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M. Bernard Petit (Commission européenne) : "l’Afrique est une priorité de l’Union européenne car ses besoins sont immenses"

Publié le samedi 25 mars 2006 à 08h11min

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Bernard Petit

Entretien à bâtons rompus avec M. Bernard Petit, directeur aux politiques de Développement de la Commission européenne. Le bilan des différents Fonds européens de développement (FED), les dysfonctionnements constatés, les raisons qui fondent la priorité accordée par l’Union européenne à l’Afrique, etc, ont été évoqués.

Se prononçant sur la fédération de l’Union européenne M. Bernard Petit, tout souriant, s’interroge lui-même à savoir si la fédération est un objectif à atteindre et sur la question, il s’explique.

Monsieur le directeur aux politiques de Développement, quel bilan tirez-vous des différents Fonds européens de développement (FED) ?

M. Bernard Petit (B.P.) : Faire le bilan des différents FED, des différentes conventions de Lomé jusqu’à l’accord de Cotonou prendrait du temps. Mais je peux faire deux types de commentaires à cet égard.

Le premier pour dire que les conventions de Lomé qui ont créé les différents FED ont été le seul exemple dans le monde d’un accord global négocié avec les partenaires. C’est l’exemple le plus élaboré des relations Nord-Sud.

Mais au fil de ces conventions de Lomé, il est apparu qu’il était nécessaire de remodeler la politique de développement à l’égard des Etats-ACP. C’est la raison pour laquelle une vaste consultation avait été lancée à partir d’un "Livre vert" sur les relations futures entre l’Europe et les Etats ACP. Aussi pour tenir compte de l’évolution de la situation dans les différents pays, mais pour tenir compte également de l’évolution au niveau global dans le monde. Cette vaste consultation a abouti à des négociations de l’Accord de Cotonou. La convention de Lomé a introduit un certain nombre de dimensions importantes :

- Premièrement, c’est de se fixer un objectif unique dans nos relations avec les Etats ACP : c’est-à-dire la réduction de la pauvreté,

- Deuxièmement, pour renforcer de façon singulière la dimension politique de la coopération,

- Troisièmement, pour voir les pratiques des instruments de la coopération à l’égard des Etats ACP qui étaient trop dispersées et ne pouvaient pas atteindre une meilleure efficacité,

- Enfin et peut-être surtout pour voir les dispositions commerciales qui régissaient ces relations entre l’Europe et les Etats ACP, puisque tout le système de préférence que l’Union européenne avait accordé aux pays ACP n’était plus compatible avec les règles de l’OMC d’une part et d’autre part n’avait pas apporté les bénéfices attendus aux Etats ACP. Puisque, malgré ces préférences les Etats ACP avaient perdu des parts de marchés sur le marché européen au bénéfice de leur concurrent en développement qui ne bénéficient pas de ces préférences.

L’accord de Cotonou a été un changement assez profond dans les relations avec les Etats ACP et demeure encore aujourd’hui l’exemple le plus perfectionné, le plus élaboré de la relation Nord-Sud.

Qu’est-ce qui n’a pas marché dans le cheminement ?

Ce qui n’a pas marché, comme je l’expliquais, c’est d’abord les dispositions commerciales de cet accord puisque des quantités de préférence avaient été accordées aux Etats ACP qui n’ont pas pu en tirer tous les bénéfices voulus. C’est un élément important qu’il fallait revoir. Deuxièmement, il fallait aussi essayer de revoir les modalités de la mise en œuvre de l’aide qui est une difficulté. Il y a des lenteurs qui n’ont pas permis à l’aide d’avoir une meilleure efficacité. Il fallait donc revoir toutes ces dispositions.

Qu’est-ce qui va fonder cette nouvelle politique de développement ?

La nouvelle politique de développement est beaucoup plus large que les relations avec les Etats ACP. Elle a été fondée sur trois considérations.

- la première considération est que le monde a fondamentalement changé. La montée du terrorisme, les trafics de toutes sortes, les violences imposent de plus en plus de tenir compte des Objectifs sécuritaires de l’Union. Dans le même temps, les effets négatifs de la globalisation et l’accroissement de la pauvreté imposaient de revoir un petit peu notre mode de relations avec l’ensemble du monde en développement.

- La deuxième raison c’est que l’Europe a changé, en s’élargissant à des nouveaux Etats membres qui jusqu’à une période récente étaient des receveurs d’aide au développement et qui à leur tour deviennent des donateurs à côté des anciens Etats membres.

- La troisième raison est que le développement a profondément changé au cours de ces cinq dernières années. Avec les objectifs du Millénaire pour le développement, avec les conférences internationales, des engagements politiques très importants ont été pris à l’égard des pays en développement. Il faudra en tenir compte. C’est la raison pour laquelle une nouvelle politique de développement a été mise en œuvre qui, aujourd’hui à mon sens, est une décision historique.

Car c’est la première fois après près de cinquante ans de coopération que cette nouvelle politique essaie de fédérer autour des valeurs, d’objectifs, de principes partagés avec des moyens accrus.

Comment justifiez-vous l’attention accordée à l’Afrique ?

L’Afrique est certainement une priorité de l’Union européenne parce que les besoins de l’Afrique sont immenses. Et puis il apparaît très clairement que les Objectifs du développement du Millénaire c’est en Afrique qu’ils ont les plus de difficultés à se réaliser.

Tous les indicateurs de pauvreté, des indicateurs humains et sociaux de l’Afrique sont ceux qui demeurent en retard par rapport à d’autres continents. Donc la priorité à l’Afrique était absolument nécessaire. Des moyens financiers accrus que l’Europe s’est engagée à apporter aux pays en développement plus de la moitié iront à l’Afrique, notamment l’Afrique Subsaharienne.

La coordination de l’aide a souvent fait défaut, hypothéquant les objectifs préétablis. Comment allez-vous y prendre ?

La coordination est un élément essentiel de l’efficacité de l’aide. Dans chaque pays, on est confronté à une multitude de donateurs. C’est très difficile de gérer l’abondance des donateurs de même qu’il est difficile de gérer l’abondance des thèmes des politiques de développement. La coordination est une nécessité absolue. Mais au-delà de la coordination, il faut franchir un pas supplémentaire. La coordination est très importante pour créer une synergie appropriée. Mais il faut une véritable division du travail au niveau des différents pays c’est un gage indispensable à l’efficacité.

Qu’est-ce qui fonde l’originalité de ce dixième FED ?

Ce qui fait l’originalité, c’est d’abord l’accroissement significatif des ressources mises à la disposition de ce dixième FED. Dans le cadre du neuvième FED on avait 13,5 milliards d’euros à la disposition des Etats ACP. Aujourd’hui, nous avons un dixième FED de 22,7 milliards d’euros. Ce qui fait un accroissement considérable, c’est une première originalité.

La deuxième originalité c’est sans doute que dans le cadre de la négociation pour la révision de l’Accord de Cotonou une dimension beaucoup plus grande a été apportée aux aspects politiques et sécuritaires aussi bien chez les Etats ACP qu’au niveau européen.

Il y a eu dans les négociations des dispositions sur le terrorisme, la Cour pénale internationale, la non-prolifération des armes de destruction massive qui aujourd’hui font partie intégrante du dialogue politique de l’Union européenne et la Commission, singulièrement avec les Etats ACP.

Voilà deux éléments très importants de l’originalité.

Quels sont les mécanismes prévus pour apprécier l’exécution des programmes ?

Il y a des mécanismes qui sont prévus par l’accord de Cotonou qui prévoit des revues périodiques. L’an dernier, il y a eu une revue à mi-parcours des stratégies de l’Union européenne et la Commission avec chacun des pays ACP.

2006 sera l’année où nous allons entamer la programmation des ressources du dixième FED, mais nous allons aussi procéder conjointement avec chaque Etat ACP à ce que l’on appelle les revues de fins de parcours. Au titre de ces revues de fin de parcours, comme le prévoit d’ailleurs l’accord, si un pays n’est pas en mesure de mettre en œuvre les ressources mises à sa disposition, il faudra accorder ces ressources à des pays qui sont plus performants. C’est l’esprit de l’Accord de Cotonou.

Comment comptez-vous juguler les disparités de développement entre les pays ACP dans cette nouvelle politique de développement ?

Comme je vous ai expliqué la politique de développement s’adresse à l’ensemble des pays en développement.

Mais en même temps, il est clair que ces pays en développement relèvent des typologies très différentes. Il y a les pays africains au sein duquel il y a des pays les moins développés, les pays à revenus intermédiaires. Dans le monde il y a des pays émergents, il y a des pays qui sortent de crises, d’autres sont en crise etc. Donc il est important de pouvoir mettre en œuvre la politique de développement dans un esprit de différenciation.

Il est clair que toute la nouvelle politique de développement telle que je viens de la préciser incorpore parfaitement les dispositions de l’accord de Cotonou, qui non seulement demeure un accord tout à fait exceptionnel dans le cas des relations Nord-Sud mais fait bien cette différenciation entre les différentes typologies des pays.

A quand la fédération de l’Union européenne ?

(Rires). Est-ce que c’est un objectif qu’il faut atteindre, fédérer l’Union européenne ? Je pense que chacun a sa place dans l’aide au développement.

La nouvelle déclaration de politique générale que nous appelons le consensus européen c’est de fédérer les Etats membres autour de valeurs d’objectifs et de principes. Il ne s’agit pas d’avoir une unique politique de développement. Chaque Etat membre a ses avantages comparatifs à son rôle particulier dans les différents pays.

L’importance, c’est de pouvoir trouver les synergies nécessaires et de complémentarité entre chacun plutôt que de vouloir fédérer complètement.

Propos recueillis par Théodore ZOUNGRANA (tzoungrana@yahoo.fr)
L’Hebdo

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