« France blanche, colère noire » est le titre d’un ouvrage publié en mai 2006 (Editions Odile Jacob) par François Durpaire, Professeur d’histoire nord-américaine à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris I). L’auteur y démontre que les identités sont des « constructions sociales » et non des essences, c’est-à-dire des données se présentant comme naturelles.
Ainsi, la volonté récente des Français de couleur noire de se regrouper dans des associations tire son origine de l’injustice sociale dont ils sont victimes et contre laquelle ils veulent lutter, non d’une volonté de repli communautaire. Car la minorité noire est, selon la formule de Fred Constant, professeur de sciences politiques, une « population éclatée, que n’unit aucune communauté de conscience sinon le sentiment d’une appartenance "raciale" commune à laquelle le miroir de la société française la renvoie ».
Or, pour maintenir le statu quo dans une France qui se croit, par opposition aux Etats-Unis, étrangère aux problèmes raciaux, on présente les revendications de leur droit à « l’égalité effective » comme relevant d’un communautarisme dangereux pour la cohésion nationale. Ainsi, la lutte contre le communautarisme est devenue une forme commode et intellectualisée de négation des problèmes raciaux au sein de la société française.
Pour F. Durpaire, elle est le « racisme des bien-pensants ». Et établissant un parallèle avec les Etats-Unis, l’auteur montre que les récentes émeutes dans les banlieues françaises ressemblent à celles que les Etats-Unis ont connues dans les années 1960. Pourtant, loin de s’inspirer des solutions américaines, on se plaît à décrier les Etats-Unis parce que les hommes politiques, les médias et même les manuels scolaires entretiennent l’ignorance sur les réalités américaines.
Et l’auteur d’interroger : « Aujourd’hui, le citoyen français blanc, évoquant les Etats-Unis comme le pays des communautés fermées, connaît-il mieux son compatriote noir, l’a-t-il plus souvent comme voisin, collègue de bureau ou ami, que le citoyen américain blanc ? ».
A la lecture de cet essai, on acquiert la conviction que les dispositifs visant à corriger les inégalités de fait dans la société française sont à encourager. A la condition toutefois de faire attention au choix des mots pour les caractériser. Car, comme l’écrit Stéphane Pocrain dans sa préface à l’ouvrage, l’expression « discrimination positive » condamne d’emblée ce qu’elle entend promouvoir.
« Parler de "discrimination positive", c’est laisser croire qu’on entend combattre les discriminations par d’autres discriminations. Consentir par avance à l’idée selon laquelle il faudrait léser les uns pour avantager les autres. Et plus précisément encore, donner libre cours au fantasme selon lequel on construirait les droits de ceux de nos concitoyens qui sont victimes du racisme sur les brisées d’un droit commun qui régresserait de fait. Chacun perçoit bien qu’une telle présentation n’est pas seulement inopérante mais également dangereuse. »
Roger Toumson, membre du Haut Conseil de la francophonie et préfacier lui aussi de l’ouvrage, conclut dans la même veine : « On l’aura compris, cet ouvrage n’est pas un réquisitoire partisan, sans nuance. Plutôt un ardent plaidoyer pour une citoyenneté incolore, pour une France fraternelle forte de ses diversités, capable d’intégrer les altérités des quatre horizons, apte, enfin, selon cette élégante formule d’Achille Mbemba, à "proposer au monde une politique de l’humain conforme à la promesse inscrite dans sa propre devise" ».
Je ne saurais suffisamment recommander la lecture de ce brillant essai à ceux qui veulent sortir des images émotionnelles et des demi-vérités des informations télévisées pour approfondir leur compréhension d’une des questions les plus brûlantes de la société française d’aujourd’hui : la question des minorités.
Denis Dambré
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