Burkina Faso : En attendant les « 70 vierges » du ciel, des terroristes à la barre
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Officiellement, les actes terroristes au Burkina Faso commencent par un enlèvement. Nous sommes le 4 avril 2015 et le Roumain Lulian Ghergut est kidnappé près de Tambao, dans la région du Sahel. Les stratégies terroristes vont par la suite devenir plus sanglantes. Des milliers de civils et de Forces de défense et de sécurité (FDS) sont tués. La riposte militaire réussi également à « neutraliser ces individus armés non identifiés » qui ont réussi à étendre leurs rayons d’action. Certains sont arraisonnés. Il faudra attendre six ans pour que ces derniers répondent de leurs actes devant la justice.
Lundi 9 août 2021. 8h dans la salle numéro 1 du Tribunal de grande instance (TGI) Ouaga II. Quelques groupuscules de personnes causent en attendant l’ouverture de l’audience du jour. Soudain, l’atmosphère change lorsque deux agents de la Garde de sécurité pénitentiaire (GSP) font leur entrée dans la salle et se dirigent à la barre, vers où tous les regards sont tournés. Ils sont armés et le visage cagoulé.
A leur suite, deux hommes liés par une menotte suivent. Le premier, avec la barbe, paraît plus âgé que le second qui a le crâne rasé. Le bruit dans la salle fait place à un silence de cathédrale. Tous les regards sont fixés sur les hommes jusqu’à ce qu’ils s’installent. Ceux qui sont assis loin d’eux cherchent à découvrir ces visages cachés derrière les masques. Contexte Covid-19 oblige !
« Ça va commencer », dit un homme à sa voisine. Les journalistes présents dans la salle, et surtout à côté, commencent leur prise de note. Tout mouvement de ces deux hommes est scruté minutieusement par le public qui a rempli à moitié la salle.
Visiblement dépassé, un homme, assis à côté de nous, pousse un gros soupir. C’est une première. Des « individus armés non identifiés » sont identifiés et passeront bientôt à la barre. Sur leurs épaules, pèsent de lourds soupçons.
« L’opinion attendait avec impatience »
Dans ce moment de silence et multiples hypothèses, un homme fait son entrée et crie : « Le tribunal ». Unanimement, toute l’assistance se met debout et des hommes en robes noires font leur entrée. Ils sont cinq. Trois sont assis côte à côte, en face du public et les deux autres sont respectivement installés à leur gauche et droite. Le président du tribunal, assis au milieu de ses deux collègues déclare l’ouverture de l’audience.
Il s’agit de la (première) session de jugement de la chambre correctionnelle du pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de terrorisme. Prenant la parole pour ses réquisitions, le procureur rappelle le caractère historique du procès. « L’opinion attendait avec impatience », a souligné le magistrat debout, avant d’ajouter : « La nature de ce type d’audience requiert la patience et une minutie ».
En effet, le Pays des hommes intègres fait l’objet d’interpellation sur la situation des droits humains. Plus de 800 personnes sont en détention à la Prison de haute sécurité (PHS) pour des faits liés au terrorisme. L’ouverture de ce procès rentre dans le cadre de la lutte contre le terrorisme sur le plan judiciaire.
Le procureur poursuit ses réquisitions. Cette fois-ci, il s’adresse au public en donnant la conduite à tenir au cours de l’audience. Tout téléphone ou autre appareil doit être sous silencieux. Les journalistes sont priés de ne pas enregistrer les débats, aucune identité d’un membre du tribunal (y compris les mis en accusation) ne doit fuiter hors de la salle d’audience.
Dossiers renvoyés
Le président du tribunal reprend la parole et campe le décor. Au total, ce sont dix dossiers qui seront jugés, annonce le magistrat. Et de poursuivre que ce n’est qu’un échantillon en attendant d’autres dossiers. Ainsi, pour une session de cinq jours, deux dossiers doivent être évacués par jour.
Les deux présumés sont appelés à la barre. Ils ouvrent le bal. O.K et S.H sont poursuivis pour six chefs d’accusation : association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ; détention illégale d’arme à feu ; coups et blessures volontaires ; meurtre sur une personne jouissant d’une protection internationale ; destruction volontaire de biens ; faux et usage de faux en écriture publique.
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Le juge assesseur entame la lecture de l’ordonnance. C’est un document de 25 pages, prévient le président du tribunal avant de prier les accusés de regagner leur place. Ces derniers ne semblent pas écouter la lecture de ce dont ils sont accusés. L’air évasif, ils contemplent l’édifice qui les accueille.
O.K et S.H ont été mis en examen le 15 février 2016. Selon l’ordonnance du juge d’instruction, ils n’ont pas fait objet de condamnation mais ils prêchaient l’islam radical en prison et promettaient de se venger de l’Etat une fois sortis de la geôle.
Rappelés à la barre pour les débats, O.K donne son feu vert pour être jugé mais pas S.H. Ce dernier s’est dit prêt mais a besoin de temps pour informer sa génitrice afin de prendre un avocat. Il demande un mois. C’est son droit, le président du tribunal le lui concède et le dossier est renvoyé pour la prochaine session.
De la motivation des présumés terroristes
Six ans dans la tourmente terroriste. Plus de 2000 morts dans plus de 600 attaques terroristes. Le bilan est lourd. Mais au fait, quelles sont les motivations de ceux qui endeuillent le Burkina ? Le procès est une occasion pour comprendre. Si le premier jour d’audience a connu le renvoi des deux dossiers inscrits à son ordre du jour, au deuxième jour, un dossier a connu son verdict. D.A et N.A sont condamnés à 20 ans de prison ferme assortis de 15 ans de sûreté pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ; détention illégale d’arme à feu ; destruction volontaire de biens et vol.
D.A s’est enrôlé de son plein gré dans le groupe terroriste Ansarul Islam, dirigé par Boureima Dicko alias « Malam Dicko », en 2018. A la barre, ce berger a détaillé les motivations de sa radicalisation. « Ce n’est pas par manque d’argent ni de travail » qu’il se serait engagé, mais « pour défendre la religion ». Son groupe armé veut « imposer la charia » comme loi. Convaincu de son idéologie, D.A a acheté une Kalachnikov à 430 000 FCFA.
N.A est orpailleur. Ses motivations sont similaires à celles de D.A. Et il les détaille : « Je sais qu’il y a la loi du Burkina Faso mais cette loi ne s’applique pas à notre religion. C’est pour ne pas répondre dans l’au-delà que j’ai refusé de les suivre (…) Nous sommes sortis pour faire appliquer la charia (…) Nous ne cherchons pas l’argent. Nous cherchons Dieu. Nous savons que si on nous arrête, on peut nous tuer, mais c’est l’au-delà que nous cherchons ». Pour lui donc, tous ceux qui travaillent dans l’administration publique sont des cibles à abattre. Il dit n’avoir pas peur de mourir, car, convaincu que « 70 vierges » l’attendent au ciel.
Des victimes mécontentes du verdict
Dans leur décision d’aller à l’encontre de tout ce qui représente l’Etat, les groupes armés ont incendié des écoles et d’autres édifices publics. C’est le cas de l’école de Bafina, dans la commune rurale de Barsalogho (région du Centre-Nord). D.A et N.A étaient dans le commando qui a mis le feu à l’infrastructure dans la nuit du 2 mai 2018.
Au cours des débats, A.D et C.B, les deux victimes qui se sont constituées partie civile, ont relaté les faits. A la barre, D.A et N.A ont reconnu les faits sauf le cas de vol. A en croire N.A, lorsqu’on fait la guerre, c’est normal que le victorieux s’accapare du bien du vaincu. La motocyclette de dame C.B qu’il a prise est donc un butin de guerre et non un vol, selon lui.
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A la barre, A.D a estimé ses dommages et intérêt à plus de quatre millions de francs CFA et C.B à plus d’un million de francs CFA. Comme verdict, D.A et N.A sont condamnés à verser collectivement 2 975 094 FCFA à A.D et 758 000 FCFA à C.B. Non content de la décision du tribunal, A.D ne mâche pas ses mots à notre micro : « Je ne suis pas tout à fait satisfait du verdict, notamment sur ce qu’on devrait me rembourser comme perte. Ce qu’ils m’ont proposé ne me convient pas. »
Aux dires de A.D, il porte toujours les séquelles de la nuit du 2 mai 2018. « Jusqu’au moment où je suis, à mon nouveau poste, quand j’entends les bruits de moteur la nuit, je suis apeuré. Des fois, je me cache pour voir de qui il s’agit avant de me ressaisir. Ce sont des peines que je continue de vivre », nous confie à sa sortie d’audience.
Au-delà du procès…
Cinq jours d’audience mais il y a toujours des interrogations. Nous nous sommes rapprochés d’une autre source pour mieux comprendre la situation.
Ce premier procès, selon l’expert en sécurité, Mahamoudou Sawadogo, permet de désengorger la prison de haute sécurité (plus de 800 détenus) et rendre justice à ceux qui ont été arrêtés de manière arbitraire ou accusés à tort. Ainsi, il pense que pour cette catégorie de personnes, ce procès va leur faciliter la réinsertion sociale ou une reconversion en toute liberté.
Mahamoudou Sawadogo ne pense pas que le procès mettra le feu aux poudres des terroristes en suscitant des représailles. Mais par prudence, il dit se méfier de la suite. Pour lui, l’inconvénient d’un tel procès, c’est le fait que le Burkina n’ait pas de structures pour récupérer ces prisonniers longtemps incarcérés. « Pour les réinsertions sociales au moment où ils vont être acquittés ou ils vont finir de purger leur peine, qu’est-ce qu’on fait d’eux ? », s’interroge l’ancien gendarme. « Il y a lieu de mettre en place un système de déradicalisation comme c’est le cas au Mali et au Niger pour pouvoir suivre de près ceux qui ont été incarcérés ou condamnés », recommande l’expert en sécurité.
Cette première session de jugement de la chambre correctionnelle du pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de terrorisme a donné des éléments de réponse par rapport à certaines interrogations. Pendant que ce procès s’achève et que d’autres vont certainement s’ouvrir, sur le terrain antiterroriste, les attaques se multiplient, et les bilans humains s’alourdissent, et les conséquences sont à la pelle. Selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR), le Pays des hommes intègres compte 1 368 164 Personnes déplacées internes (PDI), à la date du 31 juillet 2021, du fait de l’insécurité.
Cryspin Laoundiki
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