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Essai  : Tampiiri, une insulte suprême chez les Mossé (2e partie)

Publié le vendredi 19 juin 2020 à 22h45min

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Essai  : Tampiiri, une insulte suprême chez les Mossé (2e partie)

L’individu est composé de son physique qui est bien visible et aussi d’une composition métaphysique et donc invisible, chez les Mossé. Avant, pendant et après la naissance tout le cérémonial vise au fond à ce que l’individu soit en harmonie avec son milieu. On parle au futur bébé, on lui évoque ses glorieux ancêtres alors que sa mère est en travail.

Quelle est la signification consciente et inconsciente de ce terme  ?

Le placenta qui l’enveloppait est enterre avec un rituel comme pour sceller une alliance avec la terre mère. C’est son « za-boko » ou « zan-boko ». (Voir ou revoir l’excellent film de Gaston Kaboré « Zan Boko »). Son nom de famille pourra ne pas être celui de son père ni celui de sa mère. Ce n’est pas grave ; pourvu qu’il ait le nom qui lui convient. On lui choisira minutieusement son prénom. Toute la communauté formulera ce vœu : « Que Dieu fasse qu’il accepte son nom. » Si in fine, le père n’est pas le bon, on se serait trompé et toutes ces cérémonies auraient été inutiles sinon nuisibles. L’homologation de la naissance a raté.

L’illégitimité physique crée une dualité avec l’invisible. Ce qui entraine une perturbation du sujet. Celui-ci devient permissif et acteur de l’inacceptable et des abominations. Pour les Mossé, il y a des actes qui ne sont pas dignes et qui ne peuvent être posés que par une personne frappée d’indignité. Une des formes d’indignité est l’illégitimité de la naissance. Cette marque indélébile qu’est la conception non autorisée socialement et de surcroit dissimulée, prive l’individu concerné des capacités d’autocontrôle. Elle le pousse malgré lui à poser des actes qu’une personne née d’une conception propre ne posera pas ou aura du mal à poser.

Toute la société a la hantise d’une multiplication du nombre des tampiiba  ; car cette prolifération engendrera une société dans laquelle les transgressions seront la règle et les actions immorales et amorales fréquentes voire banales. Pour conjurer une telle éventualité, les soupçons de la mise au monde de tampiiri ont pu justifier des avortements provoqués et des infanticides... La rumeur sur l’incertitude de la filiation a un effet qui n’a rien avoir avec une insulte reçue bien souvent d’un inconnu.

La question de l’autorégulation de soi grâce à sa naissance

Une bonne partie de ce qui précède provient de la société traditionnelle du passé. Néanmoins, le fond de la question est bien contemporain. Même de nos jours, un citoyen moaga, pour accentuer son refus d’une situation jugée indigne, utilisera le terme sous la forme interrogative ou sous la forme négative. «  Suis-je un tampiiri pour accepter ça  ?  »  ; «  Jamais  ! Je ne suis pas un tampiiri pour accepter ça…  ».

Dez-Altino en fait une illustration dans sa chanson Lampoko, où une néo-citadine a trop vite acquis la culture de la ville, selon son mari. Ce dernier estimant que sa libertine de femme l’a toisé de la tête aux pieds décida de lui infliger une punition corporelle. Pour justifier son agression, il convoqua sa filiation en clamant  : «  Je suis un Ouédraogo. Digne descendant de la Princesse Yennega. Notre mort est préférable à la honte.  » Et de décrire son acte  : «  Je lui ai envoyé un coup de poing  !  » Madame Lampoko, elle aussi, très probable descendante de la même princesse guerrière, opta de ne pas se laisser faire. Peut-être pour rester digne à sa filiation aussi. «  Elle bloqua[le coup de poing] et lança un balayage [de pieds].  » La bataille entre descendants se termina par une catastrophe pour son initiateur…

En 2019, une vidéo mettant en scène un homme d’affaire du Burkina a circulé dans les réseaux sociaux, le montrant en train de proférer des insultes et tenant des propos orduriers à l’endroit de tout Burkinabè. Suscitant l’indignation générale, certains citoyens ont opté de lui répondre par vidéo ou audio toujours sur les réseaux sociaux. Le point commun de tout ce que nous avons vu et entendu est un questionnement insistant sur ses conditions de naissance. Evidemment, il a été traité de «  tampiiri  », de «  Yag-lèm-tiiga  » et même de «  Burkina tampiiri  » et de «  Burkina Yag-lèm-tiiga  ». Laissant supposer que l’authentique géniteur de l’intéressé ne saurait être un Burkinabè… car nul ne peut insulter son père si c’est son père et la famille de celui-ci.

Si Alpha Blondy en est venu à en faire un titre de chanson c’est aussi parce que ce terme est associé aux Mossé qui dans un état exaspération le laisse échapper naturellement au point d’être devenu un signe distinctif de leur culture. Il s’agit en fait d’un aspect de l’éducation à la dignité que l’on appelle le «  Burkindi  ». D’ailleurs dans sa chanson il dit, bien à propos cette fois-ci, que  :
«  Si l’Afrique est en retard, c’est la faute des tampiiris  !
Si des Africains ont été vendus, avec la complicité des tampiiris  !
Si les marchands d’armes prospèrent en Afrique, c’est la faute des tampiiris  »

Il aurait dit que ce sont des «  Afrique tampiiba  » et on l’aurait applaudit... En effet comment un digne fils peut-il voler  ; spolier  ; tromper  ; trahir sa famille  ; son pays, son continent…  ? Ce volet politique de la « figure du bâtard » a été développé dans la littérature africaine notamment par A. Kourouma et S. Labou Tansi. D’après Serge Moukagni Moussodji, « L’un et l’autre abordent le sujet sous des formes différentes qui donnent lieu à deux configurations essentielles. Chez Sony Labou Tansi ressort davantage l’idée d’une catégorie sociale, tandis que chez Ahmadou Kourouma le bâtard apparaît sous la forme de traits de caractère. Avec Ahmadou Kourouma, le bâtard n’a pas l’infamie de la nature, mais il a en revanche son attitude, alors qu’avec Sony Labou Tansi, il cumule les deux, à la fois la nature et le comportement. » En fait, les deux ont bien compris ce qu’est un tampiiri.

Le besoin de connaitre ses origines et d’appartenir à une communauté est humain

De nos jours, plusieurs Mossé continuent à croire au concept de l’autorégulation des actes de l’individu. La bonne naissance le prédisposerait plutôt à tendre vers le respect des normes sociales. D’autres peuples d’Afrique ne semblent pas si éloignés de cette conception. Des Congolais mécontents du Maréchal Mubutu ont fini par déduire qu’il n’est pas un vrai Congolais mais plutôt un Togolais. Joseph Kabila serait un Rwandais. Le Général Eyadema, né à Pya, fils de Maman Danida, initié Kabyè, … pour certains Togolais qui ne l’appréciaient pas, il n’était pas un Togolais d’origine. Il serait Béninois. Certains Guinéens qui détestent la gouvernance de Alpha Condé questionne son origine qui selon eux serait burkinabè... Les exemples sont nombreux. L’idée est la même : quelqu’un bien de chez nous ne saurait se comporter d’une certaine manière qui contredit nos valeurs fondamentales. S’il le fait, il est probablement d’ailleurs qu’il en soit conscient ou pas. Nous avons été dupés sur qui il est. Ses actions le démontrent. Seule l’abâtardisse explique/justifie une telle infamie.

Tampiiri est une insulte quasi blasphématoire dans cette nation, «  le besoin de connaître ses origines est universel  ». L’institut européen de Bioéthique écrit  : «  Le droit de connaître ses origines OU Dis-moi d’où je viens, je te dirais qui je suis…  » La très célèbre « Mamma Mia » (comédie musicale et film) ne met-elle pas en scène Donna et sa fille Sophie 20 ans, qui, à la veille de son mariage, a invité trois ex-amants de sa mère pour tenter d’identifier son père que Donna n’a su lui montré… Faisant de Sophie le prototype même d’une tampiiri.

Comment la question des enfants nés sous X sera-t-elle traitée un jour si cette pratique se généralisait en Afrique, au Mogho ? Qu’en est-il du cas des enfants nés de viols  ? Ceux nés des cas d’incestes  ?
En Occident on a vu plusieurs organisations d’enfants adoptés qui poussent pour avoir accès aux informations sur leurs origines. Ils expriment un manque qui n’est pas toujours facile à nommer. Qu’en est-il de la procréation médicalement assistée avec apport de gamètes… Les dons de spermes  ; les mères porteuses, l’enfantement par des couples homosexuels, la généralisation des tests d’ADN… Le phénomène du « couple libre », les échangistes…

Pour conclure, disons que l’envie de dire pauvre tampiiri est là ! Il n’a rien demandé et si déterminisme il y a, lui n’est qu’une victime. Paradoxalement, notons que malgré cette obsession sur l’individu, c’est son bien être interne et sa place dans la société sont au cœur du sujet. Ce qui tord un peu le cou des allégations faisant croire que l’individu complètement effacé au profit de la seule communauté. D’ailleurs, quoique les tenants et aboutissants aient évolué et que les grilles de lecture aient souvent changé  ; un regard attentionné montre que dans plusieurs cultures africaines, plusieurs questions sur le bien-être de l’individu et de sa société ont longtemps été posées.

Des réponses ont été apportées avec leurs lots d’insuffisances que le recul nous permet d’entrevoir mais aussi et surtout des pistes intéressantes qui ne demandent qu’à être explorées et mises au goût de l’époque. La culture des Mossé et très probablement celle de beaucoup d’autres nations africaines ont beaucoup a apporté aussi en matière de bioéthique.

Moussa SINON
Juin 2020.


Reférences :
Alpha Blondy - Album Mystic Power, Titre Tampiri, 2013.
Lallé-Noaga, Bonnéré, Patenema, enregistrements audio et vidéo
Dictionnaire Moore ; https://www.webonary.org/moore/
J.M. Kohler, Notes historiques et ethnographiques sur quelques commandements régionaux de l’Ouest Mossi (Haute Volta), 1967.
Zan Boko, film de Gaston Kqboré, 2018.
Ahmadou Kourouma, Les Soleils des indépendances, 1968.
Dez Altino – Album M’Dolé, Titre Lampoko ; 2010.
Mamma Mia, Comédie musicale de Phyllida Lloyd, 2008.
Serge Moukagni Moussodji, La figure du bâtard dans la littérature africaine des indépendances : enjeux et significations autour des textes d’Ahmadou Kourouma et de Sony Labou Tansi, 2013.

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