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La Politique de la Mort ou la Mort de la Politique ? : Décryptage d’une nécro politique à l’ivoirienne

Publié le mardi 6 avril 2021 à 16h20min

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La Politique de la Mort ou la Mort de la Politique ? : Décryptage d’une nécro politique à l’ivoirienne

Ceci est une tribune de Lawrence Atilade, consulant-formateur ivoirien. Dans les lignes qui suivent, il fait un décryptage de ce qu’il appelle « une nécro politique à l’ivoirienne ». Dans cette optique, il martèle que la Côte d’Ivoire va très mal.

Ce n’est un secret pour personne : la Côte d’ivoire va mal et même très mal. Notre pays, étranglé par le spectre de la pensée unique, vit des heures d’angoisses et d’effrois terribles. L’émergence 2020 tant attendue a finalement accouché des ténèbres, « du prince de la mort » au point où les nouvelles pages de la nécropolitique Ouattarienne s’écrivent tranquillement dans le sang frais et l’agonie sans fin des ivoiriens. Aujourd’hui, qui pourrait nier que c’est la « politique de la mort » qui structure l’espace politique ivoirien ?

Dans le monde académique, le concept de la nécropolitique a été introduit en sciences politiques particulièrement dans les études portant sur l’ère postcoloniale. Selon cette approche, la plus haute expression de la souveraineté d’un Etat, loin des données géopolitiques et territoriales, se trouverait dans le pouvoir social et politique qu’il a de décider de qui devra vivre ou mourir. Mieux dit, il existerait d’une part des personnes ou des corps destinés à gouverner, à décréter le droit de vie ou de mort et d’autre part, des corps, qui devraient rester éternellement sujets ou objets de cette pratique gouvernementale. Dans ce contexte, le chef-suprême-sacrificateur s’arroge le droit de donner la mort physique, sociale, culturelle sur toutes autres formes. La maîtrise, le contrôle de la mortalité et non de la natalité, prend ici tout son ancrage dans la brutalisation et l’asservissement sans cause des contemporains.

En exposant ainsi le problème, nous n’ignorons pas les rapports intimes qui existent entre la mort, la politique et la vie démocratique (tout simplement). Envisagé anthropologiquement ou sociologiquement, ce sentiment de destruction mortelle va de soi. Pourtant, dans la modernité, les choses se compliquent, lorsque « l’art de donner la mort » devient la seule et unique façon de faire la politique.

En regardant de près avec une minutie pragmatique, la kyrielle de morts au sommet de l’Etat ivoirien, nous développerons ici deux usages politiques de la mort par le régime du RHDP : le premier consiste en l’analyse des rouages de cette destruction (I) programmée. Et le deuxième, à la mise sous l’éteignoir de la démocratie par la théâtralisation des hommages et honneurs rendus aux défunts comme moyen de renforcement de la légitimité de l’action publique vis-à-vis des vivants de l’heure (II).

Il ne s’agira pas ici de se lancer dans une randonnée nécrologique ou de polémiquer sur les circonstances de ces disparitions en cascade, mais plutôt de chercher à comprendre les dynamiques impactantes de cette "flambée mortifère" sur le processus de réconciliation nationale.

Les dynamiques psychologiques de la gouvernance nécropolitique

Vivre en bonne intelligence dans une société implique le respect et l’application de la loi, dont la plus fondamentale est la constitution. C’est elle qui fixe l’organisation et le fonctionnement de l’Etat. Comme un garde-fou, tout citoyen qui agit en dehors de ce lieu de protection, s’expose aux déviations de tous genres.

Tel un piéton qui prend le risque de se faire écraser en traversant imprudemment une chaussée dépourvue de feux tricolores, Alassane Ouattara, l’ex-président de la Côte d’ivoire s’est lancé (en connaissance de cause, pense-t-il) dans un saut du fou en violation de l’article 55 de la constitution qui stipule que "le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois".

Ce n’est donc que récemment, après avoir décidé de briguer illégalement un 3ème mandat, que le monde entier découvre la psychologie dramatique, tragique du "dictateur des lagunes" qu’est Alassane Dramane Ouattara. L’homme, dans une parade méphistophélique a bien su goupiller son jeu jusqu’au 30 Octobre 2016, date à laquelle, fut proclamée la 3ème République.

En effet, après s’être garanti le vote de la constitution, Alassane Ouattara, avec la collaboration négative de ses sbires s’est progressivement et non moins méthodiquement, lancé dans une opération d’accaparement et d’envoutement économico-spirituel des ivoiriens. En bon orchestrateur de cette "machine à broyer l’ivoirien", ADO, le psychopathe a réussi à sortir de sa besace, une entourloupette selon laquelle, l’arrivée ou le retour au pouvoir d’une quelconque coalition hors-RHDP, menacerait la paix sociale.

A l’entendre, la Côte d’ivoire est un pays dans lequel la médiocrité qui mène au despotisme serait subitement désagrégée par la force des institutions démocratiques, incarnées (par lui, Ouattara) pour encourager la réconciliation plutôt que la division. Mais la confusion et le déni existentiel qui rongent encore Alassane Ouattara, pourraient bien perdurer, car lorsque l’imbécile atteint son apogée, qui peut l’en délivrer ?

Alliant manipulations et lobotomisations des esprits, Alassane Ouattara et ses ouailles, soutiennent mordicus que la solution finale aux problèmes économiques et sociaux des ivoiriens, viendrait de l’application des techniques d’extermination, d’exclusion, de neutralisation et de mort cruelle contre (toute ou) une grande partie de la population. Selon le discours régnant, tous les anti-RHDP, (ceux qui ne croient pas en Alassane Ouattara) sont la cause de la décadence nationale.
Donc, "sans ADO, c’est le chaos".

Impact de la nécropolitique sur la réconciliation

A cette étape décisive, où nous reconnaissons que la réconciliation est une course de fond, nous avons tous du mal à croire à la propension du ressentiment qu’exerce le discours politique tenu par le régime du RHDP, à la brutalité avec laquelle accourent leurs sympathisants. Comme un symptôme fulgurant, dans une tentative condamnée à l’échec de refaire sens, l’histoire la plus traumatique des années perdues, revient sans cesse. Comme dans le passé, les ivoiriens ont commencé à renouer avec la dépression, la désespérance.

Nous avons du mal à croire qu’au nom d’une fausse conception sociologique, religieuse et ethnologique, plus de 30% d’ivoiriens soient dans une logique de brutalité, là où douceur et tempérance sont requises. Cette mentalité que préconisent les nationalistes-musulmans en agitant le spectre de la division ne peut être assimilée à la politique, mais plutôt à la guerre, la barbarie.

La thèse de l’empoisonnement du Premier ministre Hamed Bakayoko et "l’abattage sacrificiel" de son prédécesseur Amadou Gon Coulibaly, viennent renforcer chez la plupart des ivoiriens, l’idée selon laquelle la réconciliation "a gagné temps" (pour parler l’argot ivoirien). Autrement dit, la réconciliation n’est plus d’actualité. Ce nouveau paradigme de la mort subite trouble fortement le jeu de la réconciliation nationale et de la démocratie en général.

Dans le grand nord, la suspicion des Koyakas et des Sénoufos, malgré leur "moutonnisation" (D’ailleurs, tous les militants du RHDP arborent avec fierté l’appellation de Ado-moutons), la désillusion des pro-Gbagbo dans l’attente du retour de leur mentor, la criminalisation des rapports sociaux, la militarisation de la communication politique, la transmutation de l’espace public en un lieu de surveillance et d’écoute permanente, l’emprisonnement sans motifs et l’exil forcé des leaders politiques de première rang, fragilisent dangereusement la situation. Les rencontres ou tentatives de dialogues autour de la réconciliation finissent toujours en pointillé, enfonçant au passage les protagonistes, dans les tentacules de la haine, bien plus qu’ils n’étaient avant les assises. (Cf. dialogue entre le gouvernement et l’opposition)

En définitive, après avoir diviser pour régner, ADO a semé les bases d’une nécropolitique directe : "Tuer pour mieux vivre".

Si donner la mort ou avoir droit de mort ou de vie sur le peuple est devenue la chose la mieux partagée chez les tenants du 3e mandat anticonstitutionnel, est-ce-à dire que cette emprise sera, à long terme, suffisamment puissante pour juguler le réveil, la manifestation réelle du pluralisme et l’avènement d’un Etat de droit dans le pardon et la réconciliation ? Nous répondons par la négative, car le déroulé des évènements nous enseigne que " Rien n’est bouclé ; Rien n’est géré ; Rien n’est verrouillé. Tout est à faire et refaire ".

Ainsi, à la suite du Président de Générations et Peuples Solidaires (GPS), Guillaume Kigbafori Soro, nous réaffirmons l’urgence sacrée d’insister sur un nouveau langage national excluant la violence et valorisant le pardon, rien que le pardon franc et sincère pour une réconciliation durable avant et après la chute historique du régime criminel de Ouattara.

Lawrence Atilade
Consultant-Formateur
Mysoluz Consulting Group

Notes :
Michel Foucault, Biopouvoir, "la volonté de savoir"
Achille Mbembe, "Necropolitics", Public Culture, vol, 15, no 1, 1er janvier 2003, p.11-40
(https://www.jeuneafrique.com/mag/906742/politique/pas-de-troisieme-mandat-pour-alassane-ouattara-les-coulisses-dun-coup-declat/Ado).

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