LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

28e Fespaco : Festival de combat contre le terrorisme

Publié le samedi 4 mars 2023 à 19h06min

PARTAGER :                          
28e Fespaco : Festival de combat contre le terrorisme

La tenue de ce festival n’était pas gagné d’avance à cause de la guerre à laquelle le pays fait face depuis huit ans, maintenant. Pour certains ce serait indécent, immoral de faire une fête du cinéma alors que le pays est en guerre et subit de lourdes pertes en vies humaines. Pourquoi ne pas consacrer le budget du Fespaco au financement de la guerre ?, disaient-ils. La guerre est un fait social qui se mène sur plusieurs fronts et se gagne avec l’ensemble du corps social et avec ce 28e Fespaco, le secteur touristique et culturel de notre pays a gagné une bataille en termes de recherche de la paix et de la cohésion sociale. Si on fait la guerre pour obtenir la paix, le Fespaco n’a-t-il pas participé à la guerre par la recherche de la paix par les images ?

Le Fespaco fait partie de ce qui fait nation, c’est un symbole de ce pays, qu’aucun régime n’a remis en cause, parce qu’il dit aussi à sa manière le Voltaïque à l’origine en 1969, puis le Burkinabè, son rapport au monde et aux autres. Ce n’est pas une activité triviale, superfétatoire qui dépend du bon vouloir des princes et qui n’engage pas le peuple et le monde.

Le succès du Fespaco est dû à l’adhésion populaire. C’est ici, à Ouagadougou, que les populations ont montré leur soif de leurs propres images faites par des Africains en se ruant dans les salles pour voir des films africains. C’est une activité culturelle et touristique qui contribue à faire vivre des gens de ce pays. Ne pas tenir le Fespaco apportera-t-il un avantage tactique à nos troupes dans cette guerre ? La tenir est sans aucun doute un acte de résilience et de combat, parce que la fête est productrice de lien social et ainsi de cohésion sociale.

Les armes culturelles

Les cinéastes sont plus concernés par cette guerre contre le terrorisme que le Sahélien moyen. Ils n’en dorment pas, ce souci permanent qui les tenaille se traduit dans leurs films. Ainsi les films comme "L’envoyée de Dieu" de la Nigérienne Amina Abdoulaye Mamani , "Epines du Sahel" du Burkinabè Boubakar Diallo ou encore "Sira" de la Burkinabè Apolline Traoré parlent du terrorisme. Les créations présentes au Fespaco parlent de nous, de nos pays et de cette guerre. Des artistes montrent comment ceux qui stigmatisent la communauté peule se trompent de cible de combat, puisqu’elle est aussi victime. Certains cinéastes comme Apolline Traoré ont fait d’une femme l’héroïne de la lutte contre le terrorisme.

Les militaires ne devraient pas prendre cela pour une fable ou une légende. Il peut y avoir des amazones de la lutte contre le terrorisme des Sarraouina, des Yennenga et des Guimbi Ouattara. Le film Sira décrit notre société burkinabè telle qu’elle l’est toujours, malgré les attaques contre la tolérance religieuse, marqueur important de ce pays, où l’amour est le premier critère du choix du conjoint pour beaucoup de personnes et non la religion ou l’ethnie. Ce n’est pas rien que de faire des films qui disent cela aujourd’hui où des hommes sans foi ni loi veulent remettre en cause ce vivre ensemble que nos pères et grands-pères ont façonné.

Ces films sont bien souvent l’expression de la résistance de nos peuples et des outils de partage culturel. Ces films font du bien à l’âme. Ce sont des nourritures spirituelles pour nos peuples. Et cette respiration festive et éducative d’une semaine qu’est le Fespaco pendant la guerre est utile à la lutte contre le terrorisme.
Le Fespaco donne l’occasion d’entrer en relation avec le monde, de ne pas rester entre nous Ouagalais mais de rencontrer d’autres Sahéliens, d’autres Africains, des Européens, des Asiatiques, des Américains. C’est l’occasion d’enlever les couleurs du bannissement sur la carte de notre pays, du moins sa capitale et de dire au monde que la vie est possible dans ce pays, que des êtres humains refusent le sort que les groupes djihadistes veulent leur imposer. C’est dire au monde comment grand est notre désir de partager avec eux, ce pays, une séance de cinéma, un concert de Sidiki Diabaté jouant les hymnes du Burkina et du Mali à la kora, une bière dans la fraicheur nocturne de Ouaga et bien d’autres choses.

Le Fespaco outil de marketing politique

Tous les pouvoirs de la Haute Volta au Burkina Faso ont été friands de l’image du Fespaco qu’ils essaient de se l’approprier, de s’en draper comme d’une belle couverture pour se présenter aux yeux du monde. Et les deux régimes de transition du Burkina et du Mali n’ont pas échappé à la règle de se mettre sous les projecteurs du Fespaco pour vendre leur unité de vues, leur désir de fédération avec la Guinée qui était absente parce que le rituel n’a prévu qu’un pays invité d’honneur. La cérémonie d’ouverture du Fespaco a été une célébration des deux pays, des deux régimes de transition, représentés par les Premiers ministres civils. Les grands prêtres de la célébration étant les deux Premiers ministres par leurs discours et le divertissement par les artistes.

Symboliquement, cette fête est aussi un marqueur de règne pour ces pouvoirs de transition par l’importance de la délégation malienne qui a tenu à ne pas faire moins que la Côte d’Ivoire quand il a été pays invité d’honneur en 2019, lors du cinquantenaire du Fespaco.

Fêter le cinéma en temps de guerre, c’est montrer notre humanité au moment où les bandits nous imposent de nous entre-tuer, nous rabaissant à des animaux qui se battent pour marquer leur territoire.

C’est un moment de valoriser ce pays dont le meilleur marketing est ce festival. C’est une respiration de la société dans une guerre qui a pris corps et qui est partie pour durer. Car on n’a pas encore l’intelligence stratégique nécessaire à la victoire. Pourquoi ne pas puiser l’inspiration chez des artistes présents à ce Fespaco pour vivre et faire la guerre ?

Le Fespaco en temps de guerre, c’est défendre la vie. C’est résister, refuser ce que les terroristes veulent nous imposer. Et notre résistance, notre résilience est une victoire. Victoire d’une volonté contraire à la leur, espoir d’un autre monde que celui de la guerre. Faire le Fespaco, c’est du cinéma certes, mais c’est proposer un monde où l’amour est roi, où la paix est reine, où les cinéastes et les cinéphiles y sont les princesses et les princes. C’est une magie qui peut faire taire les armes.

Sana Guy
Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 6 mars 2023 à 10:30, par kwiliga En réponse à : 28e Fespaco : Festival de combat contre le terrorisme

    Bonjour Sana Guy.
    Même si je suis bien souvent d’accord avec vous et admiratif de vos écrits, pour le coup, je me sens obligé de m’inscrire en faux avec vos propos.
    "le secteur touristique et culturel de notre pays a gagné une bataille en termes de recherche de la paix et de la cohésion sociale."
    Non, ce n’est pas notre pays qui a gagné, c’est Ouaga et seulement Ouaga. Surprotégés, pendant que crève le Burkinistan, les putschistes d’ici et d’ailleurs ont pu festoyer sans honte, sur les cadavres du peuple.
    Ont-ils pris le pouvoir par les armes sous le prétexte de promouvoir le secteur culturel ?
    Alors, je suis bien d’accord sur le fait qu’une annulation pure et simple constituerait une petite victoire pour les djihadistes qui nous endeuillent quotidiennement, néanmoins, démontrer notre "résilience" sur des écrans de cinéma, pendant qu’on essaie de faire taire les provinces qui se meurent, m’apparait bien plus dérangeant.
    De mon point de vue, le Fespaco n’est qu’un symbole, les morts, les viols, la misère, le désespoir,... sont terriblement concrets.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique