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Amadou Ouédraogo, professeur à l’université de la Louisiane à Lafayette aux Etats-Unis : « Il est capital de faire ce que l’on aime ; et la motivation est acquise d’office »

Publié le mardi 7 novembre 2023 à 23h10min

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Amadou Ouédraogo, professeur à l’université de la Louisiane à Lafayette aux Etats-Unis : « Il est capital de faire ce que l’on aime ; et la motivation est acquise d’office »

Professeur titulaire des universités, Amadou Ouédraogo, enseignant à l’université de la Louisiane à Lafayette aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années, est aussi un écrivain prolifique qui a à son actif une dizaine d’œuvres dont deux romans. Dans cette "interview-portrait" qu’il nous accorde à l’occasion de la sortie de son roman intitulé « Les larmes des racines », il retrace le parcours qui l’a mené de l’université de Ouagadougou à celle de Louisiane, évoque ses rêves, ses combats quotidiens.

Lefaso.net : Qui est le Pr Amadou Ouédraogo en quelques mots ?

Pr Amadou Ouédraogo : Je vous remercie de la possibilité que vous m’offrez de me présenter à travers les colonnes de votre organe d’information, à l’occasion de la sortie de mon roman intitulé « Les larmes des racines », dont je parlerai plus tard. Je me nomme Amadou Ouédraogo, d’origine burkinabè, professeur titulaire des universités et écrivain ; j’enseigne à l’université de la Louisiane à Lafayette aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années. Je suis spécialisé en études anglophones africaines et en études francophones de l’Afrique et des Antilles, titulaire de deux doctorats et détenteur d’une chaire honoraire de recherche dans mon université.

Parlez-nous de votre parcours scolaire et universitaire…

Mon parcours scolaire débute en Côte d’Ivoire ; j’y suis né et j’y ai été scolarisé pour le primaire et le secondaire, jusqu’à l’obtention du baccalauréat série A4. Puis, je suis rentré au Burkina Faso pour entreprendre des études en anglais à l’université de Ouagadougou. Après l’obtention de la maîtrise, j’ai rejoint l’université Stendhal de Grenoble en France où j’ai obtenu un DEA et un doctorat de 3ème cycle en études anglophones africaines. De retour au Burkina Faso, j’ai enseigné cette discipline à l’université de Ouagadougou pendant une dizaine d’années. Parallèlement, j’ai enseigné l’anglais au centre américain de langues et à ISIG International (actuelle université Aube Nouvelle) à Ouagadougou. Ensuite, j’ai obtenu aux Etats-Unis en 2006 un PhD en études francophones de l’Afrique et des Antilles, en littératures, cinéma et cultures. Tout au long du parcours, j’ai obtenu des certificats en pédagogie, dont le certificat pratique avancé en sciences de l’éducation, obtenu à l’université de Londres en Angleterre. Pendant mes années de thèse, j’ai servi comme assistant de français dans deux établissements secondaires à Londres. J’ai été récipiendaire d’une bourse américaine Fulbright, ainsi que d’une bourse du Conseil Britannique, le British Council.

Quel est le métier vous faisait rêver quand vous étiez enfant ?

Quand j’étais enfant, j’avais une fascination inouïe pour le métier de journaliste radio. Dans mon esprit d’enfant, ce métier relevait de la magie, rien qu’à songer au processus par lequel des voix humaines parviennent à l’auditeur par le biais d’un petit appareil. Par conséquent, j’aspirais à participer à ce mystère, et je percevais ce métier comme le plus illustre et le plus valeureux. Mais, avec le temps, cette fascination pour la production des mots parlés s’est progressivement transformée en un investissement accru dans le travail des mots par l’écrit. Je crois en effet que ma publication à ce jour de huit livres critiques et de deux romans atteste de l’existence d’un fil conducteur que j’ai pu développer entre ma fascination pour la magie du micro et le pouvoir enchanteur de la plume qui remplit des pages blanches de mots auxquels elle insuffle de la vie.

Après votre baccalauréat série A4 en 1980, vous vous inscrivez au département d’anglais de l’université de Ouaga…d’où vous vient cette attirance pour la langue de Shakespeare ?

Tout est parti d’une autre forme de fascination qui a débuté dès la classe de 6e. A l’époque, l’admission au collège était un événement d’une portée exceptionnelle. Le titre de collégien conférait un statut honorable auquel tout le monde aspirait. En tant que collégien, on était admiré et envié par ceux de nos amis qui n’avaient pas eu la chance de réussir leur examen d’entrée en 6e. C’est ainsi que les collégiens, pour se distinguer de ceux qui ne l’étaient pas, et pour susciter encore plus d’admiration, parlaient l’anglais. En fait, on ne parlait même pas la langue, puisqu’on n’en avait pas l’aptitude, mais on se limitait à répéter les petits mots ou bouts de phrases appris dès le début de l’apprentissage. Mais il n’en fallait pas plus pour impressionner les amis qui n’étaient pas au collège, et surtout pour séduire les jeunes filles. Et ça marchait très bien, croyez-moi ! Je crois que je me suis sans doute un peu trop adonné à ce jeu, j’y ai pris goût, et je m’imposais à moi-même le défi de me distinguer des autres par l’usage de l’anglais. C’était une grande source de motivation qui m’a poussé à travailler davantage pour améliorer mon niveau. Progressivement, l’intérêt, la passion et les aptitudes se sont installés et m’ont permis de saisir les opportunités qui m’étaient offertes.

Après une licence et une maîtrise, vous enchaînez avec un DEA, un doctorat, un PhD…d’où vous vient cette boulimie pour les études ?

Je ne sais pas s’il s’agit vraiment d’une boulimie pour les études, mais disons que j’avais des objectifs qui me tenaient à cœur, et que pour les atteindre, il m’a fallu accomplir le parcours qui fut le mien, aussi bien du point de vue académique que professionnel. Lorsque l’envie de réaliser les objectifs est très forte, le parcours se déroule presque naturellement, et on n’a pas le sentiment d’être sous une contrainte quelconque. Il est vrai qu’après la soutenance de mon premier doctorat, avec tout le labeur que cela avait requis, je m’étais juré qu’on ne m’y prendrait plus, que je ne répéterais pas cette expérience. Mais des années plus tard, je me suis fixé de nouveaux objectifs qui exigeaient l’obtention du second doctorat, et cela s’est fait naturellement. Mais bien entendu, au prix des difficultés et des sacrifices liés à ce type d’entreprise.

Vous êtes professeur titulaire en études francophones au département des langues modernes, université de la Louisiane à Lafayette. Comment arrive-t-on à se hisser à ce niveau d’excellence ? Y a-t-il un secret ?

Une question difficile, à l’évidence ! Pour essayer d’y répondre simplement, je dirais que si je me retrouve là où je suis, je le dois au fait d’avoir eu la chance de faire ce qui me plaît, ce qui fait écho à mes aspirations les plus profondes. J’aime la littérature, j’aime lire et écrire ! Soit dit en passant, c’est comme une revanche que je me suis efforcé de prendre sur les matières scientifiques qui m’ont donné de vrais cauchemars au secondaire, surtout les mathématiques, c’était un désastre. Il est capital de faire ce que l’on aime, et quand c’est le cas, la motivation est acquise d’office, et avec la motivation viennent la constance et la persévérance qui constituent l’une des clés du succès. En résumé, je dirais que tout est dans l’attitude, et c’est l’auteur américain Zig Ziglar qui disait : « C’est votre attitude, bien plus que votre aptitude, qui détermine votre altitude. »

Vous êtes aussi spécialiste du département pour les littératures, cinémas et cultures francophones de l’Afrique et des Antilles…Pouvez-vous expliquer votre discipline ?

J’ai la chance d’enseigner dans un département qu’on pourrait qualifier d’unique en son genre. Il est communément admis que c’est le seul département aux Etats-Unis qui soit pleinement dédié aux études francophones et qui tire sa raison d’être de son caractère pluridisciplinaire. Pour preuve, en plus des études françaises, de nombreuses aires géographiques et culturelles de la francophonie y sont représentées, et la formation relative à chacune de ces aires est assurée par un spécialiste attitré (Louisiane, Québec, Maghreb, Belgique, Océan Indien, Afrique subsaharienne, Antilles).

Je suis personnellement chargé des deux dernières aires citées : Afrique subsaharienne et Antilles. L’autre particularité majeure de notre département, comme je viens de l’indiquer, porte sur la nature pluridisciplinaire de la formation. Les disciplines s’enchevêtrent et se complètent ; on y trouve côte à côte littérature, cinéma, musique, anthropologie, linguistique, histoire, tradition orale, etc. Ayant moi-même reçu dans le cadre du PhD une formation axée sur la littérature et le cinéma, ce département permet et favorise le plein déploiement de mes centres d’intérêt.

L’autre trait distinctif de notre programme tient au fait que la culture se situe au cœur de la formation, car la Louisiane a un lourd héritage historique et culturel. Cet Etat fut non seulement une colonie française entre 1682 et 1762, mais aussi un carrefour culturel en raison de la présence des esclaves venus d’Afrique, ainsi que l’arrivée des émigrés haïtiens. Cela a suscité un foisonnement culturel et même identitaire qui justifie le vif intérêt que nos étudiants ont pour les enseignements portant sur la culture. C’est cela qui explique que mon profil, parti de la littérature, se soit enrichi par l’ethnologie, l’anthropologie, la tradition orale. Tout cela me permet également de m’investir, au titre de mes enseignements, de mes recherches et de mes publications, dans l’exploration des liens historiques et culturels entre l’Afrique et les Antilles.

Ma profession comporte un volet administratif que j’ai assuré plusieurs fois en tant que chef de département par intérim et surtout comme directeur du programme doctoral pendant quelques années.

Pourriez-vous parler des ouvrages que vous avez publiés ?

J’ai à mon actif dix ouvrages dont deux romans. Le premier roman (Les larmes des racines) est sorti il y a quelques mois, et le second (Le vertige des sources) sortira sous peu. J’ai commencé par les ouvrages académiques dans le but de bâtir mon assise professionnelle. Mes publications dans ce cadre ont pour vocation d’explorer les œuvres littéraires et cinématographiques à la lueur d’éléments culturels et ethnographiques. Désormais, je m’investis dans l’écriture romanesque, ce qui permet d’opter pour une perspective plus personnelle, plus libre, plus ouverte.

Pourriez-vous en dire un peu plus sur votre roman qui vient de sortir ?

Ce roman raconte l’histoire d’un Africain qui réside en Occident depuis de nombreuses années. Un jour, la famille en Afrique lui enjoint de rentrer immédiatement au pays, sans qu’aucun motif lui soit notifié. Il effectue le voyage, ravagé par l’angoisse et la peur de l’inconnu. A son arrivée, il est informé de la cruelle tragédie qui frappe la famille. Il en est meurtri, désarçonné, affligé par un indicible sentiment d’injustice et de spoliation. C’est le récit d’une quête initiatique, d’un retour au cœur du royaume d’enfance, c’est un hymne aux sources, à la terre, aux racines, à l’amour. C’est tout cela à la fois, et c’est aussi le récit d’une déchirure, d’un déchirement, d’une dépossession, d’une sourde et ténébreuse déréliction. Jean-Paul Sartre répondant à la question « pour qui écrit-on ? » soutient que « chaque livre propose une libération concrète à partir d’une aliénation particulière. » C’est précisément pour cette raison que mon roman est destiné prioritairement aux Burkinabè car ce sont eux qui s’y retrouveront d’abord, sans avoir à chercher loin.

À quoi ressemble une de vos journées types ?

Mes journées typiques n’ont rien d’exceptionnel, même s’il est possible de dire qu’elles ont une certaine particularité. Ce qui est particulier, c’est que mes journées commencent très tôt, à 2h ou 3h du matin. C’est à ce moment que je me sens le mieux pour écrire, une activité à laquelle je me consacre en permanence. Ensuite, vers 10h je me rends au campus où mes activités, selon les jours de la semaine, varient entre les cours, la bibliothèque, les heures de réception, les tâches administratives, les réunions professionnelles. Je suis de retour à la maison autour de 19h, et plus tard je trouve quelques heures de sommeil avant le prochain réveil autour de 2h du matin.

Si vous aviez la possibilité de refaire votre parcours, que changeriez-vous, que referiez-vous ?

Je ne pense pas que j’aurais changé grand-chose, car j’ai la chance de ne pas regretter ma trajectoire ou le parcours accompli. Sauf que j’aurais commencé plus tôt l’écriture romanesque. Il est vrai que les obligations professionnelles liées à la recherche et aux publications académiques ne me laissaient pas facilement le temps d’écrire de la fiction. Heureusement, je suis en mesure de le faire aisément à présent, et je compte m’y investir davantage.

Quelles sont les difficultés liées à la nature de votre métier ?

Les difficultés, il y en a sans doute plusieurs, comme c’est le cas dans toutes les professions. Mais ce qui me semble être l’une des difficultés majeures, en ce qui me concerne, c’est d’être sous une pression constante. Certes, l’on n’enseigne que quelques heures par semaine, mais la nature des exigences professionnelles est telle qu’on n’a jamais fini de travailler. On est dans un processus permanent d’apprentissage, de recherche, de découverte. Pour être performant, il faut être au fait de l’évolution de la recherche dans son domaine, donc il faut constamment travailler, lire, découvrir. Que ce soit pendant le weekend, pendant les vacances, ou pendant les périodes sabbatiques, on est toujours au travail. Pour la vie de famille, cela pose souvent des problèmes si l’on ne bénéficie pas de la compréhension et de la patience de l’entourage.

Qu’est-ce qui vous motive à vous lever chaque matin pour aller travailler ?

L’une des choses qui me motivent le plus, c’est le privilège que j’ai de participer à la formation des étudiants en leur ouvrant des perspectives tout à fait nouvelles à travers les enseignements que je dispense sur les mondes et les cultures de l’Afrique et des Antilles. La plupart des étudiants, en arrivant dans notre programme, n’ont aucune connaissance préalable de ces deux mondes, de leur histoire, des traditions, etc., et je suis heureux de pouvoir susciter en eux l’intérêt et la motivation.

Mon recrutement dans cette université répond à un besoin d’expansion des études africaines et antillaises. C’est dire que le défi est énorme, il faut être à la hauteur des attentes. La plus grande joie, je la ressens lorsque ces étudiants, qui arrivent sans connaissance préalable sur l’Afrique ou les Antilles, finissent par soutenir quelques années plus tard des mémoires de maîtrise ou des thèses de doctorat dans ces domaines. Certains d’entre eux sont devenus des spécialistes des études africaines ou antillaises qu’ils enseignent dans d’autres universités. A cela s’ajoute le sentiment que j’ai d’apporter ma modeste contribution à l’expansion des études francophones à travers mes publications. Certains de mes ouvrages critiques, comme celui portant sur la tradition de la chasse dans l’espace mandingue, font partie des œuvres au programme dans d’autres universités, ce qui me procure le sentiment légitime d’avoir fait œuvre utile.

Quelle est la rencontre professionnelle qui vous a le plus marqué ?

Je pourrais parler de deux rencontres professionnelles qui m’ont marqué et influencé. La première est celle que j’ai eue avec le Professeur Pius Ngandu Nkashama de l’université d’Etat de la Louisiane à Bâton Rouge. Professeur Ngandu, d’origine congolaise, est une véritable légende vivante, un monument incontesté des littératures, cultures et linguistiques africaines. Il est romancier, dramaturge, poète, critique, essayiste, auteur de plus de soixante-dix (70) ouvrages. Pendant de longues années, j’étais fasciné par son œuvre et sa renommée. J’avais amplement travaillé sur ses écrits et je rêvais de le rencontrer.

Ma joie fut immense lorsque j’ai été recruté par mon actuelle université, située à moins d’une heure de trajet de l’université où enseigne Prof. Ngandu. Peu de temps après, je fus honoré de me retrouver dans un même jury de soutenance de thèse de doctorat avec lui. Depuis lors, nous avons entretenu une excellente collaboration dont je tire une fierté sans limite. Il m’a fait l’honneur de rédiger la préface à un de mes ouvrages. Plus tard, j’ai été sollicité par un groupe de chercheurs pour rédiger la préface à leur ouvrage collectif consacré à l’œuvre de Pius Ngandu. C’est simplement un rêve devenu réalité !

La seconde rencontre est celle que j’ai eue avec une autre figure éminente de la littérature africaine, le Professeur Amadou Koné, auteur du célèbre roman Les frasques d’Ebinto et de bien d’autres ouvrages de fiction. Au regard de sa notoriété en tant qu’écrivain, j’ai toujours eu une grande admiration pour lui, et je nourrissais le rêve de le rencontrer. Alors qu’il enseignait à l’université Georgetown de Washington DC, j’ai eu la chance de le rencontrer lors d’une conférence. Depuis lors, nous avons maintenu d’excellents rapports professionnels au point où il m’a fait l’honneur de rédiger la préface à un autre de mes ouvrages.

D’avoir obtenu une certaine reconnaissance de ces deux illustres professeurs et écrivains, d’avoir bénéficié de leur estime et de leur sympathie me remplissent de joie et de motivation.

Quelle est votre plus grande fierté (professionnelle / dans la vie) jusqu’à présent ?

Au plan professionnel, comme tout enseignant, je tire une grande satisfaction en voyant réussir les étudiants que j’ai contribué à former. Voir mes ex-étudiants réaliser leurs aspirations professionnelles suscite en moi l’intime sentiment d’une mission accomplie, et cela est une récompense hors de prix.

Dans mon université ici en Louisiane, j’ai eu le privilège de diriger une vingtaine de thèses de doctorat qui ont été soutenues avec succès. Si j’ajoute les jurys de thèses auxquels j’ai participé en tant que membre, j’en suis à une trentaine de doctorants que j’ai contribué à former dans mes domaines de spécialisation. C’est évidemment un grand motif de satisfaction de participer à la formation de nos étudiants à un tel niveau.

Quel est l’échec (professionnel / dans la vie) qui vous a le plus marqué et qu’en avez-vous tiré comme leçon ?

Je ne sais pas s’il faut appeler cela un échec ou juste un malheureux concours de circonstances. Au sein de mon université actuelle, j’ai créé il y a quelques années un programme d’étude à l’étranger dont le but était de faire séjourner des étudiants américains au Burkina Faso chaque année pendant les vacances d’été. Au terme d’un travail ardu, le projet a été officiellement approuvé et adopté par l’université, et pendant que l’on se préparait pour le premier voyage, il y a eu les mutineries militaires de 2011 au Burkina Faso. Cela a suscité une grande frayeur chez les administrateurs et les étudiants qui ont renoncé au projet. Dans l’attente et l’espoir que les choses s’arrangeraient d’une année à l’autre, on s’est malheureusement retrouvé dans la période trouble des attaques terroristes au Burkina Faso, ce qui a conduit à la suspension au projet.

Au-delà de la peine que je ressens de voir ce projet compromis, je suis un fils du Burkina Faso, et comme tel, je mesure la profondeur du drame qui frappe le pays, et je ressens pour mon peuple une immense compassion.

Quel a été votre plus gros challenge jusqu’à présent ?

Je pense que le système académique dans ce pays est tel que, en tant qu’enseignant, on est constamment face à un défi, celui de produire des résultats satisfaisants au titre de l’enseignement, de la recherche, des publications. Il y a donc cette pression constante. En tant qu’enseignant, on est évalué annuellement et à plusieurs niveaux, même lorsqu’on a fini de gravir tous les échelons de la hiérarchie professionnelle. Même le professeur titulaire est constamment évalué pour sa recherche et ses enseignements. A la fin de chaque semestre, les étudiants évaluent l’enseignant de façon anonyme, et les résultats sont soumis à l’administration et restent à jamais consignés dans le dossier professionnel de l’enseignant. Sur la base de tous les critères d’appréciation, l’enseignant reçoit une note annuelle qui reste dans les archives. En cas de résultats non satisfaisants, il y a des conséquences pouvant aller de l’avertissement jusqu’à la remise en cause du contrat d’embauche. En résumé, cela revient en quelque sorte à dire que dans ce système, le statut d’enseignant permanent n’est jamais acquis une fois pour toutes.

Dans mon cas personnel, cette pression est accrue en raison de la chaire honoraire de recherche que je détiens depuis douze ans. C’est une distinction qui est assortie d’exigences de résultats, ce qui requiert donc plus de travail.

Quelle est votre philosophie de vie ?

Je pense que le plus important, c’est de vivre le plus pleinement possible, c’est-à-dire trouver ce qui répond le mieux à nos aspirations les plus intimes, et de s’y consacrer avec passion. C’est Confucius qui disait : « On a deux vies. La deuxième commence quand on réalise qu’on n’en a qu’une. » Alors, il faut se laisser aller à ses passions, se laisser dévorer par ses passions, se laisser envahir et guider par ses rêves, même les plus fous, ou surtout les plus fous. Quand on y parvient, rien ne nous arrête, et même les difficultés se transforment en source d’inspiration et en force motrice. Et lorsque surviennent des échecs, il faut savoir en tirer le meilleur parti. Je me fais fort de maintenir cette ligne de conduite : ne jamais permettre que les échecs sonnent le glas de mes aspirations. Car, pour citer encore quelqu’un, « Si vous fermez la porte à tous les échecs, le succès restera dehors. » C’est Jim Rohn qui le dit.

Quels sont vos principaux qualités / défauts selon vous ?

Il n’est jamais aisé de parler de soi-même en termes de qualités et de défauts, mais puisque vous me posez la question, je ferai l’effort d’y répondre. Ce que je puis considérer comme une qualité, c’est le fait de ne jamais perdre de vue l’objectif que je me fixe. C’est ce qui me donne la force de braver les obstacles inhérents au parcours. Cela conduit évidemment à un autre trait qui est l’ardeur au travail, et par conséquent la constance et la persévérance dont j’ai parlé plus haut.

Je considère comme un défaut ma tendance à observer plus de patience qu’il n’en faut dans certaines situations où il aurait été préférable de procéder autrement.

Quels liens gardez-vous avec le Burkina ?

Mes liens avec le Burkina sont multiples et se présentent sous plusieurs formes. Au plan familial, je maintiens des liens évidents et soutenus avec le Burkina, puisqu’une grande partie de ma famille s’y trouve. Un de mes fils qui réside ici aux Etats-Unis et qui pratique le cyclisme est inscrit à la Fédération burkinabè de cyclisme. Il a représenté le Burkina Faso à deux compétitions internationales, respectivement à Trinité et Tobago et en Pennsylvanie aux Etats-Unis.

Sur le plan académique, j’ai permis à une dizaine de mes anciens étudiants de l’université de Ouagadougou d’obtenir des inscriptions auprès d’universités américaines. Certains d’entre eux ont même bénéficié d’une assistance financière offerte par l’université d’accueil.

Il est à noter que mon département encourage et favorise le recrutement d’étudiants internationaux désirant s’inscrire en maîtrise ou en doctorat. Dans ce cadre, il m’arrive de fournir à des étudiants burkinabè des informations sur le programme et les conditions de recrutement.

Pour donner un autre exemple, je vous ai parlé plus haut du projet que j’ai initié dans mon université en vue de faire partir des étudiants américains au Burkina Faso chaque été pour un séjour d’étude et de découverte. Même si le projet a été retardé pour les raisons que j’ai évoquées plus haut, il est toujours d’actualité, et dès que les conditions sécuritaires au Burkina seront jugées suffisamment rassurantes par l’institution, ces voyages seront entrepris.

Je suis en train de prendre les dispositions nécessaires afin que mon roman soit exposé lors de la 17ème édition de la Foire internationale du livre de Ouagadougou (FILO) qui se tiendra du 23 au 26 novembre 2023. Sur un autre volet, dans le cadre de mes travaux sur le cinéma, je suis en contact avec quelques réalisateurs et acteurs burkinabè dont certains m’accordent souvent des interviews.

Enfin, cette question me donne l’occasion d’exprimer encore une fois ma profonde désolation face à la tragique situation sécuritaire que vit le Burkina Faso. Même étant physiquement loin de la terre natale, c’est un drame qui me touche évidemment, et je formule chaque jour le vœu de voir définitivement tournée cette triste page afin que le pays retrouve son lustre légendaire, et que le peuple retrouve la paix et la sérénité.

Avec toutes ces charges professionnelles, trouvez-vous encore du temps pour des loisirs ? Si oui, lesquelles pratiquez-vous ?

Les charges professionnelles ne me laissent pas assez de temps pour les loisirs. Cela est sans doute surprenant, mais je parviens à transformer en loisir une activité qui ne l’est pas a priori, celle de l’écriture. Certaines formes d’écriture, comme la poésie et le roman, me libèrent du poids des obligations professionnelles. C’est pour moi, comme on le dit, une manière de joindre l’utile à l’agréable. Dans la même veine, puisque j’enseigne le cinéma, je m’en sers également comme objet de loisir quand cela est possible et nécessaire.

Si vous pouviez être quelqu’un d’autre le temps d’une journée, dans la peau de qui aimeriez-vous vous glisser ?

Si je le pouvais, je me glisserais dans la peau d’Aimé Césaire à qui je voue une immense admiration, et dont la pensée et les écrits ont énormément influencé mes travaux sur les Antilles. Je le ferais, même si Césaire n’est plus de ce monde, pour être en position de décrypter ses moindres faits et gestes, dans l’espoir de voir où et comment il trouve une inspiration si totale et si prolifique. Je le ferais parce que Césaire est pour moi la somme achevée de tout ce qu’il y a de grand, d’humain, de noble.

Césaire, c’est la figure littéraire incontestable, l’artiste flamboyant à la verve incisive, le poète voltige et magicien, l’orfèvre des mots, le dramaturge lucide, l’homme de culture, l’homme politique, le visionnaire, l’intrépide militant de la justice et de la dignité humaine. C’est l’homme intégral, chantre intemporel de la Négritude, le fier et légitime héritier de l’Afrique ; c’est la voix infinie, faite pour nourrir la postérité et l’espoir du monde.

Interview réalisée par D. Sawadogo
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