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Adeline Ilboudo, amazone burkinabè de l’environnement : « Les jeunes sont des éléments incontournables dans la lutte contre le changement climatique »

Publié le mardi 21 septembre 2021 à 13h05min

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Adeline Ilboudo, amazone burkinabè de l’environnement : « Les jeunes sont des éléments incontournables dans la lutte contre le changement climatique »

Adeline Ilboudo est une jeune dame qui a fait de la défense de l’environnement son domaine de prédilection. Diplômée en diplomatie et relations internationales et chargée de plaidoyer à l’organisation Niyel, elle a mis en place le projet "My Planet My Heritage", qui fait de la sensibilisation à l’endroit des élèves de certaines écoles, collèges et lycées de la place et du recyclage de déchets. Elle est également membre de Youth Initiative, un regroupement de jeunes leaders qui ont oeuvré à la protection de la forêt du prix Nobel alternatif, Yacouba Sawadogo. Dans cette interview qu’elle a bien voulu nous accorder, Adeline Ilboudo nous parle de son engagement et du rôle que peut jouer la jeunesse dans le cadre de la protection de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques.

Lefaso.net : Qu’est ce qui justifie votre engagement dans la lutte contre les changements climatiques ?

Adeline Ilboudo : L’environnement est une question à la fois sensible et urgente que les gens ignorent surtout en Afrique. Au Burkina Faso, nous n’avons pas réellement conscience que le réchauffement climatique ressenti actuellement est dû à un changement climatique brusque. Il faut rappeler que le changement climatique est certes dû à une cause naturelle, mais les causes anthropiques accélèrent de façon anormale le processus de changement d’où le réchauffement brusque de température avec pour conséquences des inondations, des vagues de chaleur intense, des sécheresses, etc. Pour moi, la protection de l’environnement à travers quelques actions clés contribue à long et à court terme à lutter contre le changement climatique.

Quelles sont les actions que vous menez dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques ? Quels résultats peut-on retenir ?

Les jeunes sont des éléments incontournables dans la lutte contre le changement climatique. Dans mon plan d’action, j’ai intégré les jeunes comme les premiers acteurs de cette lutte. J’ai à cet effet mis en place, avec le soutien de l’ambassade américaine, un projet de sensibilisation et de recyclage de déchets à l’endroit des élèves de certaines écoles, collèges et lycées de la place, avec lesquels je suis en collaboration.

Ce projet, appelé ‘’My Planet My Heritage’’, vise à sensibiliser et à inculquer aux jeunes élèves qui ont entre 7 et 20 ans des notions de changement climatique en général et de réchauffement climatique en particulier, de développement durable, de recyclage et de reforestation, des notions indispensables à leur protection et au développement économique et social du pays. Il s’agit aussi d’apprendre aux jeunes élèves à faire le tri des déchets ramassés au sein même de la cour de l’école et aux alentours, et à les recycler pour avoir des produits finis réutilisables.

Une autre action que j’ai menée en faveur de la protection de l’environnement est la création et la mise en place du mouvement Youth Initiative avec d’autres jeunes. Ce mouvement est né d’une table ronde entre personnes soucieuses des questions environnementales. Pour ne pas être spectateurs de ce que l’on pouvait appeler "inconscience", les Youth Initiative décidèrent, ensemble, de protéger le poumon vert qui fait respirer la ville de Ouahigouya, c’est-à-dire la forêt du vieux Yacouba Sawadogo. L’ambition de nos actions était de faire en sorte que l’intégrité de l’une des forêts les plus importantes au Burkina comprenant notamment d’énormes bénéfices pour l’humanité toute entière, soit enrichie et maintenue, au détriment de toute action visant sa destruction. C’est à partir de là que nous avons décidé de porter ce problème à bras le corps avec un plaidoyer envers les décideurs publics en faveur de la forêt de Yacouba Sawadogo.

Au départ, nous avions deux causes à plaider. D’une part, l’obtention d’un titre foncier qui permettrait de construire une clôture adaptée aux charges climatiques et d’autre part, l’obtention du titre de ‘’Docteur honoris causa’’.

Maintenant que la forêt est protégée, notre prochain plaidoyer sur lequel nous travaillons est que Yacouba Sawadogo soit reconnu comme Docteur honoris causa car c’est une bibliothèque vivante. Il a tant fait pour le Burkina Faso durant ces quatre dernières décennies et a tellement de connaissances à partager sur la préservation de notre écosystème, qu’il serait regrettable de ne pas le gratifier à sa juste valeur, à travers cette distinction.

Nous continuons également le suivi rigoureux de la forêt avec une équipe basée sur place à Ouahigouya pour nous faire le point au besoin.

Quel peut être l’apport des jeunes dans cette lutte pour la protection de l’environnement et l’atténuation des effets des changements climatiques ?

La jeunesse est un élément incontournable dans la lutte contre le changement climatique. Si nous prenons par exemple la Coordination nationale des jeunes pour l’environnement et le climat (CONAJEC), elle mène beaucoup d’activités en faveur du climat. Quand nous pensons à la clôture de la forêt de Yacouba Sawadogo à Ouahigouya, n’est-ce pas en majeure partie des jeunes qui ont mené la lutte pour que le projet de construction d’un mur de protection voit le jour ? On se souvient également de la forêt de Kua à Bobo Dioulasso, ce sont des jeunes qui étaient au devant des négociations jusqu’à ce que la requête de la population qui demandait que la forêt ne soit pas détruite soit prise en compte. Ce sont là quelques événements et actions pour rappeler à quel point les jeunes, leurs avis, leurs actions présentes et futures comptent en matière de lutte contre le changement climatique.

Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés dans le cadre de votre engagement ?

Le principal défi que je rencontre c’est l’ignorance de la population face au péril climatique que nous vivons actuellement et la mauvaise foi de certaines personnes. C’est peut-être cru de le dire ainsi, mais dans mon parcours de lutte pour la préservation de l’environnement, j’ai pu constater cela, j’ai vécu cela. La mauvaise foi des gens peut faire désespérer du jour au lendemain. Mais ma passion pour l’environnement et mon abnégation et ma détermination m’ont permis de tenir bon jusque là et je ne suis pas prête à abandonner.

A votre avis, qu’est ce qui peut être fait pour susciter un plus grand engagement de la jeunesse pour les questions en lien avec l’environnement et d’autres défis de l’heure ?

La question me fait un peu penser au célèbre adage qui dit : ‘’C’est en bouture qu’on redresse ou courbe l’arbre’’. Tout ce qui touche à l’environnement et toutes les luttes que nous menons ayant un lien avec le changement climatique, découlent de l’amour et du respect qu’on a pour la nature ; et également de l’éducation que nous avons eu en faveur de l’environnement.

En ce qui concerne le projet ‘’My planet My heritage’’ qui a pour cible de très jeunes élèves, j’essaie d’y joindre l’utile à l’agréable. C’est un ensemble d’activités à la fois ludique et instructif, car après le recyclage des déchets en papier, nous obtenons des tableaux sur lesquels les jeunes élèves s’amusent à faire de la peinture. On obtient comme produits finis de beaux tableaux artistiques avec lesquels ils décorent leurs salles de classe et même pour certains élèves, leurs maisons. Pour moi, c’est une manière de stimuler l’amour du recyclage, donc de la préservation de l’environnement dès le bas âge.

Ces jeunes élèves grandiront avec ces notions et ces capacités et continueront à les disséminer de façon naturelle dans leur environnement. A la fin de l’année également, les meilleurs apprenants sont récompensés lors de la cérémonie de fin d’année devant leurs parents. Ces récompenses les incitent à continuer sur cette lancée, même pendant les vacances, et à être des relais de bonnes pratiques en matière de préservation de l’environnement. Les parents apprennent également des petits gestes que posent les enfants à la maison en matière de nouvelles bonnes pratiques en matière de protection de l’environnement.

C’est un ensemble de pratiques mises en place pour emmener les jeunes à prendre conscience de la problématique du réchauffement climatique dû à l’action de l’homme et de leur capacité à lutter contre.

Pour susciter l’engagement des plus grands, je dirai, d’après ma grand-mère, que le vieil arbre ne se redresse point. Cela me laisse croire qu’il est un peu plus difficile de faire aimer quelque chose à quelqu’un quand la personne n’y trouve pas d’intérêt particulier ou que le mode de vie de la personne ne s’aligne pas avec les normes environnementales recherchées. Il n’est cependant pas impossible de le faire. Il faut stimuler leur engagement peut-être d’une autre manière.

Je n’ai pas de formule magique toute faite mais si j’avais un avis à donner ; ce serait de commencer par la conscientisation, la sensibilisation et la responsabilisation des jeunes à tous les niveaux ; et leur montrer que leur importance, sinon même que leur concours est indispensable dans la lutte contre le changement climatique. Cela peut se faire tout aussi bien dans les activités scolaires, estudiantines, professionnelles, ludiques, que dans la responsabilisation des jeunes en ce qui concerne les activités des institutions étatiques et non étatiques qui œuvrent dans le domaine de l’environnement et des changements climatiques.

Il faut aussi féliciter davantage et encourager de façon concrète les jeunes (initiative de jeunes, organisations, projets…) qui sont déjà dans le domaine et qui se battent jour et nuit pour faire changer les mentalités et le comportement de la communauté. A un certain moment, les applaudissements et les belles paroles ne suffisent plus pour étancher notre soif. Nous avons souvent besoin d’actions concrètes pour exprimer tout le potentiel qui sommeille en nous. Les jeunes ont tellement de choses à donner, il faut juste savoir leur tendre la main. Une des solutions est de trouver un moyen pour pousser les jeunes à s’engager encore plus dans l’agriculture et surtout dans l’agriculture durable, qui favorise la régénération du sol.

Avez-vous un appel à lancer ?

Je dirai à mes jeunes frères et sœurs de ne pas abandonner. Quelles que soient les difficultés, les obstacles, avec de la persévérance on y arrive toujours. A nos pères, à nos aînés, à nos doyens, je dirai de croire en nous, d’avoir confiance en leur éducation et de toujours nous guider, car quelles que soient leurs craintes, nous sommes la relève de ce pays.

Propos recueillis par Armelle Ouédraogo
Lefaso.net

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