Thomas Sankara, 36 ans après sa mort : Entre pleurs de la famille et célébrations des autorités
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Il était jeune, charismatique, ouvert au monde et a, en quatre ans, montré que l’on pouvait diriger autrement les pays africains, sans népotisme, ni corruption, avec un train de vie du gouvernement modeste, etc. Son assassinat a fait de lui une légende et son aura ne fait que grandir avec le temps. Aussi les dirigeants et les politiciens aiment à se réclamer de lui quand bien même ils ne partagent pas ses valeurs et ses opinions.
Se vêtir de l’image de Thomas Sankara est une pratique courante au Burkina Faso, où les partis sankaristes ont poussé comme des champignons, chacun défendant sa chapelle pour ramener au pouvoir soit disant les idées de Thomas Sankara. Voilà que le 22 septembre 2022, un jeune capitaine prend le pouvoir, presqu’au même âge que Thomas Sankara. De guerre lasse, toutes affaires cessantes, sans avoir dressé le bilan de leur propre action aux côtés du capitaine Sankara, certains de ses compagnons et autres admirateurs ont remis le flambeau de leur lutte au capitaine Ibrahim Traoré.
On se demande encore par quel procédé tout jeune capitaine putschiste peut être révolutionnaire, ou remplacer Thomas Sankara ? Etait-ce indiqué dans le contexte actuel du pays et de la situation mondiale d’ajouter cette contrainte aux charges du capitaine Ibrahim Traoré, venu pour lutter contre le terrorisme ? Doit-il courir après Thomas Sankara pour faire comme lui ? Ce faisant ne déclenche-t-il pas lui-même les comparaisons entre lui et le capitaine défunt ? Ceux qui lui ont imposé ce fardeau ont fait une faute politique et ont refusé d’aider le jeune capitaine. Ibrahim Traoré ne devrait-il pas chercher à proposer une meilleure version de lui-même plutôt ? La richesse du pays ne serait-elle pas d’avoir un Thomas Sankara et un Ibrahim Traoré, au lieu d’un Thomas Sankara et une copie ?
Entre ceux qui prennent à la lettre les propos de l’ancien président et ceux qui ne voient que l’aspect folklorique de ses actions, le pays des hommes intègres se cherche entre culpabilité et manque de courage pour analyser les évènements et en tirer les leçons pour l’avenir. Les adeptes de la métempsychose qui voit dans le nouveau président un Thomas Sankara, ne savent pas que Sankara en parlant de la naissance de mille Sankara, parlait des adeptes de ses idées, et ne le localisait pas dans un pays. Ceux qui ont étudié les idées de Thomas Sankara s’en inspirent et les pratiquent chaque jour sans être dans les proclamations et les gesticulations. Ils ont compris que les idées sont faites pour transformer les sociétés et la vie des peuples.
Beaucoup de pays ont remis au goût du jour leur tissu traditionnel et font du dan fani, haut de gamme qui procure des revenus substantiels à leurs artisans, parce qu’ils le vendent à l’international. C’est Thomas Sankara qui a eu l’idée et l’a popularisé à un sommet de l’OUA. Mais nous, nous en sommes toujours au même stade à vouloir faire une cotonnade que pour la consommation locale qui revient chère, pas à la bourse des populations.
Ces élites déconnectées des populations qui font semblant d’être proches de la tradition ne savent pas que même dans les funérailles traditionnelles où les familles emmènent des pagnes Faso dan fani, les pagnes imprimés sont acceptés parce que moins chers. Seule la famille nucléaire paie le pagne traditionnel. L’indépendance de notre pays en tant que producteur de coton est de se doter d’une industrie textile qui est capable de produire à moindre coût du tissu et de laisser les artisans produire pour les plus riches d’entre nous et de l’étranger.
On aurait pu penser qu’avec la mobilisation générale décrétée actuellement, le pouvoir du MPSR II aurait réuni les acteurs du secteur textile, les chercheurs et économistes pour que notre coton ne soit plus exporté en totalité et qu’on ait encore une société textile qui puisse produire en priorité pour nos forces de défense et de sécurité et leurs supplétifs et produire pour nos élèves et étudiants. Avec ce marché captif et le coton de chez-nous, on pourrait avancer en réunissant les forces financières et intellectuelles. Mais non, on n’avance pas depuis plus de trois décennies malgré les problèmes nouveaux et immenses.
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L’action est éclairée par la réflexion
Le Burkina ne retient de Thomas Sankara actuellement, et ce n’est pas la faute aux jeunes, que le poing brandi et des slogans. Comment il a bouleversé la gouvernance du pays, lutté contre la corruption, et affiché aux quatre coins du monde notre dignité, en ne s’abaissant devant personne, défendant un Burkina libre et indépendant, peu de jeunes gens le savent. La génération qui a vécu cette période refuse d’aller dans le fond des choses, chacun préférant dire qu’il l’a connu, qu’il en était, qu’il participait à la révolution : montrant une photo jaunie de groupe où il était avec le président Thomas Sankara, tout en regrettant l’absence des selfies dans les années 1980. Ils sont rares les témoignages de ceux qui l’ont connu qui font réfléchir sur son action. Et quand il y’en a, sans l’avoir lu, les fanatiques du capitaine président assassiné commencent à tirer sur celui qui ose dire des choses qu’ils ne veulent pas entendre sur leur idole.
Qu’est ce qui peut expliquer que le fond de sa pensée soit moins connue que ses posters ? Pourquoi tout le monde trouve bien de se réclamer de lui, au point que nous avons au Burkina refusé à sa famille biologique le droit d’organiser ses obsèques, nous accaparant des restes de l’époux, du père et du frère à des fins bien plus mercantiles que d’intérêt national ?
Sankara était chez lui à Dagnoën auprès de ceux qu’il a aimés
Le gouvernement burkinabè a déclaré héros de la nation, le capitaine Thomas Sankara. On ne sait pas, à part le gouvernement lui-même, qui est le bénéficiaire de cette déclaration, les enfants de Thomas Sankara ne sont pas mineurs. C’est une déclaration d’amour pour récolter des sympathies et des soutiens. D’autres gouvernements du pays avant eux ont utilisé la même recette. Mais ce ne sont pas ceux qui bâtissent des monuments et baptisent des avenues et des boulevards qui aiment le plus ou agissent selon la pensée de Thomas Sankara, même Blaise Compaoré l’a fait.
Le peuple, depuis 1987 et l’Afrique entière aussi a déclaré Thomas Sankara héros des peuples africains par les pèlerinages au cimetière de Dagnoën. Il avait été enterré auprès de ceux qu’il avait défendu, ses vrais compagnons et amis. En l’emmenant au conseil de l’entente, lieu de pouvoir et de torture, on écorche son image. Si Thomas Sankara revenait à la vie, nous ne sommes pas sûrs qu’il serait d’accord avec tous ses admirateurs, les bâtisseurs de monuments et baptiseurs de rues.
Sana Guy
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