Actualités :: Education au Burkina : "La maison brûle"

André Eugène Ilboudo, acteur très influent de la société civile, n’hésite pas à prendre la plume quand un problème le touche au plus profond de lui-même. L’éducation au Burkina est aujourd’hui l’objet de son analyse.

Au lendemain de la rentrée universitaire et scolaire, chaque burkinabè d’au moins 7 ans a quelque chose à voir avec l’école. Pleurer parce que l’on n’a pas eu de place ou parce que l’on ne veut pas aller à l’école. Ainsi donc, quand les ministres de l’éducation nationale parlent, nous faisons silence, comme pendant une homélie, religieusement. Quand ils donnent une interview, nous la lisons comme un Coran en main, religieusement. Bien sûr à la fin, l’on peut être abasourdi.

Par exemple, la constante dans le discours et dans l’interview de cette veille de rentrée est que, malgré toute l’incantation politique, « Tantie Didi » n’a pas eu de câlin pour les acteurs du privé dans l’enseignement, considérés pourtant, dans la rhétorique officielle, comme "acteurs incontournables".

Aucun de ses conseillers, que d’aucuns disent "toxiques", n’a relevé cette omission à la Freud ! "Tantie Didi", quelque soit alpha, nous aimons les femmes à l’éducation. Elles ont plus un cœur de mère, qu’un ventripotent. Hommage à toutes les inspectrices et conseillères en passant ! Bienvenue Tantie. Pourvu que les ventriloques ne vous étouffent pas !

Sur la route de Koudougou, au niveau de Kokologo, il y a de gros caïcédrats, allez parfois écouter chanter la nature et les berceuses au moulin traditionnel. Les vielles chiqueuses de tabac ont très souvent un bon sens désarmant. Elles sont parfois meilleures conseillères. Leur bouche pue le tabac, mais leurs paroles ne puent jamais. Vous reviendrez souvent plus inspirées.

Quant à "Koro Laya", ah, grand frère ! A vous écouter, l’on est content ! Vraiment si vous arrivez à quadriller le Burkina d’universités régionales, quand vous aurez 250 ans et que veniez nous rejoindre dans nos tombes déjà blanchies (qui est fou pour risquer sa vie en disant à un puissant du jour qu’il va mourir avant 100 ans) ainsi dis-je, même si l’on nous interdit de l’écrire officiellement, nous porterons le deuil dans nos tombes cette belle épitaphe : "Il a fait sa part de travail !".

Votre interview avait un ton vigoureux, il se voulait convainquant. Seulement, un petit bémol. Ceux qui ont les mains dans le cambouis chaque jour (les mains sales jusqu’aux poignets, votre citation de Sartre) ont quelques raisons de ne pas partager tant d’optimisme à la Pangloss, tant les faits quotidiens sont têtus et viennent contredire tant de sincérité.

Je ne vous fais pas injure en disant que votre ministère, qui est celui des intellectuels, est bien celui-là qui tire toute la nation par le bas. Les faits, au quotidien, défient toute logique. Mais c’est cela la contradiction, et elle n’est pas secondaire. Mais pour rester politiquement courtois et thuriféraire, comme tant d’autres, je dis aussi, même si je n’en pense pas un traître mot : "à l’enseignement secondaire tout va bien", sauf que la maison brûle.

Comme nul n’a tort d’avoir parlé, je voudrais prendre le risque de dire que je ne partage pas vos analyses dans la crise du système. Quand vous traitez le Burkinabè de mémoire courte, la vérité est qu’il n’y a pas longtemps, la Côte d’Ivoire importait des Burkinabè, même dans l’éducation.

L’existence de professeurs en nombre suffisant était certainement dû au fait qu’il y avait moins de collèges, donc le peu de personnes formées suffisait, mais aussi au fait que la génération précédente a relevé son défi historique, à contrario de la nôtre. Aujourd’hui la tendance est inversée. C’est cela la réalité, même si elle déplaît. L’histoire n’est pas très vieille qu’il faille la dépoussiérer.

En tant que prof d’Université, vous savez plus que quiconque que la crise de notre éducation est liée intrinsèquement au choix gouvernemental. C’est le choix ultra libéral de notre gouvernement qui génère toutes les crises. Et vous savez que ceux qui le disent n’ont rien contre chacun de vous individuellement. Le système que vous avez choisi a sa logique.

Dans un système ultra libéral, c’est l’argent avant l’homme. Si tu as l’argent, tu es quelqu’un (pour causer prosaïquement) si tu es pauvre, le vent t’emporte ou la pluie te noie, comme de l’autre côté. Et comme 10% des burkinabè se partagent les 80% des richesses du Burkina, c’est tout dire. Les pauvres, dans un système libéral, ressemblent à des serpillières en temps de pluie. On s’essuie les pieds avec. Point/barre. Quand ils ont plus de chance, leur dépouille sert de terreau pour mieux fertiliser les affaires.

Chaque choix a ses conséquences et ce n’est la faute à personne. C’est la faute à l’ultra libéralisme.
Quelques idées, même si dans notre Burkina commun cela ne sert strictement à rien de dire, comme sur une copie, « Peut mieux faire ». Le seul langage compréhensible est « peut mieux amasser ». Néanmoins, et par exemple, la crise à l’UFR Santé, elle est créée et entretenue.

Autrement, expliquez-moi comment un élève admis au Bac C ou D avec une mention peut se retrouver avec 0,5/20 de moyenne annuelle en fin d’année. L’élève n’a été ni malade et pas plus paresseux qu’en terminale ! La seule explication, c’est le choix gouvernemental de créer des artifices pour bloquer. Dans une administration performante, l’on ne gère pas les problèmes. L’on les résoud. L’on peut maintenir le cap d’une formation prestigieuse des médecins tout en créant moins de gâchis sur toute la ligne.

La surcharge des classes

Un de vos prédécesseurs avait signé le 16 Août 1994, un arrêté qui fixait les effectifs des classes à 70, et à 60 dans le secondaire. Actuellement le gouvernement massifie les 6e en y envoyant parfois plus de 120 par classe. Ainsi les établissements publics sont devenus le SOWETO des établissements bourgeois de la République. Ainsi un pauvre ne pourra pas dire que le gouvernement n’a pas accepté son enfant à l’école. L’honneur est sauf, sauf qu’un fils de pauvre qui devait s’en sortir en y entrant peut ressortir en véritable crétin.

L’école, qui était véritablement un creuset de l’unité nationale, un creuset d’ascension sociale par le seul critère du travail, est devenue le système de séparation des classes sociales : « Dis-moi où tu fréquentes et je dirai-ce que fait ton père ». Dans une société où l’argent prime sur l’homme, l’on crétinise le peuple par le jeu (le foot de préférence.) pendant que son besoin basique, comme l’éducation, la santé, n’est pas assuré.

Tant que le bon peuple se défoule sur un stade, il n’aura plus de forces pour contester ailleurs. Et tant qu’il demeurera crétin, il ne saura pas non plus articuler ses revendications. C’est pourquoi, le choix ultra libéral d’abrutir le peuple, par ces artifices d’éducation de masse, n’est pas si innocent. C’est bien pensé. Ça tient la route.

Et tant que le peuple peut se satisfaire de fausses promesses et de belles balivernes... pourquoi chercher des solutions pour décongestionner la forte pression du début de secondaire. La question des moyens ne convainc personne, tant les millions se baladent pour des causes et dans des mains indues. Dans le choix ultra libéral du gouvernement, l’on n’investit pas parce que c’est bon, mais plus pour le "je retiens", ou mieux (je garde tout).

L’ultra libéralisme n’amasse pas pour mieux investir, mais amasse pour mieux s’amuser. Ce n’est la faute à personne. C’est la faute au choix. C’est la loi de l’ultra libéralisme.

Le manque de professeurs dans les matières scientifiques

En 5 ans, si le gouvernement le veut, le Burkina peut être un exportateur net de professeurs de matières scientifiques. Qu’il encourage simplement tous les meilleurs élèves dans toutes les écoles, sans exclusive. Au lieu d’octroyer des bourses, sur des critères farfelus, il faut donner une aide sur la base du mérite, les autres critères pouvant servir de pondération.

Par exemple, il faut aider tout élève qui a une excellente moyenne dans sa classe. Par exemple, je connais un élève dans un établissement privé, avec 15,70/20 de moyenne générale qui a failli rester à la maison par ce que sa famille ne peut pas payer sa scolarité. Il a été manœuvre dans les chantiers de construction pendant les vacances pour pouvoir payer lui-même sa scolarité.

Etre fille n’est pas un critère suffisant pour obtenir une bourse. (Je sais que Mesdames Gisèle Guigma et Monique Ilboudo ne me rateront pas mais l’on ne peut pas, vouloir une chose et son contraire. Et puis, comme le sexe d’un enfant ne s’achète pas au marché, quelle est cette dictature de la pensée unique qui veut qu’une fille soit mieux qu’un garçon, pour la République, parce que simplement elle s’accroupit pour uriner) ?

Non, il faut montrer à tous nos enfants que la récompense se mérite et que pour être admis dans une école prestigieuse comme la Santé, il ne faut pas être « tomisard » en terminale et faire carrière à l’université.

Mais bon, bien sur, cela réduira le pouvoir discrétionnaire du gouvernement qui octroie la bourse à ceux qui peuvent mieux casser les grèves qu’à ceux qui travaillent. Mais cela, ce n’est la faute à personne. C’est la faute à l’ultra libéralisme qui favorise plus la magouille que le travail.

Et si l’on aborde tous les domaines, des solutions humaines existent. Par exemple dans tout lotissement, l’on peut prévoir, pour un ensemble de 10 lots, une place réservée à une école primaire et une place pour un dispensaire. Et pour un ensemble de 50 lots une place pour une école secondaire. Par des mesures incitatives, l’on peut encourager ceux qui ont l’argent à ne pas savoir où le garder à construire des écoles, surtout s’ils en sont acteurs.

Ainsi, au lieu de vendre des terrains nus à plus de 10 millions pour une école privée, l’on peut le céder pour un franc symbolique mais avec des conditions bien précises. Ainsi, au lieu que l’Etat continue à construire des "écoles PDDEB", ou à cause du « je retiens » l’on ne paie pas les entrepreneurs, l’on peut inciter l’investissement privé.

Bien sûr, il faudra accepter de ne pas garder fermement la main sur l’argent en attendant le "tenez ça pour Madame !" (à la maison, je ne parle pas de Tantie Didi. La précision vaut la peine, si non les esprits tordus auront vite fait de me refiler de mauvaises interprétations). Mais cela un gouvernement qui choisit l’ultra libéralisme ne peut pas l’accepter. L’argent circule, mais c’est bien entre de mains expertes.
Autrement, quel plaisir peut-on trouver de voir des élèves du secteur 30 faire plus de 10km, à l’aller, par jour pour rejoindre le Lycée Zinda ou le Marien NGouabi, en VTT ? (Bien sûr que "les enfants de Simon" les forcent souvent au repos pour défaut de phare et de feu rouge en plein jour » !)

Ainsi, pendant que l’on "travaille" les gens (c’est la distribution gratuite de billets craquants) au cours des Djanjobas et autres coupes de foot, la TNB, de retour de reportage, nous montre une femme avec son enfant, à côté d’animaux qui s’abreuvent, dans une mare, d’une eau boueuse qu’elle filtre avec son tamis. Vrai ! Vu à la télé. A Ouaga 2000, une telle eau, impropre, n’arrosera même pas une pelouse. Cette image viendrait de Canal 3 que j’aurai crié à la manipulation et ce média serait inculpé sous le motif d’incitation à la révolte.

Mais tout bien pensé, cette image courageuse de la nationale TV vaut à tous ses travailleurs une belle décoration. "En vérité, ils sont bons ces gars de la télé ». Vous ne créez pas les images, vous les captez et les montrez. S’il y a manipulation et incitation, c’est la faute à l’ultra libéralisme qui, au lieu de miser sur les hommes, idolâtre l’argent.

Un pauvre, ça vit de rêve, ça jubile au stade de foot, ça boit l’eau du marigot, ça attrape une dysenterie aiguë, ça meurt pour fertiliser les votes ! Petit coucou au filiforme Basile. Il faut préciser que tu ne crois pas à la démocratie en Afrique, ou si tu as le courage de ta pensée, précise : « Je ne crois pas en la démocratie actuelle du Burkina", puisque tu sembles adorer la révolution démocratique et populaire et semble laisser entendre que Lamizana était un bon démocrate !

Pour conclure, il est "indécent" quand un député absentéiste engrange 30 000F comme perdiem, pour boire son lait, de crier à l’outrage. Ce n’est la faute à personne. C’est la faute au choix ultra libéral. C’est la faute au gouvernement, parce que la pauvreté, tout bien pesée, ça se vend bien. En attendant, un pauvre est né pour voter et mourir. Point ! Barrez-vous !

Andre-Eugène ILBOUDO

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