Politique : « Actuellement, je ne vois pas un candidat qui peut sortir le Burkina de l’ornière », constate Issa Sawadogo
LEFASO.NET

Issa Sawadogo est conseiller d’intendance scolaire et universitaire en service à Ouahigouya (région du Nord du Burkina). Il est également écrivain, puisqu’il vient de faire son entrée dans l’univers de la littérature avec son premier ouvrage intitulé « L’homme a perdu la raison ». Dans cette interview, Issa Sawadogo porte une analyse sur des sujets liés à l’actualité nationale.
Lefaso.net : Au regard de vos nombreuses sorties médiatiques, peut-on savoir quelles intentions se cachent derrière (avez-vous des visées politiques également) ?
Issa Sawadogo : Pour le moment, je suis un libre penseur, un écrivain, je n’ai pas encore d’intention cachée. Mais comme on dit souvent, « si tu ne fais pas la politique, la politique va te faire ». C’est pourquoi, je n’exclus pas les ambitions politiques à la longue. Pour le moment, je ne suis qu’un simple citoyen qui se soucie de l’avenir de son pays.
En tant que citoyen, quelles sont les valeurs que vous défendez ?
Je pense que, comme l’a dit Paul Kagamé (président rwandais), Thomas Sankara a tracé les sillons. Paul Kagamé a dit qu’il ne réfléchit plus, parce que Sankara a déjà réfléchi à sa place. Donc, il ne fait que suivre, appliquer ses idéaux. Je défends les valeurs que Thomas Sankara a prônées, telle que l’intégrité. C’est quelqu’un (Thomas Sankara) qui se souciait de sa population, c’est quelqu’un aussi qui a prôné le « consommons burkinabè ». Je pense que la première des choses, c’est de compter sur soi-même avant de compter sur les autres.
Car, Personne ne viendra construire notre pays à notre place. Et comme on le dit souvent, « si tu dors sur la natte de quelqu’un, c’est que tu dors par terre ». Personne ne viendra développer notre pays à notre place. Il faut d’abord compter sur nous-mêmes avant que l’aide arrive d’ailleurs. Il faut avoir la base, la fondation avant de demander de l’aide. Mais, si nous n’avons même pas cette base, c’est difficile de demander de l’aide. Mais, je pense qu’il faut compter sur nos propres forces. Tout est là, les ressources et autres. Il suffit seulement de s’y mettre, et je pense que ça va aller.
Avec l’insurrection populaire de 2014, d’aucuns n’ont pas hésité à parler de maturité démocratique au Burkina Faso. Comment vous l’avez vécue ?
L’insurrection a été une très bonne chose. Mais, elle a été d’un goût inachevé. En effet, les politiciens ont récupéré cette insurrection et ils ont fait de telle sorte qu’elle ne soit pas arrivée à terme. Donc, une deuxième insurrection serait mieux, sinon celle de 2014 n’est pas arrivée à terme.
Ça a été une très grande chose, parce qu’elle a permis de balayer beaucoup de choses, de renouveler beaucoup de choses. Le seul souci est que nous sommes restés sur notre soif. Sinon, on pouvait faire mieux si les politiciens n’avaient pas récupéré cette insurrection. Le Burkina Faso allait être un exemple, un modèle pour le monde entier. Déjà, beaucoup voulaient copier le Burkina Faso par cette insurrection ; donc, c’est dire que l’insurrection a été une très bonne chose. Mais, elle est restée inachevée, tout simplement.
Pour vous, qu’est-ce qu’il faut faire pour achever cette insurrection, puisque vous la jugez inachevée ?
Il faut peut-être compter sur la veille citoyenne, sinon c’est compliqué. Si on regarde par exemple notre institution, on n’a pas d’hommes politiques. Quand je regarde cette classe, elle ne peut pas faire sortir le Burkina Faso de l’ornière, c’est très difficile. Il faut renouveler cette classe politique, parce que depuis 27 ans, ce sont toujours les mêmes personnes, qui ne nous apportent rien.
Vous voyez la corruption, la gabegie…, on nomme les gens par affinité, par amitié ; c’est tout ça qui fait que c’est difficile, alors qu’il faut nommer des gens compétents, intègres, et les mettre à la place qu’il faut. Si vous regardez l’enrôlement, il n’y a pas d’engouement ; parce que tout le monde est déçu de cette classe politique. Il faut renouveler cette classe politique, on veut de nouvelles têtes pour pouvoir quand même redynamiser notre politique, sinon, actuellement, je ne vois pas un candidat qui peut sortir le Burkina Faso de l’ornière.
Si les idées pouvaient avoir le pouvoir, je pense que Laurent Bado se défend très bien. Mais malheureusement, au Burkina Faso, telle que la politique est faite, c’est une politique politicienne. Donc, les idées ne peuvent pas avoir le pouvoir au Burkina Faso. Il faut être riche pour être président au Burkina, cela n’est pas normal. 90% de la population est pauvre. Et on doit impérativement tenir compte de ces 90 % de la population. Il y a des hommes intègres, mais comme la politique est devenue une affaire de riches, on ne peut pas avoir les hommes intègres pour faire la politique.
Notre Constitution, le code électoral, encouragent par exemple le vol ; parce qu’il faut 25 millions pour déposer sa candidature, mettre un milliard pour battre campagne. Tout ça encourage la corruption, mais la personne qui arrive ne peut pas faire comme Thomas Sankara ; parce ce que c’est un investissement que la personne fait et une fois au pouvoir, elle récupère ce qu’elle a investi. Donc, le code électoral ne nous permet pas de faire ressortir un politicien intègre comme Thomas Sankara.
Les marchés publics, par exemple les marchés gré-à-gré, ceux qui ont soutenu le président à avoir le pouvoir, il faut quand même qu’ils soient récompensés ; c’est ça qui fait que c’est difficile. C’est en Afrique, ce n’est pas seulement au Burkina Faso. Voyez ce qui se passe en Côte d’Ivoire, les gens font des sacrifices humains pour arriver au pouvoir, ça veut dire que ce n’est pas le peuple qui intéresse les politiciens. Donc, il faut revoir tout cela. Mais dans le deuxième essai qui vient, je suis en train de proposer une élection à zéro franc.
Autrement dit, tous les politiciens qui vont se lancer dans la campagne ne débrousseront aucun rond ; ça veut dire que tu dois rendre compte au peuple à la longue et vous allez voir que ça va marcher. Sinon, de nos jours, avec la classe politique, je ne vois pas quelqu’un qui peut sortir le Burkina de l’ornière. C’est ce qui fait que c’est décourageant, sinon pourquoi les gens ne votent pas ? On se dit que ce sont les mêmes personnes. Regardez en Afrique, les opposants qui sont venus au pouvoir, ce sont des échecs. Il faut tout revoir.
Parlant de pouvoir, d’aucuns pensent qu’il faut vite aller aux élections, parce que le contrat social qui a été proposé au peuple a été un fiasco. Etes-vous pour ou contre le maintien des élections le 22 novembre 2020 ?
Voyez-vous comment la classe politique s’excite à cette élection ? Il y a deux camps : d’un côté, ceux qui pensent qu’il faut aller aux élections et, de l’autre, ceux qui pensent qu’il faut une transition. Je pense qu’il faut les mettre dans le même panier ; parce que vous avez vu la transition, elle devrait être constituée par exemple d’hommes intègres, de gens qui viennent pour faire un sacrifice pour la nation, de gens qui viennent servir et non pour se servir.
Mais vous avez vu que les gens sont venus se remplir les poches, s’enrichir illégalement. C’est ça qui a fait que notre CNT (Conseil national de la transition) a échoué. Ceux qui sont pressés pour les élections ce sont ceux-là qui attendent leur tour pour piller les ressources du pays, sinon, normalement, si on regarde le contexte du pays et on part aux élections, cela pourrait être très difficile.
La Constitution dit que tous les Burkinabè sont libres et égaux en droits. Aller aux élections dans ce contexte d’insécurité, ça veut dire qu’il y a des Burkinabè qui seront exclus des élections. Le président qui sera élu, est-ce que tous les Burkinabè se reconnaîtront en lui ? Est-ce qu’ils se sentiront concernés, puisqu’ils n’ont pas participé aux élections ? Donc, ils ne se sentiront plus Burkinabè. Vous voyez, même l’insécurité a un volet politique, ça nourrit son homme. Je pense que c’est de trouver le juste milieu pour voir comment résoudre ce problème.

Pensez-vous que l’avènement de l’ONA (Opposition non-affiliée) peut résoudre le problème des élections au Burkina Faso ?
Je suis un peu déçu de cette même classe politique, parce que ce sont les mêmes personnes. Eux tous ont composé avec Blaise Compaoré. Même le Pr Abdoulaye Soma, il était le conseiller de Zida (Yacouba Isaac Zida) sous la transition. Actuellement, le peuple même n’a plus confiance à ses leaders politiques. Je pense que le peuple a besoin de quelqu’un qui va se soucier réellement des intérêts de la nation, de sorte que celui qui est à Falagountou (un département situé dans la province de Séno, région du Sahel au Burkina) puisse se sentir Burkinabè.
Voyez par exemple la Constitution, quels sont les gens qui sont chargés de la rédiger ? Ce sont ces mêmes intellectuels corrompus. Est-ce que la Constitution concerne par exemple le citoyen qui est à Falagountou ? Je dis non ! Il faut qu’on s’asseye ensemble pour réfléchir. Pour une nouvelle Constitution, il faut consulter tout le monde, il faut par exemple que ceux qui sont au fin fond du Burkina se sente concerné. Pensez-vous qu’un fonctionnaire au Burkina peut devenir président ? Il va avoir les 25 millions où ?
Pensez-vous donc que la loi stipulant que « tous les citoyens sont libres et égaux en droits » est vide de sens ?
Cette loi exclut la majeure partie des Burkinabè. Quel fonctionnaire au Burkina peut avoir 25 millions pour poser sa candidature au Burkina ? C’est une loi qui encourage même, d’une manière ou d’une autre, le vol ; c’est ce qui est révoltant. Si on applique cette loi, je pense qu’aucun fonctionnaire au Burkina ne peut prétendre à la magistrature suprême. Ou il va sortir 25 millions pour déposer sa candidature ? Comment il va battre campagne ? Pourquoi il y a fraudes au niveau des élections ? C’est parce qu’on veut rentabiliser et une fois au pouvoir, on récupère ses investissements.
Ces gens-là n’aiment pas leur peuple, sinon quelqu’un qui prend crédit de 25 millions pour déposer sa candidature et débloquer un milliard pour battre campagne et arriver au pouvoir pour tout récupérer, celui-là n’aime pas son peuple. Ils font des sacrifices humains pour arriver au pouvoir. Et tout ça, on dit c’est pour le bien de la nation. Je dis non, il faut que ça cesse. Des gens viennent au pouvoir, ils n’ont rien, mais ils repartent les poches remplis. Blaise Compaoré est entré avec combien à la présidence, mais il est ressorti avec des millions ? En Afrique, les présidents arrivent très pauvres et à la fin, ils sont vachement riches.
Si vous voulez faire votre commerce, ne venez pas à la magistrature suprême ; parce que la magistrature suprême, c’est un sacrifice, c’est renoncer à ses désirs égoïstes pour l’intérêt de la nation. Un président ne peut pas dormir pendant que sa population n’a pas de toit. Il y a combien de déplacés au Burkina, combien de personnes meurent ? C’est tout ça qui fait que c’est révoltant. Tu ne peux pas être assis, voir ce genre de choses et avoir la conscience tranquille. D’où le sens de mon combat et je me battrai jusqu’au bout.
Aujourd’hui, au Burkina, des revendications se font à tous les niveaux, y compris les syndicats, les magistrats. Pour vous, quelle a été la première faille de ce gouvernement ?
Il y a un adage qui dit que « le bouc est mal placé pour donner leçon de propriété au porc ». Regardez les revendications syndicales par exemple, vous me dites de serrer la ceinture, alors que vous-même vous augmentez la ceinture. Vous me dites d’être un homme intègre alors que vous-même n’êtes pas un modèle. C’est tout ça qui fait mal. Moi, je suis prêt à céder 50 000 F de mon salaire pour résoudre un problème national. Mais tu ne sais pas où vont tes 50 000 F ; c’est ça le problème.
Quelqu’un va prendre tes 50 000 F pour aller boire la bière et t’insulter. C’est dire que les syndicats ont raison. Si vous regardez ce qui se passe aujourd’hui et on vous demande de faire du sacrifice, c’est difficile. Ce que les syndicats demandent, ce n’est pas trop ; les gens circulent dans des véhicules de luxe, il y a des détournements de fonds, le REN-LAC en parle, mais rien. Si ce n’est pas l’ex-ministre Bouda qu’on a déposé [à la MACO], sinon rien.
Mais en France, Nicolas Sarkozy (président de la République française de 2007 à 2012) et François Hollande (2012 à 2017) sont poursuivis. C’est ça qui manque en Afrique, il faut montrer aux présidents que la gestion du bien public n’est pas le bien d’une seule personne, mais de tous. Donc, il faut gérer ça de sorte que tout le monde puisse en profiter. Les gens du Lorum (province de la région du Nord), de Falagountou, mais est-ce qu’ils profitent de cette gestion ? C’est difficile et c’est tout ça qui donne raison aux syndicats.
Pour vous, quelle a été la première faille de ce gouvernement ?
C’est d’avoir donné les avantages aux magistrats. C’est le fait de privilégier une classe de fonctionnaires au détriment des autres qui a été l’erreur fondamentale de ce gouvernement en place. Une fois, des militaires disaient que c’est eux qui ont des armes. C’est comme par exemple les financiers qui disent que ce sont eux qui ont l’argent, les gens de l’ONEA qui disent que l’eau c’est pour eux.
Je pense que tout le monde est capital, la justice sans l’enseignement, sans les médecins, sans les militaires, n’a pas de sens. C’est une complémentarité, ça veut dire que tout le monde est nécessaire dans la chaîne et si on enlève un, ça ne peut pas marcher. Dire donc que ce sont eux qui ont le pouvoir, c’est trop dit. Je pense que tous, nous sommes les mêmes ; et normalement, il faut écouter tout le monde. La rémunération devrait être faite en fonction du niveau d’études.
Mais, il y a des gens qui ont le niveau BEPC et qui touchent plus que le professeur d’université. Il y a un peu d’injustice dedans, qu’il faut réparer. C’est aussi par rapport à ça que les syndicats revendiquent ce qui leur revient de droit. Il est difficile pour un fonctionnaire de joindre les deux bouts ; et il y a des catégories de fonctionnaires quand tu t’y trouves, c’est compliqué, tu deviens un mendiant. Souvent, même le boutiquier du quartier se demande si réellement tu es un fonctionnaire. C’est triste, mais c’est une réalité.

L’affaire Béouindé avec les 77 véhicules, pensez-vous qu’il y aura une suite favorable dans ce dossier avec l’inculpation du magistrat ?
On va attendre ce que la justice va dire, je pense que dans cette justice-là, se trouvent encore des hommes intègres. Donc, je reste optimiste, car je sais que ce problème va se résoudre. Il ne faut pas que le dossier suive son cours comme au temps de Blaise Compaoré.
Je suis conscient qu’il existe des juges qui font consciencieusement leur travail, qui font honnêtement leur travail et même si le dossier va s’incliner, ces gens vont redonner un cours normal à cette affaire. Si le marché de ces 77 véhicules n’a pas été passé dans les règles de l’art, je pense qu’au Burkina, nul n’est au-dessus de la loi. Cette loi qui est applicable au citoyen lambda, sera applicable au président du Faso, car c’est la population qui fait le président ; sans elle, pas de président.
Ailleurs (en Europe, aux Etats-Unis), il est aisé pour un député ou un ministre ou encore pour un président de démissionner. Pourtant, en Afrique, on constate rarement de telles pratiques. Pour vous, qu’est-ce qui peut justifier cela ?
C’est ce qui me donne raison de dire que ces gens n’aiment pas leur peuple. Pendant la transition, on a vu un ministre qui s’entêtait à rester, pendant que le peuple ne voulait pas de lui. Si tu viens réellement pour l’intérêt du pays et qu’on ne te veut pas, ça ne souffre pas de débat, tu ramasses tes clics et tes clacs et tu disparais. Mais comme il y a des avantages, chacun s’accroche et ne veut pas laisser. Pourquoi on ne veut pas laisser ? C’est ce qui me donne raison de poursuivre la lutte.
Aujourd’hui, on remarque qu’il y a beaucoup de partis politiques au Burkina. Aussi, on constate l’arrivée de jeunes sur la scène politique. Quelle analyse faites-vous de cela ?
L’avenir de l’Afrique m’inquiète beaucoup, mais je reste toujours optimiste. Au sein de cette jeunesse, il y a des jeunes qui sont honnêtes, conscients. Par contre, il y en a qui sont partisans du moindre effort, qui cherchent le gain facile. Vous voyez en Afrique, la politique, c’est de l’investissement.
Il y a des gens qui disent que le moyen le plus facile de s’enrichir, c’est de faire la politique. En un rien de temps, tu deviens un milliardaire. Certains sont devenus millionnaires, milliardaires sous la transition, tout le monde veut le gain facile, personne ne veut travailler. Je n’accuse pas toute la jeunesse, car on dit que parmi les tomates pourries, il y a quand même de bonnes tomates.
Maintenant, il faut revoir la politique même en Afrique, particulièrement au Burkina, pour décourager ceux qui veulent entrer dans la politique pour s’enrichir. Il faut faire de telle sorte que la politique au Burkina, voire en Afrique, soit un sacrifice ; quand tu rentres, c’est l’intérêt du peuple au détriment de ton intérêt personnel. Et vous verrez qu’un jour, ça va porter fruit. Mais la politique actuelle, on ne peut pas dire que c’est de la politique ; mais plutôt de la politique politicienne.
Le Covid-19 a bel et bien existé, mais certains n’ont pas hésité à qualifier la pandémie au Burkina de mythe. Ces derniers pensent que c’est une part belle pour les politiciens de se faire des sous. Que pensez-vous de la gestion de la maladie ?
Par rapport à la gestion du Covid-19, il faut qu’on fasse le point ; il faut que ceux qui sont chargés de la gestion fassent un compte-rendu fidèle à cette même population. Il y a eu de l’argent récolté, il y a des Burkinabè qui se sont sacrifiés pour la cause nationale ; donc ce serait juste de rendre compte jusqu’au dernier centime. Voyez vous-mêmes, il y a eu beaucoup de contradictions. Déjà au niveau des médecins, la tension montait parce qu’ils ont commencé à revendiquer leur part. On nous sort des chiffres et après, les acteurs même se lèvent pour revendiquer.
C’est honteux. Mais comme j’aime à le dire, la confiance ne se réclame pas, elle se mérite ; c’est comme le respect, ça ne se réclame pas, ça se mérite tout simplement. Je suis un peu déçu de la gestion au Burkina. Le problème même de l’Afrique se situe à deux niveaux : la gestion des ressources humaines et la gestion des ressources financières. On gère mal le peu de ressources que nous avons et par conséquent, on est toujours derrière l’étranger pour nous secourir. Sinon, si on vivait en fonction de nos moyens, si on gérait dans la transparence, vous verriez que le peuple même va contribuer. Malheureusement, le peuple a perdu confiance et quand on n’en arrive à là, il faut tout renouveler.
Quand je vois le Pr Bado, souvent ça me fait mal, il est traité de tous les noms, on le traite de fou. Or, il a des idées qui peuvent révolutionner le Burkina. Au Burkina, il faut t’estimer heureux quand on te traite de fou ; parce que quand on te traite de fou, saches que tu fais du bien, tu aimes ton pays. C’est quelqu’un qui est honnête, qui dit la vérité. Or, la vérité dérange les politiciens. Je pense que si la politique était des idées, il allait faire la part des Burkinabè. Pourquoi ne pas lui donner une chance de mettre ses idées en pratique ; parce qu’on voit le vrai maçon au pied du mur.
On aime dire que la théorie est facile, mais la pratique est difficile. Platon avait une très bonne conception de la politique, « le philosophe-roi », mais il a échoué quant à la mise en œuvre de ses idées.
Oui, mais, il y a des gens qui sont fidèles à ce qu’ils disent et le font réellement. C’est le cas de Thomas Sankara, de Patrice Emery Lumumba (ex-Premier ministre de la RDC), Sékou Touré (père de l’indépendance guinéenne). Ces présidents y sont parvenus, parce qu’ils ont tourné simplement dos à l’Occident. Comment pouvez-vous comprendre que les problèmes de l’Afrique se traitent en France ?
Comment un pays peut confier sa sécurité à un autre et vouloir dormir en paix ? Ce n’est pas possible ! Emmanuel Macron (actuel président français) a convoqué cinq chefs d’Etat africains à Pau pour traiter du problème de terrorisme. Or, les réalités se passent en Afrique. Si la France était sérieuse, Macron aurait dû venir ici en Afrique. Il y a toujours des hommes intègres dans ce pays-là, qui ont toujours le sens du sacrifice.
On parle de crise identitaire, de conflit ethnique au Burkina… On parle aussi d’alternance ethnique. Qu’en pensez-vous ?
Entre nous populations, il n’y a pas de problème. Ce sont ces dirigeants qui sèment cette discorde entre nous pour pouvoir profiter. Sinon, les ethnies vivaient bien entre elles. Dans le livre à venir, je parle de ça et j’ai un chapitre intitulé « Qui je suis ». Je pense que les politiciens sont derrière cette crise, ils veulent « diviser pour mieux régner ». Vous voyez le Mossi se marie au Peulh, le Peulh se marie au Gourmantché, et ainsi de suite. Je pense qu’il faut tenir compte des enfants qui vont naître de cette union.
Par exemple, l’union entre le Mossi et le Peulh, s’il y a conflit, de quel bord se réclamera cet enfant ? Je demande aux politiciens de faire pardon en tenant compte de cette réalité. Le Burkina ne peut pas se construire en excluant les autres. Quand vous prenez la SNC (Semaine nationale de la culture) à Bobo, qu’est-ce qui fait la richesse de la culture au Burkina ? C’est tout le monde, cette soixantaine d’ethnies qui forment la nation. C’est ce mixage des cultures Bwa, Mossi, Lobi, Gourmantché… qui fait la richesse du Burkina. Je pense que le Burkina gagnerait à composer avec toutes les ethnies.
Avez-vous un message à l’endroit de la population ?
J’invite la population à rester sereine. On dit que c’est parce que « la maison est fendue que le lézard est rentré ». C’est parce qu’on ne s’entend pas que tout cela est arrivé. Mais il faut quand même qu’on essaie de s’entendre, de se dire que sans l’autre, je ne suis rien. Par exemple, je m’appelle Sawadogo parce qu’il y a un Tall qui m’appelle Sawadogo ; je dois mon existence aux autres, sans l’autre je ne suis rien. C’est donc dire qu’autrui mérite respect et considération et vice-versa. Beaucoup de courage à la population burkinabè, car toute chose à une fin. C’est ensemble qu’on sauvera le Burkina du chaos.
Interview réalisée par Augustin Khan (Stagiaire)
Lefaso.net