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Pazaani : Les écoliers victimes de l’explosion du 8 janvier se sentent abandonnés

Publié le dimanche 30 août 2020 à 21h40min

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Pazaani : Les écoliers victimes de l’explosion du 8 janvier se sentent abandonnés

Le 8 janvier 2020, Issouf Ouédraogo, Abdoul Gani Sawadogo et deux autres de leurs camarades de l’école franco-arabe Daroul Quran Al Hadith ont été blessés par une explosion. C’est sur le chemin de l’école « qu’ils ont ramassé un engin », explique le fondateur de l’école, Salif Sawadogo. Une fois à l’école, à force de manipulation, l’engin a explosé, causant des blessés, dont deux ont perdu un œil chacun. Que sont-ils devenus ? Une équipe du Faso.net leur a rendu visite.

« Je lui dis souvent que c’est son destin. On va faire comment ? Il n’est pas né comme ça », c’est la réponse qu’on entend le plus souvent de Korotimi Sawadogo, la mère de Abdul Gani Sawadogo, lorsqu’on lui demande l’état de santé de son fils, blessé à l’œil par un explosif. Le jour où notre équipe s’est rendue à leur domicile, maman Sawadogo, toute voilée, était assise, le regard scrutant l’horizon. A notre vu, elle s’efforça d’essuyer une larme de son visage. Puis, sur l’état de santé de son fils, elle explique : « Il aurait pu mourir, mais il vit, c’est la volonté de Dieu, on va dire quoi ! ». Un soupire interrompu sa lancée, suivie d’un silence.

L’émotion est grande et les mots ne viennent pas aisément. Enfin un effort et elle reprit : « je lui ai dit qu’il n’est pas le seul comme ça ». S’enchainent alors des complaintes et des lamentations. Comme si dame Sawadogo, 28 ans, n’avait jamais eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet. Et sa gorge se dénoua : « ça ne va pas, à chaque rendez-vous on achète les médicaments. Souvent, on demande aux gens de nous aider ». Son mari, Rasmané Sawadogo, mâchoire serrée, visage abattu, renchérit : « je suis malade depuis l’incident ; je ne travaille plus ». Pourtant, à l’origine de la vie familiale c’était le contraire, se remémore-t-il : « je travaillais, je vendais les habits, mais hélas ! » ; puis « que faire ? », s’interroge-t-il, les mains repliées dans ses cuisses et le dos un peu voûté.

Rasmané Sawadogo, père de Abdoul Gani Sawadogo

La tristesse de cette famille de cinq membres remonte à 8 mois. C’était le mercredi 8 janvier 2020, à Pazaani, au secteur 38 de l’arrondissement 9 de Ouagadougou, à l’école franco-arabe Daroul Quran Al Hadith. Ce jour-là, Ouagadougou s’était réveillé avec une explosion dans une école. C’était la psychose ! Surtout avec les attaques terroristes qui étaient légions. La nouvelle de l’explosion s’était répandue dans la ville comme une trainée de poudre.

Sur les lieux de l’explosion à l’époque, une foule de curieux, des gendarmes, des policiers et des blindés. Puis, à l’intérieur d’une des salles de classe, des tables bancs tachetés de sang. C’était la classe d’Abdul Gani Sawadogo (7 ans, l’aîné des trois enfants de Korotimi Sawadogo), de Issouf Ouédraogo (12 ans) et de deux autres de leurs camarades. Eux tous, des élèves en classe de CE1 (cours élémentaire première année) blessés à la suite de l’explosion.

Un batiment de l’école de Issouf Ouédraogo, Abdoul Gani Ouédraago

Aujourd’hui, borgne par le fait de l’explosion, Issouf Ouédraogo se souvient : « On étudiait ; un de mes camarades tenait un truc, il jouait avec, et le truc a commencé à chauffer, puis a explosé ». La suite, Issouf Ouédraogo ne la saura qu’à l’hôpital Paul VI : « On a passé la radio et là, j’ai vu que j’avais perdu un œil ». Il tente de cacher son visage. Mais les cicatrices de son mal sont visibles, tout comme les impacts de l’explosion sur ses mains, son cou, sa hanche, sa cuisse et sa jambe.

Ce 8 janvier 2020, « c’est sur le chemin de l’école que Issouf, Gani et les deux autres camarades ont ramassé un engin », explique le fondateur de l’école Salif Sawadogo. Sawadogo Abdul Razak, l’enseignant de la classe de CE1, dans laquelle l’explosion s’est produit, témoigne : « j’ai entendu le bruit de l’explosion. Je ne suis pas arrivé à déterminer l’origine ; j’ai pensé à un passant qui a jeté l’explosif ; tout sauf dans le sac d’un élève".

Zalissa Tapsoba, 32 ans, mère de Issouf Ouédraogo

Zalissa Tapsoba, 32 ans, mère d’Issouf Ouédraogo se rappelle comme si c’était hier : « De l’hôpital Paul VI, on est allé à la pédiatrie Charles de Gaulle, puis à l’hôpital Yalgado. C’était difficile. A la pédiatrie, malgré qu’on avait des bons pour se rendre à la pharmacie interne pour se procurer les médicaments, on a dépensé pour d’autres produits à l’externes ». Quatorze jours plus tard, Issouf Ouédraogo et Abdul Gani Ouédraogo sortent de l’Hôpital. Mais ils ont perdu chacun un œil, celui de gauche.

Dans la famille de Zalissa Taposba, une famille de trois enfants, le quotidien n’est pas reluisant : « Je nettoie des maisons, je lave des habits ; je me promène de porte en porte, s’il y a des maisons à laver, je les lave. Mais avec la situation d’Issouf c’est devenu compliqué ».

Les jours passent, mais se ressemblent : « rien que des dépenses et de l’amertume. Les visites contrôles sont mensuelles et chaque visite, on continue de nous prescrire des médicaments », s’offusque Koritimi Sawadogo.

Pour le cas de Issouf Ouédraogo, Zalissa Tapsoba est formelle : « mon fils n’a pas pu être opéré de l’œil. Je n’ai pas d’argent. Mon mari travaille dans des champs de cacao en Côte d’Ivoire, il est venu rembourser les crédits et il est parti chercher de l’argent. S’il trouve on va opérer l’œil de l’enfant ». En attendant, Issouf Ouédraogo est devenu un vendeur ambulant : « Je vends les oranges, les petites colas dans les quartiers », confie-t-il.

Korotimi Sawadogo, mère de Abdoul Gani Sawadogo, en pleure à cause de l’état de santé de son fils

Abdoul Gani et Issouf à la recherche d’une école adaptée

Borgne, Issouf Ouédraogo tant bien que mal tente de surmonter son infirmité. C’est avec des sachets remplis de citrons et de colas qu’il doit se balader dans les marchés et les rues de Ouagadougou pour chercher sa pitance. Par contre, pour Abdoul Gani Ouédraogo, c’est encore un fardeau et sa mère s’inquiète : « Il pleure souvent. Quand il marche, il lui arrive de tomber. Il ne veut plus jouer, ni aller chez ses camarades. Il me demande souvent pourquoi, il ne voit plus bien ».

Issouf Ouédrao a perdu son oeil gauche lors de l’explosion. Son oeil n’est toujours pas opéré

Alors que sa mère parle, il nous observe assis sur un tabouret. Puis, aussitôt, Abdul Gani Sawadogo, comme pour confirmer les dires de sa mère, se lève et rase les murs de la cour ; et, lorsqu’on s’approche de lui, il tourne son regard et se cache. Mais de loin, il jette un coup d’œil et observe sa mère en pleure, puis rabaisse sa tête. Le traumatisme est profond et le gamin ne cache pas les séquelles.
Ont-ils bénéficié d’une assistance psychologique ? « Non » rétorquent les deux mamans. Pourtant, le drame s’est produit depuis huit (8) mois.

Sept ans et douze ans révolus, Abdoul Gani et Issouf n’ont qu’un œil chacun. Parmi les quatre élèves blessés, ils sont les deux qui ont subi des blessures graves, y compris les impacts de l’explosion.

Abdul Gani Sawadogo, 7 ans a perdu son oeil gauche lors de l’explosion dans son école

Et, la rentrée scolaire s’annonce. Une angoisse pour leurs parents qui ne savent plus à quel saint se vouer. Koritimi Sawadogo explique : « Abdul Gani ne veut plus aller dans la même école, il nous faut une aide pour une école adaptée à sa situation ». Même son de cloche pour Zalissa Tapsoba qui affirme : « Je n’ai pas encore les moyens pour la rentrée scolaire. Son frère a quitté l’école pour vendre les portables pour se faire un peu de moyens ». Lorsqu’on interroge Issouf pour savoir s’il ira dans la même école, sa réponse est catégorique « Non ». Pourtant, les parents s’accordent sur le fait que c’est « une école proche du domicile et de surcroît moins cher ».

Malgré ce qui est arrivé dans cette école, son fondateur, Salif Sawadogo, est confiant : « l’école compte 400 élèves. Après l’explosion, il n’y a pas eu de découragement, les gens m’ont soutenu ». Une position partagée par Mamadou Ouédraogo, enseignant en classe de CM2 pour qui : « malgré tout, le taux de réussite est satisfaisant ».

Mamadou Ouédraogo, enseignant du CM2

Au-delà du fait que l’école n’est pas encore reconnue par l’Etat, Salif Sawadogo croit dur en l’avenir de son établissement et soutient sereinement : « Les élèves blessés ont témoigné avoir vu la chose sur la route et l’ont ramassé ; les autres élèves ont témoigné qu’ils ont vu leurs camarades avec l’engin. Il n’y a pas d’inquiétude, puisque les enquêtes ont prouvé que ce ne sont pas les terroristes ».
Par contre, Marcelin Guébré de la direction régionale de l’enseignement préscolaire, primaire non formel (DREPPNF) avance « Il s’agit d’un établissement non reconnu, un établissement qui n’a pas d’autorisation ». Selon lui, il sera demandé au responsable dudit établissement de régulariser la situation, sinon l’école sera fermée ».

Salif Sawadogo, fondateur de l’école Darul Quran al Hadits dans laquelle l’explosion a eu lieu

« Les factures des soins font un total de 445.000 F CFA »

Côté social à l’endroit des victimes de l’explosion, Marcelin Guébré explique que son service a rendu compte au ministère de tutelle : « Nous avons collecté les factures et le total fait 455.000 F CFA pour les deux écoliers. » a-t-il expliqué. Cependant s’indigne-t-il « Notre ligne budgétaire ne prévoit pas ces cas exceptionnels. Nous avions contacté l’action humanitaire, mais c’est sans suite. Pourtant, le trésor public a rejeté le dossier de demande de remboursement de facture que notre ministère a fourni ».

Puis d’ajouter que depuis avril, son service a monté le dossier, mais qu’il est encore bloqué suite à un contrôle budgétaire du trésor public. Marcelin Guébré explique qu’après avoir contacté l’action sociale pour venir en aide aux victimes, celle-ci a expliqué qu’il n’y avait pas de crédit pour ces cas exceptionnels. Aujourd’hui, le dossier des deux écoliers est encore dans la direction de Marcelin Guébré qui dit être à la recherche d’alternatives pour éponger les factures issues des soins.

Marcelin Guebré, Gestionnaire de la direction regionale de l’enseignement préscolaire, primaire non formel du Centre (DREPPNC)

Pourtant, le ministre d’Etat, ministre de l’administration territoriale de la décentralisation et de la cohésion sociale, Siméon Sawadogo a expliqué que pour ces genres d’incidents, c’est le gouvernement qui prend en charge les soins. Dans la foulée, il a rassuré contacter le ministère de la Femme, de l’action humanitaire et de la famille pour s’enquérir de la suite réservée aux enfants blessés lors de l’explosion.

Après une visite dans les services de la direction provinciale de l’action sociale, et celui de la direction technique de l’action sociale de Tampouy, d’où relève l’arrondissement n°9, dans lesquels aucun agent n’a voulu s’exprimer sur le sujet ; on apprend d’une source de leur ministère que les services du ministère en charge de l’action sociale ont contribué aux soins des écoliers, alors qu’ils étaient à la pédiatrie. Pour les familles des deux écoliers « c’est le président de l’Assemblée nationale, Alassane Bala Sakandé qui a contribué aux soins pendant qu’ils étaient à la pédiatrie ».

Siméon Sawadogo, ministre de l’Administration territoriale , de la décentralisation et de la cohésion sociale

Selon le service social de la mairie de l’arrondissement N°9 : « Les victimes doivent rendre compte de leurs préjudices, la mairie va faire les enquêtes, au besoin prouver l’existence d’une assistance sociale et enclencher une aide ». Une autre source de la mairie, parle « de l’absence d’un budget pour les situations d’urgence, et d’inexistence de source de revenu pour permettre à la commune de répondre immédiatement ».

Quoi qu’il en soit, le choc tant psychologique que physique est présent chez les écoliers et leurs parents. Et, pour le psychologue Jacques Sawadogo : « ces genres d’enfants ont besoin d’une prise en charge. On doit leur apprendre à accepter leur état, il leur faut une école adéquate ».

Jacques Sawédogo, Psychologue

En attendant que les écluses du ciel lui soient ouvertes, Issouf Ouédraogo, 12 ans, avec un œil, doit vendre pour l’instant dans les rues de Ouagadougou, les petites colas et les citrons pour survivre. Sans verres correcteurs, ou en l’absence d’une école adéquate, Abdoul Gani Ouédraogo continuera de raser les murs et cacher son infirmité. Pourtant, la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) invite les Etats à assurer à chaque enfant une protection et des soins spécifiques jusqu’à 18 ans.

Edouard Kamboissoa Samboé
samboeedouard@gmail.com
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 31 août 2020 à 09:46, par saam En réponse à : Pazaani : Les écoliers victimes de l’explosion du 8 janvier se sentent abandonnés

    Vraiment j’ai les larmes aux yeux en lisant cela. Ces enfants ne méritent pas cela ! Où est passé notre humanisme ? Pendant que les familles vivent le drame au quotidien, pendant que les enfants toujours perdus et hébétés par ce qui leur est arrivé n’ont aucune écoute ou suivi psychologique, pendant que les parents déjà pauvres croulent sous le poids des soins, les autorités parlent de ligne budgétaire, d’enquêtes et je ne sais quoi d’autres ! où est passé notre humanisme, notre sens d’ la solidarité, d’entraide ? Pourquoi faut-il toujours tout calculer, trainer dans la paperasse ? C’est quand même une question de santé !!
    Je propose l’organisation d’une collecte de fonds via les téléphonies pour ces enfants. Ou alors les contacts des parents à communiquer pour tous ceux qui désirent faire un geste. Aussi petit soit-il, ce sera toujours beaucoup pour la famille.
    Cela n’arrive pas qu’aux autres ! Ces enfants sont innocents, ils ne le méritent pas !

    • Le 31 août 2020 à 14:16, par lili En réponse à : Pazaani : Les écoliers victimes de l’explosion du 8 janvier se sentent abandonnés

      C’est bien de vouloir jouer sur l emotion. Mais la sagesse nous impose d’utiliser ici la raison. Tu dis que les parents sont pauvres ! Alors wu ils envoient leurs enfants a l ecole classique, c est la qu on forme les Burkinabe de demain qui sont propres a transformer leurs familles et leurs pays. Ce n est pas dans des lugubres ecoles coraniques que ca se passe. Quelle formation y gagne t on d ailleurs ? En plus l explosion n etait pas fortuite. Une regle ne s explose pas, un cahier et un stylo non plus. Que l ecole prenne ses responsabilites. Et qu il remercie Dieu que pour la cohesion sociale Etat n est pas jeter en prison ses enseignants et autres responsables.

      • Le 31 août 2020 à 23:12, par Paule En réponse à : Pazaani : Les écoliers victimes de l’explosion du 8 janvier se sentent abandonnés

        Kudo, Lili. Je pensais la même chose. D’autre part, quelle est la responsabilité du chef d’établissement ? Le journaliste en appelle à la responsabilité de tout le monde, le ministère, l’action sociale, la mairie, mais pas un mot sur le chef d’établissement qui semble n’avoir aucun regret. S’il assure qu’il y a 400 élèves et qu’il n’y a pas eu de défections consécutives à l’incident, ses caisses devraient être pleines. Il devrait être le premier responsable et supporter la prise en charge. Il a la chance de ne pas vivre en Occident, car fissa,, les parents de ces enfants l’auraient traîné en justice et dépouillé jusqu’aux sous-vêtements. Comment peut-on mettre en place une structure pareille sans avoir une assurance responsabilité civile et criminelle. On exige d’un propriétaire d’une auto qu’il souscrive à une assurance. Mais d’un établissement avec 400 enfants, rien ? Exemption ? Et qui paie si l’école prend feu, si le bâtiment s’écroule, si un enfant se blesse ? C’est tout le système qui est à repenser. Ce ladji propriétaire de l’établissement ne peut se contenter d’engranger les bénéfices et passer les dépenses au contribuable. J’ai de la peine pour ces pauvres enfants, mais les parents devraient d’abord se tourner contre l’établissement pour se faire dédommager. Et comme vous l’avez si bien relevé, on n’a jamais vu un Einstein sortir de ces écoles coraniques lugubres d’Afrique. Accessoirement, on trouverait etrange que cet engin explosif se soit retrouvé nulle autre part que dans cet établissement. Et la, la gendarmerie devrait pousser l’enquête plutôt que de se contenter des fumees du ladji. Autant que j’aime le répéter, certains ont la chance que je ne sois pas présidente du Burkina Faso. Ils se seraient, sinon, cru dans une dictature. Un tel laxisme ne saurait être toléré.

  • Le 31 août 2020 à 19:05, par pitié En réponse à : Pazaani : Les écoliers victimes de l’explosion du 8 janvier se sentent abandonnés

    Oui c’est enfants sont innocents, ils n’ont pas demandé de vivre ce qui leurs arrivent .le fondateur de ladite école est le vrai responsable. Quand on commence une chose il faut gérer les conséquences. D’où sont arrivés et sortie ces explosifs pour se retrouver dans la cour et dans les mains d’enfants innocents ? Que Dieu nous vienne en aide.

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