Actualités :: « Fiducia supplicans », le Vatican et l’Afrique : Un chemin de Croix au Temps (...)

Comme un pavé dans la mare des Catholiques romains en Afrique, le cadeau de Noël du Pape François s’avère irrecevable pour de nombreux fidèles. Le document signé par le souverain pontife, Fiducia supplicans, perturbe les fêtes de la Nativité, bien plus, il dérange, interroge, révolte aussi bien les chrétiens que les autres confessions du continent. Ces derniers partagent les mêmes traditions et mœurs relatives aux comportements humains. Autopsie et chronique d’une annonce sujette à la désobéissance la plus retentissante des Catholiques romains d’Afrique face au Vatican.

1. Le message de « Fiducia supplicans » (traduction « La confiance suppliante »)

À l’origine de ce document signé par le Pape. Le document a été présenté par le Préfet Víctor Manuel Card. FERNÁNDEZ et le Secrétaire pour la Section Doctrinale Monseigneur Armando MATTEO. Le titre complet du document est « Déclaration Fiducia supplicans sur la signification pastorale des bénédictions ». C’est le dicastère (ministère) pour la doctrine de la foi, un organe habilité à promulguer ce genre d’orientation qui s’est penché sur son contenu.

Quelle force doctrinale possède cet écrit ? Il est bien précisé ceci : « Étant donné que “la Curie romaine est avant tout un instrument au service du successeur de Pierre” (Const. ap. Praedicate Evangelium, II, 1), notre travail doit favoriser, outre la compréhension de la doctrine pérenne de l’Église, la réception de l’enseignement du Saint-Père. » Cette déclaration a été approuvée par le Pape, donc elle détient une haute autorité magistérielle. Par conséquent, en tant que chrétiens relevant du Saint-Siège, tous les Catholiques du monde doivent suivre cette directive, au risque d’un manquement grave à leur promesse d’obéissance. On est loin du dogme de l’infaillibilité papale, toutefois le Pape représente un summum : celui de la plus haute autorité morale dans le catholicisme romain.

L’objet central du document est composé d’un long enseignement sur le concept même de la bénédiction et de ses significations liturgiques et théologico-pastorales. À priori, il n’y a pas de contradictions notoires.

2. D’où vient le « scandale » de Fiducia supplicans ?

Cette déclaration, parmi d’autres directives, ouvre la « bénédiction » aux couples de même sexe. « […] ce Dicastère a considéré diverses questions, formelles et informelles, sur la possibilité de bénir les couples de même sexe et sur la possibilité d’offrir de nouvelles clarifications, à la lumière de l’attitude paternelle et pastorale du Pape François » (N° 2).

Avec soin, le dicastère explicite, démontre, illustre sa proposition, en prenant l’exemple sur le Christ et les sacrements de l’Église. « L’Église est ainsi le sacrement de l’amour infini de Dieu. C’est pourquoi, même lorsque la relation avec Dieu est obscurcie par le péché, il est toujours possible de demander une bénédiction […] » (N° 43). Le document pose déjà des questions sur son caractère : obligation ou autorisation ? Dans tous les cas, le document est publié et signé. Il garde sa valeur doctrinale certes, mais semble perdre sur le terrain pastoral. En effet, il n’y a pas que la doctrine d’une Église, il y a aussi la Bible qui selon les chrétiens baptisés de la planète est considérée comme « Parole de Dieu ».

3. Comment réagissent les Catholiques dans le monde ?

En considérant les vives réactions du moment, force est de constater ce que les médias laissent entendre à travers le monde. Les « pros » et les « antis » se prononcent par convictions interposées.

En Occident : « Des bornes sévères sont posées et même si des termes stigmatisants demeurent dans le texte, même si la doctrine et le Catéchisme de l’Église Catholique ne bougent pas, nous choisissons de voir le verre à moitié plein. Les clercs ordonnés sont désormais autorisés à donner la bénédiction de Dieu pour accompagner les couples de même sexe dans leur chemin vers le Christ, c’est une bonne nouvelle ! ».

« Le fait que le Vatican confirme maintenant cette position est une grande aide. Et pour l’ensemble de l’Église mondiale, c’est un grand pas en avant. » « Geert De Kerpel, porte-parole des évêques flamands dans Het Nieuwsblad du 19/12/2023 »
L’évêque autrichien Josef Marketz, du diocèse de Gurk, s’est déclaré « heureux et reconnaissant » pour ledocument et l’a qualifié de « pas important pour une Église ouverte ».

« L’intention très pastorale et l’esprit du texte — qui encadre strictement cette pratique — ne vont pas dans ce sens simpliste, mais la déclaration, intitulée “fiducia supplicans”, a été perçue et saluée, notamment par la communauté LGBT+. ».

En Afrique : « Nous interdisons formellement toutes bénédictions des “couples homosexuels” dans l’Église du Cameroun ».

« Au Malawi, neuf des 12 évêques et archevêques actifs ont signé le 19 décembre une “clarification” commune, déclarant qu’ils ne dispenseraient de bénédiction “d’aucune sorte” pour les couples homosexuels. »

« La conférence des évêques catholiques du Kenya a également rappelé que les relations homosexuelles ne sont “pas acceptées dans (leur) culture”.

« Au Nigeria également, la Conférence des évêques a affirmé qu’une telle disposition “contredit la loi de Dieu, les enseignements de l’Église, les lois de notre nation et les sensibilités culturelles de notre peuple”. Par la voix de son président, le cardinal Donatus Ogun, elle a invité les personnes homosexuelles à “s’engager sur le chemin de la conversion”.

« Nous vos Évêques et Pères de l’Église Famille de Dieu qui est au Burkina Faso et au Niger ne voulons pas vous laisser dans l’embarras, l’incompréhension et l’inquiétude. C’est pourquoi nous vous invitons instamment à rester calmes et fermes dans la foi. »

En tout état de cause, sur les différents continents, les Catholiques disent haut et fort ce qu’ils pensent d’une telle déclaration provenant du plus haut sommet de l’Église romaine. Cependant, comment relire ce document et les circonstances qui l’entourent au second degré, surtout du point de vue de l’Afrique ?

4. L’Afrique et les questions relatives aux traditions et aux mœurs

Il n’est pas excessif de parler ici d’anthropologie culturelle, de l’Afrique et des religions traditionnelles africaines (RTA). Face aux mœurs modernes, issues entre autres de la révolution culturelle et sexuelle des années 1960 en Europe, les Africains sont toujours ancrés dans leurs « valeurs ». Les Africains ne sont pas des croyants selon la Bible uniquement, ils ont un autre « dépôt de la Foi en Dieu et de la Vie en abondance », qui est contenu dans leur « catéchisme traditionnel », celui qui s’enracine dans leurs traditions respectives. Un proverbe énigmatique dit : « Le mariage est un sac où l’on trouve quatre-vingt-dix-neuf serpents et une anguille. Qui osera y mettre la main ? » Cela s’entend des interdits intouchables du continent noir.

Assiste-t-on à une confrontation directe entre l’Occident chrétien moderne et l’Afrique des traditions orales ? Si en Europe, la « bénédiction » est séparée du « sacrement », en Afrique, les deux actes relèvent de la même intention de sceller, de vouloir du bien, de cautionner un état ou un comportement. L’Afrique encore une fois n’est pas « cartésienne », elle demeure « holistique » à tout point de vue. Surtout quand il s’agit de religion, de cultures et de mœurs. Une forme de sagesse des Anciens gouverne les sociétés, les interdits et les règles sociales. L’universalisme occidental est désormais contesté sur le terrain anthropologique africain.

5. Le premier refus historique des Églises catholiques romaines en Afrique

Quelles leçons hâtives peut-on tirer de cette déclaration ? Ce document relève d’une pédagogie cuisinée avec soin… mais mal digérée. Ce qu’on ne peut pas lui reprocher, c’est sa pédagogie empreinte d’explications et de sollicitudes. La définition et les caractéristiques de la bénédiction sont conduites avec dextérité et… paternité.
Cependant, des conséquences durables se dessinent en filigrane. Les Églises catholiques romaines en Afrique (c’est le nom complet des Catholiques africains) ne cessent pas de réagir depuis la publication du document. L’autorité morale du Pape François souffrira durablement en raison de cette décision contestée, contredite et désavouée. Certes, il faut distinguer l’homme de son rôle de chef d’Église. Que deviendrait la bénédiction du Pape François lui-même, s’il risquait un voyage en Afrique aujourd’hui ?

Une porte ouverte vers l’indépendance ou un « schisme » des Églises du Christ en Afrique ? En toute vraisemblance, la disjonction est consommée entre les Catholiques africains et les Catholiques occidentaux. C’est ce qui est convenu d’appeler un « schisme intérieur », tant les ressentis sont profondément douloureux.
De prime abord, un nouveau rapport de force est dorénavant établi entre ces deux « entités anthropologiques et culturelles ». Ensuite, pointent à l’horizon les futurs rejets sur tout ce qui touche l’orientation des mœurs occidentales, dictée à l’endroit des Catholiques romains (ou pas) en Afrique.

6. Et après « Fiducia supplicans » ?

En dépit des chrétiens qui existent partout dans le monde, l’Europe n’est pas l’Afrique et l’Afrique n’est pas l’Europe. L’universalisme du christianisme de Rome est aujourd’hui confronté à sa logique interne. Le pouvoir du Vatican, bien qu’ouvert à certains égards, a toujours prévalu jusque-là, nonobstant les différences culturelles des Catholiques de la planète. En des termes historiques et métaphoriques, les Africains qui se sont vus imposer le latin dans le passé refusent de parler à présent dans une langue occidentale que leurs traditions ne cautionnent guère.

Plusieurs scénarios pourraient être avancés. Soit, les experts du Dicastère n’ont pas évalué suffisamment les problématiques anthropologico-culturelles de l’Afrique, ou des autres continents similaires en matière de mœurs, soit ils sont emmurés dans une posture dogmatico-doctrinale exclusive, soit ils comptent sur le temps pour faire passer la pilule de l’obéissance et de l’allégeance au Saint-Père.

Dans tous les cas, le résultat reste le même, vu que l’erreur ne touche pas à la forme, mais au fond du message. De loin, cette désobéissance pastorale, publique, frontale marque une étape décisive dans les rapports entre le Vatican et les Romains d’Afrique.

Il est important de souligner un constat surprenant, en cours dans l’Afrique d’aujourd’hui, concernant sa jeunesse. En dépit de la modernité progressive du continent noir, les jeunes adhèrent massivement à ce coup de fronde, à cette véritable levée de boucliers, à cette crise majeure. C’est dire combien les traditions sont encore vivaces, sur le continent des « Martyres de l’Ouganda » et dans l’esprit des jeunes générations africaines.

Neree Zabsonré
Membre Union de la Presse Francophone (UPF)

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