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Sorcellerie : « L’Eglise catholique ne reconnaît pas la possibilité de manger l’âme de quelqu’un », selon le père Jean Chrysostome Ouédraogo

Publié le dimanche 8 mars 2020 à 02h30min

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Sorcellerie : « L’Eglise catholique ne reconnaît pas la possibilité de manger l’âme de quelqu’un », selon le père Jean Chrysostome Ouédraogo

Le phénomène de la sorcellerie continue de susciter des débats au sein de nos sociétés. Une problématique souvent difficile à résoudre par la raison pure. Mais ses conséquences sont légion, notamment l’exclusion sociale des vielles femmes souvent accusées de « sorcières ou de mangeuses d’âmes ». Raison ou superstition inutile ? Le Père Jean Chrysostome Ouédraogo de la communauté des Fils de Marie immaculée (FMI) et vicaire de la paroisse Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus de Boussé répond, au micro de Lefaso.net. C’était le mardi 3 février 2020 à Boussé. Interview.

Lefaso.net : Comment comprenez-vous qu’au 21e siècle, des femmes soient accusées de sorcières ou de mangeuses d’âmes ?

Père Jean Chrysostome Ouédraogo : Bien entendu, nous avons affaire à un phénomène social ; et en même temps, un phénomène religieux. Social, parce que ce sont des personnes qui sont atteintes dans leur dignité, des biens qui sont atteints. Et forcement religieux, parce que c’est un système très traditionnellement codifié de détection de qui est sorcier et de qui ne l’est pas. C’est à partir d’une « consultation » qu’on finit par dire que telle personne est sorcière, et puis s’en suivent des processus d’accusation, de chasse à l’homme, de déguerpissement et d’exclusion. Tout cela cause beaucoup de mal à la société. Nos structures de charité, notamment l’Ocades Caritas, la Commission justice et paix de l’Eglise, sont souvent interpellées.

En tant que pasteurs, nous sommes souvent interpellés directement. A cet effet, nous allons souvent rencontrer les familles et essayons de les réconcilier et réinsérer certaines personnes. Certes, c’est souvent difficile. Néanmoins, nous arrivons souvent à faire en sorte qu’une personne soit à nouveau accueillie, à nouveau réinsérée dans le tissu social et familial par une réconciliation dans les familles et dans les villages. Le phénomène est bien réel et c’est bien dommage. Mais on se réjouit que ce que nous faisons sur le terrain soit appuyé par les députés à travers cet atelier pour aider les populations à mieux comprendre le phénomène, et à terme, eviter au maximum le recours à l’exclusion sociale.

Comment prouver qu’une personne est sorcière ?

Nonobstant les accusations qu’on pourrait prendre le temps d’apprécier, il faut reconnaître qu’il y a des personnes qui se reconnaissent elles-mêmes comme telles. Elles définissent la sorcellerie comme l’élimination du corps par une réalité interposée qui tient lieu de corps, et qui permet d’agir sur le physique de la victime. Cela étant dit, je voudrais préciser ceci : le problème à la base n’est pas de vous dire si le phénomène est vrai ou faux. Si on part sur ce terrain, on se trompera. En tant que religieux, je ne peux qu’appeler les gens au pardon, à faire attention, parce qu’on pourrait se tromper ; d’autant plus que le critère de qui a mangé quoi est purement relatif. Dans tous les cas, l’Eglise catholique ne reconnaît pas la possibilité de manger l’âme de quelqu’un, parce que l’âme est vraiment la propriété de Dieu.

L’âme, à la fin de notre vie terrestre, va pouvoir rencontrer Dieu dans la félicité, pour la vie éternelle ou pas. Ainsi donc, nous ne concevons pas qu’il soit donné à quelqu’un la possibilité de manger l’âme de quelqu’un d’autre. Néanmoins, le mal existe. On peut délibérément faire le mal à quelqu’un d’autre, au niveau physiologique ou psychologique ; il faut vraiment faire la part des choses. Si quelqu’un entreprend de faire le mal à un autre, à travers les envoutements et autres, c’est bien possible. Mais nous invitons à la conversion des cœurs et donc au renoncement à tout type de mal.

En général, c’est vraiment injuste, parce que les personnes qui sont accusées, pour ce que nous voyons, c’est peut-être une vieille pauvre qui dans sa case toute seule. Elle est accusée de telle ou telle chose, et elle ignore souvent tout. Précisons que le phénomène n’est seulement féminin. Nous avons enregistré aussi des hommes accusés de sorcellerie. Nous demandons aux gens d’être patients quand ils sont en face d’un mal qu’ils n’arrivent pas à expliquer. Qu’ils prennent le temps de bien comprendre d’où vient le mal, sinon on se trompe beaucoup quand on veut apprecier tout ce qui nous échappe par l’argumentation occultiste.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que ce sont des pauvres qui sont souvent accusés de sorcellerie ?

C’est ce qu’on constate. Quand une personne est exclue sur la base de sorcellerie, on constate que c’est une personne pauvre, qui n’a pas la possibilité de prendre un avocat pour défendre sa cause. Ou bien, c’est une personne qui s’est battue pour s’en sortir, dont l’ascension est ignorée. Alors, pour bloquer son progrès, on peut l’accuser de sorcellerie. Il y a aussi le phénomène des décès dits mystérieux. C’est presque toujours comme ça. Même nos centres qui accueillent ces personnes enregistrent plus de personnes qui sont pauvres, qui sont âgées.

Il y a plus de femmes accusées de sorcellerie. Pouvons-nous lier cela à notre société patriarcale ?

C’est vrai qu’un peu partout et en particulier au Burkina Faso, la démographie est plus féminine. La tendance serait de rechercher la correspondance de la dominance numérique dans la partie féminine. Mais franchement, je ne crois pas que la thèse patriarcale doive intervenir ici. Retenons qu’il y a une croyance qui soutient cela, qui fait que quand quelqu’un a une maladie difficile, il croit d’abord qu’il n’y a pas de souffrance gratuite.

Qu’avez-vous envie de dire aux gens ?

Dans l’évangile de Marc au chapitre 16, notre Seigneur Jésus-Christ nous a donné le pouvoir de chasser les démons. Dans notre paroisse à Boussé et dans d’autres aussi, nous faisons régulièrement des prières de délivrance. Et ça marche. En tant que religieux, on a la prière. Et on dit ceci à nos fidèles et aux personnes non-catholiques : quand on un mal physique, la première direction, c’est l’hôpital. Ensuite, quand les médecins ont fait leur possible, on peut recourir à la prière d’intercession et de délivrance. Si quelqu’un n’arrive pas à expliquer son problème médicalement, on peut l‘écouter, on peut l’aider psychologiquement et spirituellement.

Quand on s’estime victime de sorcellerie ou d’envoutement, ou accusé à tort, il faut toujours en parler, que ce soit avec les autorités civiles, l’Action sociale par exemple ; les autorités religieuses aussi peuvent être saisies. Nos paroisses sont ouvertes pour écouter ; on peut toujours les aider, on peut les délivrer, on accueille tout le monde. Jésus réconcilie et délivre effectivement.

Avez-vous le sentiment que sur ces questions, les mentalités vont évoluer ?

Au regard de notre passé culturel et traditionnel qui nous échappe, vu la montée de l’esprit cartésien du fait des études et des voyages à travers d’autres espaces géographiques, je peux dire que de plus en plus, quand on va comprendre les choses, les mentalités vont véritablement évoluer vers la tolérance. On va pouvoir comprendre qu’entre une possession démoniaque et une personne qui connaît un malheur quelconque, il y a une différence. Progressivement, on fera la part des choses, on va se libérer d’un système de pensée basé sur l’occultisme.

Interview réalisée par Edouard Kamboissoa Samboé
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 6 mars 2020 à 08:28, par Kabre En réponse à : Personnes accusées de sorcellerie : « C’est injuste, c’est peut-être une pauvre vielle dans sa case toute seule », Père Jean Chrysostome Ouédraogo

    Bravo pour une telle initiative. Seule la sensibilisation a temps et a contre temps nous aidera a quitter ces pratiques honteuses. Merci au jean jean Chrysostome qui touche le problème du doigt et félicitation pour ceque vous abattez comme boulot

  • Le 8 mars 2020 à 19:59, par SOME En réponse à : Sorcellerie : « L’Eglise catholique ne reconnaît pas la possibilité de manger l’âme de quelqu’un », selon le père Jean Chrysostome Ouédraogo

    « ...le problème à la base n’est pas de vous dire si le phénomène est vrai ou faux. Si on part sur ce terrain, on se trompera. En tant que religieux, je ne peux qu’appeler les gens au pardon, à faire attention, parce qu’on pourrait se tromper ; d’autant plus que le critère de qui a mangé quoi est purement relatif. Dans tous les cas, l’Eglise catholique ne reconnaît pas la possibilité de manger l’âme de quelqu’un, parce que l’âme est vraiment la propriété de Dieu. »
    Tout depend de ce qu’on comprend par ame. Il faut poser le probleme a un autre niveau : celui de la cosmogonie africaine. La cosmogonie africaine n’est la cosmogonie europeenne ou judeochretienne.. Puis pensez vous que dans la bible ca n’existe pas ?

    « Progressivement, on fera la part des choses, on va se libérer d’un système de pensée basé sur l’occultisme. »
    Comprennent ceux qui sauront lire !
    SOME

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