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De la nécessité « d’endogénéiser » pour développer : le savoir et le savoir-faire traditionnels comme ressort

Publié le dimanche 29 octobre 2023 à 20h51min

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Résumé :

Les communautés ont de tout temps été attachées à leurs savoirs et savoir-faire traditionnels. Du point de vue de l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi, 2012), la conservation de ces systèmes de connaissances est essentielle au bien-être et au développement durable. Ainsi, on retrouve toujours dans les débats qui foisonnent sur la question de l’identité culturelle et le développement, le rôle central de la culture et notamment des savoirs et des savoir-faire traditionnels pour penser le développement.

En dépit de cet espoir que suscite la prise en compte de ces savoirs endogènes dans les politiques publiques de développement, on a considéré toujours la culture comme un dernier palier, moins important que les besoins, jugés fondamentaux. Alors qu’on sait qu’il faut des savoirs pour cultiver la terre, pour habiter son environnement, pour soigner et se soigner, nourrir et se nourrir, et surtout pour transmettre les valeurs les mieux adaptées à ses enfants.
Introduction

Tout peuple, toute communauté ou de façon plus large toute société s’identifie à travers son savoir et son savoir-faire qui le plongent dans l’univers de ses racines et qui est le socle de son identité.

En effet, c’est en 1992 que, pour la première fois, l’idée de tenir compte des savoirs et savoir-faire traditionnels a été mise en lumière par la Convention sur la diversité biologique. L’article 8 de cette convention dispose que chaque partie contractante « respecte, préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique et en favorise l’application sur une plus grande échelle, avec l’accord et la participation des dépositaires de ces connaissances, innovations et pratiques et encourage le partage équitable des avantages découlant de l’utilisation de ces connaissances, innovations et pratiques » (Organisation des Nations Unies).

Depuis cette époque, la portée des savoirs et savoir-faire traditionnels a eu un écho favorable auprès des communautés ainsi que des acteurs du monde du développement. Dans cette dynamique, la reconnaissance de la dimension culturelle, propre à chaque communauté, groupe, individu, territoire, sera renforcée dans le tournant des années 1990 par le travail de la Commission mondiale de la culture et du développement en 1995, et par la Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles et le développement de Stockholm en 1998, puis consolidée par l’adoption de l’Agenda 21 de la culture (Blouët 2008) et de la Convention pour la protection des expressions culturelles de l’Unesco, en 2005.

Partant donc du postulat que des communautés locales ont des modes de vie traditionnels fondés sur leurs connaissances et expressions culturelles, il importe de penser des cadres normatifs pour la prise en compte de ces savoirs et savoir-faire traditionnels et leurs valorisations. Ainsi, la culture, en particulier ses éléments immatériels, contribuerait à dresser des modèles de développement plus appropriés, de mobiliser les savoirs et les savoir-faire nécessaires pour ancrer le développement en fonction de la vision qu’ont les populations.

A propos de culture, Ki-ZERBO J. (2010) laissait entendre que :
La culture, c’est le sens donné à l’activité vitale et sociale, c’est un code, une clé d’explication et de transformation du monde. C’est un programme acquis, un logiciel (software) qui induit les attitudes face aux réalités, aux intérêts et aux valeurs. Mais ce système de lecture et de transformation n’est pas un bloc métaphysique fossilisé et statique ; c’est un processus et sujet de l’histoire.

Comme on le voit, la culture est un élément structurant de la vie des hommes en société. C’est elle qui structure notre façon d’être, notre agir en communauté. Nous sommes dans une société en pleine mutation. Et dans ce contexte de changement social que connait nos sociétés, la culture reste la matrice.

La culture en général et les savoir-faire traditionnels en particulier représentent des leviers importants de développement culturel et social ainsi que de croissance économique ; elle est présente dans toutes les sphères de la vie en société. Ainsi, en tant qu’ensemble de pratiques, la culture joue un rôle fonctionnel dans la gestion des écosystèmes. Dans sa dimension matérielle, artistique et patrimoniale, elle devient un outil clé ayant un impact durable sur le développement. Ainsi, la culture reste un véritable levier des activités des communautés.

C’est elle qui détermine l’agir des populations. Définie en termes d’éducation et de formation, elle constitue un moyen du développement humain. En tant que patrimoine socio-culturel, elle s’avère un levier pour les activités du tourisme. Enfin, en tant qu’ensemble de valeurs, de significations, d’objectifs dans la vie, elle est considérée comme le quatrième pilier du développement durable, ou son pilier central (Parra, Moulaert, 2011).

C’est autour de cette problématique du patrimoine culturel immatériel qu’une recherche a été menée auprès des populations au niveau rural burkinabé. L’objectif était de saisir chez ces communautés le sens de ces savoirs endogènes, la stratégie de protection développé pour leurs survies et surtout de la sauvegarde de ce patrimoine culturel immatériel dans un contexte de brassage où le savoir et le savoir-faire est en train de se lessiver pourtant, leur action collective, leurs savoirs et savoir-faire, leur système de connaissances liées à la nature et à l’univers sont les facteurs sur lesquels toute politique publique de développement devrait s’appuyer.

Enfin de rendre compte de ce qui fait sens chez les populations autour de leur expression culturelle, cette contribution explore le contexte historique de naissance de la danse, saisie ses fondements et enfin montre l’enjeu qu’il y’a à sauvegarder ce patrimoine culturel immatériel qui fonde l’existence chez ces communautés.

Méthodologie

Nous avons été édifiés par une expression culturelle dans un des villages de la commune de Saponé, non loin de la capitale Ouagadougou. Et c’est pour rendre compte des fondements de cette expression culturelle que cette étude a été réalisée. Ainsi, il s’est agi de conduire une enquête socio-anthropologique qui a permis de donner la parole aux acteurs afin de recueillir leur point de vue et de donner sens au discours produit.

De façon pratique, nous avons enquêtés les responsables en charge de la culture, les trésors humains vivants, les chefs coutumiers ainsi que des leaders d’opinion, les responsables de la troupe de danse (Yolongo à Saponé) ont été également enquêtés. La recherche a mobilisé comme outil de collecte de données, essentiellement des guides d’entretien pour des entretiens individuels et des focus group, pour la collecte des données de groupe.

Quelques résultats

Les différents groupes socioculturels développent ainsi dans leur vie quotidienne la culture immatérielle qu’ils entretiennent et rendent durable pour les générations futures. Parmi les éléments caractériels de l’identité culturelle immatérielle figure la danse.

1. Du patrimoine culturel matériel au patrimoine culturel immatériel : l’origine du « yolongo »

Le yolongo est une danse traditionnelle du village de Saponé. L’histoire de la danse reste fondamentalement liée à son fondateur, le Naaba yolongo de Baonghin d’où elle tire son nom le « yolongo ». C’est justement pour rendre compte de l’origine de la danse qu’apparait la nasse comme élément culturel matériel et qui désigne un instrument de pêche.

Dans la pratique, il y a toujours eu une connexion entre la chefferie traditionnelle et la danse yolongo chez cette communauté. Les instruments utilisés accompagnent toujours le pouvoir traditionnel.

L’histoire de cette danse reste liée à l’histoire du pouvoir politique de la communauté. Pour comprendre le « Yolongo », ou du moins son histoire, toujours selon la troupe, il faut l’intégrer dans la relation avec l’histoire politique de la chefferie traditionnelle où elle entretient une relation particulière avec les détenteurs du pouvoir politique.
Yolongo (nom de règne du Chef), c’est celui avec qui la danse a débuté. C’est l’inventeur de la danse qui se nomme Yolongo. Il a été un chef du village, un des villages de la ville de Ouagadougou qu’on appelle Baoghin. Vous savez que quand on intronise un chef, il prend un nom de règne et donc c’est le nom d’emprunt du chef.

C’est un nom de guerre donné au chef après son intronisation. Donc son fondateur fut un chef et son nom de règne Yolongo, qui est un instrument de pêche (un piège à poissons). Après son intronisation, le chef dit qu’il se nomme désormais Yolong kon yonk Gnebga (la nasse ne peut attraper un caïman). Voici pourquoi yolongo est le nom que porte la danse de notre localité. (Entretien focus group avec les membres de la troupe)

Le nom de la danse a été un nom de règne du chef, pour montrer toute la puissance qu’il incarnait. L’autre fait marquant de l’histoire de la danse, c’est sa coïncidence avec une famine qui a secoué le village. Alors que ces populations sont fortement dépendantes de la terre. Il a fallu innover pour assurer la survie. Et cette danse a été pour beaucoup dans la survie de la population. C’est justement pourquoi elle demeure toujours un élément fondamental dans la culture de ces populations.

1. Sens et puissance de la danse chez les communautés

Dans la commune rurale de Saponé, la danse traditionnelle demeure omniprésente. C’est d’ailleurs le fondement de leur organisation sociale. Les moments importants de la vie du groupe ou des individus sont accompagnés de chants et de danses. C’est un révélateur de facteurs sociaux pour la communauté.

Le « yalongo » joue un rôle déterminant dans la vie de la population, c’est un élément constitutif du patrimoine culturel immatériel de la communauté. En effet, C’est une danse traditionnelle qui accompagne les évènements de la vie et reste indissociable des fêtes ainsi que des rituels. A travers cette danse, la communauté affiche son identité et son savoir-faire traditionnel.

« La danse Yolongo pour nous, communauté de saponé, c’est un des traits de notre culture » (Entretien focus group avec les membres de la troupe). Posant ainsi le rôle déterminant de cette danse au sein de la communauté qui participe à la promotion de la culture et surtout à la conservation de leur identité. Mieux, cette danse renforce chez cette communauté le sentiment d’appartenance a une société qui traverse le temps. Selon le responsable de la troupe,

À l’origine, on la dansait lors des fêtes traditionnelles ou musulmanes. Mais aujourd’hui, elle se danse à toutes les occasions de réjouissances ou même de peine. Ainsi, pendant les moments difficiles (dans des situations de deuil par exemple) et même de joie (baptême et mariage), la troupe est sollicitée pour des prestations. Il n’y a pas de statut social particulier pour participer à cette danse. Tout le monde dans le village sans exception, jeunes, femmes, hommes, mariés ou célibataires peuvent participer » (entretien avec responsable de la troupe de danse).
Cette danse est une identité culturelle qui permet à la communauté de se reconnaitre et de perpétuer son savoir et son savoir-faire traditionnel aux générations futures. Elle permet de s’identifier aux autres et de se distinguer en termes de représentation culturelle.

L’inquiétude dans la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel
Toute la difficulté de la sauvegarde du savoir faire traditionnel se trouve inscrit dans la problématique de la formation dans un contexte de modernité. Dans les sociétés traditionnelles, le processus d’apprentissage des valeurs de la société se faisait dans des cadres informels, moins structurés, et où il s’agit d’apprendre les valeurs de sa propre culture d’appartenance. Mais aujourd’hui, la formation et/ou l’apprentissage se fait dans un cadre formel, dans un cadre structuré ou il n’est pas question d’apprendre ses propres référents culturels.

Et dans cette dynamique, ces populations n’ont pas un moyen de promotion suffisamment puissant pour transmettre ces savoirs et savoir-faire à la génération future pour assurer la pérennité de la danse. D’ailleurs, la plupart des jeunes enquêtés avaient du mal à répondre à nos préoccupations sur le « yolongo ». D’où l’inquiétude des tenants de la danse :

Le « yolongo » pourrait disparaitre un jour si la génération montante ne voit aucun avantage concret dans la pratique de cette musique ! Il y a des jeunes qui dansent avec nous, qui nous écoutent quand on chante, si le virus de yolongo pique sérieusement l’un d’entre eux, après, nous, celui-ci pourrait continuer avec Yolongo. Yolongo ne s’enseigne pas comme dans une école » (Entretien focus group avec les membres de la troupe).

Une telle vision des choses montre la menace qui pèse sur cette expression culturelle. En effet, la communauté n’a développé aucun mécanisme particulier de perpétuation et s’en remet à la divine providence :

A notre niveau, c’est Dieu qui va sauvegarder ce patrimoine : tout comme on ne peut apprendre à quelqu’un comment parler, on ne peut non plus apprendre à une personne comment chanter ou danser ! Si Dieu le veut, quelqu’un d’autre après nous, s’il a été « piqué » par le « virus » de « Yolongo », pourrait continuer avec yolongo. Yolongo ne peut s’enseigner comme dans une école. Il n’y a pas un processus particulier pour préparer la relève. C’est au grè de la motivation de la génération montante et de son engouement pour le yolongo, cela ne peut être explicitement donné ou montré à quelqu’un (Entretien focus group avec les membres de la troupe).

Conclusion

S’il n’existe un grand engouement autour de la transmission de cette danse en dépit de sa valeur d’identité culturelle, c’est en partie lié au fait qu’elle ne constitue pas une activité lucrative. Mais l’espoir que cette danse se pérennise peut-être nourri. Les membres de la troupe pensent que yolongo ne va pas disparaître de leur vivant, car il y a toujours un engouement pour yolongo même dans les villages voisins.

Par ailleurs, ils demeurent réceptifs à des accompagnements de quelle que nature que ce soit, pour motiver les acteurs actuels à travers des formations ou encadrements pour rendre plus attractif le yolongo, pour le faire rayonner. Il s’agit là d’un cri du cœur, une main tendue vers toute initiative pouvant aider à la sauvegarde de ce patrimoine culturel immatériel cher à la population de Saponé.

NANA Ezaï, Institut des Sciences des Sociétés (INSS/CNRST), nana_fils@yahoo.fr

Bibliographie

Cominelli F. 2010. « Pierre sèche : Vincent Mougel », Fiche d’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France, Paris, ministère de la Culture et de la Communication.

Cominelli F. 2015. Repenser le développement durable quel rôle pour les savoir-faire et les métiers d’art ? Volume 82-83, 2015–2016 https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ consulté le 20/10/2023
Ompi, Propriété intellectuelle et savoirs traditionnels, Genève, Ompi, no. : 920. Disponible en ligne : http://www.wipo.int/export/sites/www/ freepublications/fr/tk/920/wipo_pub_920.pdf,
Organisation des Nations Unies. 1992. Convention sur la diversité biologique, 5 juin, Rio de Janeiro. Nations Unies. 2012.

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