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Numérique au Burkina : Les chaînes WhatsApp, la nouvelle forme de communication

Publié le lundi 21 février 2022 à 23h08min

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Numérique au Burkina : Les chaînes WhatsApp, la nouvelle forme de communication

Vous connaissez certainement des chaînes sur Youtube, Facebook, Instagram, TikTok, etc.. Mais saviez-vous qu’elles existent désormais sur la plateforme de messagerie privée WhatsApp ? Lefaso.net a rencontré des créateurs de ces nouveaux canaux de communication.

La particularité de WhatsApp est que l’une de ses fonctionnalités permet de poster des statuts. On a la possibilité de faire des publications dont la durée est de 24 heures chrono. Seuls les contacts peuvent les voir, si bien sûr, ils n’ont pas été bloqués. Les individus y partagent leur quotidien, mettent des vidéos, textes et images drôles ou tristes. Qui se serait imaginé créer une chaîne à travers les statuts ? C’est dans ce pari que de jeunes Burkinabè ont décidé de se lancer. L’un des précurseurs de cette idée ingénieuse s’appelle Abdramane Billa. Tout est parti de son poste de délégué quand il était étudiant.

Billa Abdramane est l’un des premiers à avoir créé une chaîne WhatsApp

« En 2018-2019, j’étais le représentant des étudiants d’un institut supérieur de la place. Cela m’a permis durant mon mandat de créer un réseau d’étudiants. Etre délégué sous-entend qu’il faut diriger les esprits vers une bonne voie. Il fallait également mener des activités pour le compte des étudiants. Les gens ont commencé à s’intéresser à ce que je faisais. Les étudiants avaient besoin de connaitre mon actualité pour savoir ce que je leur réservais. C’est ce qui m’a inspiré à créer une chaine digitale qui communique véritablement parce qu’elle s’adresse à un public qui te connaît. Elle s’adresse à un public de proximité » relate-t-il.

Abdramane Billa rêve d’entreprendre un projet novateur en faisant « ce que les autres ne faisaient pas ». De fil en aiguille, et avec un répertoire bien fourni, il créé sa chaîne WhatsApp ‘’Billa Tv’’. Le principe est simple, pour faire partie de la communauté, vous écrivez sur le numéro de ‘’Billa Tv’’ et à son tour, il vous enregistre également.

Le logo de Billa Tv

Des chaînes à thème

D’autres chaînes WhatsApp ont vu le jour dans la foulée. C’est le cas de ‘’Hady -TV" qui compte en son sein 4 cofondateurs. Trois de ces jeunes sont étudiants. Ils se nomment Abdoul Kader Barra, Somé Dana Maud, Thiam Amadou. Le quatrième membre du groupe a décidé d’être anonyme. Il est à l’origine de la création de la chaîne et est communauty manager de profession. La particularité de ‘’Hady-TV’ ’ ce sont les thèmes abordés.

« Il faut noter aussi que les thèmes varient et changent selon les émissions.

Nous utilisons notre influence pour développer des sujets liés aux événements et aux aléas de la jeunesse ( la santé reproductive et sexuelle, la consommation abusive de l’alcool, les problèmes familiaux, les harcèlements, les viols, les dépressions et/ ou la pauvreté) .

On peut retrouver des thématiques dont le but est de sensibiliser, d’ informer ou de divertir sur des sujets en rapport avec le vécu de tout un chacun.

Les histoires des uns sont des leçons pour d’autres, sur Hady-Tv » expliquent -ils.

Les contacts étant anonymes , les individus se livrent sans tabou. « Le principe c’est de préserver l’anonymat. C’est l’école de la vie, des questions que des jeunes n’oseraient pas poser à leurs parents, ils le font ici ».

A gauche, Abdoul Kader Barra, au milieu, Somé Dana Maud, à droite Thiam Amadou

La tranche d’âge varie entre 15 et 25 ans. Il se trouve par ailleurs que des personnes plus âgées s’inscrivent pour témoigner. Chez ‘’Billa Tv’’, le contenu de la chaîne repose sur des sujets d’actualité et bien d’autres. « Nous sommes un relai de l’information. Nous recoupons les informations et les adaptons en fonction de notre public cible. Tout ce qui est en rapport avec l’entrepreneuriat, l’évènementiel ou les activités associatives, nous les publions », a souligné le fondateur de la chaîne. Il a signifié qu’il publie des contenus qui inciteront les jeunes à développer la fibre entrepreneuriale.

Le logo de Hady-TV

Un répertoire hallucinant

Ces chaînes comptent un répertoire impressionnant. Chez ‘’Hady-TV’’ , au départ on comptait 150 contacts, les choses ont bien changé. Aujourd’hui, la communauté s’est étendue à « 80 000 personnes ». Les vues par publication varient entre « 20 000 et 25 000 ». ‘’Billa Tv’’ regroupe « 40 milles contacts WhatsApp directs ». Abdramane Billa fonctionne en réseau. Pour se faire plus de visibilité, il s’est constitué un réseau avec des influenceurs qui ont un répertoire fourni comme le sien. Selon ses propos, cet ensemble représente « 150 000 contacts ». La marge est de 50 000 vues sur une publication en moyenne. Pour plus de transparence, ces chaînes ont montré le nombre de vues suite à une publication. En seulement quelques heures le nombre de personnes ayant regardé leurs différents statuts se comptent par milliers. Les abonnés eux, ne viennent pas seulement du Burkina Faso. Ils sont de toutes les nationalités. Canada, France, Cameroun, USA, pour ne citer que ces pays.

Ce répertoire charnu permet à ces chaînes de rentabiliser. Elles sont nombreuses, ces entreprises qui ont recours à ‘’Hady-TV’’ et à ‘’Billa Tv’’ pour se faire une visibilité. Chez ‘’Billa Tv’’, une publication de 24 heures peut aller de « 5 à 10 000 Francs CFA en fonction de l’entreprise ou de l’évènement », a expliqué Abdramane Billa. Pour la chaîne ‘’ Hady-TV’’, la grille tarifaire est de 15 000 Francs CFA, le post d’une journée. Mais attention, les annonceurs sont triés sur le volet. Ces chaînes ont fixé des limites. Toute annonce qui ne convient pas à leurs principes ou qui va à l’encontre de certaines mœurs est refusée. Selon eux, cela évite de froisser les abonnés et de potentiels partenaires d’affaires. Les bénéfices récoltés représentent un fond pour ces jeunes. Ils leur permettent de toujours s’approvisionner en connexion Internet. Surtout, qu’ils dépensent de fortes sommes d’argents pour alimenter leurs chaînes. Afin de réduire les coûts, Abdramane Billa a trouvé une stratégie. « Nous profitons des promotions Internet des entreprises de télécommunications. En moyenne j’utilise 40 Giga le mois ». C’est sans compter celle de ses collaborateurs. La dépense mensuelle de ‘’Hady-TV ‘’ est chiffrée à plus de 100 000 Francs CFA.

Des opportunités en or

Si au départ ces chaînes n’étaient pas rentables, aujourd’hui elles permettent à leurs créateurs d’être à l’abri du besoin. De manières indirectes, ils ont réussi à avoir des opportunités grâce à ce canal de communication. Abdramane Billa est le chef de service dans une agence de voyage. Il a également jeté son dévolu sur la culture. Communicateur culturel, manager d’artistes, membre de plusieurs comités d’organisations d’événements, la liste est longue. Conscient de sa responsabilité sociale, il est le président d’une association. Elle organise des camps de reboisement et bien d’autres activités. Autre corde à son arc, Abdramane Billa est un promoteur d’évènements, dont la plus célèbre est ‘’le Festival Fitness Music’’.

Le principe est de faire du sport en dansant. La dernière édition avait rassemblée 10 000 personnes au stade municipal. Ce succès est dû à son répertoire bien étoffé. Les membres de ‘’Hady-Tv’’ sont également dans plusieurs domaines. « Nous sommes dans l’évènementiel, dans l’humanitaire et la communication ciblée ». Ils organisent des shows pour les jeunes qu’ils appellent « Hady partie ». Cependant, il n’est pas évident de gérer des chaînes sur une plateforme qui à la base n’y était pas dédiée. Les membres de ‘’Hady-TV’’ témoignent. « Le souci principal est que les téléphones ne sont pas adaptés à autant de vues sur un statut. On avait un IPhone 8, il n’a pas tenu longtemps. Puis c’était au tour de l’IPhone X. Le 12 et le 12 Pro ont eu également du mal à tenir. A chaque poste, nous sommes obligés de mettre le téléphone au congélateur pour éviter qu’il se chauffe. Il faut beaucoup de passion, sinon on risque d’abandonner ».

Des blogueurs entrent dans la danse

Il est également créateur de chaîne WhatsApp. Son nom, Cheik Kader Rado. Il est le fondateur de ‘’ Le Jodala Boss’’. Une dénomination qu’il explique en ces termes : « Jeunesse ouverte au développement des arts et des loisirs en Afrique. Je suis le leader de ce mouvement ». A la base, il est blogueur. Cet amour pour le blogging est né d’un constat. « Je chantais depuis 2014. J’ai constaté qu’il y avait un problème de communication pour promouvoir l’art. J’ai décidé de créer une plateforme pour faire la promotion de mes propres œuvres » se justifie- t-il.

Cheik Kader Rado, promoteur du ‘’ Le Jodala Boss’’

Finalement il se spécialise dans l’information culturelle. Pour donner davantage de visibilité à son blog, Cheik Kader Rado décide de migrer vers les chaînes WhatsApp. Elles deviennent un intermédiaire entre ses abonnés et son blog. Il met l’eau à la bouche des abonnés en postant un extrait du contenu à proposer. Pour voir la suite, il les redirige vers un lien du blog. Cette stratégie lui permet d’avoir davantage de visiteurs sur son site. Si au départ il traitait de sujets culturels, cela s’étend aujourd’hui sur d’autres contenus.

Le ‘’ Jodala Tv’’ , ce sont trois émissions. On n’y retrouve des sujets sur le love coaching, la mode et l’entrepreneuriat. Il utilise les formats textes et vidéos. Son équipe est composée de 10 personnes. Il arrive qu’il fasse de l’analyse et des critiques sur des œuvres musicales dans l’optique « d’assainir le secteur culturel ». La chaîne publie souvent en statut des blagues pour permette aux abonnés de se détendre. Ces contenus lui ont permis de décrocher le prix du sacré meilleur bloggeur culturel en 2020.

Le logo du ‘’ Le Jodala Boss’’

Les nouveaux rois du ‘’game’’( Jeu)

Les annonceurs ont pris conscience que les chaînes WhatsApp sont très prisées par les jeunes. En plus des réseaux sociaux, ils maximisent désormais sur ces plateformes. La communication est plus rapide, à coût réduit et les statistiques sont fiables. Pour les membres de ‘’Hady-TV’’, ces chaînes sont l’avenir de la communication. « A notre époque, c’est le téléphone qui est le plus utilisé. On n’a plus besoin de passer par la télévision pour toucher les jeunes. Ils regardent de plus en plus les statuts et sont très actifs sur les réseaux sociaux ». Ce n’est pas le fondateur de ‘’Billa Tv’’ qui dira le contraire. Il a souligné que la publicité par ces chaînes permet de mieux cibler les individus. Le nombre de vues montrent clairement à l’annonceur combien de personnes ont été atteintes. Pour Cheik le blogeur, c’est une communication « efficace et efficiente ».

Si ces nouvelles plateformes sont désormais en vogue au Burkina, leurs fondateurs affirment que la concurrence n’est pas malsaine. Elle se déroulerait de manière paisible. D’autres vont même jusqu’à à se donner des coups de main. « Je suis ravi qu’il y ait la concurrence. Je ne les vois pas comme des concurrents, chacun à son public. Souvent, je donne des contacts de personnes qui ont des chaînes comme moi à des partenaires. Je le fais quand je ne peux pas satisfaire ces annonceurs » a confié Abdramane Billa.

A la question de savoir si ces plateformes ont de l’avenir, ils sont tous unanimes. Avec davantage de professionnalisme et de contenus de qualité, la popularité de ces chaînes WhatsApp se fera à long terme. Cheik Kader Rado voudrait plus tard avoir un studio d’enregistrement pour la réalisation de ses émissions et du matériel de pointe. Abdramane Billa souhaite « Etre un modèle pour la jeunesse en fonction de mes actions. Participer au développement de mon pays » espère-t-il. Pour les membres de ‘’Hady-TV’’, cette chaîne n’est que la partie visible de l’iceberg. Ils ambitionnent créer plus tard une agence de communication et bien d’autres activités sont en dessein.

Les chaînes WhatsApp, avantages et inconvénients

Des études approfondies n’ont pas été encore réalisées sur le phénomène des chaînes WhatsApp au Burkina. Cela n’a pas empêché le chercheur en communication et journalisme numérique, le Docteur Cyriaque Paré à s’intéresser à cette tendance. Il a affirmé que ces nouveaux outils de communication s’inscrivent dans la logique de l’évolution des technologies et de la communication. « Avec le phénomène de la désintermédiation et la démocratisation des outils de communication, il était prévisible que ces chaînes allaient prendre de l’ampleur » a-t-il justifié.

Pour Cyriaque Paré, les chaînes WhatsApp ont du succès parce qu’elles rassemblent des communautés qui partagent les mêmes centres d’intérêts

Selon l’expert, ce concept a permis de créer des communautés qui ont des affinités pointues. Elles s’abonnent directement à des chaînes qui produisent des contenus en rapport avec leurs centres d’intérêts précis. Des commerçants utilisent ce nouveau canal pour faire la publicité de leurs articles. Cela permet d’effectuer des transactions commerciales et représente un apport pour l’économie nationale. Il a signifié que ces chaînes ont de l’avenir. Mais le Docteur Cyriaque Paré a émis des inquiétudes sur la montée de ces chaînes WhatsApp. Des contenus moins catholiques peuvent être publiés. « L’anonymat peut être un problème. Les réseaux de prostitution utilisent parfois ces plateformes pour attirer des clients en ligne ». Il va plus loin dans son analyse en stipulant que des trafiquants ou des terroristes peuvent se servir de ces chaînes.

Ces nouveaux pions dans le jeu aux échecs de la communication représentent peut être les prochains champions. Dans les années futures, les canaux classiques de communication créeront certainement eux aussi des chaînes sur WhatsApp. « La fragmentation des audiences va obliger les médias à utiliser cette méthode de communication » a renchéri Cyriaque Paré. Des médias ont déjà emboité le pas.

Samirah Bationo
Montage vidéo : Jacques Sawadogo
Vidéo et photo : Ange Paré
Lefaso.net

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