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Princesse Guimbi Ouattara : « Un modèle de leadership à enseigner à la nouvelle génération féminine », selon l’historien Moumouni Ouattara

Publié le lundi 24 juillet 2023 à 22h05min

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Princesse Guimbi Ouattara : « Un modèle de leadership à enseigner à la nouvelle génération féminine », selon l’historien Moumouni Ouattara

Si aujourd’hui la personnalité de la princesse Guimbi Ouattara est parfois controversée, elle demeure néanmoins une icône, une héroïne, pour bon nombre de Burkinabè, notamment la communauté dioula. Selon l’historien Moumouni Ouattara de la chefferie dioula, Ma-Guimbé Ouattara ou la princesse Guimbi Ouattara demeure le précurseur du leadership féminin au Burkina Faso. Elle aurait évité à la ville de Sya d’être détruite. Dans un entretien qu’il a accordé à Lefaso.net, il relate la vie de celle qui a su faire la promotion du dialogue, de l’hospitalité, du vivre-ensemble dans sa communauté d’antan.

Cette rencontre avec l’historien Moumouni Ouattara a permis ainsi de retracer une page de l’histoire de notre pays à savoir le Burkina Faso précolonial et colonial. Ce, à travers une des personnalités historiques féminines les plus emblématiques du pays, notamment la princesse Guimbi Ouattara. En effet, la princesse Ouattara est née vers 1836 à Bobo-Dioulasso. Elle naît à un moment où le Burkina Faso n’existait pas en tant que pays. « C’était un ensemble de royaumes qui se trouvaient en Afrique Occidentale, dont le Gwiriko, le Liptako. Il y avait également les royaumes Mossi, Gourmantché et le Kénédougou qui est une émanation du Gwiriko », a rappelé Moumouni Ouattara.

Elle a effectivement connu la pénétration coloniale dans notre pays. Elle a été de ceux qui ont assisté aux choc culturel qu’a été la colonisation du continent africain et la colonisation française en ce qui concerne le Burkina Faso. Selon Moumouni Ouattara, si la princesse Guimbi Ouattara est considérée aujourd’hui comme une icône, une héroïne, c’est parce qu’elle a eu à poser des actes qui, dit-il, n’étaient pas donné à n’importe qui et surtout pas à la gent féminine.

« Il y a plusieurs aspects qui retiennent l’attention des gens lorsqu’on parle de Ma-Guimbé Ouattara. D’abord, elle a été mariée très tôt, à l’âge de 15 ans pour la première fois, et très vite elle sera veuve. Elle s’est remariée ensuite et encore elle va se retrouver veuve et à vivre seule de ses propres initiatives. C’est là qu’elle a décidé de prendre son destin en main », a relaté l’historien Ouattara.

Selon Moumouni Ouattara, historien de formation, la princesse Guimbi Ouattara est une référence pour des femmes burkinabè

A en croire Moumouni Ouattara, la princesse Guimbi Ouattara a su se démarquer sur plusieurs plans. Le premier, c’est sur le plan économique. Il a affirmé que Guimbi Ouattara a compris très tôt que pour être une femme, digne de ce nom, respectable et respectueuse, il fallait qu’elle soit indépendante sur le plan économique. C’est pourquoi, elle s’est vite investit dans le domaine de l’hôtellerie. « Bobo-Dioulasso étant un grand carrefour commercial, elle avait donc construit des maisons d’hôtes où elle y hébergeait les marchands qui venaient des pays mossi, haoussa, de partout, dans le cadre du commerce. C’est pour cette raison on dit qu’elle est la première hôtelière de notre ville », a-t-il expliqué.

Elle était également considérée à l’époque comme une grande commerçante car elle s’adonnait aussi à la vente de la cotonnade. Ma-Guimbé Ouattara avait beaucoup de femmes à son service qui faisaient de la filature de coton qu’elle mettait ensuite à la disposition des tisserands. En effet, l’actuel quartier Kombougou (son village natal) était un grand centre où il y avait beaucoup d’ateliers de filature de coton. Et il en était de même pour les autres villages dioulas comme Kotédougou, Darsalamy, etc.

Moumouni Ouattara a rappelé qu’en son temps, toutes les organisations royales avaient la charge d’assurer la sécurité des gens qui venaient à traverser leurs localités. Guimbi Ouattara avait ainsi une armée qui convoyait les caravanes qui passaient par sa zone vers la région du Mali et du Sahel. Ce sont toutes ces activités qui lui ont permis d’avoir beaucoup d’argent et d’être aussi indépendante sur le plan économique. « Les explorateurs qui sont passés par ici et qui l’ont connue, ont témoigné qu’elle était suffisamment à l’aise sur le plan économique », a soutenu Moumouni Ouattara.

Sur le plan culturel, la princesse avait hérité d’une culture dioula. « Cette culture par essence, est une culture qui privilégie l’hospitalité, la solidarité et le vivre-ensemble. Ce sont donc des éléments fondamentaux de la société dioula. Lorsqu’un étranger arrive chez vous, la première des choses que vous devez faire, c’est d’abord de l’accueillir, lui trouver un toit et lui donner à manger avant toute autre chose. C’est pour cette raison d’ailleurs que lorsqu’à partir de la fin du 19e siècle, il s’est agi pour la France de conquérir le Burkina Faso, elle a d’abord envoyé des explorateurs qui sont passés dans certaines villes pour prendre des informations et préparer l’arrivée des troupes coloniales », a-t-il indiqué.

Avant de poursuivre : « Parmi ces explorateurs, trois sont passés ici. Et le premier, il s’agit de Luc Gustave Binger, le 19 avril 1888. Lorsqu’il est arrivé à Bobo-Dioulasso, les gens ne le connaissaient pas si bien que les populations ont bien voulu attenter à sa vie. Guimbi Ouattara qui avait été mise au parfum, s’est portée volontaire de garantir son intégrité physique et de lui trouver tous les moyens et de l’accompagner jusqu’à ce qu’il sorte de la zone d’influence des Ouattara, en partance donc pour le royaume de Ouagadougou. Elle a témoigné ici l’hospitalité, l’accueil et le respect de l’homme. C’est aussi ça l’humanisme », a lancé Moumouni Ouattara.

Pour lui, ces valeurs sont à cultiver dans notre société actuelle afin de promouvoir la paix et la cohésion sociale. Après Gustave Binger, d’autres explorateurs sont venus, notamment le docteur Crozat (en 1890) et le commandant Monteil (en 1891). Tous ces explorateurs auraient témoigné de l’hospitalité de la princesse Guimbi Ouattara. Ainsi, sur le plan culturel, elle fait la promotion du vivre-ensemble et de l’hospitalité. Mais elle aurait plus brillé sur le plan politique, nous dit Moumouni Ouattara.

Le mausolée de Guimbi Ouattara situé au quartier Kombougou de Bobo-Dioulasso

Guimbi Ouattara, une référence pour des femmes burkinabè

Ma-Guimbé Ouattara a joué un rôle politique qui, selon Mr Ouattara, n’était pas connu de tout le monde. Dans la communauté dioula, lorsque vous êtes d’une très grande notoriété, que vous êtes de la cour royale et que vous êtes une femme, a un certain moment de votre vie, vous pouvez être amené à jouer un rôle. Ma-Guimbé Ouattara était ainsi la responsable du service de renseignement lorsqu’elle a atteint la ménopause.

C’est à ce titre qu’elle avait des débits d’hydromel. « A l’époque, effectivement ces cabarets étaient destinés aux guerriers et c’est là que les informations circulaient. C’est ainsi qu’elle est arrivée, à deux fois, à épargner à la ville de Bobo-Dioulasso, une catastrophe, un affrontement militaire », a-t-il indiqué.
D’abord en janvier 1893, lorsque le roi du Kénédougou, Tiéba Traoré, qui est un dissident du royaume de Gwiriko, a voulu marcher sur la ville de Bobo-Dioulasso, les Ouattara ont constitué une coalition de peuples de la sous-région pour l’empêcher de prendre la ville.

C’est ainsi que les Bwaba, les Comonon, les Vigués, les Tiéfo, les Bobo et les Sambla, se sont réunis pour faire la « bataille de Bama ». « Le jour où la bataille devrait se passer, brutalement le chef Traoré est tombé de façon inattendue de son cheval et il est mort. Donc le Kénédougou a perdu la bataille et les soldats se sont enfuis pour repartir à Sikasso. Il y a un rôle fondamental que Ma-Guimbé a joué dans cette guerre parce qu’elle a donné beaucoup de renseignements sur Tiéba, plusieurs mois auparavant. De ce fait, on peut dire qu’elle a évité à la ville de Bobo-Dioulasso, de par son efficacité dans le renseignement, de tomber sous la main du royaume du Kénédougou », a conté Moumouni Ouattara.

Le deuxième élément, dit-il, c’était en août 1897 lorsque Samory Touré, venant de Dabakala, a voulu marcher sur Bobo-Dioulasso. Traqué par les français à l’époque, ce dernier avait décidé de chercher l’alliance des Ouattara. Ceux de Kong n’ayant pas voulu accepter sa stratégie, il décida alors de détruire Kong. Certains princes de cette ville qui avaient réussi à s’enfuir, avaient trouvé refuge à Bobo-Dioulasso. « Dans la stratégie traditionnelle de guerre, lorsque vous faites la conquête d’une ville et que certains guerriers s’enfuient, vous les poursuivez. C’est ainsi que Samory Touré a décidé de monter sur Bobo-Dioulasso. C’était donc sur les traces des Ouattara. Au passage, il s’est attaqué aux Comonon et aux Dogossè et il est arrivé à détruire Sidéradougou », a-t-il expliqué.

« Avant qu’il n’arrive à Bobo-Dioulasso, les Ouattara avaient réuni un conseil de guerre et c’était en pleine hivernage, au mois d’août. A l’issu du conseil, ils ont estimé que, stratégiquement, ils ne pouvaient pas battre Samory Touré parce que la guerre est un art. Pour aller en guerre, il y a certains éléments qu’il faut prendre en compte. Il y a non seulement les armes, mais aussi la stratégie, l’opportunité du moment et les alliés. Les Ouattara avaient ainsi décidé de ne pas affronter Samory Touré frontalement parce qu’ils pensaient n’avoir pas réuni tous les éléments nécessaires pour pouvoir gagner la bataille. C’est la princesse Ouattara qui a été désignée pour négocier avec Samory Touré », a indiqué Moumouni Ouattara.

Elle se fera accompagner par un marabout du nom de Sakidi Sanou, pour témoigner de la bonne collaboration entre les Bobos et les Ouattara. Ce sont ces deux personnages qui auraient négocié avec Samory Touré, en lui offrant des présents, afin qu’il épargne la ville de Sya. C’est ainsi que la ville de Bobo-Dioulasso a été épargnée.

Malheureusement, quelques années plus tard, il y a eu un affrontement entre les troupes de Samory et les troupes de Noumoudara, suite à une « incompréhension ». Samory Touré qui avait un avantage logistique et militaire arrive à détruire ce village au prix d’un « horrible massacre ». Il a vaincu ainsi Tiéfo Amoro. « Pour ces raisons on peut dire que sur le plan politique, elle a été d’un grand apport dans la lutte », soutient l’historien pour qui Ma-Guimbé Ouattara demeure une battante.

Sur le plan humanitaire, il a ajouté qu’en plus d’être une princesse, elle était aussi une matrone. « A l’époque lorsqu’il y avait des femmes en difficulté d’accouchement, c’est chez elle qu’on les amenait. C’est pour cette raison d’ailleurs que lorsqu’il s’est agi de baptiser certains édifices de la ville, ils ont pensé au nom de Guimbi Ouattara », a-t-il souligné. Parmi les édifices qui portent son nom il y a la maternité Guimbi Ouattara (construit en 1961), le ciné Guimbi Ouattara, le lycée professionnel Guimbi Ouattara et certaines rues qui portent également son nom. Pour Moumouni Ouattara, tous ces éléments sont suffisants pour que le nom de Guimbi Ouattara soit retenu dans l’histoire du pays.

Mr Ouattara expliquant que la princesse Guimbi Ouattara est le précurseur du leadership féminin au Burkina

« Guimbi Ouattara est le précurseur du leadership féminin »

« Ma-Guimbé Ouattara a su montrer le chemin du leadership et de l’émancipation féminine. Elle est le précurseur du leadership féminin au Burkina Faso. Je ne vois aucune autre femme avant elle qui a fait autant dans l’histoire. Aujourd’hui, je pense que ce sont les rivalités qui amènent certains à nier le rôle fondamental qu’elle a eu à jouer dans la zone de Bobo », dit-il. Moumouni Ouattara estime ainsi qu’en termes de leadership féminin, elle a montré le chemin à beaucoup de femmes qui se sont illustrées aujourd’hui, en la prenant comme une référence dans la lutte pour l’émancipation de la femme, autant sur le plan économique que politique.

Il est raconté également que lorsque les Français se sont décidés à s’installer à Bobo-Dioulasso en 1897, c’est la princesse Guimbi Ouattara qui les a accueillis. C’est pourquoi Binger lui avait attribué annuellement une pension viagère en souvenir de son accueil. Ma-Guimbé s’éteint paisiblement en 1919. Laquelle date qui coïncide avec la création de la colonie de Haute-Volta. Sa mort referme ainsi une page de l’histoire de notre pays, c’est-à-dire le Burkina précolonial. Il est par ailleurs conté qu’à son décès « on avait jamais vu autant de mobilisation pour les obsèques d’un personnage à Bobo-Dioulasso ». Des gens seraient venus de partout et son corps a été conservé pendant plusieurs jours afin qu’une cérémonie digne de son nom puisse être organisée en sa mémoire.

Elle est aussi l’une des rares femmes qui a pu avoir un mausolée après sa mort. Et dans l’Ouest du pays, elle est l’un des deux personnages qui ont bénéficié de cette faveur. En effet, dans la région, on note le mausolée de Guimbi Ouattara et celui de Tiéfo Amoro. Le mausolée Guimbi Ouattara est situé au quartier Kombougou de Bobo-Dioulasso. L’historien Moumouni Ouattara a déploré le fait que sa mémoire ne soit pas « assez honorée ». Il pense que les autorités du pays peuvent faire mieux en autorisant le bitumage et l’éclairage de la voie qui mène au mausolée, longue d’un kilomètre. Cette demande a été faite en 2019, lors de la célébration du centenaire de son décès.

A l’entendre, il y a un engouement aujourd’hui autour de la princesse Ouattara et du mausolée. Les Burkinabè, notamment les scolaires et des étrangers, viennent se « ressourcer » au mausolée, ce qui est pour lui une bonne chose. « En venant connaître l’histoire de la princesse Guimbi Ouattara, de la ville de Bobo-Dioulasso et même du Burkina Faso, c’est vraiment important. Cela peut être un facteur qui va aider la jeunesse à comprendre beaucoup de choses et aussi de promouvoir la paix et la cohésion sociale », a-t-il conclu.

Romuald Dofini
Lefaso.net

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