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Fronde contre les sociétés minières au Burkina : « Il faut des cadres de concertation permanents et fonctionnels pour éviter les crises » (Jonas Hien)

Publié le lundi 13 septembre 2021 à 23h05min

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Fronde contre les sociétés minières au Burkina : « Il faut des cadres de concertation permanents et fonctionnels pour éviter les crises » (Jonas Hien)

Face à une certaine insatisfaction des populations des localités abritant les sociétés minières au Burkina, la fronde monte contre celles-ci. Et l’on assiste de plus en plus à des manifestations violentes dont la dernière en date a eu lieu dans la Bam après la mort de huit orpailleurs. Pour comprendre les raisons de ces différentes manifestations, Lefaso.net est allé à la rencontre de l’un des acteurs de la société civile qui est beaucoup actif sur le terrain.

Il s’agit du directeur des programmes de l’Organisation pour le renforcement des capacités de développement (ORCADE) et président de « Mines alerte, publiez ce que vous payez », Jonas Hien. Dans cette interview, l’homme explique les raisons de cette colère des populations et le travail mené par la société civile sur le terrain. Tout en proposant des solutions pour qu’il y ait une bonne collaboration entre les sociétés minières, les populations et l’ensemble des acteurs impliqués dans le secteur.

Lefaso.net : Quels sont les missions de l’ORCADE et de « Mines alerte, publiez ce que vous payez » que vous dirigez ?

Jonas Hien : L’ONG ORCADE a pour mission d’informer les communautés vivant sur les secteurs des mines notamment sur leurs droits et leurs devoirs. Elle exerce également une mission de veille sur leurs intérêts et ceux du Burkina Faso et fait également un plaidoyer sur les préoccupations de part et d’autres.

En somme, c’est un travail de veille citoyenne sur la gouvernance du secteur minier au Burkina-Faso Faso. Quant à la coalition Mine alerte, publiez ce que vous payez, c’est un réseau mondial de surveillance dans le secteur des industries extractives. Le réseau a son siège en Grande Bretagne mais il y a des coordinations dans chaque pays et c’est la section du Burkina Faso qui est nommé « Mine alerte, publiez ce que vous payez »

Depuis quelques années et avec le boom minier, l’actualité au Burkina Faso est marquée par des manifestations, parfois violentes, de populations riveraines contre des mines. Qu’est-ce qui explique cela ?

Pour comprendre ces faits, je pense qu’il faut prendre chaque localité avec ses réalités, parce que, l’explication peut ne pas être la même sur tous les sites. Mais l’explication commune que l’on peut voir, c’est que ces communautés qui expriment ces mécontentements sont en général celles qui ont pratiquement tout perdu du fait des projets miniers dans leurs localités.

En règle général, ce sont des agriculteurs, des éleveurs et des orpailleurs, mais la présence des mines les empêche de mener desormais ce type d’activités. Les champs des cultures sont récupérés pour les besoins des projets miniers contre des compensations. Les périmètres sur lesquels ils pratiquaient par exemple l’orpaillage ont été retirés. Donc, elles n’ont plus de sources de survie alors qu’il faut qu’elles vivent.

A partir du moment où on leur a tout pris et qu’il n’y a pas de réalisations compensatrices de façon conséquente leur permettant de garder leur niveau d’avant, il est tout à fait normal que ces populations s’adonnent à toute activité pouvant leur permettre de vivre. C’est ce qui crée les difficultés entre ces populations et les sociétés minières qui débouchent parfois sur des actions violentes. Il ne faut pas voir seulement les populations qui manifestent où qui détruisent mais voir le fond du problème. Et il faut chercher à les résoudre définitivement au lieu de les condamner quand il y a un problème.

Dans le processus d’acquisition du permis, des séances publiques sont pourtant organisées pour expliquer le contenu du projet minier et recueillir les attentes des communautés. Des registres sont aussi disposés dans certains lieux comme les mairies pour recevoir les réactions des communautés. Alors pourquoi autant de contestations et de manifestations après l’octroi du permis d’exploitation a certaines sociétés ?

C’est exactement comme quand on dit qu’on a voté telle loi pour telle chose, alors que la loi n’est pas appliquée. C’est pratiquement la même chose. Il y a ce qu’on appelle les consentements préalables, libres et éclairés. Préalable, c’est-à-dire qu’il faut effectivement consulter les communautés, leur expliquer c’est quoi votre projet minier en termes d’avantages et d’inconvénients. Il faut également les amener à adhérer à votre projet. Et cette adhésion doit être faite de façon éclairée. C’est à dire que ces communautés ont bien compris et qu’elles adhèrent volontairement, consciemment et avec engagement.

Mais en règle général, ce n’est pas le cas. Lorsqu’ils disent qu’ils ont consulté les populations, c’est vrai, ils vont déposer un registre pour dire que si vous avez des préoccupations, venez écrire vos préoccupations. Cela se passe dans un milieu constitué à majorité d’analphabètes. Et même si les consultations avaient eu lieu en groupe, en présence d’une foule et que les gens ont exprimé leurs préoccupations diverses, en fin de compte, il n’y pas de retour pour leur faire comprendre que, parmi les multitudes de préoccupations, voici celles qui ont été jugées pertinentes qu’on a prises en considération.

Et s’il y a lieu à débattre, qu’on en débatte encore pour que tout le monde puisse comprendre pourquoi on a choisi ces préoccupations précises et pas d’autres. Mais ce n’est pas ce qui est fait. On fait comprendre aux populations que quand la mine va s’implanter dans leur localité, leurs enfants vont être employés et qu’on va leur construire des écoles, des dispensaires,…On avance des chiffres faramineux, etc.

Tout en sachant que dans la pratique, c’est du faux qu’on est en train de dire. Quand le vrai visage d’un projet minier commence à se faire voir, le contrat du départ n’est plus le même. Vouloir mettre en avant le fait qu’on avait consulté les populations de façon non éclairée et dire que cela suffira pour éviter les frustrations et les manifestations, ne marchera pas. Le travail de fond qui doit être fait pour éviter ce genre de frustrations n’est pas basé sur ce type de consultation. C’est un autre travail qui, malheureusement n’est pas fait de façon conséquente.

A cette allure, peut-on s’attendre au pire ?

Nous ne le prévoyons pas et ne le souhaitons d’ailleurs pas. Mais cela dépend de ce qui est arrivé et comment cela est arrivé. Nous sommes tous des êtres humains, la colère peut nous conduire à ne pas nous contrôler et c’est ce qu’on ne souhaite pas. L’idéal, c’est de travailler à prévenir et de faire en sorte qu’il y ait de la sérénité sur les sites miniers. Ce qui suppose qu’il faut des cadres de concertation permanents et fonctionnels.

Il faut de la communication entre les acteurs sur le terrain, de la transparence et de la redevabilité aussi. Cela permettra aux gens de mieux comprendre. Les mines sont généralement des entités très fermées. Si vous ne communiquez pas, si vous ne parlez pas aux gens et qu’ils n’ont pas d’interlocuteur, cela ne peut conduire qu’à des actions comme on le voit parfois. C’est pourquoi, l’approche doit être vraiment revue si on veut vraiment de la sérénité sur les sites miniers.

Jonas Hien, directeur des programmes de l’ONG ORCADE et président de la coalition « Mines alerte publiez ce que vous payez »

Vous qui êtes engagés dans le domaine, qu’est-ce qui est fait à votre niveau ?

Nous jouons notre partition. Nous pouvons même nous vanter en disant que si nous ne menions pas des actions de sensibilisation sur le terrain, les mouvements d’humeur sur les sites miniers allaient être pires que ce que nous enregistrons. C’est du fait de nos actions que nous minimisons ce type d’incidents malheureux. Mais cela ne suffit pas, il faut que les autres acteurs jouent leur partition. Quand malgré tout une crise éclate, nous essayons d’apporter notre contribution pour ramener le calme.

Mais comme je dis, ce sont des questions de survie pour les populations. Il est bien de leur dire de se calmer, mais il faut des actions durables pour les soulager. Ce sont ce genre de questions qu’on n’arrive pas à résoudre et ce n’est pas la société civile qui a la solution.

Que conseillerez-vous aux autorités du pays, aux mines et aux populations pour améliorer leurs relations et éviter les crises ?

Il faut beaucoup de concertations, de rencontres, de dialogue. Ensuite, savoir analyser les préoccupations soulevées lors de ces rencontres et savoir qu’elles sont les solutions durables qu’il faut apporter. Mais vous allez voir que sur un site minier pendant des années, personne ne parle à personne. Entre les populations, l’Etat et les sociétés minières, il n’y a pas ce type de dialogue de façon régulière. C’est la société civile et les populations qui se parlent entre elles lors des séances de formation, de sensibilisation.

Pourtant, on n’a pas besoin de dire à un Etat que dans un secteur comme les mines, il faut un suivi régulier, il faut une présence régulière sur le terrain, il faut aller vers les communautés et il faut échanger avec elles pour connaître leurs attentes et leurs difficultés, etc. C’est ce qui doit être fait. Mais on se base sur le fait que l’Etat n’a pas les moyens pour aller sur le terrain. Mais quand il y a des situations malheureuses, on a des moyens pour le faire. Il faut savoir prévenir. C’est ce qui nous avons toujours dit, mais malheureusement, nous ne sommes pas écoutés.

Toutes ces violentes contestations ne risquent-elles pas de freiner l’élan des investisseurs ?

Pour le moment, nous n’avons pas encore d’éléments probants qui peuvent montrer que ces manifestations et mouvements d’humeur au niveau des sites entravent la bonne marche de l’exploitation minière. Il est vrai qu’il y a le risque sur les axes routiers permettant d’accéder à certains sites miniers.

Mais il y a des escortes qui accompagnent les travailleurs des mines vers leurs sites. Mais pour autant, il ne faut pas minimiser les risques de voir certains investisseurs se montrer frileux. Mais je le répète, pour le moment, nous n’avons pas encore d’éléments qui peuvent compromettre les investissements dans l’exploitation minière.

Interview réalisée par Yvette Zongo
Lefaso.net

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