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Burkina/ Lutte contre la corruption : 651 cas de dénonciations en 2022 contre 303 en 2021, selon Sagado Nacanabo

Publié le lundi 28 août 2023 à 19h37min

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Burkina/ Lutte contre la corruption : 651 cas de dénonciations en 2022 contre 303 en 2021, selon Sagado Nacanabo

Au Burkina Faso, pour lutter contre la corruption des structures telles que l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) et le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) ont été mises en place. En 2023, quel est l’état de la corruption au Burkina Faso ? Le secrétaire exécutif du REN-LAC Sagado Nacanabo donne des éclaircissements.

Comment peut-on évaluer actuellement l’état de la corruption au Burkina Faso ?

Sagado Nacanabo : Nous avons fait la mesure avec notre indice de mesure de la corruption en 2021. Notre indice montrait que l’état de la corruption au Burkina Faso est préoccupant. 8 personnes sur 10 parmi nos enquêtés estimaient que la corruption est très fréquente. Sur 3000 enquêtés, 1500 enquêtés avaient témoigné avoir été confrontés à la pratique de la corruption.

Et cela représente 50%. Ces chiffres sont en augmentation par rapport aux données de 2020. Sur toujours les 3000 enquêtés, 951 enquêtés avaient affirmé avoir offert au moins une rétribution illégale. Les 951 font 31% des enquêtés. Ce chiffre est également en augmentation par rapport à celui de 2020. 52,13% des enquêtés ont estimé que la corruption est en hausse par rapport à 2020.

Malheureusement, en 2022, nous n’avons pas pu faire la même mesure. Mais quand on regarde, tous les indicateurs sont en augmentation par rapport à 2020. Lorsqu’on projette de 2016 à 2021, tous les paramètres ont augmenté. On n’a pas de raison de croire qu’en 2022, il y ait une baisse. Je vais citer deux de nos activités de 2022 qui l’attestent. De 2017 à 2021, il y a eu 44 dossiers que nous avons amenés en justice. Mais pour l’année 2022 seulement, on a eu 51 nouveaux dossiers. Donc les 44 dossiers plus les 51 nouveaux dossiers ont fait qu’en 2022, nous avons suivi 95 dossiers en justice.

Ça, c’est uniquement les dossiers en justice. Et un autre paramètre qui nous permet de mesurer est que, du 1er janvier au 31 décembre 2022, nous avons reçu 651 plaintes ou dénonciations. Alors qu’en 2021, c’est-à-dire du 1er janvier au 31 décembre, nous avons reçu 303 plaintes ou dénonciations. Vous voyez que les chiffres ont doublé. Parmi les 95 dossiers en justice suivis par le REN-LAC, ceux qui ont été jugés en 2022, la plupart des personnes qui sont passées devant les juges ont été reconnues coupables des faits qui leur sont reprochés. Il y a eu un seul cas où le monsieur a été relaxé. Au regard de ces éléments, nous pouvons dire que la situation de la corruption au Burkina Faso est préoccupante sinon très grave.

Du 1er janvier 2023 à ce mois d’août, est-ce que vous avez reçu des plaintes ?

Sagado Nacanabo : Nous avons reçu énormément de plaintes. En décembre 2022, nous avons organisé les journées nationales de refus de la corruption. Le thème était « la corruption et lutte contre le terrorisme ». C’était un focus de plus sur l’augmentation des budgets des ministères de la Défense et de la Sécurité. La gestion de ces secteurs de sécurité n’est pas transparente.

C’est pour cela que nous avons appelé les citoyens à faire la veille. Depuis ces journées de refus de corruption, sur tous nos canaux de réception, il n’y a pas de jour où on ne reçoit pas de plaintes ou de dénonciations. Même sur mon téléphone personnel je reçois des plaintes. Hier nuit même j’en ai reçu. Je pense qu’on a atteint un cap de dénonciations jamais atteint dans le cadre de la lutte contre la corruption.

Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, est-ce que vous recevez des plaintes pour des faits de corruption au niveau de l’armée ?

Sagado Nacanabo : Pas de façon directe. Mais à travers la presse. Les plaintes que nous documentons sont les plaintes que nous trouvons à travers les journalistes d’investigation. C’est-à-dire des VDP qui se plaignent et même des militaires. Nous avons des audios où des militaires au front, se plaignent de ceux qui sont à l’état-major. Ils se plaignent du retard de leur argent. Et même quand ils sont en difficulté comme ce qui s’est passé sur la voie de Djibo pour une intervention aérienne, les choses tardent. Du côté de Fada nous avons reçu une plainte qui a tourné un peu court. Un citoyen voulait se faire enrôler comme un VDP et quelqu’un a tenté de l’escroquer. Dans un premier temps, il a payé 50 mille francs CFA.

Après, la personne a demandé encore 50 mille. C’est là que le citoyen a refusé et nous a contactés. Lorsque nous avons voulu instruire une plainte, l’armée aussi a été saisie et ça a tourné court. Le plaignant s’est rétracté. Il a dit que son argent lui a été restitué. Et que la personne qui a pris son argent n’était ni un militaire, ni un VDP mais un escroc. Les plaintes au sein de la grande muette ne remontent pas comme ça.

Quels sont les secteurs les plus touchés par la corruption actuellement ?

Sagado Nacanabo : Pour l’année 2022 à proprement parler, nous n’avons pas pu faire le sondage qu’on fait habituellement pour classer les services. De ce fait, ce serait hasardeux pour moi de dire que tel service est plus touché que tel service.

Philippe Nion avant de quitter l’ASCE-LC avait dénoncé des tentatives de menace et même les ordinateurs de l’enquêteur principal ont été volés. Est-ce que vous êtes parfois menacés aussi ?

Sagado Nacanabo : Non, c’est vrai que L’ASCE-LC et nous sommes dans le même champ d’action mais il y a une différence. Parce que L’ASCE-LC étant une institution d’État, ils ont une autorité de contrôle direct sur tous les secteurs publics y compris le secteur de défense et de sécurité. Ils ont le droit d’aller demander des comptes, de prendre les instruments de comptabilité des comptables pour les vérifier et statuer. Alors que nous sommes une organisation de la société civile.

Nous ne pouvons aller demander des comptes directement. Par contre, lorsque nous avons des dénonciations avérées, nous pouvons faire une saisine. Nous pouvons écrire à L’ASCE-LC pour dire qu’il y a telle ou telle pratique dans tel domaine. Nous ne pouvons pas dire que nous avons reçu des menaces comme celles de L’ASCE-LC. Nous avons des intimidations et des menaces d’un autre genre.

Quel genre de menaces recevez-vous ?

Sagado Nacanabo : Par exemple, nos sièges de Fada et de Bobo-Dioulasso ont été cambriolés. Mais rien n’a été emporté. On ne peut pas savoir si ce sont de simples voleurs ou si c’est en lien avec notre travail. Notre animateur de Bobo-Dioulasso suivait des dossiers de corruption assez sensible relative à des pratiques dans des établissements secondaires. Ces dossiers ont été jugés et les personnes ont été reconnues coupables et condamnées.

Notre animateur de Bobo-Dioulasso est allé faire une conférence. A la sortie, il a trouvé que les pneus de sa moto étaient déchiquetés. Nous sentons que c’est une menace. C’est possible qu’il soit agressé. Notre animateur de Gaoua est un Peul. A Gaoua il y a des zones où les Peuls n’ont plus accès. Nous lui avons déconseillé d’aller dans ces zones.

Donc on pourrait dire que la situation sécuritaire fait que vous n’arrivez pas à mener convenablement vos activités

Sagado Nacanabo : En dehors des zones d’insécurité, nous menons nos activités. Nous venons de faire notre 23e assemblée générale ordinaire le 17 août 2023. Nous avons fait un bilan. 90,9 % des activités ont pu être menées avec un taux de réalisation budgétaire de 72%. Nous avons pu réaliser 287 activités de sensibilisation. Nous avons pu couvrir 33 communes réparties dans 25 provinces. Je vous disais tantôt que nous avons reçu 651 plaintes ou dénonciations en 2022.

Les 651 ont été toutes traitées. Il y en a 277 qui ont été résolues. 253 qui sont toujours en traitement. 65 ont été transférées à des structures mieux habilitées que nous, comme la gendarmerie, L’ASCE-LC et le MBDHP. 56 plaintes ont été infirmées ou abandonnées. C’est-à-dire ce n’était pas fiable. Le traitement des plaintes nous a permis de faire 209 saisines administratives. Et sur les 209 saisines administratives 196 ont reçu des réponses.

Ça, c’est quand même fort appréciable. En 2023 par exemple, nous pu après avoir tenu les journées du refus de la corruption faire un mémorandum. Ce mémorandum a été transmis au chef de l’Etat. Il a répondu. Et nous sommes toujours là-dessus. Nous avons des interpellations à faire aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Malgré l’insécurité et le manque de financement, on arrive à mener certaines de nos activités. Nous avons le statut de cause d’utilité publique. Mais nous ne recevons pas de fonds publics. Nous sommes en train de lutter pour avoir le fonds.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez actuellement ?

Sagado Nacanabo : Actuellement nous rencontrons des difficultés à quatre niveaux. Le premier niveau ce sont les insuffisances de financements. Les insuffisances de financements ont des corollaires en insuffisance de ressources humaines. Le fait que nous n’ayons pas de moyens financiers a fait que nous avons supprimé certains postes qui sont pourtant nécessaires.

Aucun poste de permanent n’est doublé. Actuellement nous n’avons pas de chargé d’enquêtes. Nous sommes obligés de faire des contrats. Actuellement nous n’avons pas de chauffeur. Lorsque nous devons sortir pour les missions, nous sommes obligés de louer un chauffeur ou nous devons conduire nous-mêmes, pourtant nous ne sommes pas des professionnels de la route. Nous avons des activités que nous ne pouvons pas réaliser faute de moyens financiers et humains.

C’est pour cela que nous n’avons pas pu faire le sondage et produire le rapport de l’année 2022 concernant l’état de la corruption. Il y a un certain nombre d’activités cardinales qui n’ont pas pu être réalisées. Une fois nos agents ont accepté faire une réduction de 30 % de leur salaire pour qu’on puisse maintenir notre effectif. Ce sont les contraintes les plus graves. Une autre contrainte assez grave c’est l’insécurité dans certaines zones. Il y a des zones inaccessibles alors que nous avons programmé des activités là-bas.

Les deux coups d’État aussi ont fait que nos activités étaient suspendues à un moment donné. Il y a aussi la réticence de certaines administrations à nous fournir des documents ou bien des informations. On a eu le cas à Tenkodogo. Des gens avaient besoin des documents des projets pour suivre ces projets. Mais la délégation spéciale a refusé de remettre ces documents. Ça, c’était en 2022. On a suivi les travaux sans les documents. Il y a des endroits où on essaie d’intimider nos agents. Je cite l’exemple de Gaoua.

Au cours d’un procès d’un dossier que nous suivons, on a empêché notre agent de prendre des notes. On a aussi une autre difficulté qui est que parfois certains plaignants ou dénonciateurs n’ont pas assez de courage pour supporter leurs plaintes. Souvent ils demandent l’anonymat. Ce que nous comprenons d’ailleurs. Mais certains ne veulent pas que nous-mêmes les connaissions. Si nous voulons poursuivre ces dossiers à un moment nous n’aurons pas de preuves. Puisque nous ne connaissons pas les intéressés. Voilà un peu les difficultés que nous avons.

Quel message avez-vous pour les Burkinabè ?

Sagado Nacanabo : j’appelle les citoyens à s’impliquer dans la veille, dans le contrôle de l’action publique. Il faut que le peuple lui-même vienne au contrôle. Parce que les contrôles je peux dire légalement adoptés peuvent être défaillants. C’est le peuple lui-même en s’impliquant qui peut assurer la redevabilité et la transparence dans la gestion des biens dans tous les secteurs y compris dans le secteur de la défense et de sécurité. Une fois à Gaoua, des gens ont vu qu’il y a un projet qui a confectionné des briques et le lendemain ces briques ont été utilisées pour construire. Grâce à la dénonciation, l’entreprise a été sanctionnée. Voilà pourquoi la veille citoyenne est la meilleure veille. Le contrôle populaire est le meilleur contrôle.

Propos recueillis par Rama Diallo
Lefaso.net

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