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Justice : Quand la lenteur judiciaire fait douter le justiciable !

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Publié le mardi 9 juin 2020 à 22h40min

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Justice : Quand la lenteur judiciaire fait douter le justiciable !

Dans cette lettre ouverte, Sibiri Eric Kam, administrateur civil à la retraite s’adresse au ministre de la Justice, au président du Conseil supérieur de la magistrature et aux secrétaires généraux des syndicats de la magistrature, sur la lenteur de ses dossiers pendants en justice. Victime de cette lenteur depuis plusieurs années, il espère un dénouement rapide pour ses dossiers, à travers cet écrit. Nous vous proposons in extenso sa lettre.

Le justiciable qui saisit l’institution judiciaire espère le traitement de son dossier dans un délai raisonnable.

Le dossier suit son cours. C’est la formule rituelle qui est servie à l’usager de notre administration qui entreprend de suivre un dossier. Hormis, les cas où un agent bienveillant vous explique le processus de traitement de votre dossier et finit par vous donner une date plus ou moins proche pour son aboutissement, il est des services où il vaut mieux ne même pas essayer de savoir qui est en charge de votre dossier.

Ce mal de l’administration publique est encore plus accentué dans l’administration judiciaire d’autant que là, on revendique la lenteur qui serait gage de bonne justice.
Hélas pour moi, à ce jour, j’ai, à mon corps défendant, trois dossiers en cours aux trois niveaux de l’institution judiciaire.

Le premier dossier, que je qualifie de feuilleton judiciaire, m’oppose au Médiateur du Faso. L’affaire débute le 22 novembre 2002 par un arrêté mettant fin à mes fonctions chez le Médiateur du Faso : jugement du 10 mars 2005 en ma faveur, arrêt infirmatif du 08/05/2007 et pourvoi en cassation depuis le 06/07/2007.

Dossier en cours depuis presque 18 ans dont 13 ans à l’étape de la cassation.
J’espère pouvoir publier, un jour, l’entier dossier pour étaler au grand jour la liberté que certains magistrats prennent avec le droit.
Le deuxième dossier est en appel au Conseil d’Etat, 19/07/2018.
Le troisième et dernier est pendant devant le tribunal administratif, saisine en date du 16/03/2018.

A ce jour, je n’ai aucune connaissance sur l’évolution de ces dossiers. Moi qui avais commencé à bâtir des châteaux en Espagne en tablant sur la durée moyenne de traitement des dossiers, Cf. tableaux extraits des annuaires statistiques produits par le ministère de la Justice.

Annuaire statistique 2018 de la justice
Conseil d’Etat

Tableau IV : nombre de décisions rendues selon la durée de la procédure en 2018

Ce tableau ne renseigne pas véritablement sur les performances du Conseil d’Etat parce que la fourchette de l’avant-dernière colonne est tellement large que l’indicateur, si c’en est un, n’est pas pertinent.
Par contre le tableau ci-après, extrait de l’annuaire 2015 est plus parlant.
Conseil d’Etat

Tableau 4.5 : Nombre de décisions rendues selon la durée de la procédure en 2014

Ce tableau, qu’il faut lire verticalement, montre que la majorité des dossiers sont traités entre 1 an et moins de 3 ans. Comment se fait-il que le feuilleton judiciaire KAM c/ Médiateur du Faso ne soit pas encore clos 13 ans après ?
En me basant sur les données statistiques, je fais le même constat pour le dossier devant le tribunal administratif.

En effet, les tableaux suivants donnent des délais de traitement qui confirment que dans mon cas, je suis au-delà des moyennes.

Annuaire statistique 2018 de la justice
Tribunaux administratifs

Tableau IV.8 : Nombre de décisions rendues selon la durée de la procédure en 2018

Et, pour faire plus précis, le tableau de bord statistique 2018 donne le temps moyen pour rendre une décision dans les tribunaux administratifs.
Tableau de bord statistique 2018 de la justice

Les chiffres clés de la justice : temps moyen pour rendre une décision

Je ne souhaite pas gagner un procès après ma mort comme l’ancien combattant sénégalais Amadou DIOP dans l’affaire du gel de la pension des anciens combattants.

En effet, quand l’Etat français a étendu le gel des pensions aux anciens combattants sénégalais, en janvier 1975, après que beaucoup d’anciens combattants aient vainement saisi le Conseil des Droits de l’homme, Amadou DIOP a saisi la justice française. La longueur de la procédure a eu raison de lui et il est mort avant la décision du Conseil d’Etat : 2 aout 1994, recours préalable, juillet 1996, jugement de rejet du tribunal administratif, 7 juillet 1999, arrêt favorable de la cour administrative d’appel et 30 novembre 2001, arrêt de confirmation en cassation du Conseil d’Etat.
Il est vrai que DIOP, né en 1917 et incorporé en 1937 n’était plus de première jeunesse quand il a engagé la procédure, moi non plus.

Je ne suis pas sûr que le droit positif actuel me permette de demander compte à un magistrat et même si cela est possible, un conflit avec un magistrat sur un dossier ne peut qu’être à mon désavantage. Je me rappelle encore ce Commissaire du gouvernement qui s’était offusqué que je puisse venir lui demander la suite de mon dossier.

Et pourtant, dans le contentieux administratif français, le justiciable qui dépose une requête reçoit aussitôt un code confidentiel qui lui permet de suivre l’évolution du dossier : désignation du juge rapporteur, transmission au défendeur pour échanges des conclusions, ordonnance de clôture, communication au commissaire du gouvernement pour ses conclusions…

Plus près de nous, en Côte d’Ivoire, dans un document intitulé le cheminement du dossier, publié dans le trimestriel d’information de la Cour suprême, n° 001 du 7 janvier 2005, il est précisé que le commissaire du gouvernement dispose des mêmes délais que les parties pour déposer ses conclusions.
A l’heure où la science administrative prône le partage des bonnes pratiques, notre justice gagnerait à adopter ces pratiques.

L’accès à la justice ne se limite pas à l’accessibilité géographique par la réduction de la distance entre le justiciable et l’institution, ni à l’accessibilité économique facilitée par la création d’un fonds d’assistance judiciaire, elle doit aussi comprendre l’accès à l’information sur l’évolution du dossier et bien sûr le droit à un jugement dans un délai raisonnable ; telle est ma compréhension de l’accès à la justice.

Aussi, faute de pouvoir avoir l’information sur mes dossiers, j’ai fait l’option de la lettre ouverte pour dire mon désarroi et espéré être entendu.
Monsieur le ministre de la Justice,

Monsieur le Président du Conseil supérieur de la magistrature,
Messieurs les Secrétaires généraux des syndicats de magistrats,

La fonction de juger est essentielle dans toute communauté humaine, elle l’est plus encore dans un Etat qui se veut de droit. Dès lors, les personnes chargées de dire le droit ont des obligations vis-à-vis du justiciable et de la société.
Et quand les justiciables en viennent à penser que ce n’est pas la peine de saisir le juge, la jungle n’est pas loin.

Respectueusement.

KAM Sibiri Eric
Officier de l’Ordre de l’Etalon.

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