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Port obligatoire du casques : Les émeutes du casque

Publié le lundi 4 septembre 2006 à 06h36min

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Jamais une opération de la police n’a été autant contestée par les usagers de la circulation que celle qui a eu lieu le 1er septembre 2006. Le contrôle sur ce port du casque a fait certes le bonheur de ceux qui le vendent.

Mais le revers de la médaille, ce sont les mouvements d’humeur de la population, qui se sont manifestés par la destruction de biens et des échauffourées avec la police. Mamoudou est agent de liaison dans une entreprise au centre-ville. Comme à ses habitudes, il s’est levé tôt le matin pour s’y rendre afin d’éviter les embouteillages. En plus, il faut bien récupérer les journaux du boss avant son arrivée au bureau.

Malheureusement, Mamoudou, qui abhorre les longs bouchons, rencontrera une plus grosse allergie devant lui, à côté de l’Hôpital pédiatrique. En effet, une escouade de policiers "lève-tôt", comme lui, l’ont arrêté à l’intersection de l’avenue Charles-de-Gaulle et du Boulevard Circulaire. Ils ont récupéré sa monture et lui ont intimé l’ordre d’aller chercher un casque avant de venir récupérer son moyen de déplacement. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’au même moment, beaucoup d’autres usagers étaient en train de vivre la même mésaventure que lui.

Et dans la ville, comme dans une cocotte minute, la révolte était en train d’enfler et a finalement pris une tournure violente. Ailleurs, on a connu les émeutes du pain, ici on vient de vivre la révolte du casque. Ce vendredi 1er septembre donc, des agents de la Police municipale, en collaboration avec ceux de la Police nationale, se sont déployés sur toute la ville de Ouagadougou, afin de vérifier que tous les utilisateurs de cyclomoteurs portaient bien un casque de protection, comme l’impose le décret du 4 avril 2005 paru à cet effet.

Pendant une heure, les flics ont procédé à l’interpellation de nombreuses personnes en infraction, dont les motos ont été saisies. Les plus chanceux d’entre eux, qui ramenaient un casque, même emprunté, quelque temps après, pouvaient repartir avec leur moto tant qu’elle restait sur les lieux. Mais, une fois les mobylettes embarquées et amenées à la fourrière, il fallait payer une amende de 3 000 Fcfa en sus de la présentation du pot de fer.

Quelques instants après, tous les alentours de Rood Woko sont pris d’assaut. Le cours du cabasset est subitement monté à la bourse de Ouaga et ces gamelles s’achetaient comme des petits pains. Des achats qui se faisaient avec une grande amertume au cœur. C’est le cas d’Adama Ouédraogo, résidant au secteur 9. Quand il achetait sa moto, cette garniture n’était pas intégrée à la vente. Et la décision de réprimer le surprend d’autant plus qu’il y a, selon lui, d’autres priorités. « Il y a la hausse de l’essence, de l’électricité et nous sommes à la veille d’une rentrée scolaire ». Parfait Ki, lui, possède l’accessoire, mais il l’a laissé à son lieu de travail. Et voici qu’il est tombé entre les mains des flics. Pour pouvoir reprendre sa moto, il lui a fallu aller le chercher dare- dare. Après quoi, il fait le tour des échoppes aux alentours du marché Rood Woko à la recherche d’un casque pour sa collègue de service.

« Nous les avons votés, voilà ce qu’ils nous font »

Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les petits revendeurs et autres gros revendeurs du désormais précieux outil, eux, se frottaient les mains. Les prix ont pratiquement doublé. Pire, les stocks disponibles commencent à manquer. Propos d’un petit, Abdoul Rasmané Simporé : « C’est bien, mais c’est pas arrivé » (1). « Jusqu’hier (Ndlr : le jeudi donc), les gens venaient surtout pour se renseigner sur les prix, qui tournaient autour de 4 000 FCFA. Aujourd’hui, les prix ont doublé ».

Ce petit commerçant devrait pourtant être content, lui qui a déjà vendu une soixantaine de casques avant midi. Et pourtant : « Je suis vendeur de casques, mais cette mesure me déplaît. Si une autre marchandise s’achetait autant, cela me ferait énormément plaisir. Quand je me rends compte que ceux qui achètent sont mes propres parents, ça me fend le cœur ». Mais, ces états d’âme, les gérants de la boutique chinoise en face de l’ex-ciné Burkina ne devaient pas l’avoir. Les prix sont plus bas dans ce magasin, comparativement à ceux d’autres commerçants. Entre sept heures et onze heures, une foule immense s’y est attroupée et c’était la bousculade pour avoir le fameux objet.

Il y avait de la tension dans l’air et l’ambiance confinait à l’émeute. Les visages étaient tendus. Propos d’une dame qui a requis l’anonymat. « Je suis là depuis 6 heures. J’ai eu mon casque, mais il m’en faut 5 autres pour mes enfants ». A l’écouter, ce n’est pas le prix qui pose problème, mais le fait de devoir jouer des biceps pour en avoir. L’air révoltée, elle a tiré à boulets rouges sur nos autorités, les traitant d’ingrats. « Ils nous ont flattés, nous les avons votés et en retour, voilà ce qu’ils nous font », a-t-elle conclu, résignée. Adama Compaoré venu pour les mêmes raisons ne dit pas autre chose, avec son langage imagé : « Nous les avons choisis et ils veulent nous enfermer dans une boîte ». Pour ce dernier, la sensibilisation devrait être la première étape.

Et d’ajouter que l’Etat ne devrait pas forcer les gens à porter cet armet des temps modernes. D’ailleurs, a-t-il ajouté, en cas d’accident, c’est la victime qui paye la totalité de ses frais d’ordonnance, ce n’est pas l’Etat. Toujours est-il qu’à la boutique chinoise, l’imposant stock de casques dont l’unité coûtait 3 000 FCFA s’est envolé avant midi. La caissière (une chinoise) visiblement ravie mais excédée par la présence de journalistes a consenti à ouvrir la bouche pour promettre la prochaine arrivée... dans deux mois.

Les civils sont arrêtés, les hommes de tenue continuent leur chemin

On aurait pu en rester là, mais pendant ce temps de bousculade pour acheter le casque, le degré de mécontentement au sein des usagers allait grandissant. Jamais, une action de la police n’a été autant contestée. Cette opération a mis en ébullition la ville et la tension était perceptible. Aux environs de 9 h, des attroupements se sont formés sur la route de Ouaga 2000. Au rond-point de la Patte-d’Oie, des barrages de pierres ont été vite érigés, des pneus incendiés et des plantes ornementales, fraîchement plantées sur le milieu des deux voies, sont prestement arrachées sur au moins un kilomètre.

Ce sombre tableau est l’œuvre de jeunes gens qui protestaient contre l’obligation de porter le bassinet. Avant que la foule soit aussitôt dispersée à coups de matraque et de gaz lacrymogènes par la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) appelée en renfort, à travers la ville, des milices "anticasques" sont formées. Leurs membres voient rouges quand ils aperçoivent un porteur de ce gadget.

Un de nos collègues en a d’ailleurs fait les frais (voir encadré). Si vers Ouaga-Est, on demandait au porteur de s’en débarrasser, ailleurs l’on était plus radical. Comme à Tampouy, où on vous le récupérait et on vous le brisait devant vous. Comme on le sait en pareilles circonstances, les bus sont rarement épargnés. Aux environs de Ouagarinter, le car immatriculé 11 JJ 5530 de la « Ligne 2 » de la SOTRACO, qui revenait du SIAO, a été pris à parti avec des jets de pierre qui ont vite brisé les vitres. Les passagers n’ont dû leur salut qu’à la vigilance de Rasmané Bonkoungou, le chauffeur, qui a tout de suite ouvert les issues afin de permettre aux passagers de prendre la clef des champs. Ce conducteur a aussi laissé entendre que les manifestants ont tenté d’incendier le véhicule en mettant le feu à une de ses roues. Les pompiers, arrivés sur place, ont vite maîtrisé l’incendie, évitant ainsi qu’il soit entièrement carbonisé.

Côté intervention, la Police semble avoir également commis des bavures. A écouter certains interlocuteurs, elle s’en est parfois prise à des innocents. C’est le cas de ce ferrailleur, Aboubacar Nikièma, au quartier Paglayiri. Il était dans son atelier quand des CRS sont arrivés et s’en sont pris à lui et à ses employés à coups de matraque. Un de ses employés, Boureima Tiemtoré, a même été emmené au poste, alors qu’il était convalescent. « C’est normal que la police poursuive et arrête les vandales », a dit Aboubacar. Il est contre la destruction de la chose publique comme tout bon citoyen, car « c’est à nous- même qu’on fait du mal », a-t-il renchéri. Cependant, il ne comprend par que les forces de l’ordre s’en prennent à des honnêtes citoyens qui essaient de gagner leur vie.

Pour lui, il y a eu trop d’excès dans la répression « sinon pourquoi sont-ils entrés jusqu’à l’intérieur de l’atelier ? ». Et la chose qui a révolté plus d’un pendant cette opération sur le port du casque, c’est que les policiers ont fermé les yeux sur tous les usagers en tenue militaire ce jour-là. Il suffisait, pour ces hommes de tenue, de présenter soit leur carte professionnelle soit d’avoir leur béret vissé sur la tête pour continuer leur chemin, au grand dam des civils interpellés. « Comme s’il suffisait de porter le képi ou le béret pour avoir une tête blindée », a fait remarquer, outré, un usager de la circulation.

Issa K. Barry Avec la collaboration de : Didier Ouédraogo Adama W. Ouédraogo Alassane Kéré


Question d’opportunité

Dame rumeur a vite fait de prétendre que si après quelques rappels et communiqués de semonce, les pouvoirs publics ont décidé d’appliquer le décret de 2003 revu et corrigé le 4 avril 2005, c’est qu’un proche du président Blaise Compaoré en personne auraient des containers de casques qui n’attendraient que des têtes porteuses pour être écoulées.

Une information naturellement difficile à vérifier si ce ne serait pas pire calomnie ou médisance, mais quand bien même on ne serait en rien engagé dans et par cette prétention, elle traduit à tout le moins la haute estime dans laquelle les Burkinabè tiennent leurs dirigeants et toutes ces étoiles qui gravitent autour de la galaxie présidentielle. La preuve, l’obligation pour les usagers des deux roues de porter cet accessoire de conduite et la sortie des flics vendredi matin pour sévir sur ceux qui ne se seraient pas conformés à cet oukase ont embrasé la capitale et, du coup, obligé les flics à lever les barrages pour aller éteindre les foyers d’incendie sociale à Tampouy, à la Patte d’oie, etc.

Il faut toujours regretter les excès et la violence auxquels donnent souvent lieu ces mouvements d’humeur même si les pneus brûlés, les plantes arrachés, les feux tricolores cassés et les bus endommagés servent d’exutoire et de catharsis à des croquants qui se résolvent à cela, faute de saigner du poulet. Ne disait-on pas du peintre paysagiste français Vlaminck, l’un des maîtres du fauvisme, qu’il avait refoulé des tendances anarchiques et c’est pourquoi il peignait des couleurs trop vives pour éblouir et éclabousser les gens à défaut de pouvoir jeter des bombes ? Cela dit, si le droit de manifester est légitime et même souhaitable en bonne république, il faut avoir présent à l’esprit les mots du penseur qui disait qu’il combattra toujours une mauvaise loi jusqu’à ce qu’elle soit abrogée mais qu’en attendant, il la respectera.

En fait, au-delà des suspicions, qui sait, légitimes des populations, la décision instituant le port obligatoire du casque n’est pas mauvaise en soi, bien au contraire. Si les statistiques dans un pays comme le nôtre ne sont pas toujours disponibles ou manquent de fiabilité, on n’a pas besoin de faire polytechnique pour savoir que couvrir son chef peut s’avérer particulièrement utile lors d’un accident et bien de vies auraient sans doute été épargnées si les usagers de la route avaient cet outil bien vissé sur le crâne au moment du choc. Et il est du devoir de l’Etat de protéger les citoyens, dût-il le faire contre leur gré. Et c’est ce qui se passe actuellement. D’où vient alors que l’usage de ce gadget provoque des résistances chez nos compatriotes pourtant, et paradoxalement, convaincues dans leur grande majorité de son utilité sinon de sa vitalité ?

Il y a, on l’a vu plus haut, la suspicion somme toute légitime dans la mesure où elle se fonde sur des antécédents peu glorieux pour des régimes qui se veulent probes et responsables, ici ou ailleurs. Pensez au "casque Mariam"(1) chez nos voisins maliens. Mais au-delà de cette méfiance dont on peut toujours discuter le bien-fondé, il est par contre un élément incontestable et objectif, c’est le renchérissement de la vie et la pauvreté chaque jour plus insupportable pour les petites gens.

On les entend déjà dire : "vous aussi vous exagérez. Combien coûte un casque pour que ce soit si difficile à... casquer ?" Bien sûr, pour les barons du complexe politico-économique qui rivalisent à coup de châteaux, de voitures rares et forcément chères ainsi que de pelletées de maîtresses à entretenir, et, dont les rejetons, ces jet-seters-sous Sahel ne se gênent plus pour "concasser" les millions volés dans les poches et placards de leur géniteur, pour ces messieurs et dames effectivement, 5000 ou 10 000 ce n’est rien d’autre qu’une obole, même pas l’argent de poche quotidien du mouflet. Mais pour le petit fonctionnaire qui attend chaque fin de mois "l’appel du muezzin" (2) comme s’il s’agissait du messie, c’est énorme. Et c’est d’autant plus énorme que ses revenus stagnent depuis des lustres et même baissent nonobstant les augmentations symboliques des salaires et traitements quand on les rapporte au coût de la vie qui, lui, ne fait que grimper.

Et c’est là que se pose un problème d’opportunité politique dont il faut toujours tenir compte quand on gère les affaires de la cité mais dont, hélas, ces politiciens à la petite semaine qui nous gouvernent se fichent comme de leur première barboteuse. Sinon comment comprendre qu’avec le prix de l’essence qui ne fait que flamber et contre lequel ils ne peuvent manifestement rien ; comment comprendre qu’avec le prix du kilowattheure que la SONABEL a revu à la hausse depuis le 1er septembre ; comment comprendre qu’avec l’augmentation des frais de scolarité et sachant qu’actuellement le souci n°1 des parents est de trouver une place en classe et des fournitures pour leur progéniture ; comment comprendre que malgré tout cela, nos mandarins décident d’en ajouter une louche avec un problème dont on ne voit pas le caractère urgentissime. Ou bien ils n’ont pas le sens de l’opportunité. Ou bien ils souffrent de myopie politique. Ou bien il se moque pas mal du martyre que peuvent souffrir leurs concitoyens. A moins que ce ne soit pour les trois raisons à la fois.

Depuis quand se préoccupent-ils d’ailleurs de notre sécurité ces gens ? Autant qu’on sache, ils n’ont pas fini avec le grand banditisme, la lutte contre l’insécurité sous toutes ses formes et tous ces fléaux qui nous pourrissent la vie. Bien sûr ils auront vite fait de banaliser les manifs de vendredi, ils auront vite fait de prétendre que ces émeutes du casque étaient l’œuvre de vandales excités et manipulés par des politiciens en perte de vitesse ou par le PCRV, mais ils auront tort de botter ainsi en touche. On ne cessera jamais de le dire, cette armée de Jean Valjean dont les rangs ne font que grossir au fur et à mesure que les populations sont délaissées sur les bas-côtés du "développement solidaire" et du "progrès continu" n’est certainement pas la prémice de cette "société d’espérance" qu’on cherche à voir. Quand Blaise Compaoré va-t-il en fin descendre, et sans casque, de sa tour d’ivoire pour voir ce qui se passe dans le pays réel ?

En attendant, il faut rapporter cette mesure pour le moins impopulaire et qui contribue à surchauffer un climat social déjà passablement délétère. Pour un homme d’Etat, ce n’est pas de la faiblesse que de reconnaître qu’on s’est planté et de revenir sur sa décision ; c’est au contraire faire preuve de courage et de lucidité politique. Comme ce fut le cas quand on avait renvoyé un peu trop vite les élèves policiers qui manifestaient pour réclamer de meilleurs conditions de vie et de travail. Ce ne doit donc pas être plus difficile de faire rentrer en caserne les policiers qu’on a sorti vendredi pour contrôler et réprimer les gens.

(1) : Du nom de Mariam Traoré, l’ex-première dame du Mali. On raconte que quand son mari Moussa était au pouvoir (entre 1968 et 1991), l’Etat décida, "pour protéger les citoyens", d’imposer le port du casque mais d’une marque précise "Pingouin". Et il se trouvait, comme par hasard, que c’est Mariam qui avait le monopole de ce joujou qu’elle importait hors taxes.

(2) : Le communiqué mensuel du trésorier payeur général de l’Etat indiquant que les salaires du mois sont disponibles, en règle générale le 25 du mois.

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 4 septembre 2006 à 12:31, par laaffi En réponse à : > Port obligatoire du casques : Les émeutes du casque

    Je me souviens que dans les années 79-80, il y avait eut aussi des répressions concernant le port obligatoire du casque ( On venait d’en recevoir en don de la part de la Chine). En brousse, il était impossible d’en trouver et certains portaient même des calebasses à la place. La répression a été vite abandonnée car même les policiers et autres gendarmes n’en portaient pas lors de leur déplacements privés. Cela ne durera pas longtemp.

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