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Traitement de l’information : « En période de guerre, la part de manipulation devient élevée », Dr Firmin Gouba

Publié le dimanche 20 mars 2022 à 22h30min

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Traitement de l’information : « En période de guerre, la part de manipulation devient élevée », Dr Firmin Gouba

La communication est une arme stratégique en période de guerre, pour ceux qui savent s’en servir. En même temps, le risque de manipulation, à tort ou à raison, devient élevé, susceptible d’influencer le comportement des consommateurs de l’information. Dans cette interview, Dr Firmin Gouba, enseignant à l’Institut panafricain d’étude et de recherche sur les médias, l’information et la communication (IPERMIC), situe la place de l’information dans un contexte de crise.

Lefaso.net : Actuellement, c’est la guerre entre la Russie et l’Ukraine qui fait l’actualité, donnant lieu à beaucoup d’interprétations. Comment analysez-vous le traitement de l’information dans cette période de guerre ?

Dr Firmin Gouba : Depuis longtemps, déjà même à partir de la seconde guerre mondiale, les gouvernants ont compris que l’information en situation de guerre est quelque chose de stratégique dans la mesure où, pendant un certain temps, les gens ont cru qu’il suffisait d’avoir des armes, les techniques de guerre pour remporter la guerre. Aujourd’hui, on a compris que dans une situation de guerre, il y a deux éléments qui se croisent : la guerre armée et la guerre psychologique.

La guerre psychologique a pris forme avec le développement des medias classiques et des réseaux sociaux, si bien que les belligérants cherchent de meilleurs moyens pour pouvoir gérer les informations pendant les situations de crise. Et la manière de traiter l’information dans ce cas de figure dépend de la posture dans laquelle on se trouve. C’est pourquoi vous entendez tout à la fois dans cette guerre entre l’Ukraine et la Russie. Mais, il va aussi sans dire que le traitement de l’information dans ce contexte-là n’est pas totalement neutre, même si classiquement en journalisme on recherche le principe de la neutralité, l’objectivité et la prise d’une certaine distance face à l’information.

Quelle peut être la part de vérité dans une communication de guerre ?

En temps de guerre, parler de part de vérité, c’est assez difficile. Parce qu’il y a les acteurs qui sont engagés dans la guerre. Si on prend par exemple le cas de la guerre Russie-Ukraine aujourd’hui, on se rend compte que la plupart des médias russes qui émettent et couvrent l’Europe ont été suspendus. Pour la simple raison que les messages diffusés consistent à faire de la propagande qui est loin de la vérité. A ce niveau, cela peut sembler être une sorte de manipulation, de conditionnement des esprits, d’autant plus qu’officiellement, le discours en vogue est de dire qu’il n’y a pas de guerre.

La Russie dit par exemple qu’elle n’est pas en guerre contre l’Ukraine, elle dit être allée en mission de sauvetage d’une population totalement en détresse aux mains des Nazis. Alors que l’Ukraine et une certaine opinion du monde pensent le contraire. Donc, chacun utilise ses ressources de communication pour se faire entendre par l’opinion. Dans une situation de guerre, comme je l’ai dit, il faut faire très attention. Toutes les informations données sont à consommer avec modération. Parce qu’il s’agit d’une guerre psychologique, il s’agit de donner des informations aux populations pour justement susciter leur attention, bénéficier de leur sympathie, de manière à les remobiliser contre ceux qu’on considère comme adversaires.

Pour ce qui concerne les professionnels du domaine, notamment les journalistes, on suppose qu’ils respectent le principe de la neutralité. Mais il faut aussi comprendre que dans ce cas de figure, les journalistes sont des êtres humains qui ont une certaine sensibilité. Donc, il devient difficile pour un journaliste dans cette situation de ne pas faire voir sa sensibilité. Ce qui peut amener les journalistes à diffuser des informations qui sont totalement décalées par rapport à la réalité du terrain. La deuxième chose par rapport aux journalistes, c’est l’urgence aujourd’hui de l’information.

Elle circule très vite et on n’a pas envie d’être dépassé par les évènements. Du coup, on trouve tous les moyens pour pouvoir arriver à l’heure. On a montré des journalistes qui prétendent être sur le terrain mais qui, en réalité, ne sont pas sur le terrain des opérations. Ça veut dire que ce sont des informations qui sont totalement fabriquées qu’ils vont donner, surtout avec la magie de l’informatique. Donc il n’y a pas de part de vérité, c’est à la population de faire attention à tout ce qu’elle reçoit comme information. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en période de guerre, l’information devient une arme stratégique qui est utilisée de part et d’autre. La part de manipulation devient élevée dans ce contexte-là.

Si le risque de manipulation est élevé, quelle doit être l’attitude du consommateur pour ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui vient des médias ?

Il faut une éducation aux médias. Faire comprendre aux citoyens que l’information qui est diffusée pas les médias n’est pas toujours une information qu’il faut consommer sans modération. Il faut toujours analyser l’information avec évidemment les éléments, des critères bien définis pour pouvoir différencier ce qui est bon et ce qui n’est pas bon à consommer. C’est ce qui nous amène, en tant qu’enseignants, à intégrer dans nos modules de formation des futurs journalistes et des journalistes, ce qu’on appelle l’éducation aux médias.

Pour Dr Firmin Gouba, l’éducation aux médias permet d’observer la prudence face à l’information.

Si vous partez dans certains pays nordistes par exemple, cette éducation aux médias est enseignée aux populations à la base, de l’école primaire jusqu’au supérieur, de manière à leur faire comprendre que ce qui est dit par les médias n’est pas forcément la vérité. Parce qu’il faut se rappeler que surtout ici, dans nos pays sous-développés avec un taux d’analphabétisme élevé, on a l’habitude d’entendre, ‘‘on a dit ça à la radio, à la télé’’. Automatiquement les gens considèrent comme une parole véridique, une vérité d’évangile, tout ce qui est dit dans les médias. Ce que je veux dire ici, c’est d’appeler les citoyens à la prudence. Tout le monde sait aujourd’hui que les journalistes sont des professionnels. Mais encore une fois, il peut y avoir des dérapages aussi ; c’est pourquoi je parle de prudence surtout en temps de guerre.

Dans une situation de crise, comment le journaliste peut respecter le principe de neutralité pour équilibrer l’information ?

C’est difficile à mon avis. Il peut arriver que des journalistes, au regard de leur niveau de sensibilité, s’écartent de la ligne normale du professionnel, de la neutralité, pour prendre position. Au Burkina Faso, il y des populations, les déplacés internes notamment, qui quittent leur cadre de vie habituel pour se retrouver ailleurs. Si on voit ces genres d’images et si on n’est pas fort, il est facile de tomber dans un camp en traitant l’information. Sinon, je ne pense pas que ce soit de façon volontaire que les gens en viennent à changer, à s’écarter de la voie professionnelle pour pouvoir adopter une posture qui va consister à manipuler l’information. Evidemment, en période de crise, le dosage de l’information devient souvent problématique.

Le Mali a suspendu RFI et France24, pour des raisons supposées de manipulation de l’information. Comment appréciez-vous cette décision ?

Cette décision va dans la logique de la démarche du Mali, qui est de prendre ses distances avec la France. N’oubliez pas aussi que Radio France internationale (RFI) et la télévision France24 sont des médias publics français. On peut dire qu’ils travaillent à la promotion de la politique française, un peu partout dans le monde. Ce sont des professionnels qui sont là-bas mais comme je le dis, on peut imaginer que de temps en temps, ils puissent se laisser aller dans la manipulation. Je ne suis pas sur le terrain, mais il y a aussi des ONG qui ont dénoncé la même situation comme ces médias. Généralement, on ne peut pas suspecter les ONG d’être partisanes, mais on ne sait jamais. Mais il se trouve aussi qu’en situation de guerre, tout peut arriver. Ce qui a été relayé comme information, c’est qu’il y a des populations civiles qui ont été massacrées et qui n’ont rien à voir avec le terrorisme.

On ne peut pas écarter les fautes de gestion dans les situations de conflit. Ce sont des choses qui peuvent arriver. Il y a une formation dispensée aux militaires sur le respect des droits humains en cas de guerre. Ce qu’il faut savoir aussi est que dans le feu de l’action, beaucoup de choses peuvent arriver. C’est mentir que de dire que les Maliens ne commettent pas de bévues ; cela arrive dans toutes les armées. La suspension de RFI et de France 24, on peut dire que cela a traîné au regard de la nature des relations entre le Mali et la France.

Propos recueillis par S.I.K (stagiaire)
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