Actualités :: Décorations : Le vieux fou et sa médaille

Dès qu’il a quitté le lieu de la cérémonie pour rentrer chez lui, il a rangé la médaille qu’il venait de recevoir dans un endroit banal. Depuis, il ne sait même pas où elle se trouve. Ce comportement est loin d’être isolé.

Des dizaines et des centaines de Burkinabè, après les festivités organisées dans la famille et avec des amis à l’occasion de la remise de leurs médailles, les ont tout logiquement rangées au fond de leur cantine.

Cependant, la décoration est une récompense de l’Etat pour services rendus. Elle est, ou elle devrait être, une distinction honorifique dont tout Burkinabè devrait être très fier ; car elle témoigne de sa loyauté envers son service, c’est-à-dire envers son pays qui, en retour, pour lui marquer sa satisfaction, lui décerne une médaille.

Il y a deux catégories de distinctions : l’Ordre national et l’Ordre du Mérite. L’Ordre national est attribué aux fonctionnaires des Catégories A, B et assimilés. L’Ordre national comprend le Chevalier, l’Officier, le Commandeur, le Grand Officier et la Grand’Croix. L’Ordre du Mérite est attribué aux fonctionnaires et officiers subalternes.

Le 11 décembre dernier, 476 personnes ont été décorées à la Présidence du Faso à Kossyam. Des centaines d’autres l’ont été plus tard au sein de leurs départements et services.

Mais qu’est-ce qui fait que les médailles attribuées par la Grande Chancellerie des Ordres du Burkina ne confèrent plus la même fierté, voire la même notoriété à ceux qui les portent ? En tous cas, peu de personnes les arborent lors des cérémonies officielles. Contrairement aux anciens combattants qui ne manquent pas une occasion pour porter fièrement les distinctions qu’ils ont acquises au front, on dirait que des Burkinabè éprouvent une certaine gêne, peut-être même une honte à exhiber leurs décorations.

Une première explication viendrait du fait que les propositions de décorations faites par les supérieurs hiérarchiques s’effectuent dans un environnement moral malsain où le clientélisme politique et l’affairisme se disputent la primauté.

Des fonctionnaires ont souvent eu l’impression que leurs responsables hiérarchiques proposent ceux et celles qui leur sont dévoués, des militants de leur parti ou tout simplement des copains, au détriment d’autres travailleurs, et qui seraient à leurs yeux plus méritants.

Certes, l’ancienneté dans un service ne confère pas nécessairement le mérite ; mais il est difficile de ne pas éprouver une sorte d’injustice en voyant un fonctionnaire qui totalise à peine une dizaine d’années de service récompensé, alors que dans le même service il y a des collègues en instance de partir à la retraite, après deux ou trois décennies d’une vie professionnelle bien remplie et qui n’ont reçu aucune distinction.
On peut rétorquer que si "ces anciens" n’ont pas été proposés, c’est pour "mauvaise manière de servir". Alors, pourquoi les garde-t-on ?

Une deuxième explication serait que des personnes ont été récompensées pour services rendus au pouvoir. On se rappelle ce jeune homme qui fut décoré pour avoir trahi ses camarades lors de la préparation d’une manifestation. On peut rappeler le cas récent de l’opérateur économique Issaka Korgo qui doit comparaître très prochainement devant la justice au sujet d’un différend qui l’oppose à l’Etat burkinabè et qui a été décoré le 11 décembre dernier par ce même Etat.

Sans nourrir aucune hostilité à l’égard de Issaka Korgo, et dans la mesure où les décorations sont décernées par l’Etat à ses fils qu’il juge dignes à tous points de vue, cette décoration pouvait être différée en attendant le verdict du prochain jugement qui est appelé à le blanchir ou à le condamner.

Pendant ce temps, des enseignants obtiennent des résultats merveilleux sur les chantiers de la lutte contre l’ignorance et l’analphabétisme. Ne faut-il pas qu’en plus des bonus indiciaires que certains d’entre eux reçoivent, qu’on leur épingle une médaille ?

Pour de nombreux Burkinabè, le travail bien fait, l’honnêteté, la droiture, etc. ne seraient pas les seuls critères suffisants et nécessaires pour être distingué par la Nation aujourd’hui. C’est pourquoi, ils sont de plus en plus nombreux à critiquer cette avalanche de médailles qui sont distribuées à tous vents.

Des attributions qui, aux dires des uns et des autres, dévalorisent les décorations et décrédibilisent l’institution qu’est la Grande Chancellerie des Ordres nationaux.

Ne serait-il pas temps, au vu de toutes ces critiques, que la Grande Chancellerie réévalue les critères d’attribution des distinctions honorifiques ? Pour cela et dans la mesure où ce n’est pas elle qui initie elle-même les propositions, qu’elle sensibilise les responsables en amont.

La question, à ce stade, c’est de savoir si la Grande Chancellerie peut prendre sur elle la responsabilité de rejeter une proposition faite par un département ministériel ou une institution étatique. Pour le faire, elle devrait avoir les moyens et les capacités d’enquêter sur la moralité des personnes proposées. Elle devrait même avoir le pouvoir de rejeter une proposition de décoration.

Pour plus de justice et d’équité, mais surtout par souci d’une plus grande crédibilité, la Grande Chancellerie doit chercher avec les départements ministériels et tous les démembrements de l’Etat, les voies et les moyens pour rendre les critères de sélection des récipiendaires plus clairs et plus acceptables pour la grande majorité des Burkinabè. Faute de quoi, les distinctions risquent de devenir, si elles ne le sont pas déjà, une vulgaire marchandise que tout le monde peut s’offrir.

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