Actualités :: Code des personnes et de la famille : Les Dagara et l’article (...)

L’interprétation du Code des personnes et de la famille au Burkina Faso n’a pas manqué d’inquiéter l’auteur de l’écrit ci-dessous, qui s’interroge sur les lendemains de la société dagara. Questionnements qui portent sur l’article 78 dudit code, notamment sur les noms patronymes.

L’histoire des peuples nous enseigne que les sociétés sans fondements culturels (y en a-t-il un seul ?) ou celles qui ne tiennent pas à leur culture, qui la comptent pour rien, sont des sociétés sans âme, ballottées par les vents de l’évolution, prêtes à se prostituer avec le premier venu. Les peuples qui, au contraire, savent qu’une société qui se veut telle ne peut sacrifier sa culture sans risquer de se suicider, parce qu’elle est l’essence de son existence, se battent pour la préserver. L’interprétation du code des personnes et de la famille au Burkina Faso dans la région dagara suscite en moi des inquiétudes quant aux lendemains de cette société. Qui est le Dagara ? Où va-t-il ? Ou alors où le mène-t-on ?

Le Code des personnes et de la famille stipule au chapitre IV, section 1, en son article 78 : "Le nom patronyme précède toujours les prénoms qui sont indiqués dans l’ordre où ils sont inscrits à l’état civil". Cet article avait suscité des débats fort nourris sur la voix des ondes de la Radio nationale du Burkina parce que certaines ethnies s’étaient senties visées et avaient pressenti le tort qu’on voulait leur faire ainsi que le désordre social qui allait s’ensuivre. Peur tout à fait légitime, puisque l’ignorance desdites sociétés par les rédacteurs du code (si c’est seulement une ignorance), constituait une bonne raison pour semer la confusion dans l’interprétation de cette loi. De quoi s’agit-il ?

En ce qui concerne l’identification des enfants, l’article dit ceci : "le nom patronyme précède toujours les prénoms...". Nous sommes ici face à un problème de terminologie et de connaissance sociologique, et je trouve regrettable que chacun y aille de son entendement. Cette loi devrait inciter le Dagara à donner sur ses actes officiels son patronyme afin de mieux se conformer au texte. Car, qu’est-ce qu’un patronyme ? Sans être un expert en linguistique ou en droit, mais fort d’une maîtrise acceptable de la langue française, j’ose avancer ceci : le patronyme est le nom qu’on reçoit du père (Pater), et normalement, tous les enfants d’un même père devraient porter le même nom patronyme. Je laisse aux Gourounsi le soin de défendre leur cause s’ils le jugent utile ou nécessaire. Je m’intéresse à la société dagara, dont je suis fils. Quel est mon patronyme à moi ? a toi mon frère ?

La société dagara est peut-être la seule au Burkina à donner deux noms à ses enfants :
un patronyme (les patronymes sont assez nombreux) et
un matronyme (raisonnablement limités). C’est en cela que l’on reconnaît le Dagara authentique. Je m’appelle Bèkuonè Somda Kountièti*, mon patronyme est Bèkuonè, et tous les enfants de mon père sont Bèkuonè et mon matronyme est Somda, et tous les enfants de ma mère sont Somda. Mes frères et sœurs nés de l’autre femme de mon père sont Bèkuonè Kpogda. Bèkuonè parce qu’ils sont fils et filles de mon père, mais Kpogda parce qu’ils sont nés d’une Kpogda. On voit bien que la constante, le dénominateur commun de tous les enfants de la cour est Bèkuonè. Le patronyme est donc ce qu’on appelle communément « nom de famille ». Tout bon Dagara connaît cette réalité. Les matronymes, par contre, sont en fait des noms d’héritage (1) au sein des différentes familles. Il n’y a nulle part de famille Somda, Somé ou Dabiré. Le dire c’est travestir l’histoire dagara, c’est inventer une autre société que celle que nous connaissons. Nous connaissons les familles Bèkuonè, Zuè, Mètuolè, etc. Grâce aux matronymes, nous héritons entre frères. Si, par exemple, dans la famille Kusiélé un Dabiré se permet « d’hériter » d’un Somé, c’est purement et simplement une violence qu’il fait aux Somé de la famille Kusiélé. Et que dire du rôle de médiation entre matronymes ?

Le Dagara légitime reçoit son patronyme de son père et son matronyme de sa mère si elle est Dagara. Alors dans quelles circonstances un Dagara reçoit-il un matronyme (bèlu) de son père ? Exemple : Père Dabiré, enfant Dabiré ? 1. Le matronyme du père se transmet à l’enfant lorsque sa mère n’est pas Dagara ; et cela est de bonne guerre pour les conjoints. Si un Dagara Mètuolè Dabiré épouse une Ouédraogo, leurs progénitures seront Mètuolè Dabiré X, Y, parce que le nom Ouédraogo n’existe pas chez les Dagara. Et un Moaga comprendrait difficilement qu’un Ouédraogo ne soit pas Moaga. C’est donc pour préserver la culture de l’un et l’autre. 2. Le matronyme du père se transmet à l’esclave. L’esclave, on ne connaît pas sa mère. Et même si on la connaissait, l’esclave serait tout de même soumis à cette loi parce qu’il est un bien acquis personnellement par l’homme. Mais comment en est-on arrivé à ne pas inscrire les patronymes dagara dans nos actes officiels ? (dans la plupart des cas). Au village, tout le monde se connaît à des kilomètres à la ronde. On sait que telle cour relève de telle famille. On sait, par exemple, que chez Paul, c’est une famille Mètuolè, chez Jean, une famille Zuè, etc. Tant et si bien que lorsque vient une occasion de se présenter, les individus n’éprouvent pas le besoin de donner leurs patronymes parce que « tout le monde » est censé savoir qui est Mètuolè, Kusiélé, etc. Par contre, ce que les gens peuvent ignorer c’est le matronyme, et alors, c’est ce qu’on donne.

Parce que chez Paul, tout le monde n’est pas Dabiré ou Somé. C’est seulement lorsque le Dagara se trouve dans une zone où il est inconnu qu’il se présentera en donnant son patronyme, et même celui de sa mère pour qu’on sache de quelle famille il est le neveu ou la nièce._Malheureusement, avec l’avènement de l’écriture, nombre de nos aînés n’ont pas su faire le passage à niveau de la situation de campagne où donner son patronyme est superflu, à celle plus universelle où on est censé être inconnu. Et ainsi, on a transposé unilatéralement une situation qui aujourd’hui est la source de tous nos malheurs._En effet, avec la parution du Code des personnes et de la famille, l’interprétation de l’article 78 a porté préjudice à la culture dagara dans son aspect identitaire. Car, on s’est empressé de considérer les matronymes Somda, Dabiré, etc. comme les patronymes, au nom de la loi. Ainsi, dans le même foyer, on voit désormais les enfants d’une même femme, les uns Dabiré et les autres Somé au nom de la loi parce que leur père est Somé.

On a même vu des préfets profiter de l’établissement d’une carte d’identité burkinabé pour transformer des Somda quinquagénaires en Dabiré au nom de cette même loi, sans se soucier qu’ils faisaient du faux ; puisque l’identité de la personne est différente de celle de la source (carte de famille ou acte de naissance, par exemple). En ont-ils même le droit ? Ne sommes-nous pas nous-mêmes, par notre silence coupable, en train d’être les fossoyeurs de notre culture ? Pouvons-nous accuser ces préfets d’assassiner notre culture si nous même avons été les premiers à nous faire hara-kiri ?

Depuis la nuit des temps, on a entendu çà et là des questions souvent teintées d’ironie ou de dédain sur le système matrimonial dagara : « Pourquoi prenez -vous les noms de vos mères ?... ce n’est pas normal » ; face à ces questions, certains intellectuels Dagara, peut-être par complexe d’infériorité vis-à-vis de leurs amis des autres ethnies, ont cru entrer dans la mouvance en donnant à leurs enfants leurs matronymes, comme pour dire à leurs amis : "Vous voyez, moi je fais comme vous" et échapper aux questions gênantes du « pourquoi donnez vous le nom de votre femme à vos enfants ? ». Ils l’ont fait, comme une meilleure preuve de leur paternité. Coup d’épée dans le vent. Or, si complexe il devait y avoir, ce serait, à mon sens ; plutôt celui de supériorité, car deux est supérieur à un ! Métuolè + Somda (2) et Ouédraogo (1), ce n’est pas la même chose. Et maintenant que devons nous faire ?

J’en appelle à un changement d’attitude vis-à-vis de notre culture. J’en appelle d’abord aux intellectuels Dagara, qui, les premiers, ont jeté la première pierre en donnant à leurs enfants légitimes nés de femmes dagara, leurs propres matronymes. Soyons fiers d’être Dagara. Si donc nous ne pouvons pas ajouter un plus à notre culture, évitons de la souiller, de créer un désordre social à moyen et long termes, et de paraître devant l’histoire comme un peuple qui a honte de lui-même alors que nous aimons bien nous taper la poitrine. Il ne faut pas se débiner en disant : « Hof ! Ce n’est que du papier ! » Non ce n’est pas que sur papier, nous savons bien ce qui résiste le mieux à l’épreuve du temps. D’ailleurs, quel est le mobile de toute cette gymnastique intellectuelle ? Problèmes de pension ? De nationalité ?... Je ne crois pas que ce soit les vrais mobiles. Nos ancêtres n’étaient tout de même pas insensés ; l’étaient-ils ?

Faisons donc apparaître sur les actes de naissances de nos enfants, nos patronymes comme le veut la loi, suivi des matronymes de leurs mères à la rubrique prénoms par exemple. Les enfants ne nous appartiendraient pas moins. Encourageons nos frères illettrés à faire de même. Nous n’en serons que plus citoyens, plus Dagara et plus intellectuels. Nous contribuerons ainsi à la sauvegarde de notre culture, et nos ancêtres nous le revaudrons. J’en appelle aux agents administratifs affectés dans notre région. Demandez à nos frères illettrés de donner leur « doglu » à leurs enfants, car c’est cela le patronyme. On ne peut pas décider unilatéralement que Dabiré devienne un patronyme. Ou alors on arrête tout cela et on nous donne des numéros, si rien n’est important, si tout se vaut.

Enfin à l’heure actuelle, où tout se conjugue au féminin, ne trouvez pas paradoxal que nous nous acharnions contre la femme dagara, dans ce qu’elle a de plus valorisant alors que nous étions en avance sur le monde ? Y a-t-il signe d’unité ou d’appartenance mutuelle plus visible que ce tandem "Doglu_bèlu" selon le code des personnes et de la famille dagara ? Je pourrais paraître un peu passéiste, réactionnaire, démodé ou que sais-je encore. Mais, j’ai une conviction. Tout progrès doit être source d’un mieux-être. Quel mieux-être proposez-vous aux Dagara en obligeant nos enfants à prendre les matronymes de leurs pères ? Que Dieu, qui a inspiré cette sagesse à nos ancêtres, nous bénisse et nous aide à aimer ce que nous avons de bien.

Fraternellement votre.

(1) L’héritage est l’une des fonctions du matronyme * Kountièti : kûuceti selon l’alphabet dagara

Observateur Paalga

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