Actualités :: Blaise-Gbagbo : La conspiration coupé-décalé

La montée en force du phénomène coupé-décalé au "Pays des hommes intègres", la constitution de groupes musicaux aux noms "provocateurs" : le Gouvernement, le Pouvoir, la Cour suprême, les Premières dames, sont accueillies diversement par les Burkinabè.

Pour M. Jean-Claude Naba, enseignant à l’université de Ouagadougou, nous sommes en face d’une véritable agression culturelle à laquelle les relations mi-figue, mi-raisin entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ne sont pas étrangères. Lisez plutôt.

Je ne crois pas aux conspirations (enfin, pas beaucoup !), mais depuis quelque temps, plus j’observe la scène musicale burkinabè, plus je suis convaincu qu’il y a conspiration quelque part. La misère que nous vivons ces temps-ci ne peut s’expliquer seulement par le manque d’imagination de nos artistes, l’apathie de leur public... Si on ne les a pas tous wackés, on les a piégés...

Septembre 2003. Après la tentative avortée de putsch en Côte d’Ivoire et la division du pays en deux (au moins), après la montée de tension entre « Bidjè » et son voisin du nord, après des échanges d’impolitesse et de mauvaises manières, Gbagbo se rend compte que ce n’est même pas en maltraitant, en faisant bastonner, assassiner, expulser, rançonner, arnaquer les « Mossi » de Côte d’Ivoire, qu’il viendra à bout du « frère ennemi ». S’il avait pensé sortir le pays de Blaise Compaoré de la réserve qui a toujours caractérisé celui-ci (BC, car c’est son caractère à lui que son pays a adopté), il s’est mis le doigt dans l’œil et jusqu’au coude : les réactions à tant de méchanceté ont été tellement modérées que Gbagbo se demande finalement si les gens tout au Nord du Nord ont vraiment compris que la situation est sérieuse.

Alors Gbagbo ourdit un complot pervers, insidieux, sadique : L’attaque DJ. Le bombardement coupé-décalé. L’invasion musicale. L’agression culturelle.

Ravages musicaux

Les effets recherchés ? Occuper l’ennemi, le provoquer en le distrayant, le distraire en le divertissant, le divertir en l’abrutissant. L’amener à un point d’hébétement tel que l’invasion militaire, même possible, s’avérera tout simplement inutile. Les DJ s’affrontent. Ceux du Nord font la leçon à ceux du Sud. « Vous croyez que le Burkina Faso est en retard ? Venez faire un tour à Ouaga 2000, une virée sur la Kouam ! Le Burkina a même des DJ ». La CI avait été à l’origine de l’utilisation, dans cette première échauffourée, de l’arme dite de la « distorsion vocale électronique » ! Le Burkina rétorque, réplique ! On n’évalue pas une arme à son origine, mais à la virtuosité de son utilisateur, aux dégâts qu’elle commet. Qu’importe si, en passant, on rate le meilleur : c’est dans les rangs de la population burkinabè que l’arme fait des ravages.

La CI renforce l’attaque en la diversifiant. Qui dit diversification, dit distraction. On passe au farot. Perversion suprême de Gbagbo, mais en même temps signe et preuve de sa sublime et méchante intelligence : il s’appuie sur les Français, sur le français qu’il manipule à volonté, qu’il plie à SA volonté. Ce n’est plus "faraud", c’est "farot". Ce n’est plus français, c’est africain. Ce n’est plus négativement connoté, c’est tout à fait positif, c’est même très in ! « Faites comme nous on va voir » ! Le Burkinabè, blessé dans son amour-propre, réagit promptement : si c’est imiter-là, il peut aussi ! .

Et naît le « faire son malin ». Banal, dirait-on... Le Burkinabè n’a pas su malaxer, sculpter, forger le français comme l’Ivoirien avec faraud-farot ? Où est le problème ? "Le Pays des hommes intègres" n’a jamais eu de problèmes avec la France, avec le Français, avec le français. Ou plutôt si, mais il y a longtemps...

La guerre importée devient guerre civile, elle se déroule intra muros, diraient les concepteurs de la refondation. Elle devient politique. Un Gouvernement se crée, à qui la dissidence « petit malin » rappelle sèchement que sans Pouvoir, pas de gouvernement. Une guérilla urbaine donne son VERDICT : sans peuple, pas de pouvoir. Un peuple qui ferait une soupe de la queue du diable, s’il pouvait l’attraper, pendant que d’autres « font le malin », exposant aux yeux envieux des miséreux leurs vêtements, leurs bijoux, leurs chaussures, leurs coiffures. Leurs voitures ? En tout cas, dans leurs clips, on voit des bagnes ! Si elles leur appartiennent ? C’est un autre problème...

Qu’importe si les premières dames chantent faux !

La guérilla se fait smatcher par des terroristes qui disposent d’une bombe d’un tout nouveau genre : la bombe du Genre (Les anglophones disent : GENDER. Prononcez : DJENDA !).

Les Premières dames montent au créneau : sans les femmes, tout est vain, tout est fumée. Qu’importe si elles chantent faux, et qu’elles se soient éloignées, sans s’en rendre compte, sans même que le public burkinabè s’en soit rendu compte, du style consacré rap-coupé-décalé. Elles ont adopté un style de chansonnette française, mais qu’importe ! « Nous sommes des Français ! », nous dit Dim Salif ! (Tiens ! Ça ferait un beau nom d’artiste, comme Dim Jérémy, Alif Naaba...).

Les Ivoiriens rigolent en douce ! Les Burkinabè imitent et dépassent l’imitation, mais ils n’imitent pas tout : où reste le TRAVAILLEMENT ? On n’a encore vu ni DJ, ni Gouvernement, ni faiseur de malin, certainement pas nos braves ménagères de Premières dames, jeter à la volée des billets, à charge pour les fans de se jeter dans la poussière et de s’étriper pour les ramasser. Disons des billets de 1000 F CFA au moins, vu que les 500 ont disparu. Elles connaissent bien les djanjoba et cette tradition très mandé « De-mandé, et on vous donnera... ») de couvrir les griottes et griots de billets de banque craquants, de bazin riche, de wax, de bijoux d’or. Mais ngaw ! « Les Burkinabè n’ont pas dit qu’ils peuvent ? »

Ils peuvent oui !

Apparaît un sourire qui se cache difficilement derrière un cigare gros comme un barreau de chaise. En tout cas assez gros pour ne pas passer, heureusement, dans la lucarne qui sépare les incisives supérieures de la Riposte Absolue du pays des hommes dont le cerveau est en train de se désintégrer. Les voisins du Sud, forestiers courts sur jambes, jurent par leur Jet 7 ? On leur sort l’arme fatale, la Jet 8 ! On l’assortit d’un rythme dévastateur, mortel : le Liwaaga-décalé.

Mais voilà. Il est mortel, dévastateur, pas pour les voisins du Sud, pas pour Gbagbo, mais pour le Liwaaga qui, il y a des décennies, a tenté de se métisser au soukouss, puis a fait son mea culpa et s’est retiré de la scène pour rester Liwaaga. Liwaaga que le Gulmance que je suis identifie au zamné (il paraît que dans le Yatenga on l’appelle Kari - drôle de nom, aussi drôle que la lucarne dans la bouche de l’autre monsieur...) et le déclare non comestible, donc non recevable sur quelque scène que ce soit, sauf bien entendu la scène du Yatenga.

Gbagbo se frotte les mains de satisfaction. La bataille est bientôt gagnée, la guerre ne sera plus nécessaire : quelque part, en pleine brousse du pays gulmance, je tends l’oreille pour capter les chants des enfants qui cueillent des fruits sauvages, pour savourer la flûte des petits bergers derrière leurs troupeaux. Qu’est-ce que mes antennes paraboliques d’oreilles reçoivent ?

« Eeeh, oooh ! » « Sentiment moko ! Moko ! » « Décalé-coupé, coupé-décalé ! » « Fouka-fouka ! » Mon Dieu !

Jean-Claude Naba Université de Ouagadougou

L’Observateur

Tribune : « La culture porte les espoirs d’une Afrique de (...)
Burkina : L’arabe, langue oubliée de la réforme (...)
Burkina Faso : Justice militaire et droits de (...)
Photos des responsables d’institutions sur les cartes de (...)
Burkina/Lutte contre le terrorisme : L’analyste (...)
Lettre ouverte au ministre de l’Énergie, des Mines et de (...)
Sénégal : Le président Bassirou Diomaye Faye quittera-t-il (...)
Cuba : L’Association des anciens étudiants du Burkina (...)
Sahel : "La présence américaine dans la région joue un (...)
Burkina/Transport : La SOTRACO a besoin de recentrer (...)
Burkina Faso : La politique sans les mots de la (...)
Burkina/Crise énergétique : « Il est illusoire de penser (...)
Le Dioula : Langue et ethnie ?
Baisse drastique des coûts dans la santé : Comment (...)
Sénégal / Diomaye Faye président ! : La nouvelle (...)
Burkina : De la maîtrise des dépenses énergétiques des (...)
Procès des atrocités de l’Occident envers l’Afrique (...)
Afrique : Des pouvoirs politiques traditionnels et de (...)
La langue maternelle : Un concept difficile à définir (...)
Technologies : L’Afrique doit-elle rester éternellement (...)
L’Afrique atteint de nouveaux sommets : L’impact de (...)

Pages : 0 | 21 | 42 | 63 | 84 | 105 | 126 | 147 | 168 | ... | 5397


LeFaso.net
LeFaso.net © 2003-2023 LeFaso.net ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés