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Komsilga (Burkina)/ Gestion des menstrues : Entre insalubrité et précarité, à Ouidy les femmes PDI vivent le martyre

Publié le dimanche 1er octobre 2023 à 21h55min

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Komsilga (Burkina)/ Gestion des menstrues : Entre insalubrité et précarité, à Ouidy les femmes PDI vivent le martyre

Partagées entre sauts de mois, douleurs chroniques, troubles de cycles, toilettes exiguës et insalubres, manque de serviettes hygiéniques et de soins, au cours de leurs périodes de menstruations, les femmes déplacées internes installées sur le site improvisé de la commune de Komsilga, dans la province du Kadiogo, région du Centre, vivent le martyre, après les attaques terroristes qui les ont éloignées de leurs villages. Immersion dans l’intimité de ces femmes abandonnées à elles-mêmes !

A Ouidy, l’un des 36 villages de la commune rurale de Komsilga, l’ambiance a changé depuis quatre ans. Ce petit village d’environ 100 mille âmes accueille un site improvisé (non formel) de personnes déplacées internes (PDI). Une école primaire a été aménagée et réquisitionnée à cet effet.

A la pointe de l’aube de ce mercredi 13 septembre 2023, nous échangeons avec les femmes PDI sur la question de l’hygiène menstruelle. Certaines étaient à la manœuvre pour le petit déjeuner, alors que d’autres faisaient la lessive ou encore endormies, de bouche à oreille, informées, sortent de leurs nids, mais personne ne voulait se décider.

Vue d’une douche des hommes

Zenabo Sawadogo, cette veuve de 47 ans et mère de huit enfants, venue de Djibo (dans le Sahel) ouvre le bal. Visage pâle, tête couverte et corps fragile à vue d’œil, elle s’assoit. Elle n’avait pas l’air très en forme. Elle souffre de la « maladie des femmes (règles) ». « Je suis dedans comme ça. Ça fait presqu’un an que je vis cette situation. Ça vient deux fois par mois, ça coule beaucoup, et ça va jusqu’à sept jours. Alors que ça ne faisait que trois ou quatre jours. Je suis allée au CSPS d’à côté (le centre de santé du village, ndlr), et on m’a donné des médicaments que j’avais pris et ça s’était un peu calmé, mais par manque d’argent, je ne suis plus allée là-bas. Parce que, si chaque mois, il faut aller à l’hôpital alors qu’on n’a pas d’argent… », se presse-t-elle de répondre comme si elle était à la recherche d’une oreille attentive.

Zenabo Sawadogo (47 ans) et mère de 8 enfants, déplacée interne venue de Djibo (région du Sahel)

La quadragénaire souffre dans le silence d’un trouble menstruel depuis près d’un an sans pouvoir en parler à quelqu’un. La question des menstrues reste encore un sujet tabou dans la société burkinabè et les femmes en souffrent dans le silence.
Sur ce site improvisé de Ouidy comptant au moins 2 000 PDI, dont plus de la moitié sont composées de femmes, le confort n’est pas d’actualité. C’est la lutte pour la survie qui compte !

Partageant des chambres à coucher de quatre mètres carrés (salles de classe transformées en dortoirs), ces femmes PDI sont presque 20 par chambre. Comme si cela ne suffisait pas, la question des troubles menstruels s’est invitée aux défis quotidiens.

De vieux pagnes et des torchons pour leur dignité

Comme Zenabo, Nafissatou Ouédraogo, cette jeune mère de 20 ans, assise en face à l’air libre dans ce décor à l’image d’une salle de consultation, lève elle aussi le voile sur son intimité en matière de menstruation. La tête couverte d’un hijab multicolore, dame Ouédraogo répond timidement aux questions avec un regard fuyant. « Avant, ça ne me faisait pas mal, mais depuis qu’on est là, quand ça veut venir mon bas-ventre me fait très mal et souvent ça saute même des mois et ça revient tout seul », argue-t-elle, tout en s’interrogeant en ces termes : « Nous sommes au milieu de beaucoup de personnes. On ne sait pas qui a quoi et qui n’a pas quoi. Je me dis également que même si on avait les moyens, ça n’aurait servi à rien, parce que nous sommes toujours dans le même environnement qui semble être la cause de tous ces troubles ».

Nafissatou Ouédraogo (20 ans), déplacée interne venue de Bourzanga (région du Centre-nord)

Ces troubles menstruels inquiètent la jeune femme, mais elle n’est pas allée en consultation faute de moyens ou parce qu’il y a plus important et prioritaire pour elle. Pour la jeune maman venue de Bourzanga (localité située dans la région du Centre-nord), la priorité, n’est pas de se faire soigner, mais d’assurer les repas quotidiens de son rejeton.

Une question de chance ou d’organisme, en tout cas, qu’à cela ne tienne, Asséta Gansambé, cette jeune maman de 30 ans et mère de quatre enfants, venue elle aussi de Bourzanga est épargnée, c’est du moins ce que l’on peut dire.
« Je n’ai jamais eu de douleurs quand j’ai mes règles. Et même quand je suis arrivée ici, c’est resté toujours la même chose et ça fera quatre ans en hivernage prochain », lâche-t-elle avec une certaine assurance.

Même si les troubles menstruels ne la concernent pas, la mère de famille s’inquiète néanmoins pour la pitance quotidienne de ses enfants. « Ceux qui sont ici comme moi là, notre problème, c’est la nourriture. Si on peut nous aider avec la nourriture pour qu’on puisse nourrir bien nos enfants, ça sera mieux. Chaque jour, on souhaite que même si nous n’allons pas avoir à manger, au moins, il faut en avoir pour les enfants, parce qu’ils ne savent pas souvent ce qui se passe », a-t-elle plaidé.

Dans un pays où le coût des protections hygiéniques est trop élevé pour la majorité des femmes, il l’est encore plus pour ces femmes PDI de Ouidy.
En effet, au niveau du Burkina, les prix des tampons ou cotons varient entre 500 et 600 FCFA, voire plus en fonction de la qualité. Ce qui reste inabordable pour ces femmes qui n’ont aucune source de revenus. « S’il faut enlever 500 ou plus chaque mois pendant que ton enfant pleure à côté, parce qu’il a faim, tu vas laisser ces « choses de blancs là », et acheter à manger à ton enfant. On se débrouille avec nos vieux pagnes et torchons qu’on n’utilise plus », s’est-elle confessée. « Si vous voulez nous aider, aidez avec la nourriture pour nos enfants », lâche-t-elle, comme pour minimiser la question de la menstruation.

Asséta Gansambé, mère de quatre enfants, déplacée interne venue elle-aussi de Bourzanga (région du Centre-nord)

Au cœur de ce qu’elle traverse, Zenabo Sawadogo pousse le bouchon plus qu’on ne l’aurait imaginé : « Je me débrouille avec mes anciens pagnes et même ça, ce n’est pas tous les jours qu’on a du savon pour les laver. Tu es obligé souvent de les enlever et de les jeter dans les WC comme ça. Ma fille, ce n’est pas tout qu’on peut dire », rumine la quadragénaire, le visage sombre. Sans perdre espoir, elle se convainc en ces termes : « Comme je suis toujours vivante, j’espère que ça finira un jour ».
Tous ces troubles développés par ces femmes PDI peuvent s’expliquer par plusieurs raisons, selon la sage-femme, Miriame Diabré, que nous avons interrogé sur la question.

Selon elle, cela peut être dû à des infections qu’elles ont contractées ou à des troubles émotionnels du fait des traumatismes qu’elles ont vécus. « Parce que, quand on n’est pas bien dans la tête, ça peut troubler le cycle et cela se manifeste de plusieurs manières, notamment l’abondance des flux, l’augmentation des jours du cycle et pour d’autres mêmes ne viendront plus. Et ces troubles peuvent avoir des conséquences sur leur reproduction comme par exemple ne pas maîtriser sa période d’ovulation, et autres », a expliqué la sage-femme. C’est pourquoi elle conseille à ces femmes souffrant de ces troubles de consulter afin de diagnostiquer les vraies causes afin de se faire suivre.

Quand l’insalubrité et l’exiguïté cohabitent

« Est-ce qu’on peut parler de propreté ici, je ne pense pas. On fait ce qu’on peut seulement. Mais tu vas en vouloir à qui, ce n’est de la faute à personne. Les gens n’ont pas les mêmes compréhensions de la propreté », regrette la doyenne des interviewées. Logées, certaines, entre les chambres à coucher, et d’autres à l’externe, ces quatre toilettes rectangulaires laissées à l’utilisation unique des femmes à l’image d’une boite de sardine, ont perdu de leurs éclats et pour s’approcher, il faut se boucher le nez.

Si dame Sawadogo ne s’est pas gênée de mettre à nu l’insalubrité et l’exiguïté des toilettes, certaines d’entre elles ne trouvent pas à redire sur la propreté des lieux. Pour Adja Yampa, 19 ans et enceinte de trois mois, et Aminata Soré, 25 ans et mère de deux enfants, tout est propre. « On lave chaque quatre jours et on se relaie pour le faire », ont-elles avoué.

Au-delà de ces problèmes d’hygiène et d’exiguïté de ces toilettes, c’est leur nombre aussi qui se trouve être insuffisant. Selon le répondant de ce site improvisé de Ouidy, Malick Gansambé, ils sont plus de 2 000 PDI sur le site qui n’a que quatre petites toilettes qui ont d’ailleurs été laissées aux femmes. « Nous les hommes, nous nous lavons à l’air libre ou sous des bâches qu’on a érigées en des douches », affirme-t-il.
Cette question des coûts des serviettes hygiéniques et tampons associée à la santé et à l’hygiène menstruelle dans ce site d’accueil des PDI n’est pas un cas isolé.

Malick Gansambé, porte-parole du site d’accueil improvisé de Ouidy (Komsilga)

Car selon la présidente nationale du Mouvement d’action des jeunes de l’Association burkinabè pour le bien-être (MAJ/ABBEF), Stéphanie Thiombiano, il n’existe pas encore des mesures d’accompagnement ou de moyens mis en place en la matière. « C’est toute une question de santé publique qui n’est malheureusement pas perçue comme telle, mais pour répondre au besoin, il n’y a pas mal d’associations et de structures qui interviennent sur la thématique et qui mènent plusieurs actions sur le terrain, notamment en maximisant sur le plaidoyer, l’éducation sur la vie familiale et font des subventions de façon ponctuelle, etc. », s’est-elle expliquée.

Une solidarité agissante

Malgré ce qu’elles ont vécu dans leur fuite, à vue d’œil, ces femmes PDI ne semblent pas avoir oublié certaines valeurs sociales comme la solidarité. Entre elles, elles se montrent taquines, mangent et mènent leurs travaux de ménage ensemble. Arrêtées toutes deux côte à côte, Zenabo Birba (venue de Djibo) et Safiatou Moyenga (venue de Bourzanga), qui se sont rencontrées sur ce site de Ouidy, se montrent très complices. « Ici, il n’y a pas de différence entre nous et c’est comme ça avec tout le monde. On se donne la main », lancent-elles les mains posées l’une sur l’autre.

Une solidarité complice qui va au-delà des paroles : « Souvent quand ça vient et que tu n’as rien pour acheter des cotons ou des médicaments, tu prends pour l’autre, le jour que tu as, tu remets. C’est comme ça ici. Si l’une n’en a pas, elle peut utiliser pour l’autre en attendant d’en avoir. Il n’y a pas de différence entre nous. Nous formons une famille. On utilise les choses sans problème ».

Yvette Zongo
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 2 octobre 2023 à 11:10, par Viviane GOUBA En réponse à : Komsilga (Burkina)/ Gestion des menstrues : Entre insalubrité et précarité, à Ouidy les femmes PDI vivent le martyre

    Malheureusement ce problème d’ hygiène menstruelle est persistant dans tous les sites de déplacés internes.
    Elles s’exposent davantage en utilisant des restes de pagnes ou torchons pour couvrir leur intimité pendant la période menstruelle, car ces pagnes ne sont du coton bio, et contiennent des produits chimiques toxiques pour la santé de la vulve. Ces mauvaises habitudes provoquent d’autres infections.
    C’est pourquoi je salue Palobdé Afrique qui fabrique et mets à la disposition des femmes
    des serviettes hygiéniques lavables et réutilisables. Si par la contribution de tous chacune de ces femmes pouvait en avoir ne serait-ce que 1kit, je reste convaincu que dans 2ans nous auront résolu définitivement ce problème d’hygiène menstruelle.

    Répondre à ce message

  • Le 2 octobre 2023 à 15:39, par Djamilatou SIABI En réponse à : Komsilga (Burkina)/ Gestion des menstrues : Entre insalubrité et précarité, à Ouidy les femmes PDI vivent le martyre

    Cet article est vraiment évocateur. Il relate le calvaire de tellement de femmes sur les sites d’accueil pour déplacées internes. La question de la gestion menstruelle est très souvent reléguée au second plan par nos sœurs qui ont du mal à joindre les deux bouts. J’interpelle des structures telle que Palobdé Afrique à mener des actions fortes afin d’améliorer un tant soit peu la situation de ces femmes.

    Répondre à ce message

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