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Lutte contre la prostitution au Burkina Faso : nouvelle perspective de lutte dans un contexte de crise sécuritaire

Publié le jeudi 4 janvier 2024 à 12h37min

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Lutte contre la prostitution au Burkina Faso : nouvelle perspective de lutte dans un contexte de crise sécuritaire

Lydia ROUAMBA
Institut des Sciences des Sociétés/ CNRST
palingwinde@hotmail.com

Document de vulgarisation tiré de l’ouvrage : ROUAMBA Lydia .2016. La prostitution féminine au Burkina Faso : nous sommes tous et toutes responsables, Ouagadougou, SISTD/CNRST, Les Presses Africaines.

Résumé

Communément qualifiée de plus vieux métier du monde, le phénomène prostitutionnel ne faiblit point au Burkina Faso et semble se renforcer avec la crise sécuritaire qui secoue le pays depuis 2015. De nombreuses femmes déplacées sont en effet victimes d’exploitation sexuelle.

Cet article revient sur le travail d’un ouvrage sur la prostitution féminine publiée en 2016. Les principaux courants de pensée et approches en matière de prostitution sont présentés. Il se veut un plaidoyer pour, d’un côté, une déstigmatisation et une protection des femmes prostituées qui, en majorité, sont des victimes de sociétés de plus en plus mercantiles, « déshumanisées » et l’autre, la criminalisation des clients. Il suggère qu’une lutte contre la prostitution peut être intégrée dans la lutte contre l’insécurité en envoyant les principaux acteurs et actrices au front.

Mots clés : pauvreté, dysfonctionnements familiaux, prostitution, insécurité

Introduction

L’ouvrage intitulé « La prostitution féminine au Burkina Faso : nous sommes tous responsables » publié en 2016 fait découvrir l’univers de la sexualité vénale (qu’on achète comme n’importe quel bien) dans notre pays. Il situe les origines du phénomène au Burkina Faso, met en lumière comment le profil des péripatéticiennes (prostituées) a évolué, passant de femmes de nationalité étrangère à femmes burkinabè de tous les âges et de toutes les catégories sociales. Il montre également comment nos autorités, après quelques tentatives pour circonscrire le phénomène ont affiché des limites.

Dans cet article, nous présentons brièvement les courants de pensée et les approches en matière de prostitution, puis faisons observer la posture du Burkina Faso pour donner enfin une nouvelle proposition de lutte contre le phénomène au regard de la crise sécuritaire qui secoue notre pays.
Sur le plan méthodologique, l’analyse s’appuie sur les résultats de l’étude de 2016 et sur une dizaine d’entrevues informelles avec des hommes et femmes.

1 Les principaux courants et approches législatives sur la prostitution

Globalement, il y a deux courants de pensée antinomiques.
Un premier courant de pensée considère que la prostitution a une utilité sociale : c’est un métier comme les autres qu’il faut libéraliser et professionnaliser. Les personnes prostituées sont ainsi considérées comme des travailleuses et des travailleurs du sexe qui devraient bénéficier de toutes les protections garanties dans le monde du travail d’un pays.

Un deuxième courant trouve que la prostitution est une pire forme d’exploitation sexuelle, et particulièrement une violation du corps des femmes et des enfants qu’il faut combattre sans relâche et criminaliser. Pour ce courant de pensée, il s’agit d’une violation de la dignité humaine et des droits universels de la personne.

Les personnes relevant du premier courant de pensée optent pour une approche règlementariste ou la prostitution est légalisée et encadrée. Les personnes relevant du deuxième courant de pensée, optent pour l’interdiction de la prostitution ou de certaines de ces manifestations. Ainsi, dans ce courant, nous avons les prohibitionnistes qui interdisent la prostitution, les abolitionnistes qui reconnaissent la liberté de l’individue de se prostituer ou non, mais jugent la prostitution immorale. Les abolitionnistes demandent donc d’abolir les différentes contraintes imposées aux personnes prostituées.
Outre ces trois approches législatives (légalisation, prohibitionnisme et abolitionnisme), un nouveau mouvement abolitionniste a vu le jour à partir des années 1990. Appelé néo-abolitionnisme, ce mouvement s’intéresse à la situation de la personne prostituée, refuse la banalisation de la prostitution et considère les personnes prostituées comme des victimes du système prostitutionnel. Pour les néo-abolitionnistes, il faut également sanctionner les clients : la demande d’un service sexuel vénal (moyennant de l’argent) est non seulement condamnée sur le plan moral, mais aussi sur le plan légal.

2. Le Burkina Faso, un État abolitionniste

Le code pénal burkinabè en son article 423 définit la prostitution comme « le fait pour une personne de l’un ou l’autre sexe de se livrer habituellement à des actes sexuels avec autrui moyennant rémunération ». Cette définition, comme le fait observer Budnôma Judith Sawadogo (2001-2002 : 62), inscrit dans la prostitution les simples contacts sexuels (masturbation, cunnilingus, fellation…), mais elle ignore, par l’aspect habituel, la prostitution occasionnelle qui, pourtant, est très développée au Burkina Faso.
Le Burkina Faso, peut être qualifié d’État abolitionniste (Sawadogo 2001-2002 : 104 :). Aucune action pénale ne peut être intentée contre une personne adulte parce qu’elle se prostitue. Seuls les actes de proxénétisme, de racolage et d’incitation de mineurs-es à la débauche sont condamnés.

3. Quelques résultats

La recherche en 2016 a mis en lumière les résultats suivants :
-  les clients sont plus souvent mariés que célibataires. Dans l’enquête menée par Soré (2009) à Ouagadougou, sur 34 clients de femmes prostituées, 16, soit 47,05% étaient mariés ou avaient une partenaire attitrée ;

-  les clients sollicitent les services des prostituées mais c’est sur ces dernières que le jugement moral s’abat : elles sont désignées comme des débauchées, des dépravées, alors qu’on défend la respectabilité des clients » ;

-  Selon la définition classique, le proxénète ou pimp est celui qui tire de l’argent de la prostitution d’autrui. Mais aux yeux de nombre de personnes prostituées, le proxénète se confond souvent avec l’amoureux, le protecteur ou le gérant. On observe ici le syndrome de Stockholm qui pousse une victime à sympathiser avec son bourreau et à prendre sa défense contre ceux qui voudraient l’aider à s’en sortir.

4. Les solutions

Plusieurs solutions ont été proposées dans l’étude de 2016 pour un recul du phénomène prostitutionnel au Burkina Faso. Ce sont :
• Changer les mentalités pour rendre l’achat de sexe socialement inacceptable ;
• Éducation des enfants sur le respect de la dignité et de l’intégrité de chaque être humain ;
• Poursuivre et renforcer l’approche d’assistance des personnes prostituées plutôt que l’approche de répression ;
• Mieux organiser la répression contre le proxénétisme ;
• Fermer ou retirer les licences aux propriétaires de débits de boisson qui ont dévié de leur mission et encourageant la prostitution ;
• Surtaxer les revenus des tenancier·e·s d’établissements de prostitution.

Au regard de la responsabilité des personnes prostitueuses (les proxénètes, les tenanciers des chambres de passe, les clients mariés ou en couple) dans le développement du phénomène de la prostitution au Burkina Faso, nous proposons que ceux ou celles qui seront prises en flagrant délit puissent aller servir la patrie en combattant les terroristes, car encourager la prostitution constitue aussi une forme de terrorisme. Ils/elles combattront ainsi pour la patrie et aurons moins de temps pour des comportements et des activités qui minent le développement du pays. La société, se portera, conséquemment mieux.

Conclusion

La prostitution est une question épineuse qui recouvre des enjeux complexes. Le phénomène n’a pas qu’une dimension individuelle : l’affaire des filles qui se prostituent. C’est un fait de société. Ainsi, la question ne peut être réduite à sa seule dimension juridique mais a une dimension politique. Il faut en effet un engagement politique qui rende les deux faits, louer son corps ou acheter celui d’autrui, moralement et socialement inacceptables.

Bibliographie
BURKINA FASO. 1996. Code pénal Loi no 043 /96/ADP du 13/11/1996, Ouagadougou : Publications du journal officiel.
CARTOUX Michel, Amadou OUANGRE et Philippe VAN DE PERRE (sans date) La prostituion à Bobo-Dioulasso, Burkina Faso : types et pratiques 1997-1998 . Rapport d’enquête. Bobo-Dioulasso : Unité de recherches « Sciences de l’homme pour l’aide à la décision, à l’action et à l’évaluation des interventions » (SHA-DEI du Centre Muraz)
SANKARA, Thomas (1986). « Télex envoyé au Congrès mondial des prostituées les 02 ou 03 octobre 1986 ». http://thomassankara.net/spip.php?article906 (Consulté le 19 décembre 2013).

SAWADOGO, Budnoma Judith (2002). Le proxénétisme au Burkina Faso, mémoire de Maitrise en Sciences Juridiques, Ouagadougou : Université de Ouagadougou.
SEDEGO, François (1998). Prévention SIDA et éducation chrétienne de la sexualité humaine. Lomé : La créativité perpétuelle.
ROUAMBA Lydia .2016. La prostitution féminine au Burkina Faso : nous sommes tous et toutes responsables, Ouagadougou, SISTD/CNRST, Les Presses Africaines.
ROUAMBA, Paul-Miki (2013) « Tenanciers de chambre de passe. Vous méritez la prison ». Courrier Confidentiel.
http://www.courrierconfidentiel.net/index.php/decryptage/451-tenanciers-de-chambres-de-passe (Consulté le 06 avril 2014).

SHIFMAN, Pamela et Ken FRANZBLAU. (2001). « Traite d’êtres humains : les ripostes législatives » In A qui profite le crime ? En quête sur l’exploitation sexuelle de nos enfants, UNICEF, new-York, 12-17.

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