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Journée mondiale de la radio : « Dans le contexte actuel, je ne pense pas qu’il y ait une radio qui, intentionnellement, souhaite que ce pays prenne feu », Salif Kaboré

Publié le lundi 13 février 2023 à 22h35min

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Journée mondiale de la radio : « Dans le contexte actuel, je ne pense pas qu’il y ait une radio qui, intentionnellement, souhaite que ce pays prenne feu », Salif Kaboré

« Radio et paix », tel est le thème retenu par l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), à l’occasion du 13 février reconnu comme étant la Journée mondiale de la radio (JMR). Pour cette 12e édition, Lefaso.net est allé à la rencontre de Salif Kaboré, journaliste à Ouaga FM, par ailleurs rédacteur en chef de ladite radio. Avec lui il était question de l’émission dénommée Affairages qu’il anime, de cette journée dédiée à la radio, ainsi que le rôle de cette dernière dans la lutte contre l’hydre terroriste.

Lefaso.net : Pouvez-vous présenter l’émission Affairages aux lecteurs ?

Salif Kaboré : D’abord il faut se souvenir que l’émission Affairages est née en 2007. Sa création vient du fait que le promoteur de Ouaga FM avait une vision de donner la parole aux auditeurs et auditrices, ceux et celles qui avaient des préoccupations qui, pour la plupart, trainaient dans les tiroirs sans jamais attirer l’attention des autorités. On a donc estimé que cette émission pourrait être un canal d’alerte à l’endroit de la puissance publique, afin que les populations puissent être dans la dynamique de développement par la résolution des problèmes auxquelles elles sont confrontées. Tout est donc parti de là. La radio a adressé un courrier au Premier ministre à l’époque qui était Tertius Zongo.

Il a tout de suite répondu favorablement et si ma mémoire est bonne, dans sa réponse, il encourageait la radio à aller dans ce sens mais surtout avec professionnalisme. On le sait, dans une émission interactive où on interpelle les puissances publiques, il faut avoir des garde-fous pour la maîtriser, sinon, les choses peuvent aller dans tous les sens. La préoccupation du Premier ministre était donc que la radio puisse prendre les mesures qui siéent pour encadrer l’émission quoique démocratique, pour qu’il n’y ait pas de dérapage. L’initiative a été saluée par le gouvernement de l’époque et depuis, lors cette émission suit son cours normal. Plusieurs animateurs se sont succédés à cette émission et actuellement, c’est moi qui suis à la manette tous les matins, de 6h30 à 7h00.

De 2007 à ce jour, y a-t-il eu des retours qui vous ont été faits suite aux problèmes qui ont été évoqués à travers l’émission ?

De mon point de vue, en matière de médias audiovisuels, c’est l’émission qui règle le plus grand nombre de problèmes des populations. D’autres voix pourraient le confirmer à ma suite. Les retours que nous avons aujourd’hui sont immenses. Vous n’imaginez pas le nombre de travailleurs de la fonction publique qui ont vu leurs soucis réglés grâce à l’émission Affairages. Dans le temps, dès que l’émission démarrait, c’était des questions de bonification, de mandatement qui étaient évoquées. Aujourd’hui quand vous écoutez, il y a moins d’interpellations sur ces questions.

Je ne dis pas qu’elles sont finies, mais il y a moins d’interpellations dans ce sens qu’avant. Cela veut dire que les problèmes de ces fonctionnaires sont en train d’être réglés. Il y a eu beaucoup de retours de la part des auditeurs pour remercier l’émission, du fait que leurs problèmes ont été résolus. Aussi, il y a le retour du ministère de la Fonction publique avec qui nous sommes permanemment en contact. Chaque fois qu’il y a des interpellations, les services du ministère de la Fonction publique prennent en charge votre cas grâce au numéro matricule que vous laissez.

On n’oublie pas les problèmes liés aux services de santé à l’approvisionnement en eau, en électricité etc. qui sont réglés. Plusieurs ministres, directeurs généraux, centraux nous appellent pour avoir les contacts de ceux qui les interpellent afin de mieux comprendre le nœud du problème qui accablent les populations. Je ne peux finir d’énumérer tous les problèmes qui ont été résolus grâce à l’émission.

De tous ces problèmes qui se sont vus résolus, quel est celui qui vous a le plus marqué ?

Plusieurs situations m’ont touché. Vous remarquerez que dans certains services, pour un simple papier, vous pouvez être bloqués et c’est votre vie qui va en pâtir. Par moment, il faut l’aval du supérieur hiérarchique, sans quoi l’affaire va stagner et il faut que les plus hautes autorités se saisissent de l’affaire pour que la situation se décante au plus vite. A l’époque, c’était une histoire pareille. Il s’agissait d’un enfant gravement malade qui devait être évacué d’urgence.

Il y avait beaucoup de blocages alors que l’enfant était entre la vie et la mort. Le problème a été exposé à l’émission Affairages. C’est ainsi que le ministre de la santé à l’époque, Seydou Bouda, a été interpellé et a tout de suite cherché à comprendre ce qui se passait. Nous avons donc remonté l’information jusqu’au ministre, qui a donné des instructions fermes pour que le dossier soit traité avec la plus profonde des diligences et dans les plus brefs délais. Finalement l’enfant a été évacué. Il a reçu les soins qu’il fallait et a eu la vie sauve. Ce cas m’a beaucoup marqué parce qu’en matière de santé, il n’y a pas de prix.

Il est vrai que grâce aux émissions radios, plusieurs cas sont exposés et finalement résolus. Mais force est de constater qu’il y a souvent des dérives de la part des auditeurs ou même de l’animateur. A ce propos, jusqu’où se situe la limite de l’auditeur qui appelle pour exposer son problème ainsi que celle du journaliste dans ses propos vis-à-vis de ce dernier ?

Dans une interpellation, il faut être très attentif en tant qu’animateur. Quand vous avez un auditeur en ligne, il va falloir que vous sachiez jouer au devin pour savoir jusqu’où celui-ci peut aller. Si vous n’avez pas le sens de l’anticipation, il va vous plomber et la radio avec. Il faut avoir un sens élevé de l’anticipation et de l’écoute. Prenons un exemple. Lorsque j’ai un auditeur en ligne je sais jusqu’où il peut aller à travers le tempérament qu’il dégage déjà. Lorsqu’il est très chaud, il faut savoir le refroidir, le ramener dans le bon sens, lui faire comprendre qu’il n’a pas besoin de s’emporter pour faire comprendre son problème parce qu’en s’emportant, il pourrait dire des choses très graves. Il faut donc anticiper et permettre à l’auditeur de poser son problème avec bon sens et courtoisie.

Ce qui est recommandé en radio, c’est d’enregistrer l’auditeur avant de diffuser l’enregistrement. Mais au Burkina nous sommes très limités techniquement. Pour pallier ces dérapages, nous travaillons à développer le sens de l’écoute. C’est une chose qu’on réussit progressivement si fait que, quand les auditeurs appellent à cette émission, ils savent directement que la première règle ce n’est pas le show, mais la courtoisie. Pour ce qui est des animateurs radios, je crois que de notre côté, à l’émission Affairages, nous n’avons jamais été interpellé ni par le Conseil supérieur de la communication, ni par une autre structure du genre, pour des faits d’exactions des auditeurs.

Il est vrai que nous avons eu affaire à des dossiers en justice, mais nous les avons gagnés. Il s’agissait principalement de dénonciations. Les concernés nous ont trainé à la barre mais nous avons gagné parce que les faits étaient avérés. Ce sont des faits qui sont vérifiables. Il y a certes des moments où certains nous font des observations sur notre comportement dans le déroulé de l’émission car aucune œuvre humaine n’est parfaite. Mais ces observations portent moins sur des questions de dérapage. Il s’agit plus de nous encourager à maintenir le cap.

Quels sont les difficultés que l’on rencontre dans le cadre de ce travail ?

En termes de difficultés, il n’y en a pas tellement. Seulement, il faut être courageux et avoir la passion. Dans notre cas, se lever tous les matins à 4h pendant douze mois, s’apprêter pour venir à la radio et tenir l’émission n’est pas toujours évident. Mais ce qui peut constituer un contrepoids, c’est le fait que beaucoup de problèmes sont résolus à travers cette émission. C’est ce qui encourage à continuer encore et encore.

Aujourd’hui 13 février est la journée mondiale de la radio et le thème retenu par l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) est « Radio et paix ». Que vous évoque ce thème ?

Je dirai que le thème est interpellateur. Il est d’actualité et vient à point nommé surtout dans notre pays. Il nous amène à dire que la radio occupe une place de choix dans les canaux utilisés pour le regain de la paix. Nous sommes dans une crise sécuritaire et je crois fermement que la radio constitue le canal par lequel on peut sensibiliser le plus. Avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication, si la radio parle à Ouagadougou, elle est écoutée partout à travers les localités. Ça c’est très important. Si vous y lâchez un message de paix, vous participez à ramener la paix dans une zone que vous-même ne connaissez pas. Si vous y lancez un message de haine, vous participez à détruire un village à des centaines de kilomètres de Ouagadougou sans vous en rendre compte.

La radio est un puissant moyen de communication pour rechercher la paix et nous nous inscrivons dans cette dynamique-là. Se dire que même au-delà de la crise sécuritaire, les burkinabè doivent vivre ensemble comme ils l’ont toujours fait. Je crois que chaque journaliste devrait s’y mettre parce que si ça tourne mal à Bogandé, c’est que ça viendra à Ouagadougou où nous sommes. Donc nous avons intérêt à Ouagadougou, à parler pour éteindre le feu à Bogandé. C’est la responsabilité morale du journaliste qui est ici interpellée et nous devons travailler à éviter de diffuser des informations qui puissent compromettre la recherche de cette paix-là. On a un contexte qui est déplorable et on a tous obligation à maintenir le cap et redoubler d’efforts pour que la radio continue de vivre et contribuer à ramener la paix au Burkina Faso.

Parlant de diffusion d’informations qui peuvent inciter à la violence, pensez-vous que les radios au Burkina jouent leur partition, surtout dans ce contexte d’insécurité où les médias sont souvent taxés à tort ou à raison de contribuer à attiser le feu ?

A cette question je dirai que si vous animez une émission interactive où les auditeurs appellent pour tenir des propos incendiaires, la radio ne joue pas son rôle. Mais si vous tenez une émission interactive où les auditeurs participent à éteindre le feu, votre radio joue pleinement son rôle. Dans le contexte actuel, je ne pense pas qu’il y ait une radio qui, intentionnellement, souhaite que ce pays prenne feu. Je ne pense pas que cette radio existe au Burkina. Au contraire, je crois qu’elles contribuent fortement à réduire le taux de l’extrémisme violent dans notre pays. C’est pour cela d’ailleurs qu’elles continuent d’émettre un peu partout dans le pays. Et même ceux qui s’attaquent à leurs frères et sœurs ont eux-mêmes besoin de la radio aujourd’hui pour pouvoir s’informer. Et en s’informant par la radio, il y en a qui se rendent compte de leurs erreurs. Ce qui m’amène à dire que la radio joue un grand rôle dans la recherche de la paix. Aujourd’hui, on arrive peut être pas à appréhender cela. Sinon je pense humblement que nous sommes tous engagés dans ce combat contre l’hydre terroriste.

Quel est votre mot de fin ?

Je voudrais inviter l’ensemble des acteurs de la radio à travailler à apporter leurs contributions à la recherche de la paix. Travailler de sorte à renforcer la cohésion au sein des communautés, inviter les autorités à venir vers la radio pour passer leurs messages de paix, inviter ceux qui nous écoutent à savoir raison garder, à ne pas tenir des propos haineux, des propos qui remettent en cause le vivre-ensemble. Je salue par ailleurs le CSC qui est l’organe de veille et qui ne cesse d’apporter son expertise pour qu’ensemble nous puissions surmonter les défis qui se dressent devant nous. Je profite souhaiter une bonne fête de la radio à tous les journalistes-radio et à tous les journalistes du Burkina car c’est ensemble que nous pourrons réussir la mission qui est la nôtre.

Erwan Compaoré
Lefaso.net

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