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Tamotsu Ikezaki, ambassadeur du Japon : « Le Burkina recevra des équipements sécuritaires d’une valeur de 3 milliards 250 millions de F CFA »

Publié le dimanche 6 octobre 2019 à 22h53min

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Tamotsu Ikezaki, ambassadeur du Japon : « Le Burkina recevra des équipements sécuritaires d’une valeur de 3 milliards 250 millions de F CFA »

L’ambassadeur du Japon au Burkina Faso, Tamotsu Ikezaki, en poste depuis 2017, dans une interview accordée à Lefaso.net, livre ses analyses sur la coopération bilatérale, la rupture des relations diplomatiques entre le Burkina et Taiwan, les défis sécuritaires au Sahel et l’évolution des rapports sino-japonais. Le diplomate nippon nous parle aussi des Jeux olympiques de Tokyo 2020.

Lefaso.net : Vous avez présenté vos lettres de créance au président du Faso en juin 2017. Dites-nous, au regard de votre carrière de diplomate, qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué au Burkina Faso ?

Tamotsu Ikezaki : Comme vous le savez, le diplomate est appelé à servir partout comme pont entre son pays et les autres pays du monde. Chaque pays a son originalité et l’image que je retiens du Burkina Faso est celle d’un peuple qui a soif de démocratie, de progrès, de justice ; l’image d’un gouvernement élu démocratiquement qui, malgré les turpitudes d’une conjoncture trouble, est déterminé à écrire les pages d’un Burkina Faso vraiment souverain, stable et prospère. Je retiens particulièrement que nos deux peuples ont des similitudes sur le plan culturel, comme le respect dû aux personnes âgées, la culture de la royauté, l’amour du travail, l’humilité.

Pouvez-vous nous parler de la contribution du Japon au développement du Burkina Faso en général et en faveur de la réalisation du PNDES en particulier, depuis la présentation de vos lettres de créance en juin 2017 ?

Cette question nous emmène à faire en même temps l’état des relations entre le Japon et le Burkina Faso. Disons-le tout de suite, le Japon se tient toujours aux côtés du Burkina Faso dans la réalisation des projets de développement, notamment en matière d’éducation, d’agriculture et d’intégration sous-régionale avec la réalisation d’infrastructures de qualité. Comme vous pouvez le constater, cette vision de notre coopération est déjà en harmonie avec les ambitions du PNDES. A titre illustratif, l’axe 2 du PNDES vise le développement du capital humain et, en rappel, la conférence internationale sur la mise en œuvre du PNDES tenue à Ouagadougou en juillet 2018 avait pour thème « Accélérer la transformation agro-sylvo-pastorale ».

Bref, à ce sujet, je préfère laisser parler les faits : la visite officielle du président du Faso au Japon en novembre dernier et la signature de l’accord de don pour le KR 2018 ; la construction de 43 CEG (Collèges d’enseignement général) au profit du post-primaire par le Japon ; le lancement des travaux de la rocade sud-est du boulevard des Tansoba ; plus de 185 millions de F CFA pour le financement de micro-projets dans les secteurs de l’eau, de la santé, de l’éducation et de l’autonomisation des femmes depuis le début de l’année 2019 ; 1 milliard 300 millions pour le PADEL ; 3 millions de dollars à travers le PAM et l’UNICEF (année fiscale 2018) ; l’envoi d’experts japonais au Burkina Faso ; l’envoi de stagiaires et de boursiers burkinabè au Japon ; des projets en cours de finalisation ; etc. Les relations entre le Japon et le Burkina Faso s’intensifient depuis ma prise de fonction, et je félicite tous les acteurs de cette coopération bilatérale.

Le processus de suppression de visa entre le Japon et le Burkina Faso est-il toujours d’actualité ?

La suppression de visa entre nos deux pays dépendra bien sûr du dynamisme de nos relations dans le temps et surtout du volume des échanges commerciaux que nous entretenons. C’est le lieu alors d’inviter les hommes d’affaires burkinabè à faire de la destination Japon, une destination plus fréquentée et à travailler avec les autorités burkinabè à assainir le climat des affaires burkinabè.

Le Burkina Faso s’apprête à entrer dans une période électorale, nonobstant le climat social très agité. Quelles appréciations en faites-vous ? Le Japon envisage-t-il d’apporter son soutien à l’organisation de ce scrutin comme il l’a fait auparavant à travers la CENI ?

En 2015, mon pays a fait un don en matériel roulant à la Commission électorale nationale indépendante (CENI), d’une valeur de 500 millions de F CFA. Cette contribution est l’expression de l’attachement du Japon à promouvoir l’Etat de droit dans le monde et à accompagner le processus d’enracinement de la démocratie au Burkina Faso.

Ainsi, avec cette modeste contribution et la contribution d’autres partenaires, ajoutée à la ferme détermination du peuple burkinabè et de ses leaders, le Burkina Faso a réussi l’organisation d’élections historiques. Pour ma part, c’est cette volonté ferme des Burkinabè de construire une nation forte et progressiste sur la base des principes républicains qui l’emportera sur les obstacles apparents qui ne sont que conjoncturels.

Pour y arriver, je pense humblement que cela doit se faire dans un climat apaisé, la communion des esprits, des cœurs qui battent à l’unisson au rythme de l’amour de la patrie, de la défense des intérêts suprêmes du peuple burkinabè. Les élections peuvent donc être une nouvelle occasion pour les Burkinabè de prouver leur maturité démocratique et cela passe par la réconciliation des cœurs. Et parlant de réconciliation, elle renvoie à l’esprit du Wa (les principes de l’harmonie japonaise, la discipline du Samouraï), à un regard introspectif qui interroge notre bonne conscience sur les conditions de l’harmonie intérieure, de la bonne gouvernance intérieure avec le sens de l’humour.

A quel niveau se situe la coopération universitaire entre le Japon et le Burkina Faso ?

La question de la formation et de l’éducation est un des axes stratégiques de notre coopération. Nous sommes convaincus qu’avec des hommes bien formés, bien éduqués, le développement est possible. C’est ainsi qu’en seulement une cinquantaine d’années, le Japon, malgré un territoire à 70% montagneux et sa défaite à la deuxième Guerre mondiale, a pu se hisser au deuxième rang mondial au plan économique. C’est pourquoi nous accompagnons également le Burkina Faso dans la formation de ses hommes et femmes par des possibilités de bourses et de stages de perfectionnement au Japon.

Entre autres, il y a l’initiative ABE qui permet à des jeunes d’étudier dans de prestigieuses universités japonaises avec la possibilité d’effectuer un stage dans une entreprise japonaise. Il y a aussi la bourse pour enseignants en sciences de l’éducation. Par rapport à la coopération universitaire à proprement dite, nous octroyons aussi des bourses à travers le CIOSPB (Centre national de l’information, de l’orientation scolaire et professionnelle et des bourses) pour des études postdoctorales ou pour la recherche. Ce sont des opportunités qui sont données à des acteurs du monde académique des pays en développement de codiriger une recherche avec un chercheur japonais.

Le Japon accueillera les Jeux olympiques et paralympiques à Tokyo en 2020 ; quelles sont les actions initiées par l’ambassade du Japon pour encourager une grande participation du Burkina Faso à cette grande fête du sport mondial ?

Pour mémoire, le Japon avait accueilli, pour une première asiatique, les Jeux olympiques (JO) d’été en 1964. C’est une deuxième fois, en 2020, pour le Japon qui s’active déjà depuis quelques années pour organiser ce rendez-vous du sport mondial dans les meilleures conditions possibles.

Comme vous le savez, les JO mettent en compétition les athlètes qui sont au meilleur de leur forme au plan mondial et exigent, pour y participer, des performances, donc de la préparation, de l’entraînement. C’est dans cet esprit que nous avons, jusque-là, organisé la coupe de l’ambassadeur en Judo et en Karaté afin de donner de la compétition à des athlètes burkinabè.

Par ailleurs, la construction d’infrastructures sportives comme la Maison des arts martiaux, le complexe administratif du CNOSB (Comité national olympique des sports burkinabè), le plateau couvert pour la Fédération de volley-ball, s’inscrit dans cette dynamique qui est d’offrir les meilleurs cadres d’entrainement aux athlètes. Il est aussi évident que plusieurs personnalités du sport burkinabè participeront aux JO, ainsi que des personnes qui, à titre privé, ont reçu des invitations de leurs partenaires japonais. Nous encourageons tout le monde à participer à cette fête du sport. Et comme il y a certaines démarches qui pourraient concerner l’ambassade, nos portes sont ouvertes pour donner l’accompagnement nécessaire aux intéressés.

Quel bilan dressez-vous de la 7e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 7) tenue du 28 au 30 août 2019 à Yokohama au Japon ? Et dites comment le Burkina Faso pourrait-il attirer le maximum d’investisseurs japonais sur son marché ?

En rappel, la 7e TICAD avait pour thème principal « Faire progresser le développement de l’Afrique à travers les personnes, la technologie et l’innovation ». Comme vous le savez, la TICAD se veut un sommet ouvert, inclusif, avec la participation des Etats, des organisations internationales, des bailleurs de fonds. La dernière édition a mis l’accent sur le dialogue secteur public-privé dans le but d’attirer le maximum d’investisseurs japonais en Afrique. Yokohama 2019, c’était plus de 10 000 participants avec l’adoption d’une déclaration assortie d’un plan d’actions.

En ce qui concerne le Burkina Faso, la forte mobilisation des hommes d’affaires burkinabè et la forte délégation gouvernementale sont la preuve que nos deux pays envisagent de porter leurs relations de coopération à une nouvelle échelle, en faisant la promotion de l’investissement et de l’innovation basés sur un partenariat économique et technique gagnant-gagnant.

J’en veux pour preuve la signature d’un MOU entre ABI et JETRO qui est l’organisation japonaise pour le commerce extérieur. C’est un protocole d’accord portant sur la facilitation et la promotion conjointe des investissements japonais au Burkina Faso. Il appartient alors aux acteurs du secteur des affaires burkinabè de travailler davantage, d’inspirer la confiance des investisseurs japonais et de vendre une belle image au Japon.

Par ailleurs, dans le cadre de l’institution de la NAPSA (la Nouvelle approche pour la paix et la stabilité en Afrique), le Japon s’est engagé à faire du Burkina Faso un pilier et a exprimé sa disponibilité à recevoir des projets burkinabè y relatifs. Je pense que cela est un grand acquis pour le Burkina Faso qui saura soumettre des projets pertinents dans le cadre du renforcement de la sécurité et de la stabilité du pays et de la sous-région.

Quelle est la contribution du Japon dans la lutte contre le terrorisme au Burkina Faso ?

Je peux déjà me réjouir du fait que le Burkina Faso recevra un don d’équipements sécuritaires du Japon d’une valeur de 3 milliards 250 millions de F CFA environ. Cela permettra l’acquisition de 96 véhicules 4x4 pick-up, 244 motos et 105 lampes projecteurs portables pour renforcer le système sécuritaire du Burkina Faso et sauvegarder le peuple burkinabè. Et nous étudions actuellement la possibilité de construire un hôpital à Dori pour faciliter la prise en charge sanitaire des gens de la région principalement éprouvée par la recrudescence des attaques terroristes.

« L’évolution du monde et les défis socio-économiques actuels de notre pays et de notre région recommandent que nous reconsidérions notre position », justifiait Alpha Barry au sujet de la décision du gouvernement de rompre les relations diplomatiques avec Taiwan. Sentiez-vous venir cette rupture ? Comment l’aviez-vous vécu, alors qu’on connaît les bonnes relations entre le Japon et Taiwan ? Quelle est l’évolution des rapports entre le Japon et ses voisins comme la Chine et les deux Corées ?

La question n’est pas de savoir si cela surprend ou non ou que nous soutenons la démarche ou non ; la question est de s’assurer que le Burkina Faso, en faisant ce choix, a pris le soin d’analyser les pour et les contre et qu’il tirera le maximum de profit pour l’épanouissement des populations burkinabè de manière durable et soutenable. Et à ce niveau, j’ai foi que les autorités burkinabè sont pétries d’expérience et que cette décision est un choix géopolitique et géostratégique bien mûri et exécuté de manière souveraine.

Pour le Japon, l’essentiel dans les relations internationales est de parvenir à un monde de paix et de stabilité à travers la promotion de la démocratie, de l’Etat de droit ; l’acquisition des principes d’un océan indopacifique libre et ouvert ; la coopération Etat-Etat empreinte d’humanité, de respect mutuel et basée sur un partenariat gagnant-gagnant.

A l’Assemblée générale de l’ONU, la problématique de la protection urgente de l’environnement a été soulevée. Quelles sont les initiatives écologiques proposées par le Japon ?

Depuis le drame de Fukushima en mars 2011, les initiatives écologiques se multiplient au Japon. Sur le plan international, le Japon a soumis à plusieurs reprises un projet de résolution sur l’élimination de l’arme nucléaire à la l’Assemblée générale des Nations unies. Cela a un double objectif de préservation de la paix et de sauvegarde de la nature. Au plan national, des initiatives sont prises aussi bien au niveau individuel que collectif pour protéger notre planète.

C’est dans ce sens que, de plus en plus, une technologie de pointe est mise en place dans le but de développer les énergies renouvelables, la synococulture, les voitures hybrides, etc. Il y a aussi que les Japonais ont une culture traditionnelle de vivre en harmonie avec la nature en évitant le gaspillage, avec le concept mottainai (le sens de l’économie) et la résolution que chaque Japonais a prise après Fukushima de réduire sa consommation d’énergie (setsuden).

Quel est votre message au peuple burkinabè ?

Comme mot de fin, permettez-moi d’évoquer un peu l’esprit du Wa, l’esprit de l’harmonie dans la culture japonaise. En réalité, si vous êtes animé par le désir réel d’aider, sur la base de la gentillesse, de la compassion et du respect de l’humain, alors vous pouvez réussir n’importe quelle activité dans tous les domaines et fonctionner plus efficacement avec moins de peur, d’inquiétude, sans craindre le regard des autres et, in fine, atteindre votre objectif. Une des leçons que nous avons besoin d’apprendre est comment nous devons cultiver une émotion positive, contraire à des émotions destructrices comme la colère et la peur.

La compassion, par exemple, apporte une confiance en soi-même (self-esteem) et une capacité d’agir dans la transparence, avec une âme pure. Elle renforce la confiance qui nourrit une amitié du cœur. La peur et l’inquiétude se transforment facilement en colère et en violence. L’antonyme de peur est confiance qui renvoie à un bon cœur, un cœur tendre.

La compassion, quant à elle, réduit la peur. Elle émane de l’esprit de concorde et conduit au respect mutuel. C’est cela qui est à l’origine de l’esprit de guerrier du Japon, fondement de la culture japonaise. Je souhaite qu’il y ait la concorde, la paix et la stabilité au Burkina Faso et que le développement économique et social se réalise pour le bonheur de tous les Burkinabè.

Interview réalisée par Edouard Samboé
Lefaso.net

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