoutez à cela un problème politique, psychologiquement, ça pèse. Ils (dirigeants) n’arrivent pas à se consacrer à l’essentiel. On a tellement mis la pression sur le gouvernement, il y a eu maintes fois des remaniements, des têtes sont tombées, mais quand on regarde les résultats... Aujourd’hui, ce qu’il faut, c’est faire corps avec lui (président du Faso) pour qu’il ajoute aux combats militaires, le combat idéologique.
C’est dire que le front de lutte est vaste !
En réalité, le problème du Burkina dépasse la sécurité. Je dirais même que c’est une crise de citoyenneté. Chacun se focalise sur ses intérêts personnels. Chacun croit appartenir d’abord à une communauté donnée avant d’être citoyen burkinabè, avant d’appartenir à un État. C’est cela qui est grave. L’homme peut voir que ceci est pour l’intérêt du Burkina Faso, mais il poursuit d’abord ses intérêts, les intérêts de sa communauté, de son parti, etc. Ça rend la lutte très difficile. Il faut vraiment lutter contre la crise de citoyenneté, il faut que les gens arrivent à voir l’intérêt du Burkina Faso au-dessus de tout. Aujourd’hui, vous avez des gens qui font des combats politiques dans la crise sécuritaire. Quand un problème aussi préoccupant que l’insécurité se pose, il ne faut pas jouer sur les intérêts individuels, les intérêts de groupes, il faut placer la nation au-dessus de tout. Tout le monde va ainsi gagner. Et c’est dans l’unité autour du président que nous pouvons le faire. Il faut faire bloc derrière le gouvernement pour pouvoir combattre les terroristes, on ne peut pas faire autrement. Vous allez dans certains villages, des gens sont contents parce qu’ils disent que c’est le MPP qui a des problèmes. Alors que non, ce sont des problèmes du Burkina Faso et tu n’as pas à t’en réjouir.
Que chacun apporte sa contribution. J’ai vu dernièrement l’UNIR/MPS faire des propositions intéressantes. Les responsables du parti ont proposé qu’on mette en place des délégations spéciales (dans les communes, ndlr) dirigées par des militaires. Dans chaque commune, on peut se retrouver avec par exemple avec cinq militaires, qui vont former des VDP et la commune est bien tenue, tout le monde participe au développement de la localité. Sinon, poursuivre avec les maires, ça va toujours favoriser les divisions, les rivalités politiques. Pourtant, il faut que l’unité soit réelle dans les communes. Donc, c’est une proposition qui doit, à mon avis, être approfondie par le gouvernement. Sinon, avec les partis politiques (maires), quand il y a problème, les gens pensent que c’est le problème du parti qui gère la mairie. Alors que non, c’est un problème de toute la commune. Je pense que mettre des militaires à la tête de délégations spéciales va permettre de résoudre ce problème et permettre aux gens de regarder dans la même direction pour mener le seul combat réel qui vaille.
Quel message à vos membres ?
C’est de les appeler à se démarquer de ceux qui appellent à la démission du président du Faso. Si la marche visait à l’unité, à interpeller à plus de moyens pour nos FDS, on pouvait comprendre. Mais quand on y mêle des histoires de démission, le monde des affaires doit s’en démarquer ; parce que ce n’est pas dans notre intérêt. De pareilles marches nous ont assez causé de tort. Donc, à l’ensemble des populations, je demande de ne pas en rajouter aux nombreux problèmes que nous avons déjà.
O.H.L
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