Actualités :: Burkina Faso : 63 ans (1960-2023) d’indépendance = 14 ans de pouvoir civil, (...)

Dans cette tribune, le général à la retraite Pr Robert T. Guiguemdé, bat en brèche l’idée communément admise selon laquelle il y a eu plus d’années de pouvoir militaire que civil. Continuer à propager dans les médias que sur les 63 ans d’indépendance du Burkina Faso il n’y a eu que 14 ans de pouvoir civil, n’est pas faire preuve de bonne foi ni d’honnêteté intellectuelle, assène-t-il après avoir sorti la calculette pour en faire la démonstration.

« Ceci est une analyse d’un militaire retraité sur la question.

 La réponse à cette question est : « affirmatif » pour certains politiciens, certains intellectuels de la société civile et certains journalistes. C’est leur leitmotiv dans les médias depuis juin 2023.

Voici leurs décomptes réitérés depuis lors :

- les pouvoirs civils seraient : celui de Maurice Yaméogo = 6 ans (1960-1966) ; celui de Michel Kafando = 1 an (2014-2015) et celui de Roch Kaboré = 7 ans (2015-2022). Total=14 ans.

- les pouvoirs militaires seraient : celui de Sangoulé Lamizana = 14 ans (1966-1980) ; celui de Saye Zerbo = 2 ans (1980-1982) ; celui de Jean-Baptiste Ouédraogo = 9 mois (novembre 1982-août 1983) ; celui de Thomas Sankara = 4 ans (1983-1987) ; celui de Blaise Compaoré = 27 ans (1987-2014) ; celui de Isaac Zida = 21 jours (1er-21 novembre 2014) ; celui de Paul Henri Damiba 8 mois (24 janvier 2022- 30 septembre 2022) et celui en cours de Ibrahim Traoré depuis le 2 octobre 2022. Total = 49 ans.

La réponse à la question est : « négatif » pour d’autres personnes, en ce qui concerne les pouvoirs de Lamizana et Blaise Compaoré. Explication :

1/De 1966 à 1980 le pouvoir de Sangoulé Lamizana avait-il été tout ce temps un pouvoir militaire ?

En 1978, Lamizana a été élu président de la république, soutenu par un parti politique, à la suite d’élections présidentielles et législatives multipartites. Un président de l’assemblée nationale (civil) a été élu par les députés et un premier ministre (civil) issu de la majorité a été nommé. De 1978 à 1980, les députés d’une part, qui votaient les lois, contrôlaient l’action du gouvernement, et d’autre part le gouvernement, « exécutaient-ils littéralement des ordres de militaires sans hésitation ni murmures » ? Pendant ces 2 ans, la gestion du pouvoir d’Etat était-elle aux mains de l’Armée ? Si on a un minimum de bonne foi la réponse est « négatif ». Le pouvoir militaire de Lamizana était donc de 12 ans (1966 -1978) au lieu de 14 ans.

2/De 1987 à 2014 le pouvoir de Blaise Compaoré avait-il été tout ce temps un pouvoir militaire ?

De 1991 à 2014, Blaise Compaoré était-il sous un statut militaire, ne portant jamais de tenue militaire, et avec le même grade de Capitaine sans avancement pendant 23 ans ?

De 1991 à 2014 Blaise Compaoré avait toujours été élu et réélu président du Faso, candidat d’un parti politique, à la suite d’élections présidentielles et législatives multipartites, avec des députés élus par le peuple et des premiers ministres civils. Ces députés avaient-ils été votés par l’Armée ? Ces députés qui votaient les lois, et les premiers ministres avec leurs gouvernements « exécutaient-ils littéralement des ordres de militaires sans hésitation ni murmures » ? La bonne foi et l’honnêteté intellectuelle voudraient de reconnaître que de 1991 à 2014 la gestion du pouvoir d’Etat n’était pas aux mains de l’Armée ; donc pendant ces 23 ans le pouvoir de Blaise Compaoré était un pouvoir civil.

3/De 1959 à 1969, le pouvoir du Général De Gaulle, élu président de la république française, avec pour premiers ministres Michel Debré, Georges Pompidou, Couve de Murville, est-il considéré par les français comme un pouvoir militaire ? La réponse est assurément « négatif ».

Ainsi donc, un pouvoir n’est pas à considérer comme pouvoir militaire si le chef de l’Etat est un militaire ou ancien militaire élu par le peuple.

4/De l’avènement des militaires au pouvoir au Burkina Faso

C’est suite à une insurrection populaire orchestrée par des syndicalistes et des politiques appelant « l’Armée au pouvoir » que celle-ci a pris le pouvoir le 3 janvier 1966, à son corps défendant. Ainsi ici le qualificatif de coup d’état militaire n’est pas consensuel pour tout le monde.

Le premier gouvernement de Lamizana a vu comme membres, parmi les civils, de jeunes officiers intellectuels issus de grandes écoles militaires françaises. Cela a ouvert les yeux désormais aux officiers qu’ils pouvaient être membres de gouvernement et jouir des privilèges dévolus aux hommes politiques. Cela a aussi ouvert les yeux à des intellectuels civils qu’ils pouvaient participer à la gestion du pouvoir à côté de militaires après les avoir incités à prendre le pouvoir.

Le coup d’état de 1982 du Conseil du Salut du Peuple (CSP1) contre Saye Zerbo a été mené par des jeunes officiers principalement membres du Regroupement des Officiers Communistes (ROC) créé en 1976. Il s’agit d’officiers qui avaient été recrutés secrètement et formés à l’idéologie politique par leurs enseignants et des politiques pendant qu’ils étaient élèves au Prytanée Militaire de Kadiogo (PMK). C’est le cas de Thomas Sankara et d’autres. Ces recrutés, idéologiquement « formatés », étaient au départ ceux qui sont arrivés au PMK à partir de la classe de seconde, donc ayant déjà participé à des mouvements syndicaux dans leurs établissements civils ; ce qui n’était pas le cas de leurs camarades qu’ils ont trouvés au PMK et qui y étaient depuis la classe de 6ème. Eux étaient plutôt « formatés » à la discipline militaire traditionnelle.

Sous le Conseil National de la Révolution (CNR), 1983-1987, il a été inculqué l’idée selon laquelle « un militaire sans formation politique et idéologique est un criminel en puissance ». Peut-on alors déplorer que par la suite les militaires s’intéressent à la politique et à la gestion du pouvoir d’Etat ? Le gène de la politique introduit dans l’ADN de l’Armée, a fait d’elle une sorte d’organisme génétiquement modifié (OGM). La propagande actuelle dans les médias qui dit que « la place de l’Armée c’est dans les casernes » devrait plutôt travailler à extirper ce gène pour changer la mentalité contraire qui avait été inculquée.

5/De la motivation des coups d’état

 Coups d’état militaires contre les pouvoirs civils.

C’est la mal gouvernance par des pouvoirs civils qui a entrainé les coups d’état militaires contre les pouvoirs civils : coup de 1966 contre le pouvoir de Maurice Yaméogo ; coup de 1980 contre le pouvoir civil (1978-1980) de Sangoulé Lamizana ; coup de 2014 contre le pouvoir civil (1991-2014) de Blaise Compaoré ; coup de 2022 contre le pouvoir de Roch Kaboré.

 Coups d’état militaires contre les pouvoirs militaires.

Ce sont des divergences idéologiques entre militaires, attisées par des intellectuels civils, qui ont entrainé les coups d’état militaires contre des pouvoirs militaires : coup de 1982 du Conseil du Salut du Peuple (CSP1) de Thomas Sankara et Jean-Baptiste Ouédraogo contre le Conseil Militaire de Redressement pour le Progrès National (CMRPN) de Saye Zerbo ; coup de 1983 du Conseil National de la Révolution (CNR) de Thomas Sankara contre le CSP2 de Jean Baptiste Ouédraogo ; coup de 1987 du Front Populaire (FP) de Blaise Compaoré contre le Conseil National de la Révolution (CNR) de Thomas Sankara ; coup de 2022 du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR2) de Ibrahim Traoré contre le MPSR1 de Paul Henri Damiba.

Une mention spéciale est à faire pour le cas du coup de 1987 de Blaise Compaoré contre son ami Thomas Sankara, au regard du rôle négatif joué par des politiciens civils ; ceux-ci ont contribué à opposer les deux camps militaires, avec, se rappelle-t-on, les tracs meurtriers qui circulaient à Ouagadougou peu avant le coup. Et ce qui pouvait arriver arriva.

6/De la participation de civils dans la gestion des pouvoirs militaires

Dans la genèse des coups d’état il y a toujours eu des civils qui, dans l’ombre, y ont incité les militaires. Sans la complicité et la collaboration de politiques et de politiciens civils, des militaires ne peuvent pas prendre et exercer seuls le pouvoir d’Etat. Aucun des pouvoirs militaires n’a été exclusivement exercé à 100% par des militaires. Dans les pouvoirs militaires il y a toujours eu plus de civils que de militaires dans les gouvernements. Peut-on penser une seule seconde que les civils qui ont participé à des pouvoirs militaires agissaient en marionnettes, qu’ils « exécutaient littéralement des ordres de militaires sans hésitation ni murmures » ? C’est avoir une courte vue que de penser que lorsqu’un chef d’état est militaire le pouvoir d’Etat est militaire.

7/De la prise de leurs responsabilités par les civils pour l’exercice du pouvoir d’Etat

Les civils ou souvent poussé les militaires à renverser les pouvoirs en place, non pas pour s’accaparer eux-mêmes du pouvoir, mais plutôt pour ensuite tirer les marrons du feu des militaires. La complicité et la collaboration de politiques et de politiciens civils n’ont jamais été faites sans intérêt. Cela est surtout illustré par les coups d’état de 1983 et 2014. En 1983, des intellectuels civils membres du gouvernement du CNR s’énorgueillissaient d’être à côté des officiers du Regroupement des Officiers Communistes (ROC) qu’ils avaient idéologiquement formés.

En 2014 lors de l’insurrection populaire, à défaut de demander au président de l’Assemblée nationale de remplacer le président déchu conformément aux dispositions de la Constitution, ou de faire appel au chef de file de l’Opposition, on a vu des intellectuels de la société civile appeler l’Armée à prendre le pouvoir ; et ceci au détriment d’une femme politique civile que des insurgés voulaient investir.

Aux élections présidentielles démocratiques de 2020, on a vu un parti politique créé et dirigé par des grands intellectuels, proposer un militaire comme candidat de leur parti à la présidence du Faso, au lieu d’aller eux-mêmes au charbon. Si ce candidat avait été élu, son pouvoir aurait-il été considéré comme pouvoir militaire ?

CONCLUSION

 63 ans d’indépendance du Burkina Faso = 14 ans de pouvoir civil.
Est-ce exact ?

Ma réponse est : « Négatif ». C’est 39 ans au lieu de 14 ans.
Soit : Maurice Yaméogo = 6 ans ; Lamizana = 2 ans ; Blaise Compaoré = 23 ans ; Roch Kaboré = 7 ans ; Michel Kafando = 1 an.

 63 ans d’indépendance du Burkina Faso = 49 ans de pouvoir militaire. Est-ce exact ?

Ma réponse est : « Négatif ». C’est 24 ans au lieu de 49 ans.
Soit : Lamizana = 12 ans ; Saye Zerbo = 2 ans ; CSP et CNR = 5 ans ; Blaise Compaoré = 4 ans ; MPSR = 1 an.

Il y a donc eu plus d’années de pouvoir civil (39 ans) que d’années de pouvoir militaire (24 ans).

Continuer à propager dans les médias tout le temps que sur les 63 ans d’indépendance du Burkina Faso il n’y a eu que 14 ans de pouvoir civil, n’est pas faire preuve de bonne foi ni d’honnêteté intellectuelle. C’est falsifier l’histoire et induire en erreur la jeune génération qui n’a pas vécu les périodes concernées ; une désinformation à dessein ; à quelle fin ?

Au lieu de la propagande actuellement orchestrée par des politiciens et des intellectuels de la société civile qui dit que « la place de l’Armée c’est dans les casernes » il faut plutôt faire un travail de conscientisation des masses, exhortant les civils à ne plus utiliser les hommes des casernes pour accéder à la gestion du pouvoir, dans l’ombre. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, pour que l’Armée reste dans les casernes, comme c’était le cas de 1960 à 1966, il faut que le pouvoir d’Etat soit géré par des gouvernants vertueux, des hommes et des femmes intègres, mus par un sens élevé de patriotisme, ayant donc une gestion des affaires de l’Etat sans favoritisme, sans détournement des deniers publics, sans corruption, sans impunité. Conséquemment le pays retrouvera une Armée nationale entièrement républicaine, faite d’éléments vertueux, disciplinés, loyaux, intègres, patriotes.

Honneur, Dignité, Intégrité morale, Intégrité territoriale, Paix au Faso ! »

M. Robert Tinga GUIGUEMDE

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