Actualités :: Renaissance africaine : Un citoyen plaide pour « une Afrique de demain (...)

A l’occasion du 35e anniversaire de la disparition de Cheikh Anta DIOP, ce 7 février 2021, Mamadou Diallo, fonctionnaire en retraite, a voulu partager avec les lecteurs de Lefaso.net, une sorte d’Afrotopia (au sens de Felwine SARR) prospective, concrète et prescriptive qui aura pour ambition de conduire en l’espace de 2 à 3 générations et il espère, sans violence destructrice à une Renaissance africaine.

Cette utopie concrète fait écho aux propos mêmes de Cheikh Anta DIOP dans l’introduction de son œuvre éditée en 1981 à Présence Africaine « Civilisation ou Barbarie » : ‘’l’Africain qui nous aura compris est celui-là qui, après la lecture des nos ouvrages, aura senti naître en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion.

Aujourd’hui, chaque peuple, armé de son identité culturelle retrouvée ou renforcée, arrive au seuil de l’ère post-industrielle. Un optimisme africain atavique, mais vigilant, nous incline à souhaiter que toutes nations se donnent la main pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie. ‘’

J’en ai personnellement fait l’expérience en une certaine manière !
Ainsi, en ce qui me concerne, la fin de l’insouciance de jeunesse est intervenue avec un engagement dans le mouvement étudiant et le mouvement communiste qui ont alimenté une expérience administrative palpitante que j’ai cependant dû interrompre en août 2000 à mon corps défendant ; ce qui m’a conduit à approfondir une certaine rupture idéologique amorcée plus tôt et à m’engager dans l’action citoyenne professionnelle à la base.

Tout ce processus de maturation intellectuelle et d’enracinement moins élitiste dans la société, m’a conduit à la porte d’une interrogation essentielle : la Renaissance africaine au regard de l’échec des indépendances, des révolutions messianiques, des luttes et insurrections populaires ; in fine de l’échec de l’État-Nation en Afrique.
La lecture de « Nations nègres et culture » de Cheikh Anta DIOP a fini d’organiser ma rupture idéologique d’avec le mouvement communiste marxiste : elle a fait naître en moi un autre homme sans prétention prométhéenne, et m’a permis d’accéder à la conscience qu’il ne faille plus déléguer aux élites africaines occidentalisées, la charge de mettre en chantier et en selle une « nation nègre » fière, puissante et souveraine comme c’est d’ordinaire la vision ; une telle tâche incombe avant tout à une jeunesse africaine nourrie aux humanités négro-africaines fondements de la nouvelle civilisation dont Cheikh Anta DIOP a posé le cadre, indiqué les jalons de développement pour peu nous soyons attentifs à ce que nous disent nos sociétés villageoises contemporaines et leurs prolongements dans nos agglomérations urbaines (les couches populaires urbaines) à travers leurs propres modèles culturels, politiques, sociaux et économiques.

Force est de reconnaître que depuis la disparition brutale le 7 février 1986 de l’IMMENSE Cheikh Anta Diop, à une époque charnière de notre histoire (Ajustement structurel et Démocratisation), l’Afrique intellectuelle, politique et culturelle est à la peine dans la construction d’un Etat Fédéral d’Afrique Noire dont il avait dessiné les fondements matériels, culturels et intellectuels déjà à l’orée du projet de sud-américanisation de l’Afrique par l’Occident- comme il disait et dont il prévenait l’élite africaine- alors qu’il était lui-même engagé de manière profonde dans le mouvement national de libération général de l’Afrique au travers du Rassemblement Démocratique Africain (RDA).

Aujourd’hui, que nos États dans leurs frontières sont de fait, que l’Union Africaine existe, que les Communautés économiques régionales se construisent, qu’une masse critique d’universitaires, d’intellectuels et d’érudits africains est constituée, on peut se poser la question de pourquoi l’œuvre de Cheikh Anta DIOP n’est-elle pas encore, en Afrique subsaharienne, à la base du projet d’autonomie intellectuelle et culturelle dans tous les domaines. Cela est d’autant plus problématique que le caractère scientifique opératoire de l’œuvre de Cheikh Anta DIOP est incontestable car étant, comme dirait Théophile OBENGA « au faîte des évènements où s’élaborent les connaissances dans l’exactitude des principes méthodologiques, la pertinence aiguë des analyses, et l’ampleur culturelle des interprétations ».

Je postule que, si cette œuvre a eu un tel effet sur moi quand j’avais la cinquantaine bien sonnée et sur bien qu’autres de ma génération, alors, pour la jeunesse, elle sera le ferment d’une véritable révolution culturelle qui articulera la Renaissance Africaine en une « nation nègre », fière, puissante et souveraine.

Je postule aussi que nos élites gouvernantes et nos élites intellectuelles, économiques, sociales et culturelles comportent bien-sûr des complices du projet d’occidentalisation de l’Afrique- ceux qui ont ostracisé l’œuvre de Cheikh Anta DIOP et ceux qui considèrent la civilisation occidentale comme la Fin de l’Histoire - et c’est sans doute les plus nombreux, mais que parmi elles, il n’y a en aussi certainement, qui sont animées d’une volonté panafricaine sincère.

Mon utopie concrète pourrait s’articuler dans le portage africain du projet d’enseignement de l’œuvre de Cheikh Anta DIOP à l’école primaire, au secondaire, à l’université et du projet de transformation de l’Institut des Peuples Noirs (IPN) crée 1990 au Burkina Faso sous l’impulsion de Thomas Sankara avant son assassinat, en un véritable Institut des Humanités Négro-africaines.

Ces projets n’ont besoin de l’autorisation de personne ; ces projets n’attendent pas de financement de l’extérieur. Ils sont seulement tributaires du courage de celles de nos élites gouvernantes, intellectuelles, économiques, culturels et sociales acquises à la cause de la Renaissance Africaine.

Quelles pourraient en être les modalités ?

Le projet d’enseignement de l’œuvre de Cheikh Anta DIOP.
Une première initiative a été engagée en 2014 par deux jeunes sénégalais Khadim Ndiaye et Lamine Niang ; ils ont pour ce faire, lancé une pétition en ligne pour l’introduction de la pensée de Cheikh Anta DIOP dans les programmes scolaires qui sera au final adressée au ministère de l’éducation de leur pays. Cette initiative a été accompagnée par différentes activités dont la mise en œuvre par un collectif, à l’occasion du 29è anniversaire de la disparition de Cheikh Anta DIOP, d’une caravane de plaidoyer qui a sillonné une partie du Sénégal. Ce collectif était composé d’un groupe d’expatriés (vivant principalement au Canada), d’enseignants, de chercheurs et de professionnels (Soleil du 09/02/2015).

En écho sans doute à un tel plaidoyer, le ministère de l’Education nationale du Sénégal, selon l’Agence de Presse Sénégalaise (10/08/2016), a pris en charge une telle problématique afin de « travailler sur une méthodologie d’insertion de la pensée et l’œuvre de Cheikh Anta Diop dans le curricula unifié ».

Cette dynamique pourrait ainsi fédérer d’autres États et diverses élites volontaires : ce qui ne manquera pas, sur la base de l’état des lieux de la mise en œuvre de telles initiatives, d’approfondir la démarche et les modalités de son extension. On pourrait imaginer que l’Université Cheikh Anta DIOP (pour bien porter son non) et/ou quelques autres universités, imminents intellectuels, universitaires et mécènes africains en prennent l’initiative.

L’Institut des Humanités Négro-africaines
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Sans nul doute, le processus de création de l’IPN (Institut des Peuples noirs), son rendu institutionnel et organisationnel, ses modalités effectives d’animation et de financement, et enfin sa situation actuelle de non fonctionnalité, traduisent in fine l’ambivalence de l’élite africaine dont j’ai déjà fait état.

Il n’est pas sûr que le nouvel élan que le gouvernement du Burkina Faso, à travers la décision du conseil des ministres du 6 août 2020 de mettre en place un secrétariat technique pour la relance de l’IPN, ne conduise en l’état actuel du concept et de sa stratégie opérationnelle au même résultat.

Le panafricanisme ne doit pas être un slogan destiné à flatter la psyché de l’homme noir afin d’apaiser son existence dans un monde qui l’a tant chosifié, animalisé, infantilisé, et qui travaille à la marginalisation de l’Afrique dans la politique mondiale chaque jour que bon Dieu fait, de manière ouverte, continue et soutenue.

Il nous faut résolument tourner le dos à cette perspective et embrasser, sans complexe et sans délai, la mise en chantier d’une « nation nègre » fière, puissante et souveraine ; la focalisation sur la dynamique de reconstruction et de développement des humanités négro-africaines en est une des conditions en interaction forte avec le projet d’enseignement de la pensée de Cheikh Anta DIOP.

Dans cette optique, le projet de transformation de l’IPN doit avoir un caractère scientifique opératoire en prenant en charge les perspectives tracées par Cheikh Anta DIOP notamment quand il indique : « Aujourd’hui encore, de tous les peuples de la terre, le Nègre d’Afrique noire, seul, peut démontrer de façon exhaustive, l’identité d’essence de sa culture avec celle de l’Égypte pharaonique, a telle enseigne que les deux cultures peuvent servir de systèmes de références réciproques. Il est le seul, à pouvoir se reconnaître encore de façon indubitable dans l’univers culturel égyptien ; il s’y sent chez lui ; il n’y est point dépaysé comme le serait tout autre homme, qu’il soit indo-européen ou sémite…

Les études africaines ne sortiront du cercle vicieux où elles se meuvent, pour retrouver tout leur sens et toute leur fécondité, qu’en s’orientant vers le Nil.

Réciproquement, l’égyptologie ne sortira de sa sclérose séculaire, de l’hermétisme des textes, que du jour où elle aura le courage de faire exploser la vanne qui l’isole ; doctrinalement, de la source vivifiante que constitue pour elle, le monde nègre ».
On pourrait imaginer que le processus de transformation l’IPN dans cette perspective soit porté par un consortium d’universités associant la revue ANKH et/ou quelques imminents intellectuels, universitaires et mécènes africains qui en prendraient l’initiative.

En imaginant qu’une partie de l’Afrique aura porté sur les fonds baptismaux ces deux projets qui auront produit de manière significative les effets attendus, on peut esquisser le visage de la « nation nègre » fière, puissante et souveraine à l’horizon 2050.
Elle sera à l’image de Cheikh Anta DIOP : une Afrique solidement ancrée sur son unité culturelle dans la diversité de ses expressions, un Prométhée armé de science jusqu’aux dents, une force lucide et tranquille, un État Fédéral en devenir qui assure de manière indépendante les besoins essentiels y compris de sécurité et de défense de son peuple, qui participe de manière active à la politique mondiale en ayant un leadership incontesté dans l’édification d’une nouvelle civilisation planétaire qui détournera l’humanité de la barbarie de la globalisation et des luttes hégémoniques qu’elle alimente.

Comment cela adviendra-t-il ? Autrement dit quel en sera le chemin ?
Ceux qui ont regardé le Film Black Panther de Ryan Coogler pourrait reconnaître ‘’le WAKANDA’’ dans le visage ainsi esquissé.

Cette œuvre fictionnelle d’une « nation nègre » debout comme dit Achille Mbembé, a été imaginée par Ryan Coogler ; un jeune Afro-américain ayant certainement étudié l’histoire des afro-descendants aux États-Unis d’Amérique, qui a sans doute été nourri de la pensée de Cheikh Anta DIOP et de panafricanisme et qui vit encore ce qui se passe tous les jours aux USA à l’égard des noirs.

L’acteur principal, Chadwick Boseman lui aussi jeune afro-américain éduqué et nourri sans doute aux mêmes sources, a lui consenti tant de sacrifices pour être à la hauteur de son rôle et tout particulièrement celui d’endurer en silence un cancer pendant tout le tournage du film sans qu’aucun des membres de l’équipe ne le sache. Il en est décédé le 28 août 2020 à l’âge de 43 ans. Un témoignage puissant d’espoir pour l’Afrique qu’il laisse à la postérité.

Alors, je postule qu’une bonne centaine de million de jeunes d’Afrique Noire, répartis dans une dizaine d’États, nourris de la pensée de Cheikh Anta DIOP et des Humanités Négro-africaines fruits des études africaines rénovées dont il a fait état, sont à même d’articuler et de mettre en chantier un modèle politique, économique, social d’une « nation nègre » fière, puissante et souveraine d’ici 2050.

Les jeunes nourris à cette paradigmatique, seront doute humbles mais fiers, armés de la conscience historique africaine, armés de science dans tous les domaines, attachés à vivre et à lutter sur place en Afrique et d’y concrétiser notre rêve à tous d’un Etat Fédéral d’Afrique Noire, puissant et souverain.

Le chemin suivi sera à cet horizon, que les gouvernants, les adultes, les personnes du 3ème âge, dans toutes les sphères de la vie auront été nourris à la paradigmatique de l’Égypte Nègre en tant que concept scientifique opératoire et aux humanités négro-africaines reconstruites et développées.

Cela aura été possible car la génération d’avant les y aura préparés d’autant qu’elle aussi, a pu se nourrir des efforts et sacrifices consentis au cours de la décennie à venir, par des élites gouvernantes, intellectuelles, économiques, culturels et sociales acquises à la cause de la Renaissance Africaine afin de bâtir une telle paradigmatique.
Telle se présente l’urgence à prendre en charge.

J’imagine bien que tout cela est ‘’vite dit, mais pas vite fait’’ ; loin s’en faut ! C’est en cela qu’il s’agit d’une Utopie.

En concluant ainsi mon propos, je voudrais signifier que les obstacles et menaces seront sans doute conséquents au cours d’un tel cheminement ; je garde cependant l’espoir que quelques-uns des acteurs auxquels j’ai lancé cet appel donneront enfin une chance à l’Afrique.

DIALLO Mamadou
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