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M. Réal Barnabé, directeur général de "Réseau Liberté" : "Les victimes de l’information sont les premiers responsables de leurs malheurs"

Publié le mardi 18 octobre 2005 à 07h49min

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Réal Barnabé

Ancien journaliste de Radio-Canada, M. Réal Barnabé est aujourd’hui directeur général de la Fondation "Réseau Liberté". Venu à Ouagadougou pour animer le séminaire qu’a organisé l’Assemblée nationale burkinabè à l’intention des journalistes parlementaires et les élus la semaine écoulée, il nous a accordé cet entretien.

Regard comparé entre la pratique journalistique au Nord et celle du Sud, la responsabilité sociale du journaliste et les opinions politiques, l’avenir de la presse écrite... ont constitué le nœud de cet entretien.

L’Hebdomadaire du Burkina (HB) : M. le président, votre fondation fait référence dans la formation des journalistes des pays du Sud. Faites-nous la genèse de sa création, ses activités et l’objectif qu’elle poursuit ?

M. Réal Barnabé (R.B) : "Réseau Liberté" a été créé en 1996. Sa vocation c’est la promotion de la liberté de la presse dans les pays en transition vers la démocratie. Concrètement nous offrons des programmes d’appui qui concentrent des activités de formation. Mais nous faisons plus que de la formation, car nous faisons aussi l’accompagnement. Les formations en salle de rédaction comme le cas présent à ce séminaire-atelier de Ouagadougou. Il y a également la consultation, des analyses de situation, des recommandations etc., pour arriver à aider les entreprises de presse des pays où la démocratie se développe, à devenir plus professionnelles et travailler de manière plus rigoureuse.

Quels sont les pays spécifiquement ciblés pour vos formations et pourquoi ?

Malheureusement il est presque impossible de cibler a priori les pays qui sont le plus dans le besoin. Tout dépend des bailleurs de fonds. Les pays sont ciblés par d’autres structures. Nous n’avons pas cette liberté budgétaire pour aller là où sont les besoins les plus urgents. Mais nous travaillons beaucoup dans les pays victimes de conflits. C’et ainsi que nous sommes en Bosnie après la guerre, au Kosovo, en Jordanie pour un programme d’appui aux journalistes irakiens, en Haïti etc. De la même manière qu’on cherche à se reconstruire les routes, les hôpitaux etc., il faut aussi se construire les médias et c’est notre domaine.

Qui sont vos bailleurs de fonds ?

Comme nous sommes canadiens, le principal bailleur de fonds c’est l’Agence canadienne de développement international. Mais nous avons aussi à l’occasion des projets avec l’Agence inter-gouvernementale de la Francophonie qui est basée à Paris, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), l’UNESCO et l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe qui sont nos principaux bailleurs de fonds.

La presse burkinabè bénéficie de votre assistance depuis un certain temps. Quelle particularité constatez-vous de cette presse avec celle des autres pays où vous avez fait un travail similaire ?

Je suis venu à Ouagadougou en 1992 pour un atelier au CIERRO sur le thème "Médias et santé". C’était avec l’appui des Américains par l’intermédiaire de l’Université Johns Hopkins à Baltimore.

En ce qui concerne la particularité de la presse burkinabè, je dirais que dans la plupart des pays où la démocratie est récente, la presse a connu une explosion. Des stations de nombreux médias, des journaux et souvent ça se fait d’une manière qui n’est pas très professionnelle. Mais si on compare la situation du Burkina aux autres pays on constate que dans la presse écrite il y a un niveau de qualité intéressant. Ce foisonnement du côté des radios privées, même s’il n’y a pas beaucoup d’informations demeure les lieux de liberté.

Les médias d’Etat face à cette concurrence se sont beaucoup améliorés. Alors la situation ici est encourageante parce que nous travaillons avec des pays où rien n’avance c’est un peu décourageant. Mais au Burkina ça vaut vraiment la peine que "Réseau Liberté" s’investisse.

La présente formation s’est focalisée sur le journalisme parlementaire. Quelle appréciation portez-vous sur son déroulement et sa nécessité ?

Nous pensons avoir obtenu des résultats concrets. En quatre jours de travail, les journalistes ont réussi à s’entendre sur un guide de déontologie, sur la vie parlementaire comme sur leur travail de journalistes parlementaires. C’est très intéressant. Les parlementaires ont pris part activement aux débats donc il y a eu cette déclaration conjointe. On dégage des pistes d’avenir et nous sommes très fiers.

Les participants à ce séminaire se sont aussi interrogés sur le journalisme et la politique. Font-ils bon ménage ? Pourquoi ?

Dans une presse très développée on constate que les grandes entreprises de presse n’appartiennent pas et ne sont pas contrôlées par des partis politiques. De sorte que l’information se fait en fonction des critères journalistiques. Mais dans les pays où la démocratie est naissante (c’était la même chose au Canada), les journaux appartiennent à des partis politiques favorables à telle ou telle tendance. Ce qui fait que la tentation peut être forte de déformer les faits pour faire valoir une déontologie.

Ce que nous prônons est qu’on puisse distinguer les genres journalistiques. Lorsqu’on rapporte un évènement, on devrait s’en tenir aux faits sans influencer avec des commentaires personnels. Mais si le journal veut prendre position qu’il le fasse en éditorial. Ainsi le public est clairement informé de la situation. Parce que si dans le reportage le journaliste étale de prime abord ses sentiments personnels, je me dis en tant que lecteur pourquoi m’imposer ses commentaires. Car le lecteur est capable de faire son propre jugement.

Voulez-vous dire qu’il n’est pas aussi du devoir du journaliste d’éclairer le public dans sa clairvoyance de certains faits sociaux ?

Bien sûr ! C’est une façon de finir la mission du journaliste. Mais la meilleure façon d’éclairer c’est d’abord de présenter une bonne enquête, de présenter les faits. Et s’il faut aller plus loin,...c’est peut-être dégager des orientations , des opinions... bref, faisons confiance aux citoyens, donnons-lui l’information et il en tirera les conséquences qui en découlent.

Pensez-vous que la presse peut réellement être libre et où s’arrête sa liberté ?

Le combat pour la limite de la presse est permanent. Même chez nous après plus de deux cents ans de vie démocratique il y a des menaces constantes. Même quand ça va bien, il y a des limites que les journalistes doivent s’imposer eux-mêmes à savoir la déontologie. Parce que la liberté de la presse ce n’est pas la liberté d’écrire et de dire du n’importe quoi. Tel un fonctionnaire a volé trois cent mille dollars on ne doit le dire ni l’écrire ou de dire telle chose, ce n’est ni la censure ni l’autocensure. C’est seulement une attitude responsable.

Cependant comment le journaliste doit s’y prendre dans le traitement des informations des sources anonymes ?

C’est une question très vaste. En général le journaliste doit identifier ces sources. C’est la règle. Mais dans certaines situations exceptionnelles le journaliste peut accepter de diffuser une information qui vient de source anonyme. C’est le cas de l’affaire Watergate aux Etats-Unis où les journalistes de "Washington Post" ont réussi à obtenir de l’information et on a fini par démontrer que le Parti républicain et même le président étaient responsables de ce scandale qui était au fond un cambriolage dans les locaux du Parti démocrate. Alors les journalistes de "Washington Post" même si leur source était fiable se sont donné comme règle de toujours vérifier cette information auprès d’une deuxième source indépendante de la première. C’est une bonne façon de traiter de l’information de source confidentielle. On doit vérifier dans le cas contraire on ne publie pas cette information.

Un auteur disait que le métier du journalisme consiste à "enfoncer l’aiguille dans la plaie". Votre opinion ?

Je ne partage pas tellement ce point de vue. Mais ce qui est vrai dans cette affirmation est que le journaliste est souvent appelé à traiter des questions sensibles. Si par exemple la rumeur dit qu’il y a eu la corruption quelque part on peut commencer à faire l’enquête. C’est là que c’est plaisant pour ceux qui sont impliqués dans cette histoire.

Mais on se dit que si c’est pour l’intérêt public le journaliste a le devoir d’en parler. En ce sens on peut dire que l’information fait des victimes mais ces "victimes" sont les premiers responsables de leur malheurs.

De votre expérience professionnelle, quel enseignement tirez-vous de la pratique journalistique au Nord et celle du Sud ?

La pratique journalistique au Nord est plus indépendante qu’au Sud. Parce que les journalistes chez nous ont de bonnes conditions de travail.

Ils sont bien payés. Donc la tentation de toucher des pots de vin est moins grande. Il y en a probablement mais au Canada je n’en connais pas. Cette indépendance fait que le journaliste peut travailler de manière plus responsable et plus rigoureuse.

Au Sud malheureusement pour des raisons historiques qu’on peut comprendre, liées aux mauvaises conditions de travail, les journalistes sont appelés parfois à accepter ce que l’on appelle ici à Ouagadougou le "gombo".

Même si on comprend que les réalités économiques font que c’est presqu’impossible d’accepter idéalement, on devrait s’opposer à de telles pratiques.

Dans un environnement médiatique où les médias chauds (radios, télé) semblent retenir plus l’attention, la presse écrite selon vous a-t-elle toujours de l’avenir ?

La presse écrite retient aussi l’attention. La presse écrite aura toujours de l’avenir. La concurrence est très forte. Mais vous savez quand la radio est apparue dans les années 1910-1915, pendant dix ans les agences de presse écrite refusaient de transmettre les dépêches aux radios. Parce qu’on pensait que l’événement de la radio allait absorber le journal. Mais ça n’a pas été le cas. Ensuite la télévision est arrivée et la presse écrite continue son chemin, maintenant nous avons l’Internet etc.

J’ai la conviction qu’il va toujours rester une place pour la presse écrite. Et dans un pays où l’alphabétisation est en croissance, normalement avec le temps la presse écrite aura plus de lecteurs.

Interview réalisée par Théodore ZOUNGRANA
L’Hebdo

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