Burkina / Recherche : Un séminaire scientifique pour repenser les dynamiques de l’État en Afrique
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Ouagadougou a abrité le jeudi 28 décembre 2023, un séminaire scientifique sous l’égide de la Mande Studies Association (MANSA) en collaboration avec l’Institut des sciences des sociétés (INSS). Cet événement d’une durée de 48 heures se tient autour du thème central : « Repenser les dynamiques de l’État en Afrique sous le prisme de la gouvernance sécuritaire dans les pays du Sahel : un regard pluridisciplinaire ».
La première journée du séminaire scientifique pour repenser les dynamiques de l’État en Afrique a été marquée par des communications d’éminents chercheurs. Pr Alain Joseph Sissao, directeur de recherche à l’INSS a présenté la première communication à travers son exposé intitulé « L’État vu et pensé à travers la littérature écrite africaine ». Son intervention a jeté une lumière novatrice sur la perception de l’État en Afrique, en se basant sur les œuvres littéraires du continent.
« L’approche du romancier a évolué avec le temps, elle n’est pas la même que celle des écrivains de la première génération qui vouaient un culte à la langue française. Avec les écrivains comme Sony Labou Tansi du Congo ou Ahmadou Kourouma de la Côte d’Ivoire, on assiste à une autre forme d’écriture qui puise dans les sources traditionnelles des écrivains et “leur véritable moi créateur’’. D’ailleurs, Sony Labou Tansi le dit si bien à travers cette formule : “Le français me colonise, je le colonise à mon tour’’ », a indiqué Pr Sissao.
Pour aborder la question de la démocratie chez les écrivains d’Afrique de l’Ouest, Pr Sissao a évoqué le cas de l’écrivain burkinabè Patrick Ilboudo, en citant son roman "Les vertiges du trône’’. « On aperçoit que dans ce roman, l’auteur se penche sur le sujet de la démocratie notamment dans les rapports entre les dirigeants et le peuple, les travailleurs, les élèves et le pouvoir. Les revendications sociales constituent souvent le seuil ultime, avant de basculer vers la violence, parfois la destitution du pouvoir […] », a-t-il montré.
L’approche pluridisciplinaire a été clairement illustrée, mettant en évidence l’apport crucial de la littérature dans la compréhension des structures et des dynamiques étatiques.
Le Dr Amado Kaboré, historien et chercheur à l’INSS, a lui, poursuivi le débat avec sa présentation intitulée « L’État face à la question de l’éducation formelle en temps de crise sécuritaire au Burkina Faso ».
La nécessité d’un accompagnement psychosocial
Cette communication a mis en exergue les défis particuliers que pose la crise sécuritaire en matière d’éducation formelle. « Nous estimons que les attaques perpétrées contre les écoles sont bel et bien préméditées. Car la présence d’une école dans une localité atteste l’existence d’un État. Donc, attaquer les écoles et le personnel enseignant, revient pour les auteurs, à attaquer l’État. On note qu’en 2017, le Burkina Faso a adopté la déclaration internationale sur la sécurité des écoles, qui est un instrument fournissant des mécanismes pour sécuriser les écoles. Et l’État aujourd’hui, œuvre à travers le Secrétariat technique de l’éducation d’urgence pour assurer la continuité des services éducatifs dans les zones à fort défis sécuritaires », a fait savoir Dr Kaboré.
Il mentionne que les stratégies mises en œuvre par les autorités à cet effet, se manifestent notamment par le redéploiement des enseignants contraints par les terroristes de déguerpir leurs localités de service. « Ces enseignants sont redéployer vers d’autres zones où il y a beaucoup plus de sécurité, mais qui accueillent un nombre important d’enfants et de populations qui ont dû fuir les zones attaquées », a précisé Dr Kaboré, soulignant l’importance d’un accompagnement psychosocial des enseignants et élèves traumatisés par les horreurs vécues.
Des facteurs déclencheurs de la crise sécuritaire dans le Soum
Une autre communication marquante a été animée par le sociologue Dr Sidi Barry, intitulée « L’État face à la crise sécuritaire dans la province du Soum ». Cette intervention a apporté un éclairage sur certains facteurs déclencheurs du terrorisme au Burkina Faso et la responsabilité des autorités dans la crise sécuritaire au niveau local.
Dr Sidi Barry a déclaré avoir été sur le terrain pour collecter les informations essentielles (basées sur les opinions et les vécues des populations) à l’élaboration de sa thèse soutenue en avril 2023, qui fait aujourd’hui l’objet de sa communication. « En effet, nous avons pu relever quelques propos des personnes que nous avons enquêtées. Un conseiller municipal nous disait ceci : “L’État est responsable de ce qui nous arrive. C’est lui qui a facilité tout cela. On n’a rien fait pour développer le Sahel et on se pose la question si Djibo fait partie du Burkina Faso. Or, tout le développement est concentré entre Ouagadougou et Koudougou’’ », a-t-il rapporté.
Selon Dr Barry, les grandes réalisations en termes d’infrastructures socioéconomiques datent des années 70. Puis poursuit en paraphrasant un autre interlocuteur enquêté : « La source du terrorisme dans le Soum n’est pas liée à la religion, mais à la persistance de la corruption dans l’administration locale et le mépris des agents de l’État à l’encontre du Peul. C’est ce sentiment de frustration et de manque de considération qui a conduit certaines personnes à former ou à rejoindre des groupes terroristes ». Ces propos sont ceux d’un commerçant appartenant au principal groupe ethnique de la province du Soum, rencontré à Barabolé, relève Dr Barry, avant d’enchaîner avec le témoignage suivant.
Les pistes de solutions de Dr Barry
« Avant l’avènement du terrorisme, si quelque chose se passait à 40 km d’ici, la police ou la gendarmerie se déplaçait pour procéder à des arrestations, faisait des patrouilles et ramenait les fautifs à Djibo. Maintenant, ce n’est plus le cas. La question que je me pose, est de savoir si les terroristes sont plus puissants que l’État ? », a repris ainsi Dr Barry, les dires d’un coutumier de la région.
Du point de vue du sociologue pour Dr Sidi Barry, cette déclaration du coutumier dépeint une triste réalité qui dévoile l’absence des représentants locaux de l’État. L’autre cause de la crise sécuritaire dans le Soum qu’il met en relief est la difficile collaboration entre les représentants de l’État et les populations.
Dr Barry conclut en recommandant notamment de travailler véritablement au retour des agents publics qui ont déserté les services sociaux tout en garantissant leur sécurité. Il préconise également que soit mise en place une politique de développement dans les zones laissées pour compte en général, et dans le Soum en particulier, pour améliorer les conditions de vie des populations.
Un séminaire qui transcende les frontières
Lors de la cérémonie d’ouverture, la directrice de l’INSS, Dr Aoua Carole Bambara/Congo, a souligné l’importance cruciale de réfléchir sur les structures étatiques à la lumière des défis sécuritaires actuels. Le directeur de recherche à l’INSS, Pr Alain Joseph Sissao, a ensuite pris la parole, remerciant l’INSS et la MANSA pour avoir permis l’organisation des journées d’études scientifiques.
« Le Sahel, carrefour dynamique de cultures, de défis et d’opportunités, se trouve au cœur de nos préoccupations actuelles. Le présent séminaire transcende les frontières disciplinaires pour adopter une approche pluridisciplinaire », a justifié la directrice de l’INSS.
Présentation de la MANSA
Au cours des 48 heures du séminaire, divers experts et chercheurs vont partager leurs réflexions et conclusions sur les multiples facettes de la gouvernance sécuritaire en Afrique. Les participants ont eu l’occasion d’approfondir leurs connaissances et d’échanger des idées novatrices, jetant ainsi les bases d’une réflexion future sur les politiques et les pratiques étatiques dans un contexte sécuritaire complexe.
Pour rappel, la MANSA est une association savante qui vu le jour en 1985 sous l’instigation des chercheurs américains, européens et africains. Progressivement, elle s’est consolidée en Afrique avec le colloque Mansa organisé en 2011 à Bamako et en 2014 à Bobo Dioulasso sous l’instigation de son président de l’époque Pr Kassim Koné. Il y a eu aussi le colloque Mansa en 2017 à Grand Bassam et celui de Korhogo cette année 2023. Son point focal au Burkina Faso est le Pr Ludovic Kibora.
Hamed Nanéma
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