Sud-ouest du Burkina : Oumar Sangaré examine l’impact de l’orpaillage sur la vie sociale
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« Orpaillage et changement social dans la commune de Gaoua au Burkina Faso ». C’est la thèse de doctorat unique de sociologie, présentée par Oumar Sangaré. Ainsi, l’impétrant est désormais admis au grade de docteur de l’université Joseph Ki-Zerbo. Cela, après avoir brillamment défendu sa thèse depuis le Canada, devant un jury spécialiste des questions sociologiques. La soutenance s’est déroulée par visio conférence à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou. C’était le mardi 8 novembre 2022, dans la salle de réunion des Écoles doctorales. La qualité du document et des arguments fournis par M. Sangaré lui ont valu la mention « Très honorable ».
De quelle manière la pratique de l’orpaillage induit-elle des changements dans la commune de Gaoua ? Voici la question centrale à laquelle Oumar Sangaré apporte des éléments de réponse, dans sa thèse de doctorat unique de sociologie. Pour lui, l’or est en train de supplanter les activités agricoles. En témoignent quelques résultats d’études présentés par l’impétrant, dont le détrônement du coton (premier produit d’exportation) par l’or, depuis 2009, selon l’Institut national de la statistique et la démographie (INSD).
« L’or est en train de supplanter pour ne pas dire remplacer dans certaines localités, le travail agricole. Aujourd’hui, il y a de nombreux villages dans le sud-ouest où il n’existe quasiment plus de bras valides pour cultiver. À cela s’ajoute la rareté des terres destinées à la culture au profit de l’orpaillage », a souligné Oumar Sangaré.
Comme illustration, M. Sangaré rappelle une étude menée par l’Assemblée nationale, en 2016. Cette étude fait cas d’une mobilisation de plus d’un million de bras valides dans l’orpaillage au Burkina Faso. Toute chose qui a positionné le pays au rang de 4e producteur en Afrique, selon World Gold Council en 2019.
Face à ces données, l’idéal serait que l’engouement pour l’or puisse entraîner un impact positif en termes de développement, estime Oumar Sangaré. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, a-t-il déploré.
La théorie de la malédiction des ressources naturelles
« C’est pourquoi nous avons évoqué, dans notre étude, la théorie de la malédiction des ressources naturelles. Plusieurs études, en effet, ont démontré que partout où les ressources naturelles sont exploitées, le développement n’est pas forcément proportionnel au volume de ces ressources », explique M. Sangaré. Avant de renchérir qu’en dépit des ressources exploitées, le développement escompté reste en deçà des attentes des populations et des pouvoirs publics.
M. Sangaré révèle également que ces sites d’orpaillage sont de plus en plus caractérisés par un afflux important de personnes dont les règles et principes s’avèrent souvent incompatibles avec ceux des populations locales. Par conséquent, l’on assiste à une pression démographique massive.
Accorder un meilleur encadrement au circuit de l’orpaillage artisanal
« Lorsque vous visitez aujourd’hui les sites d’orpaillage artisanal, c’est un peu comme la jungle où seul le plus fort impose sa loi. On sent très faiblement la présence de l’État sur ces lieux. L’exploitation artisanale de l’or ne bénéficie pas des mêmes attentions que l’exploitation minière », dénonce l’impétrant. Puis, d’indiquer qu’il est facile d’en vouloir aux orpailleurs. Alors que ceux-ci ne bénéficient notamment pas de formations, d’outillage et d’infrastructures adéquats pour une exploitation conforme aux normes édictées.
Comparativement aux ministères en charge de l’éducation, de la santé ou de l’agriculture, M. Sangaré dit remarquer que celui des mines et carrières a le moins d’organes représentatifs sur le terrain. « L’orpailleur qui se trouve à 900 km de la capitale Ouagadougou, quelle que soit sa bonne volonté pour l’obtention des documents officiels, préfère au vu de la distance, exploiter frauduleusement l’or », a-t-il affirmé.
Des groupes armés terroristes utilisent certains sites d’orpaillage
Plusieurs études, dont celle de Crisis Group en 2019, ont montré, selon Oumar Sangaré, que les groupes armés terroristes exploitent certains sites d’orpaillage comme source de financement. Mais aussi pour toutes sortes de trafics et l’enrôlement d’individus dans leurs rangs. Un état de fait qui devrait susciter davantage les autorités à reprendre en main le circuit de l’orpaillage surtout traditionnel.
M. Sangaré entend, par-là, que les textes régissant le secteur soient concrètement appliqués. Ainsi, il recommande que la présence de l’État se fasse véritablement ressentir au niveau des orpailleurs. Ensuite, l’impétrant préconise que les mesures idoines soient prises de sorte à permettre aux communautés de percevoir les retombées de l’orpaillage au niveau local.
Pour le président du jury, en plus d’être d’actualité, le travail abattu par M. Sangaré est de belle facture au regard de sa valeur ajoutée aux précédents résultats de recherches. « La particularité du travail de M. Sangaré est la prise en compte de la dimension socio-anthropologique qui n’a pas été suffisamment documentée dans le domaine de la sociologie », a déclaré Pr Augustin Palé, président du jury.
Quant au directeur de thèse, le travail présenté va être l’une des références en matière d’études liées à l’orpaillage au Burkina Faso. « Malgré les activités socioprofessionnelles qui l’absorbaient, M. Sangaré s’est donné les moyens d’aller sur le terrain pour mener ses enquêtes et finir dans les délais. Ce qui est à féliciter », a mentionné Pr Ramané Kaboré, directeur de thèse.
Si M. Sangaré reconnaît que l’orpaillage traditionnel renferme de nombreux aspects négatifs, M. Sangaré pense qu’il pourrait être un levier de développement local, pourvu qu’il soit encadré.
Le couronnement de ce travail abattu par Oumar Sangaré, après trois années passées sur le terrain, représente pour lui, une légitime fierté. Mais aussi un sentiment de responsabilité, dit-il. « Car le grade de docteur n’est pas seulement un titre, c’est tout un ensemble qui va avec. La vie d’un chercheur ne se limite pas à la publication du doctorat, mais au-delà. C’est l’occasion de faire davantage de publications qui trouvent des solutions concrètes aux problèmes du développement. Il faut que les paysans sachent que nos recherches contribuent à l’amélioration de leurs conditions de vie », confie-t-il.
À l’issue de sa soutenance sanctionnée par la mention « Très honorable », Dr Oumar Sangaré dédie d’abord sa thèse aux orpailleurs. Car précise-t-il, chaque jour qui passe, il y a des dizaines de jeunes qui meurent en espérant trouver de meilleures conditions de vie à travers les entrailles de la terre. Ensuite, Dr Sangaré dit attribuer ce travail aux braves populations du sud-ouest, un peuple qu’il soutient avoir fréquenté depuis 1988 jusqu’à aujourd’hui. Enfin, il fait une mention spéciale aux femmes Lobi de la région pour leur travail judicieux dans le domaine de l’orpaillage en parfaite harmonie avec la préservation de la nature.
« C’est dommage que l’or qui revêt un caractère mystique pour le Lobi, c’est déplorable que la terre qui représente un statut de divinité également pour lui soient considérés aujourd’hui comme de vulgaires marchandises », a-t-il regretté.
Spécialiste en santé mentale et en santé communautaire, Dr Sangaré a notamment été chef de département management des projets et développement local à l’Institut africain de management (IAM-Ouaga Burkina Faso, de 2017 à 2018). Il a également été responsable de l’équipe de soutien psychosocial au Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (CORUS/Burkina Faso). Mais aussi coordonnateur de l’unité de santé mentale et de soutien psychosocial dans les situations de catastrophes et d’urgence à la Direction de la prévention et du contrôle des maladies non transmissibles (Burkina Faso, 2010-2013 et 2015-2019). Il a enfin occupé le poste de chargé de programme en santé mentale communautaire au niveau du bureau Pays de l’ONG CBM Global au Burkina Faso.
Hamed NANEMA
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