LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Tapage nocturne à Ouagadougou : La pagaille des débits de boissons

Publié le vendredi 5 mai 2006 à 07h35min

PARTAGER :                          

A Ouagadougou, la nuit se conjugue avec le bruit des haut-parleurs des débits de boissons. Aucun secteur de la capitale n’échappe au tapage nocturne créé par les maquis, les bars, les buvettes. Notre équipe de reportage a décidé de constater le phénomène de la nuisance sonore durant une nuit dans les rues de Ouagadougou.

De 20h à 3h du matin, durant la soirée du vendredi 28 au samedi 29 avril 2006, nous avons vécu le calvaire des riverains des débits de boissons de quelques secteurs.

20 h 58 mn. Deuxième étage de l’immeuble surplombant le maquis « le Moulin rouge » situé sur l’avenue Kwamé-N’Krumah au centre ville de Ouagadougou. Deux coups de sonnerie à la porte. Mme Edith Da, cadre de banque nous ouvre sa porte. Après les présentations d’usage, elle accepte de se confier.

« Le maquis nous gène considérablement. Depuis l’ouverture du maquis, je n’utilise plus mon balcon ne serait-ce que pour pouvoir prendre de l’air. Même pour travailler sur les dossiers emportés à domicile, cela est un calvaire ».

Mme Edith Da, habite cet immeuble appartement à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), depuis bientôt 15 ans. A l’écouter, sa vie est un calvaire depuis l’ouverture du maquis. « Non seulement le four du maquis crée la chaleur dans les escaliers mais aussi, les désagréments occasionnés par les véhicules de la clientèle nous empêche d’être en sécurité, » explique Mme Da. Ce sentiment est partagé par les autres locataires de l’immeuble. « Franchement, il (NDLR : le Moulin rouge) n’est pas le bienvenu car c’est une zone d’habitation qui n’est pas destinée à l’implantation de maquis » clame une pensionnaire.

21h 15. 3e étage. Le son de la musique parvient distinctement. Une dame qui a requis l’anonymat explique, « la présence du maquis le Moulin rouge trouble notre quiétude. En outre, l’avenue Kwamé- N’Krumah est parsemée de maquis, et de boîtes de nuit. Certains ne mettent pas la musique mais font de bonnes affaires ». La dame cite l’exemple du maquis « chez Simon » situé en face du « Moulin rouge ». Les locataires de l’immeuble avouent avoir mené plusieurs démarches pour faire entendre raison au propriétaire du maquis.

Selon Mme Da, une dame du 1er étage, offusquée par les désagréments causés par « le moulin rouge » aurait arrosé le gérant avec de l’eau pour exprimer son mécontentent. Cette dame se serait plainte du bruit et de la fumée du four. « La fumée transformait par moment sa chambre en une cuisine ». Le propriétaire du maquis a connecté une sorte de cheminée pour éviter de « griller » les locataires. Cela n’est pas suffisant pour les locataires. « Nous avons essayé de collaborer mais il est resté sourd. Il semblerait qu’il (NDLR : le gérant) ait de « long bras pour faire cela », confie Mme Da. Un peu amer, elle déclare « que ce soit de longs bras ou de longs pieds qu’il a, nous voulons qu’il déguerpisse ». Au rez-de-chaussée de cet immeuble, les maquis semblent rivaliser en puissance de sonorité. « Cela crée un vacarme de telle sorte que l’un ne peut entendre ce que l’autre joue ». Le maquis « Happy Donald » a une télé allumée. Les clients ont les yeux rivés sur l’écran mais le son des haut-parleurs du maquis « le Moulin rouge » couvre le son de la télévision.

22h 20 mn. Secteur n°27 de Ouagadougou. En face du Bureau des Mines et de la Géologie du Burkina (BUMIGEB) trône le maquis-bar « le Fouquet plus ». Ce maquis est construit sur une parcelle initialement destinée à l’usage d’habitation. « Le Fouquet plus » fait mur mitoyen avec des cours d’habitation. Dans l’une de ces concessions, logent des élèves et des étudiants. Inoussi Maïga est inspecteur des impôts. « Le volume de la musique ne permet pas de se reposer. Il est difficile pour nous de nous écouter et d’écouter les informations à la radio ou à la télé » partage l’homme que nous venons de réveiller de son sommeil. Selon lui, les étudiants et les élèves sont souvent obligés d’aller trouver le calme idéal ailleurs pour étudier.

Des gérants intouchables

En effet, dans le maquis, près de quatre hauts parleurs sont disposés. L’animateur confie que ses appareils ont perdu de leur puissance. « Les haut-parleurs originaux ont été grillés et nous avons dû les remplacer par des moins performants. Nous attendons de placer des « tuteurs » pour accroître le son » explique le DJ. Les riverains ne se plaignent-ils pas ? Interrogeons-nous. « Si, il se plaignent mais ne le disent pas ouvertement », laisse entendre le DJ. Selon les riverains, le propriétaire du maquis se trouve être le mari du propriétaire de la parcelle sur laquelle est construit le bar.

Les riverains du « Fouquet plus » ont eu à attirer l’attention du gérant sur les désagréments causés par la présence du maquis à proximité des habitations. Non seulement, « le maquis constitue un danger pour les riverains mais aussi et surtout, il est mal implanté, » confie un locataire. A l’intérieur du maquis, il faut crier pour se faire entendre. Les samedis, le son de la musique de ce maquis « inonde » le secteur.

Sans oublier, selon M. Maïga, qu’il ferme en général entre une heure et deux heures du matin. 23h 25 mn. Avenue Kiendrébéogo N. Didier. Secteur n°12 (Dapoya) de Ouagadougou. Sur cette avenue, on confond aisément l’entrée des habitations d’avec celle des maquis et des bars. Les sonorités sont concurrentielles. A chaque deux pas un maquis avec une sonorité tonitruante. « La Garde internationale », « Matata », « Casino », les kiosques à liqueurs, « petit Africana » rivalisent en vacarme. Nous entrons dans le couloir jouxtant « la Garde internationale ».

Au pied des murs des écriteaux expressifs « interdit d’uriner ». Dans les ténèbres, il faut bien poser le pas afin de ne pas être éclaboussé par les eaux usées. A 100m derrière le maquis, le son est toujours présent. Nous frappons à la porte de Mme Valmedé à 23h 30 mn. Les yeux bouffis, les paupières lourdes, elle confie, « nous vivons quotidiennement dans ce brouhaha. Nous sommes en insécurité avec nos enfants face à la fréquentation de ces lieux ».

Pour ne pas arranger les choses, Mme Valmedé soutient que le maquis « One Night » ouvre la journée (de 9h à 18h) d’où l’impossibilité de faire la sieste. Et lorsque celui-ci ferme, les autres prennent la relève de 18h à 6h du matin. « Chacun met le volume selon son entendement, sans considération aucune pour le voisinage. Au début, j’étais insomniaque mais aujourd’hui, je suis habituée » lance-t-elle. Cette habitude n’est pas signe d’un sommeil profond, car le moindre bruit la réveille. La fille de Mme Valmedé vient de se réveiller et demande à boire du « Vivalait ».

Pendant ce temps, sa mère explique que ses enfants n’arrivent pas à étudier. « Mes enfants sont en 6e et en terminale. Mais ne pouvant pas étudier à cause du bruit ils sont obligés de trouver un lieu calme en dehors de la concession pour étudier ». Mme Valmedé craint pour l’éducation des jeunes face au diktat des maquis et des bars. « Les enfants vivent des scènes dangereuses et violentes » stigmatise Mme Valmedé. Non loin de là, le jeune Ouédraogo habite à 50 m derrière le Casino. Une voiture style « jeune branché » vient de garer. Selon le jeune Ouédraogo « c’est une réalité que le vacarme nous gène mais on n’y peut rien ». Avez-vous porté plainte ? Ayant ouvert la portière du véhicule le jeune se retourne, nous scrute des orteils jusqu’à la chevelure avant de justifier : « si on s’amuse à les convoquer, nous sommes foutus parce qu’ils sont puissants ».

La galère des étudiants de l’immeuble Kafando

A quelques mètres de là, deux kiosques à liqueurs font « le boucan ». La musique est jouée à « fond la caisse » explique le gérant d’un des « liqueurdromes ». « C’est la concurrence et c’est celui qui a le matériel le plus puissant qui noie l’autre » réplique son opposé. Ce dernier à son kiosque à liqueur collé à l’école primaire privée « Mamdaabo ». Minuit 43 mn. Immeuble Kafando communément appelé cité universitaire de Tampouy.

Le maquis-bar couplé à la boîte de nuit est muet « pour réfection ». « Net shop Malincia » c’est le nom du maquis qui se trouve au bas de l’immeuble Kafando. Juste à côté, la clinique « la jouvence ». Hama Somdé est étudiant en troisième année d’anglais. « Les étudiants sont obligés de fermer leurs portes et fenêtres pour pouvoir bosser. Et même malgré ces précautions, ceux qui ne supportent pas partent à un km de la cité pour trouver le calme » a affirmé M. Somdé.

L’infirmier Désiré Yaméogo, réveillé de son sommeil à 1 heure du matin aborde dans le même sens. « Nous avons vu le nombre de nos clients diminué depuis l’ouverture du maquis. En plus, ceux qui sont admis chez nous repartent dans d’autres cabinets de soins parce que ne pouvant pas supporter le bruit de la musique ». 124 étudiants selon M. Somdé sont locataire de cette cité. Selon eux, c’est un « dilemme corsé » que d’emmener le gérant du maquis à la raison parce qu’il est en même temps le propriétaire de l’immeuble. 1h 48 mn. Maquis « la suite » secteur n°24 (Somgandé) de Ouagadougou.

Là c’est une télévision qui anime les noctambules d’un soir. Un film est projeté. Mais à un km de là (compteur en main) on entend le vacarme. 2h du matin « Music hall » de Paspanga. Des clients se bousculent à l’entrée. Là aussi, le son n’est pas insonorisé. A quelques pas, des gardiens dorment. Des jeunes jouent au damier. 2h 20 mn maquis bar « Insomnia » à Gounghin. Ce dernier est fermé. 2h 40 mn « Kadama maquis bar resto » situé à Pissy (secteur n°17). Malgré les deux compartiments de danse, la musique est audible à des centaines de mètre. Le DJ de la soirée connaît la puissance de ses appareils. « La puissance fait 800 megawatts, 8 pistes et deux lecteurs ». 3h du matin. « Kundé » à la cité An II de Ouagadougou. Des noctambules s’échinent à rivaliser en pas de danse. Pour l’animateur de la soirée, « le show est garanti avec des appareils de 800 megawatts, 8 pistes et un lecteur ».

Conséquence sur la santé

Selon les textes en vigueur, les buvettes doivent fermer leurs portes à 22h. Les bars à minuit et les dancings à deux heures du matin les week-end. Or, à 3h du matin, des maquis et buvettes continuaient de troubler la quiétude des citoyens. Selon un agent de la santé, les conséquences sanitaires de la nuisance sonore sont énormes.

« La fatigue due à l’insomnie. A long terme, lorsque l’insomnie est chronique, cela crée une dépression qui altère les capacités psychiques des individus » a expliqué le spécialiste de la santé. Or, selon un spécialiste du son, la puissance de 800 mégawatts couvrent, en heure de pointe, la surface d’un terrain de football. En heure creuse, environ deux kms à la ronde. Selon une étude réalisée par la mairie de la ville de Ouagadougou, en 2002 « la police municipale a été saisie de 67 plaintes d’atteinte à la tranquilité publique ».

Quatre ans après, le phénomène a pris une tout autre ampleur avec l’accroissement du nombre des débits de boissons. Le médecin spécialiste qui a requis l’anonymat attire l’attention de la municipalité sur le vacarme créé par la centrale électrique de Paspanga. Quant aux riverains des débits de boissons, ils ne demandent qu’une seule chose « être débarrassé de ces bruits qui les dérangent et troublent leur quiétude ». Cela est-il possible ? Cette question trouvera peut-être réponse dans le prochain numéro de constat.

Daouda Emile OUEDRAOGO (ouedro1@yahoo.fr)

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 5 mai 2006 à 17:46, par Océane12 En réponse à : > Tapage nocturne à Ouagadougou : La pagaille des débits de boissons

    Toutes mes félicitations à vous, pour ce reportage. J’espère que les autorités feront au moins quelques choses. Car nous vivons les mêmes réalités du côté de Cissin. Nous n’arrivons pas à étudier calmement chez nous. Encore une fois, merci de nous avoir donné l’occasion de nous exprimer. La balle est dans le camp des autorités.

  • Le 5 mai 2006 à 23:22, par Bisga En réponse à : > Tapage nocturne à Ouagadougou : La pagaille des débits de boissons

    La pagaille c’est le cas de le dire et nous attendons que la mairie civilise un peu ces kiosques maquis et bars qui nous rendent la vie "impossible" du 1er au 31. C’est pire dans les quartiers periphériques où de petits kioques avec une clientèle parfois de 3 personnes ou à vide vous troublent la quiétude et le sommeil jusq’à 3h voir plus parce qu’il ont pu accéder à de la sono aurevoir la france. Quelque chose doit être fait le plus rapidement possible pour que notre vie deviennent normale (travailler, manger, se divertir en respectant le repos des autres, bien dormir et reprendre le travail).La police municipale ça devra servir à cela aussi. Monsieur le Maire suivez mon regard pour une autre bataille que vous pouvez gagner en alliant sensibilisation et contrainte. Un citoyen qui aspire à un sommeil reparateur.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique