Actualités :: Burkina : L’arabe, langue oubliée de la réforme constitutionnelle (...)

Mamadou Lamine Sanogo, directeur de recherches en sociolinguistique se demande pourquoi l’arabe n’a pas été nommément cité au même titre que l’anglais et le français dans la constitution burkinabè réformée qui a élevé les langues nationales au rang de langues officielles et le français et l’anglais au statut « de langues de travail ». Dans les lignes qui suivent, il analyse, entre autres, la place et le rôle de cette langue dans le dispositif institutionnel du Burkina, y compris dans la législation linguistique.

« Quand vous comptez vos amis, tous ceux que vous oubliez tombent automatiquement dans le groupe de vos ennemis ».
Proverbe africain

Si la réforme constitutionnelle de décembre 2023 a marqué une rupture avec l’ordre ancien en élevant les langues nationales « officialisées par loi » au rang de langue officielle et le français et l’anglais au statut « de langue de travail » (article 35 révisé), dans cette révision constitutionnelle, une grosse surprise est le silence total sur le cas de la langue arabe. En effet, il n’y a aucune mention de cette langue dans la réforme constitutionnelle alors qu’elle a fait l’actualité dans des dossiers récents comme l’implication de l’État dans les écoles d’enseignement arabe, par l’érection de médersa publiques à travers le projet PREFAA .

La question principale est donc de savoir : Pourquoi la réforme constitutionnelle ne fit-elle aucune référence à la langue arabe ? Quand on sait qu’elle est présente dans notre système éducatif bien avant le français, on est en droit de se demander ce qui a motivé cette situation. Quand on sait qu’il y a eu des établissements d’enseignement arabe exclusivement contrairement au cas de l’anglais, il convient de se demander s’il s’agit d’un oubli ? Ou encore, si l’on voit le contraste entre la progression du nombre d’établissements et la régression de cet ordre d’enseignement sur le plan institutionnel, on se demande si cela n’a pas un lien avec sa non figuration dans la nouvelle réforme.

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Pour rappel, sur le plan institutionnel, on est passé de Direction Générale de l’enseignement arabe du MEBA au Service de l’enseignement arabe au MENAPLN . Ou encore sur le plan économique malgré le regain d’intérêt pour les échanges avec les pays du monde arabe et ou enfin sur le plan diplomatique où l’arabe est l’une des langues de travail de l’Union Africaine… on ne peut que se poser des questions surtout que l’auteur lui-même qu’est l’État ne communique pas beaucoup sur cette réforme laissant libre cours aux spéculations de toute sorte, y compris la désinformation. De tout ce qui précède, on est en droit de se demander pourquoi l’arabe n’a pas été nommément cité au même titre que l’anglais et le français dans cette constitution réformée ?

Dans les lignes qui suivent, nous allons nous interroger sur la place et le rôle de cette langue dans le dispositif institutionnel de notre pays, y compris dans la législation linguistique. En d’autres termes, il s’agit de s’interroger sur ce que vont devenir les locuteurs de cette langue et plus spécifiquement les établissements d’enseignement arabe dont le nombre est de plus en plus important. Cette attitude ne va-t-elle pas ternir davantage l’image déjà négative de ces écoles auprès de l’opinion publique ? Quel sera donc l’avenir des écoles et universités arabophones en gestation accueillent les arabisants ? Et le département d’arabe de l’Université Joseph Ki-Zerbo va-t-il survivre aux conséquences de cette réforme linguistique ? Les diplômés des établissements d’enseignement arabe qui ont déjà du mal à se positionner sur le marché de l’emploi ne voient-ils pas leur situation s’aggraver ? Et sur le plan religieux, les 80 à 85% de musulmans -suivant les régions- qui considèrent cette langue comme la « langue sacrée du coran » ne vont-ils pas prendre cette attitude comme une mesure de glottophobie envers leur langue et partant, envers leur religion ?

Nous partons selon laquelle de l’hypothèse les attitudes et considérations envers une langue a des conséquences sur les rapports avec la communauté linguistique. Autrement dit, si vous accordez une considération à une langue, la communauté qui s’y identifie se trouve ainsi valorisée, voire glorifiée. En revanche, le contraire peut être considéré comme une stigmatisation, une discrimination, une haine, voire « une guerre des langues », pour reprendre le titre d’un ouvrage faisant référence sur ce sujet en sociolinguistique .

Le premier intérêt de ce texte est qu’il vient à un moment où des arabophones s’indignent devant le silence brouillant et très manifeste sur le cas de la langue à laquelle ils s’identifient en tant que communauté linguistique avec ses ressentis et ses motivations. Ensuite, l’arabe étant considérée comme « langue sacrée » du Saint Coran, de nombreux adhérents à cette confession religieuse s’interrogent sur les intentions réelles du gouvernement, surtout au moment où l’État a lui-même construit des établissements d’enseignement franco-arabe et a ouvert un département d’arabe à l’Université Joseph Ki-Zerbo. De même, l’histoire du rapport conflictuel entre l’arabe et le français dans notre espace rappelle des souvenirs douloureux d’intellectuels arabophones taxés de « lettrés fanatiques », déportés, voire fusillés ou même décapités . Si l’administration moderne francophone prend cette décision, il va sans dire que l’on ne peut pas empêcher les arabophones de penser à « une poursuite des opérations », pour paraphraser une certaine presse.

Le déroulé des présentes réflexions comportera deux parties essentielles. Dans un premier temps, faire l’historique de l’enseignement l’arabe dans notre pays à travers son usage dans le système éducatif. Ensuite, en second lieu, nous allons nous pencher sur les implications socio-politiques de la réforme constitutionnelle de décembre 2023. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de présenter l’arabe aussi bien dans sa typologie que dans son rayonnement géostratégique actuel.

Ainsi, il faut noter que l’arabe qui est une langue du groupe sémitique de la famille chamito-sémitique (ou afro-asiatique), est l’une des langues les plus répandues en Afrique. Langue officielle des 11 États sur les 56 que compte le continent, l’arabe est l’une des langues de travail dans les organisations internationales et à ce titre, elle occupe une place de choix dans les grandes tribunes comme celle de l’Union Africaine. 4ème langue démographique au monde après le chinois, l’espagnol et l’anglais avec environ 200 000 000 de locuteurs, elle fait partie des 5 langues internationales en usage dans les grandes tribunes internationales. Aujourd’hui, l’arabe est langue officielle de 23 pays du monde dont 11 en Asie, 11 en Afrique et 1 en Europe (Malte).

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L’historique de cette langue dans la zone Afrique de l’Ouest puis dans la colonie de Haute-Volta monte que « l’enseignement arabe » -terminologie coloniale occidentale- a contribué à la formation des premières élites africaines en Afrique de l’Ouest même si la politique linguistique coloniale a fini par les exclure pour des raisons idéologiques et économiques. Pour rappel, la langue arabe a une implantation historique remontant à très loin car elle se situerait aux environs du VIIè dans certaines zones historiques, notamment l’Ouest, de notre territoire actuel. D’après Ki-Zerbo J. il y avait des lettrés en langue parmi les esclaves déportés en Amérique et ces derniers ont joué des rôles importants dans la mémoire de l’esclavage, dans l’éclosion de la littérature afro-américaine et surtout dans les sciences et technologie. Quand on sait qu’on pouvait être condamné à mort juste parce qu’on savait lire et écrire dans les champs de coton, ces derniers ont réussi tout de même à « sauver » la mémoire des déportés.

De même, outre les théocraties comme le Macina, le Foutta Toro, le Foutta Dialon, le Royaume dioula de Kong… l’arabe a été la langue de conseillers marabouts auprès de rois comme au Ghana, puis le Mali et le Songhay avec les Ibadites. L’instruction religieuse de la classe politique et l’influence des familles maraboutiques ne passent pas inaperçue lorsqu’on qu’on se penche un instant sur l’organisation, le système éducatif, le fonctionnement des cours royales ainsi que la tenue des procès et autres juridictions bien organisées. Dans le domaine des relations diplomatiques, les Mandé-dioula – ces principaux agents de l’expansion de l’islam- ont contribué, à n’en pas douter au rayonnement politique et économique des peuples du mandé à travers les routes du commerce transsaharien ainsi que l’islam porté par cette même langue.

Plus près de nous, à la période coloniale, l’arabe a joué un rôle important dans l’histoire coloniale de notre pays ; car été utilisée par de nombreux lettrés résistants comme barrière à « la mission civilisatrice ». Nous avons Hamed Baba Sanogo dans le Dafinna (Lanfiera), Sekou Tall dans le Macina et Samory Touré dans le Wasulu.

Sur le plan de l’éducation, l’arabe peut être considérée comme la première langue ayant été portée par un système éducatif formel par l’introduction des écoles coraniques en rupture avec les cercles d’initiation dont le cycle est annuel, souvent 7 ans, voire 40 ans chez certains comme les Toussian et les Sèmè au Burkina Faso. Puis vinrent les écoles franco-arabes créées par Louis Léon César Faidherbe (1818-1889) dans le but de s’approprier et contrôler le système éducatif jusqu’à présent dominé par les lettrés musulmans.

Ainsi, dès sa prise de fonction, il réorganise l’école et impliqua les marabouts dans la politique scolaire qu’il entendait développer dans la colonie. S’appuyant sur l’arrêté du 31 octobre 1848 promulguant dans la colonie le décret du 27 avril 1848 du gouvernement provisoire sur l’instruction publique, il créa la première école laïque en mars 1857 dans le quartier Nord de Saint-Louis, capitale de la colonie à cette période. La même année, un arrêté réglementait les écoles coraniques communément appelées Daara ».

Puis, après une série de réformes sur l’usage des langues dans les tribunaux et les écoles, il fit par créer les écoles franco-arabes par un arrêté du 22 juin 1870 ou l’enseignement est dispensé dans les deux langues que sont l’arabe et le français. La même année , un arrêté viendra réglementer la gestion des langues au niveau de ces écoles :
Art. 3 : « Les enfants qui suivent les écoles musulmanes devront y apprendre à parler le français. Ceux qui, au bout de deux ans, ne sauront pas se faire comprendre couramment dans cette langue ne suivront plus lesdites écoles, et ne pourront plus fréquenter que l’école des frères ou l’école laïque ».

Art. 4. L’interdiction de tenir une école musulmane sera prononcée contre ceux dont les élèves ne satisferont pas à cette obligation, au bout de deux ans ».
Art. 5. En vue d’encourager l’étude de la langue française, il sera procédé, tous les ans, au mois de décembre, à un concours général entre tous les élèves des écoles musulmanes. Des prix en argent et en livre seront distribués à ceux qui satisferont le mieux aux épreuves de ce concours. »

Comme on le voit, plus qu’une volonté d’ouverture, il faut noter que cette stratégie vise à mettre l’enseignement arabe sous-surveillance et contrôler l’influence des « lettrés fanatiques ».

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Et enfin, arrivent les médersas par les salafistes, notamment les sortants de l’Université Al-Azhar du Caire ou de Damas en Siri. Ils obtiendront l’ouverture de la première école en Afrique de l’Ouest à Ségou en 1949 avant de se déployer à Nouna en 1953 puis, à Bobo-Dioulasso en 1954. Dans le contexte burkinabè, une medersa est un établissement d’enseignement confessionnel musulman dont la langue médium est l’arabe. L’introduction de ces écoles beaucoup plus modernes s’inscrit dans un regain d’intérêt pour un « islam pur » considéré par ses promoteurs comme plus proche de ses origines la sunna.

A ce jour, les établissements d’enseignement arabe gagnent du terrain face à l’échec de l’école en français. Si l’enseignement secondaire public est essentiellement urbain, il faut reconnaître qu’il y a plus d’établissements d’enseignement arabe dans le pays. En effet, l’enseignement arabe représente plus de la moitié de l’enseignement privé et plus de 70%, voire 90% des offres éducatives respectivement dans la Boucle du Mouhoun et au Nord du pays.

Des études ont estimé que le taux de scolarité tomberait à moins de 5% sans ces établissements. De même, les multiples crises qui ont secoué le système éducatif national depuis les années 1980 ont fini par créer les conditions d’une « revanche de l’enseignement arabe » (Otayek R 1993) . Par conséquent, nous assistons, dans certaines localités, notamment dans le Houet Nord « au retour des enfants » vers les écoles d’enseignement arabe qui répondent le mieux aux besoins éducatifs de la communauté comme nous avons pu le noter lors du forum sur l’éducation tenu en 2009 à Ouagadougou.

Des parents avaient émis le vœu d’introduire l’arabe et l’enseignement religieux dans les établissements publics de l’État. « L’État est laïc » a été la seule réponse à eux proposée par ces institutionnels garants de la laïcité et du rôle régalien de l’État. Où en sommes-nous aujourd’hui ? De même, on note que non seulement ces écoles « récupèrent les déchets » de la crise du système éducatif national francophone, mais elles forment également des acteurs économiques très performants qui impactent sur le tissu économique actuel du pays.

Malgré donc l’importance de cet ordre d’enseignement dans l’histoire de notre système éducatif et dans son actualité, on est donc en droit de se demander quelles sont les implications cette réforme ?

Notons d’entrée, que les acteurs de l’enseignement arabe se répartissent en deux grands groupes : 1. Les écoles coraniques et 2. Les écoles franco-arabes et les médersas. Les écoles coraniques péjorativement appelées « foyers coraniques » surtout par les acteurs institutionnels du système éducatif sont, comme nous l’avons vu plus haut, les premières formes d’écoles après les cercles d’initiation. Très liées à l’expansion de l’islam, elles réunissent « des enfants confiés » à un marabout qui organisent l’ordre d’enseignement suivant des méthodes d’encadrement de proximité.

La langue d’enseignement est exclusivement l’arabe. Cependant, nous assistons actuellement à l’introduction du français oral, sans doute pour des besoins de marketing. Les sortants de ces écoles apprennent le plus souvent le français « sur tas » et sont injustement taxés de locuteurs du français « des non lettrés » alors qu’ils sortent d’une longue scolarité méconnue, voire ignorée par l’Etat. Certains cadres du ministère en charge de l’éducation sont allés jusqu’à nous dire que « ces foyers coraniques n’ont même pas de programme », ce qui révèle souvent le degré de mépris envers ces écoles.

Quant aux écoles franco-arabe et médersa, les deux termes semblent être utilisés comme des synonymes alors que nous avons démontré que les premières sont la réponse de l’administration coloniale à une situation et les secondes des produits d’importation de réformistes musulmans. Dans ces établissements, le volume des heures d’enseignement de la langue arabe oscille entre 30 et 70% suivant les établissements. Ceux créés par l’Etat avec l’appui du projet PRFAA tentent d’amener les autres vers une harmonisation des programmes, conditions préalables à la reconnaissance des titres et diplômes délivrés par ces écoles. Il va falloir trouver l’astuce nécessaire pour rassurer ces promoteurs que la mesure qui ne cite pas nommément leur médium et matière n’est pas destinée à les exclure.

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Enfin, si les établissements d’enseignement supérieur arabophone sont une nouveauté dans les offres de formation dans notre pays, elles prolifèrent aujourd’hui et accueillent des jeunes burkinabè en quête de qualification. Les profils suivants eu égard aux formations initiales reçues sont :

• Lettres et arts,
• Langues,
• Communication journalisme,
• Sciences humaines et sociales,
• Sciences et technique,
• Informatique et électronique,
• Génie civil,
• Marketing,
• Ingénieries diverses,
• Théologie…

Les sortants de ces établissements pourront-ils se positionner sur le marché de l’emploi avec les mêmes chances que ceux des établissements francophones ?
Pour terminer, rappelons que les rapports entre le français et l’arabe, dans notre espace historique, ont été marqués par des conflits très violents au point de laisser des stigmates dans les relations entre ceux qui se considèrent comme les dignes et légitimes descendants des marabouts et autres intellectuels massacrés et ceux considérés comme la relève de l’administration coloniale. Par conséquent, toute approche vers ce pan de notre histoire qui aborde le sujet de l’arabe et l’islam doit intégrer ce passé douloureux au risque de soulever des souvenirs désagréables. Et c’est bien à ce titre que l’on dit que s’il y a une histoire des langues, elle est le versant linguistique de l’histoire des communautés.

Mamadou Lamine SANOGO
Directeur de Recherches en sociolinguistique

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