30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
« Jeudi noir » à Ouagadougou que ce 30 octobre 2014. La fièvre de la contestation monte dans toutes les rues et artères de la capitale burkinabè. L’Assemblée nationale et les domiciles de plusieurs pontes du régime Compaoré sont saccagés et pillés. L’insurrection populaire est en marche. En fin de soirée, le Chef de l’Etat veut s’adresser à la Nation et rectifier le tir. Hélas, la télévision nationale a été saccagée et n’émet plus. Il fait alors appel aux services de la chaîne privée de télévision Canala 3. Un journaliste est dépêché à Kosyam. Il s’agit d’Adams Khaled Ouédraogo. Il fait partie des rares personnes à avoir vu un Blaise Compaoré « fatigué avec une mine assez grave ». Dans cette interview, qu’il nous accordée un an plus tard, l’homme revient sur les péripéties de cette « folle journée ». Lisez !
Présentez-vous ?
Je me nomme Ouédraogo Adams Khaled, journaliste à la Télévision Canal 3
Le 30 octobre 2014, Canal 3 détient un scoop. Elle diffuse en exclusivité le message à la Nation du président Blaise Compaoré. Vous étiez le seul journaliste présent à Kosyam. Racontez-nous un peu ce qui s’est passé ce jour-là ?
Déjà la veille, le 29 octobre, en conférence de rédaction, on avait muri un certain nombre de sujets par rapport à la date du 30 parce qu’on savait que c’était la date fatidique entre griffes. On imaginait un peu tout ce qui pouvait se faire surtout qu’il y a eu des marches, des contre-marches, et que la contestation populaire montait. C’était donc évident que le lendemain, on devait être au rendez-vous en termes de reportages.
Malheureusement, le 30 octobre, je ne me sentais pas bien. J’étais sous perfusion. Et d’après ce que j’ai eu comme information auprès de mes collègues, c’est qu’à leur arrivée autour de 9h-10h, un groupe de manifestants est venu faire passer un certain nombre de messages en direct pour montrer son mécontentement par rapport au projet de révision de l’article 37. Vu la difficulté à maitriser les effets de foule, la direction de la télévision en son temps avait décidé de fermer l’antenne et de demander aux travailleurs de rentrer chez eux car le risque d’agression du personnel était assez élevé. On a donc cessé d’émettre.
Moi qui étais souffrant à la maison, c’est autour de 14h-15h que j’ai constaté que Canal3 a recommencé à émettre. Il y avait une bande déroulante de la direction qui demandait à tout le personnel de revenir urgemment à la télé. En écoutant ce qui se passait aussi à la radio, j’ai eu envie de participer au travail d’information et malgré la maladie, je n’ai pas pu résister. J’ai donc répondu à l’appel en me rendant à Canal 3. Quand je suis arrivé, des collègues étaient déjà là. On a commencé à traiter un certain nombre d’éléments qui arrivaient déjà à la rédaction.
Quels éléments ?
C’étaient les images du saccage des domiciles d’Assimi Kouanda et de François Compaoré. Il y avait également les images de quelques blessés conduits à l’Hôpital Yalgado Ouédraogo qui nous avaient été envoyées par de bonnes volontés.
Autour de 18 heures, mon rédacteur en chef Innocent Soulama a reçu un appel venant de la présidence du Faso qui voulait un journaliste de Canal 3 pour enregistrer la déclaration du président Blaise Compaoré parce qu’à ce moment la télévision nationale, qui avait été victime de la colère des manifestants, n’était pas en mesure d’émettre. Sur le champ j’ai pris ma moto, j’ai empoigné une caméra et je suis parti.
Etiez-vous seul ?
Oui, j’étais seul. J’ai pris la route de la présidence. La situation était vraiment volatile parce qu’on ne savait pas qui faisait quoi. Il y avait des scènes de pillages et j’étais obligé de me frayer un passage jusqu’à Palace Hôtel. A ce niveau, j’ai vu un groupe de gendarmes qui étaient stationnés. Immédiatement je me suis arrêté, j’ai éteins ma moto et je me suis approché. Je me suis présenté et je leur ai dit que j’allais à la présidence parce qu’on avait demandé un journaliste pour la déclaration du Chef de l’Etat. Ils étaient surpris en me disant qu’ils n’avaient pas l’information. Néanmoins, ils m’ont laissé passer.
Juste après le palais des congrès de Ouaga 2000, il y avait un deuxième groupe de gendarmes. C’était encore le même procédé. Ils m’ont également laissé passer. A quelques mètres de là, j’ai vu un troisième groupe composé d’éléments du RSP [Régiment de sécurité présidentielle, NDLR] stationné avec un véhicule blindé. Ils ne m’ont pas retenu. Et c’est devant la Télévision BF1 qu’il y avait un gros contingent qui attendait. Ceux-ci étaient au courant de mon arrivée. Je reconnais au passage le capitaine Dao qui m’a demandé si c’était moi qui venait pour la déclaration. J’ai acquiescé et je suis passé. De BF1 à la présidence, on voyait des groupes de militaires tapis dans l’ombre.
Mais à l’intérieur de Kosyam, c’était relativement calme. Il n’y avait pas assez de militaires. Je suis allé trouver des confrères de BF1. Ce n’étaient pas des journalistes mais des techniciens. Apparemment ce sont eux qui ont envoyé toute la régie pour faire l’interview. On attendait.
Pendant combien de temps avez-vous attendu ?
On a attendu pendant une heure ou une heure et demie. L’ambiance dans la salle n’était pas du tout ça. Personne ne parlait. Chacun était inquiet parce qu’on ne savait pas ce qui allait se passer. Il y a même un agent de sécurité qui est venu et qui nous a demandé en rigolant pourquoi on ne causait pas. Il nous a demandé de nous détendre et nous a dit en langue mooré, « Malgr yél ya toogo ». Ce qui signifie, « C’est compliqué mais ça va aller ». C’est ce qu’il a dit en souriant. Cela a permis de détendre l’atmosphère quelques secondes. Après, le général Gilbert Diendéré est entré et nous a rassuré que le président du Faso allait sortir quelques instants après. Quelques minutes après, Blaise Compaoré est sorti et a commencé à prononcer son discours.
Comment l’avez-vous trouvé ? Etait-il en colère, anxieux, serein ?
Il affichait une mine assez grave. Il avait la mine de quelqu’un qui était très fatigué. Il avait les marques du visage assez prononcés. Il est vrai que le président du Faso est d’un certain âge [presque 64 ans, NDLR] mais ce jour-là, on sentait qu’il était épuisé. Il avait une voix vraiment cassée et on avait de la peine à l’entendre. Il a fait la déclaration deux fois. On a d’abord fait une première prise et il avait une voix empreinte d’émotion et entrecoupée. Quand il a fini sa déclaration, c’est lui-même qui a demandé si on pouvait reprendre. Sur le coup, je ne savais pas qu’il s’adressait à nous parce que très rarement il parlait aux journalistes. C’est quand il a répété la question que nous avons compris. Nous lui avons dit qu’il pouvait reprendre. C’est cette deuxième prise qui est passée au niveau de la télévision.
A la fin de la déclaration, vous a-t- il dit quelque chose de particulier ?
Quand il a fini, il a lancé un merci. Il a serré la main des techniciens qui se trouvaient à sa droite et il est parti. C’est le directeur de la communication de la présidence, Monsieur Sakandé, qui est venu vers moi et qui a précisé de faire passer l’hymne national avant et après la diffusion de la déclaration. Après cela, j’ai ramassé mon matériel et j’ai commencé à détaler à la rédaction pour faire passer l’élément le plus tôt possible.
Puisque la ville était toujours agitée, à quelle heure êtes-vous arrivé à la rédaction ?
Sur le chemin du retour, la route était assez dégagée surtout dans la zone de Ouaga 2000. Je suis arrivé à la télévision autour de 21 heures. Mais, juste avant le rond-point de la Patte d’Oie, j’ai rencontré quelques pillards qui passaient avec des sacs de riz. Un homme d’un certain âge m’a menacé avec une arme. Je lui ai dit que j’étais journaliste mais il était vraiment en colère. D’après ce qu’il m’a dit, il y a quelques manifestants qui ont pillé sa boutique et il était mécontent car il estimait qu’il ne faisait pas de la politique.Il m’a laissé passer.
Quel sentiment avez-vous ressenti après la diffusion de la déclaration ?
Je n’ai pas eu de sentiment particulier. Je n’ai fait que mon travail. C’est vrai que quand je suis rentré chez moi et que je regarde le parcours que j’ai fait, je me rends compte que j’ai couru un grand risque. La situation était volatile et tout pouvait arriver d’un moment à l’autre. Après avoir écouté la déclaration du président, en mon for intérieur, j’ai eu un brin de regret. Vu la tournure des événements, J’estime que si le message du 30 octobre avait été prononcé le 28 octobre après la marche de l’opposition, on serait peut-être dans un autre scénario.
En quelques mots, comment était cette journée ?
C’était une folle journée mais historique. Historique sur tous les plans surtout celui de la mobilisation. Il n’y a pas longtemps que je suis dans le métier et après avoir vu les images de ce jour, je suis sidéré. Je n’avais jamais vu une telle mobilisation.
Témoignage recueilli par Herman Frédéric BASSOLE
Lefaso.net
Vos commentaires
1. Le 30 octobre 2015 à 19:57, par ka En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Adams c’est ça aussi le risque du métier et celui du vrais Combattant, avant cela c’était les jeunes comme Hervé Ouattara qui, avant de rentrer a Kossyam a confié leurs âme a Dieu. Encore une fois bon courage a toi : Tu as eu le réflexe et la trempe de notre regretté valeureux journaliste Norbert Zongo.
2. Le 30 octobre 2015 à 22:56, par TIENFO En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Émouvant et plein de "si" on avait fait ou dit ceci ou cela on n’en allait pas être là.
3. Le 30 octobre 2015 à 23:06, par Oeil de lynx En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Félicitations à vous personnellement et à tous vos collègues les journalistes valeureux de ce pays qui ont travaillé honnettement pour notre pays. Votre courage est d’autant plus méritoire que des journalistes de bas étages roulaient éhontément pour le pouvoir et contre le peuple. Vous journalistes avez fait l’histoire. Merci.
4. Le 31 octobre 2015 à 06:07, par lamby En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Merci Canal3 mais vous faites passer le premier enregistrement pour nous quand meme.Adams tu ne pouvais pas le gifler pour le peuple ?courage a vous
5. Le 31 octobre 2015 à 06:25, par SID WAYA En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Beau travail !! mais petit frère tu as risqué dès !! comment était la mine du " faiseur de roi " le PDG du coup d’état foireux allias général putschiste ? Pauvre Blaise !!! les politiciens mange- mil t’on flatté juste qu’au bout alors qu’il te suffisait de prononcer ce discours après la marche historique du 28 et tu était tranquille encore pour 12 mois. L’entêtement de ton entourage nous a amené là ou nous sommes avec à la clé certains des entêtés à la MACO ainsi qu’à la MACA.. Affaire à suivre.
6. Le 31 octobre 2015 à 06:42, par Mon Frère. En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Monsieur Ouédraogo, la déclaration ne pouvait pas être faite le 28 octobre 2014 parce qu’il fallait que Blaise Compaoré assume son destin. François Compaoré aussi pour l’ensemble de ses crimes politiques et économique. Donc chacun n’a qu’à réfléchir : si tu fais quelque chose de mal sur cette terre, même dans un trou, tu vas le payer cash avant d’aller répondre devant Dieu le Tout Puissant, Allah le Grand. C’est pourquoi, malgré les conseils éclairés que j’ai donné à Blaise, par lettre, par écrit, il est resté sourd à l’appel de ne pas modifier l’article 37. En fait, il fallait fatalement et obligatoirement qu’il soit ainsi châtié honni pour l’ensemble de ses oeuvres (bienfaits et malfaisances). Lui au moins a eu la vie sauve grâce à la France. Thomas Sankara et ses compagnons n’ont pas eu cette chance grâce à cette même France. Quel dommage pour des frères d’armes qui se sont entretués... Ton Frère.
7. Le 31 octobre 2015 à 08:52, par zemosse En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Félicitation pour ce !que tu as fait.C’est dommage que tu ne soit pas parti avec une caméra !caché pour visionner les derniers instants du fuyard.
8. Le 31 octobre 2015 à 11:15, par Roger DIARRA En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Bravo le frère, tu es un vrai journaliste
9. Le 31 octobre 2015 à 12:12, par Sidpawalemdé Sebgo En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
De façon générale, je trouve que le mérite de nos journalistes pendant les périodes du 25 au 31 Octobre 2014 puis du 16 au 30 Septembre 2015, n’a pas été assez reconnu, félicité et récompensé.
Il suffit de voir les risques qu’ils ont couru, l’importance que les informations données ont eu sur l’insurrection et la résistance et même les victimes d’exactions parmi les journalistes pour comprendre le rôle qu’ils ont joué.
Bravo à eux. C’est un peu frustrant que l’armée régulière, qui a intervenu à la fin de la crise après des tergiversations, soit célébrée et même honorée par un jour légal pendant qu’on ne parle pas de ces héros qui se sont battus tous les jours pendant ces jours de danger.
10. Le 31 octobre 2015 à 12:47, par Alexio En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Blaise Compaore a peine 64ans avait brusquement vieilli par les evenement que lui meme avait creer par son entetement. Et n oublions pas la lettre floue de son ancien maitre, le president francais FrancoisHollande qui avait sans doute accelere ce etat d ame.
Venu par l epee, parti par l epee de Damocles.
11. Le 31 octobre 2015 à 17:21, par Mon Frère. En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Avec des "si", on met Paris ou Ouagadougou dans une bouteille de beaufort de brakina ou de So. B. Bra, selon les goûts de chacun. Mon type, tu as fait ta part de boulot. Merci pour ça. Ne regrettes rien car ainsi va la vie. Les méchants seront inmanquablement chatiés et les bons seront assurément épargnés. Ne t’inquiètes pas outre mesure. Témoignage émouvant.
12. Le 31 octobre 2015 à 17:33, par kiso En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
bon travail et Bonne carrière.C’est de ce genre de journalistes que le Burkina a besoin !
13. Le 2 novembre 2015 à 09:49 En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
Du courage mon Frère. Je vous souhaite une Bonne et Paisible Carrière. Surtout faites votre travail dans la Foi et la Loyauté et Dieu notre Créateur va vous accompagner.
14. Le 3 novembre 2015 à 08:37, par hacianne En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
A vous lire ,je dis simplement que je suis fière d’être burkinabé. Bon courage à vous .Le journaliste n’a pas de sentiment. Quant on bâillonne un peuple ,on se bâillonne soit même. Je suis sure que ce qui le fait le plus mal ce n’est pas la déchéance du pouvoir ; c’est le fait qu’il est loin de son pays comme un apatride. Sa situation est le résultat du sang versé pendant 27 ans.
15. Le 3 novembre 2015 à 08:43, par hacianne En réponse à : 30 octobre 2014 à Kosyam avec Blaise Compaoré : Le journaliste Adams Khaled Ouédraogo se rappelle
A vous lire ,je dis simplement que je suis fière d’être burkinabé. Bon courage à vous .Le journaliste n’a pas de sentiment. Quant on bâillonne un peuple ,on se bâillonne soit même. Je suis sure que ce qui le fait le plus mal ce n’est pas la déchéance du pouvoir ; c’est le fait qu’il est loin de son pays comme un apatride. Sa situation est le résultat du sang versé pendant 27 ans.