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Mikaïlou Sidibé, expert infrastructures du G5 Sahel : « Si le G5 Sahel veut s’attaquer à l’insécurité, il faut aussi s’intéresser à la gouvernance »

LEFASO.NET | Oumar L. Ouédraogo

Publié le jeudi 20 décembre 2018 à 10h58min

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Mikaïlou Sidibé, expert infrastructures du G5 Sahel : « Si le G5 Sahel veut s’attaquer à l’insécurité, il faut aussi s’intéresser à la gouvernance »

Il est au four et au moulin au G5 Sahel. Mikaïlou Sidibé, ce jeune burkinabè, est expert infrastructures au siège de l’organisation à Nouakchott en Mauritanie. Discret, dynamique et affable, c’est à lui qu’a été confiée la présidence du comité d’organisation de la Conférence de coordination des partenaires et bailleurs de fonds du G5 Sahel (premier du genre en terre africaine), tenue dans la capitale mauritanienne, le 6 décembre dernier ; un défi qu’il a relevé avec succès. Entre plusieurs sollicitations, Mikaïlou Sidibé a bien voulu éclairer davantage l’opinion sur le G5 Sahel à travers cet entretien qu’il nous a accordé.

Lefaso.net : Pouvez-vous revenir sur l’objectif principal de cette conférence, la Conférence de coordination des partenaires et bailleurs de fonds du G 5 Sahel ?

Mikaïlou Sidibé (M.S.) : L’objectif était une levée de fonds pour le financement des projets du Programme d’investissements prioritaires (PIP) du G5 Sahel, qui se chiffrent à deux milliards d’euros, environ. Comme vous l’avez suivi, la moisson a été bonne ; parce que le besoin a été intégralement couvert.

Lefaso.net : Besoin de financement intégralement couvert, des bailleurs de fonds qui se sont effectivement mobilisés, peut-on avoir le point du nombre de partenaires que le G5 Sahel a aujourd’hui et quelle est l’enveloppe mobilisée ?

M.S. : En termes de participation, elle a été effectivement significative. C’était également un défi pour nous ; parce que c’est une première que nous organisons ce genre d’évènements dans un pays sahélien, la plupart du temps, c’est dans les pays développés (en tout cas, chez les partenaires). Je pense que le défi a été relevé, parce qu’en termes de participation, nous avons enregistré plus de deux cent participants (des partenaires traditionnels, mais également des partenaires nouveaux).

C’est donc une satisfaction d’avoir mobilisé tous ces partenaires. En ce qui concerne l’enveloppe, nous sommes à 2, 4 millions d’euros (le montant du programme d’investissements prioritaires, c’était deux milliards d’euros, avec déjà 13% du financement qui ont été identifiés, le gap à rechercher était donc de 1, 7 milliards).

Lefaso.net : Aujourd’hui, il est surtout question de parler de « développement », alors que de par le passé, quand on parle de G5 Sahel, depuis sa création en 2014, on voit toujours « sécurité » (et surtout sa force conjointe). Pourquoi a-t-on décidé de mettre maintenant un accent sur les questions de développement ?

M.S. :
Effectivement, les gens ont l’impression qu’on a fait un braquage pour nous orienter maintenant sur les questions de développement. En fait, on peut dire que nous avons été un peu victimes de la communication au niveau du G5 Sahel, et également du fait de la situation sécuritaire qui s’est beaucoup dégradée ces dernières années. Si fait que le volet sécurité a été beaucoup plus sollicité que l’aspect développement.

Alors que pour le développement, étant donné qu’il contient un certain nombre de projets structurants, avec des besoins de financement assez élevés, il fallait mettre en place une bonne stratégie de mobilisation des financements. Donc, cette conférence que nous avons tenue aujourd’hui, a été préparée de longue date ; il y a eu beaucoup d’échéances (les documents de base n’étant pas totalement prêts, et n’étant pas totalement sûrs de la participation, nous avons voulu prendre du temps pour nous préparer).

Il faut également noter qu’il y a un certain leadership qui s’est exprimé, et l’année passée, courant 2017, la présidence était assurée par la République du Mali. On a mis l’accent sur la mise en place de la Force conjointe (comme vous le savez, le contexte s’est dégradé à ce niveau, il fallait rapidement mettre en place cette Force, sensée sécuriser les zones où les actions de développement doivent être mises en œuvre).

En début d’année de 2018, nous avons eu cette conférence de coordination également au niveau des bailleurs qui financent la Force conjointe, avec des annonces de plus de 400 millions d’euros pour la mettre en place. Donc, on s’est dit maintenant qu’on a cet outil sécuritaire qui permet d’accompagner les actions de développement ; c’est pour cela nous avons accéléré également cette dimension développement. Sans oublier que dans la stratégie du G5 Sahel, c’est le couplage sécurité /développement. Nous tentons maintenant de rattraper donc ce léger retard-là et je pense que d’ici à quelques mois, on parlera des deux dimensions de la même proportion.

Lefaso.net : Faut-il comprendre définitivement que le G 5 Sahel, c’est sécurité et développement ? Mais, d’aucuns diraient qu’il n’y a pas de lien !

M.S. : Effectivement, à sa création en 2014, les chefs d’Etat ont confié la tutelle du G5 Sahel aux ministères en charge du développement dans les pays. Donc, eux-mêmes, dans leur vision, c’était une organisation de développement. Mais étant donné que les actions doivent être mises en œuvre dans les zones qui ne sont pas sécurisées, il fallait avoir un bras sécuritaire.

Ils ont donc créé ce qu’on appelle un comité défense et sécurité, qui regroupe les chefs d’Etat-major des cinq pays, plus les responsables de police, c’est-à-dire les directeurs généraux des polices nationales. C’est ce comité qui planifie toutes les actions qui sont dans le domaine défense et sécurité. La Force conjointe dont on parle tant dans la région a été créée le 20 novembre 2015 à N’Djamena.

Au même moment que les Chefs d’Etat créaient cette Force conjointe, ils créaient deux autres projets dans le domaine de développement, qui n’ont pas eu beaucoup de visibilité. Il s’agit du projet de création d’une compagnie aérienne et celui de construction d’une ligne de chemin de fer. Donc, c’est volontairement qu’on a élaboré cette stratégie qui coupe les deux ; parce que, comme on le dit souvent, il n’y a pas de développement sans sécurité.

Lefaso.net : On est tenté de vous demander comment s’est fait le choix de ces cinq pays (qui constituent le G5 Sahel) ; pourquoi pas au-delà ou en-deçà ?

M.S. :
En fait, ce sont des choix un peu stratégiques. Les chefs d’Etat qui ont créé ces organisations sont aussi membres d’autres organisations, qui vont au-delà du G5 Sahel. S’ils ont décidé de se mettre ensemble, c’est qu’ils ont des objectifs communs. Donc, on a des défis communs et ils ont décidé de mutualiser leurs moyens. Ce n’est pas pour autant que c’est fermer.

Dans le cadre des projets que nous conduisons, nous sommes en concertations avec d’autres organisations « supra G5 Sahel » ; parce qu’il faut s’occuper des projets à l’intérieur de l’espace concerné. Mais, il faut aussi savoir que le G5 Sahel s’insère dans une sphère géo-stratégique assez élargie.

Cette question mériterait d’être posée au haut niveau, étant donné que nous avons reçu, au Secrétariat permanent, beaucoup de demandes de pays qui veulent être membres observateurs, ou carrément, membres à part entière. Donc, à chaque fois, on se réfère au niveau de la Conférence des Chefs d’Etat pour décision à prendre. Pour l’instant, en tout cas, la dynamique est de rester soudés pour pouvoir consolider avant de penser à une ouverture donnée.

Lefaso.net : Lorsque l’on regarde un peu l’espace G5 Sahel, on trouve à l’intérieur un autre espace qui s’appelle Autorité du Liptako-Gourma, qui joue à peu près le même rôle en termes de développement (elle réunit le Burkina, le Mali et le Niger, tous trois membres du G5 Sahel). N’y-a-t-il pas doublon ?

M.S. : C’est juste, il y a également ces questions que nous entendons de temps à autre. Pour nous, que ce soient l’Autorité du Liptako-Gourma, les autres Autorités (parce que vous avez également l’Autorité du Bassin du Niger, l’Autorité du Bassin du Lac Tchad qu’on appelle la Commission du Bassin du Lac Tchad), vous avez même l’Organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal et vous avez le CILSS qui est le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel et beaucoup d’autres organisations), nous avons, au G5 Sahel, des axes stratégiques.

Il s’agit de l’axe défense/sécurité au niveau duquel vous avez des projets de sécurité, l’axe gouvernance qui traite toutes ces questions liées à la justice et à la décentralisation, l’axe résilience/développement humain et l’axe infrastructures. Donc, nous travaillons en synergie avec ces organisations-là, en utilisant leur savoir-faire. Aujourd’hui, si vous avez remarqué au niveau de la conférence, il y avait les premiers responsables de toutes ces organisations qui étaient présents.

Pratiquement, avec elles toutes, nous avons signé ce qu’on appelle des mémorandums d’entente, cadres de partenariat qui nous permettent d’identifier un certain nombre d’actions qu’on leur confie. Donc, les projets que nous portons aujourd’hui, vous verrez dans la mise en œuvre qu’il y a un certain nombre qui vont être plutôt pilotés par ces organisations qui existent.

D’ailleurs, l’Autorité du Liptako-Gourma également a créé ce qu’ils ont appelé un « continuum sécuritaire » pour traiter des questions de sécurité que le G5 Sahel ne prend pas en charge. Ce qu’il faut relever est qu’au niveau de la Force conjointe, vous avez un fuseau au niveau du centre, dont le QG (Quartier général) est à Niamey (Niger) et qui va coordonner avec l’Autorité du Liptako-Gourma pour les questions de sécurité intérieure. On travaille donc en synergie et en parfaite attente ; le G5 Sahel bénéficiant de toute cette visibilité, ça nous permet de tirer les autres également de l’avant.

Lefaso.net : En marge de cette conférence, s’est tenue, la veille (5 décembre 2018), une journée de la jeunesse du G5 Sahel. A quoi renvoie cette idée du Secrétariat permanent ?

M.S. : Effectivement, dans la stratégie du G5 Sahel, nous articulons nos projets autour de quatre axes stratégiques, mais on prend en compte ce qu’on appelle les questions transversales : la jeunesse, les femmes, les changements climatiques, etc. Lorsque nous avons voulu organiser cette conférence, on s’est dit (et comme vous l’avez-vous-mêmes dit au début), les actions de G5 Sahel ne sont pas très bien connues.

On a estimé qu’il ne faut pas à chaque fois s’adresser aux mêmes acteurs, il faut maintenant toucher la population à la base, et cette population est fortement représentée par la jeunesse. Nous avons voulu nous adresser de façon générale à la jeunesse des pays du G5 Sahel, mais à travers la jeunesse mauritanienne qui se trouve au niveau du pays du siège (la Mauritanie, ndlr).

Cette journée était ponctuée par des panels thématiques, articulés autour des axes d’intervention du G5 sahel, et animés par des experts avec des interactions avec la jeunesse pour lui faire comprendre davantage ce que fait le G5 Sahel. Cela était pour nous un élément fédérateur et d‘ailleurs, l’évènement a eu lieu au stade où l’équipe mauritanienne (Mourabitounes) s’est qualifiée pour la première fois de son histoire à une phase finale de la Coupe d’Afrique des nations (elle s’est qualifiée avant terme à la CAN 2019, un évènement qui a été fortement célébré à travers tout le pays, ndlr).

A la fin, nous avons eu un concert géant. Tout cela a permis de mettre Nouakchott un peu en alerte pour que les populations sentent qu’il y a un évènement qui arrive et qu’on soit maintenant dans une dynamique d’accompagnement dans les actions qu’on va mettre en œuvre à l’issue de cette conférence qui, pour moi, a été un succès.

Lefaso.net : Plus de deux milliards d’euros mobilisés. Comment pouvez-vous nous présenter ces projets (on parle d’une quarantaine de projets identifiés), c’est quand même très ambitieux !

M.S. : Après la mise en place des organes, la Conférence des chefs d’Etat a instruit le Secrétariat permanent d’élaborer une stratégie et de mettre en place un plan d’investissements. Donc, le Programme d’investissements prioritaires (PIP) découle justement de cette stratégie, qui est articulée autour des quatre axes. Des projets ont été donc retenus au niveau de ces quatre axes, de manière participative avec les experts des pays.

Quand vous prenez l’axe défense et sécurité, outre la Force conjointe qui est déjà sur orbite, nous avons d’autres projets à ce niveau qui vont accompagner les actions de développement. Vous avez un projet qui concerne la promotion de la sécurité civile. La Force conjointe étant militaire, de plus en plus, on constate qu’il faut qu’il y ait une complémentarité avec les autres Forces de défense et de sécurité qui ne sont pas forcément militaires.

Il y a ensuite un projet qui concerne les déminages (on constate que c’est devenu une nouvelle stratégie des terroristes) ; nous avons développé un projet dans ce secteur pour lequel nous avons déjà des partenaires. Nous avons aussi des projets de formation au niveau de l’axe défense et sécurité (on a un collège de défense ici, à Nouakchott, avec déjà des stagiaires des cinq pays qui sont-là). Vous avez ce qu’on appelle la « plateforme de sécurité » qui permet de partager les renseignements à caractère opérationnel.

Dans l’axe gouvernance, vous avez des projets d’accès à la justice qui concerne les cinq pays, un projet régional et vous aurez dans chacun des pays, des composantes. Vous avez également un vaste projet de jeunesse, c’est-à-dire une stratégie intégrée de la jeunesse. L’axe 3 qui concerne la résilience et le développement humain, a, à ce niveau, le pastoralisme (un projet régional d’appui au pastoralisme résiliant, un projet qui concerne tout ce qui est agriculture par système intelligent) et des projets qui concernent les femmes.

Et enfin, l’axe infrastructures avec quatre programmes. Il s’agit d’un programme de transport, et à ce titre on a un projet de compagnie aérienne (les choses avancent). Vous avez ensuite un projet de chemin de fer pour lequel, nous avons eu le financement aujourd’hui pour démarrer l’étude de faisabilité. On a des projets de routes et au niveau du Burkina, les projets qui sont concernés sont Djibo-Baraboulé-frontière du Mali (on intervient dans les frontalières), Dori-Matuacoali-Gayéri. On avait d’autres axes, mais par la suite, on a vu que les financements sont déjà identifiés.

C’est le as de Ouahigouya-Djibo-Dori. Nous avons aussi des projets hydrauliques (aménagement en eau potable, aménagement hydro-agricole et également des ouvrages pastoraux). Donc, au niveau du Burkina, il y a, entre autres, le barrage de Bambakari au sahel et des aménagements hydro-agricoles dans les régions du centre-nord, du sahel et du nord.

Nous avons aussi des projets d’électrification, et dans le cadre du plan « Yeelen » (lumière en langue mandingue, ndlr) du Burkina, on a des composantes qui concernent le G5 Sahel qui touchent les zones frontalières. Enfin, les projets de télécommunications ; dans le cadre du Backbone national au Burkina, la bretelle qui va dessertir les zones frontalières Niger et Mali est intégrée dans le programme d’investissements prioritaires. Nous avons également un projet qui concerne la suppression des tarifs téléphoniques ; désormais quand vous viendrez ici, vous pourriez appeler au Burkina sans les surtaxes (en free roaming, dans six mois ce projet sera vraiment une réalité).

Lefaso.net : Nous avons appris ici que la mise en œuvre des projets va concerner prioritairement les populations qui résident dans les zones frontalières. Pourquoi ?

M.S. : Tout à l’heure, vous avez demandé comment on coordonne avec les autres. Vous avez des projets nationaux, qui sont portés par les Etats, et qui ont des financements de façon bilatérale avec des partenaires, qui n’ont pas besoin de passer par le G5 Sahel. Et également, il faut rappeler que dans la stratégie du G5 sahel, on est parti du constat que les problèmes sont partis des zones frontalières, qui sont généralement éloignées des capitales (voire des grandes villes) ; en dehors du Burkina, les quatre autres pays du G5 Sahel ont une superficie de plus d’un million de kilomètres carrés.

Donc, en général, ces zones-là ne sont vraiment pas occupées par l’Etat, et c’est de là que sont partis les problèmes. On a donc dit, le G5 Sahel, pour être efficace, il faut traiter le problème dans ces zones. C’est pour cela le ciblage a été fait là-bas et c’est à niveau aussi que résident souvent les populations déplacées du fait d’attaques terroristes.
Nous traitons donc ces zones difficiles et nous laissons les autres zones à la charge des gouvernements pour nous concentrer là où les actions doivent être efficaces, étant donné que nous avons ce bras sécuritaire qui doit pouvoir sécuriser les actions de développement dans ces zones.

Lefaso.net : Parmi les différents projets, il y a un axe qui concerne les infrastructures (qui est votre domaine ; puisque vous êtes expert infrastructures du G5 sahel). Dans le domaine, il y a le transport, à l’intérieur duquel vous parlez de compagnie aérienne. Où en est-on exactement avec la création de cette compagnie ?

M.S. : Au premier sommet ordinaire du G5 Sahel, les chefs d’Etat ont décidé de quatre grands projets : création d’une Force conjointe de G5 Sahel, création d’une école (appelée en son temps école de guerre, devenue aujourd’hui collège de défense du G5 Sahel basé ici à Nouakchott), création d’une compagnie aérienne régionale et, enfin, construction d’une ligne de chemin de fer.

Donc, après la décision des chefs d’Etat, il fallait passer à la phase opérationnelle qui devra passer par une étude de faisabilité et au niveau du secrétariat permanent, nous avons eu un financement de la Banque arabe pour le développement économique pour mener cette étude (qui a été faite par la IATA).
Elle (la IATA) nous a proposé quatre options de la création de la compagnie aérienne et l’étude a été pilotée au niveau régional par un comité qui regroupe les directeurs généraux des agences nationales d’aviation civile dans chacun des pays et les directeurs des compagnies existantes.

Ces quatre options sont : créer une structure de gouvernance qui va piloter les compagnies aériennes existantes (faire en sorte que ces compagnies puissent desservir les cinq pays, puisque la préoccupation, c’était que les pays ne sont pas desservis ; aujourd’hui, vous avez deux compagnies qui existent, Air Burkina et Air Mauritanie) ; fusionner les compagnies existantes (Air Burkina et Air Mauritanie) pour devenir une seule compagnie ; créer un groupe (groupe Air Sahel par exemple) avec des filiales à l’intérieur dont les deux compagnies existantes et la dernière option qui est de laisser ces compagnies nationales continuer et créer une nouvelle compagnie qui va entrer en concurrence avec celles existantes.

Toutes ces options ont été analysées et le comité de pilotage, malheureusement, n’a pas pu trancher du point de vue technique pour soumettre aux ministres en charge de l’aviation civile qui devaient retenir l’option qui sied pour remettre aux chefs d’Etat. L’atelier final de validation de l’étude a eu lieu en fin septembre (2018, ndlr) à N’Djamena.

Les ministres se sont réunis avec le comité de pilotage, ils n’ont pas pu trancher et ils sont allés vers une cinquième option, qui est un peu intermédiaire et qui nécessite encore d’être raffinée avant qu’on ne remette le dossier sur la table des chefs d’Etat. Mais nous avons, au niveau du secrétariat permanent, fait des propositions que nous allons soumettre aux chefs d’Etat et nous espérons qu’au prochain sommet qui se tiendra à Ouagadougou (on attend d’avoir la date parce qu’en 2019, la présidence passe au Burkina), les chefs d’Etat puissent enfin se prononcer sur ce dossier et donner des orientations finales pour qu’on puisse opérationnaliser le projet.

Lefaso.net : Il y a d’autres perspectives dans le domaine des transports, n’est-ce pas ?

M.S. :
Absolument ! Je ne vous cache pas que, contrairement aux autres grands projets qui ont pu vraiment démarrer, celui portant sur le chemin de fer n’a pas pu mobiliser jusque-là, il est toujours à l’état embryonnaire. Aujourd’hui, au cours de la conférence, vous avez vu que le besoin de financement est totalement couvert et le projet est inscrit dans les 40 projets retenus pour recherche de financements pour l’étude (cet aspect est bouclé).

Nous avons eu des promesses de la Chine (la Chine est le principal partenaire, j’allais dire, pour ce genre de projets, du reste jusque-là). Mais on avait eu un blocage politique ou diplomatique ; parce que dans les cinq pays, il y avait le Burkina qui n’avait pas de relations diplomatiques avec la Chine ; on a dû un peu traîner. Mais c’est régler.

Lors du sommet Chine-Afrique qui s’est tenue en septembre (2018), la partie chinoise a demandé à ce qu’on dispose d’une étude de faisabilité pour qu’elle puisse financer les travaux. Donc, on peut dire maintenant qu’on a le financement et on va pouvoir faire l’étude de faisabilité. L’idée, c’est d’utiliser les sections de rails qui existent, parce que vous avez dans certains pays, notamment au Burkina, plus de 500 kilomètres de rails qui existent. On a une tracée déjà estimée, qui va de Nouakchott à Kayes (Mali) et on rattrape la ligne coloniale Bamako-Dakar.

A Bamako, une section nouvelle sera construite jusqu’à Bobo-Dioulasso où on récupère la ligne existante jusqu’à Ouagadougou et quelques kilomètres après Ouagadougou qu’il faut réhabiliter, jusqu’à Niamey. De là, on a 140 kilomètres pour aller à Dosso qui ont été construits. Le reste, il faut longer le Nigeria pour contourner le Lac Tchad pour aller à Ndjamena (environ cinq mille kilomètres). C’est assez ambitieux, mais comme nous avons eu le financement pour l’étude, c’est assez promoteur, il y a un comité également régional qui pilote ce volet, et au niveau du Burkina nous avons deux représentants de ce comité.

Lefaso.net : Est-ce qu’avec une telle politique, l’espace G5 Sahel ne va pas devenir finalement un espace renfermé sur lui-même, au détriment des autres ?

M.S. :
En fait, avec un tel projet, c’est une intégration très importante qui est en marche. Comme je le disais, de Nouakchott à N’Djamena, vous avez environ six mille kilomètres. Si vous désenclavez de Nouakchott à N’Djamena, à partir de N’Djamena, vous ralliez rapidement l’autre côté de l’Afrique (vers la mer rouge, le Soudan…). Donc, ça permet déjà le désenclavement Est-Ouest, qui nous manque en réalité. Imaginez-vous qu’on ait ce désenclavement, c’est une ouverture que les autres pays de l’hinterland auront vers l’océan au niveau de la Mauritanie.

Donc, ce sera une ouverture de plus et c’est au bénéficie des populations. De toute façon, ce n’est pas en vase clos ; la ligne de chemin de fer qui va quitter Nouakchott pour Kayes et qui va rallier Bamako-Dakar existant, ça forme un triangle et avec le fleuve Niger qui est au milieu, c’est un développement local qui va être créé à ce niveau. A partir de la Mauritanie également, vous avez le Maroc de l’autre côté ; ce qui veut qu’on peut facilement faire le commerce entre le Burkina et le Maroc, en passant par la Mauritanie.

Mais sans ce projet, vous voyez ce que ça peut donner. Et puis, une fois vous arrivez à N’Djamena, vous êtes ouverts à la partie centrale de l’Afrique. En tout cas, du point de vue technique, c’est comme cela que nous travaillons et nous laissons la décision politique de l’ouverture du G5 Sahel aux décideurs politiques.

Lefaso.net : A l’occasion de cette conférence, on a vu une panoplie de partenaires passés à la tribune pour faire des annonces de financement ; on a l’impression que chaque partenaire choisi son domaine d’intervention. Est-ce que, finalement, ce ne sont pas les partenaires qui ont choisi les domaines d’intervention ?

M.S. :
On est plus à l’aise avec cette démarche ; parce que s’ils mettent dans une cagnotte, après, ce sera un peu difficile pour nous de faire des priorités à l’interne. Ce d’autant que le portefeuille de projets leur a été présenté dans les quatre axes stratégiques (donc, ils ont bien pris connaissance du document, d’ailleurs, hier soir (5 décembre, ndlr), il y a une réunion technique entre les ministres de tutelle et ces partenaires, qui a permis de revisiter les fiches-projets, aux détails près).

Les partenaires ont, chacun, son domaine d’intervention. Même dans le cadre de la préparation de la conférence, certains partenaires nous ont approchés pour dire ce qu’ils veulent financer (vous verrez par exemple que les partenaires arabes aiment, généralement, les infrastructures). Ça nous permet de rattraper l’autre volet (sécuritaire) pour pouvoir, en termes de communication, revoir l’image du G5 Sahel.

A partir de ce tableau détaillé, c’est facile ; nous avons des projets proposés avec des montants et les partenaires ont annoncé des financements. Donc, tout de suite, il faut actionner le mécanisme de mobilisation de ces annonces et passer à la phase de mise en œuvre. C’est beaucoup plus facile pour nous d’avoir cette lisibilité que de donner dans une cagnotte commune où après c’est difficile de savoir quelle part attribuer à tel ou tel autre projet.

Lefaso.net : On a constaté que le G5 Sahel s’intéresse à la question de gouvernance, ce qui peut être un peu nouveau. Comment peut-on justifier cette option (est-ce un constat, qui est que cette question est problématique dans tous les pays membres) ?

M.S. : C’est parce que, lorsqu’on a analysé les causes profondes de la situation que nous vivons, on s’est rendu compte qu’il y a beaucoup de facteurs qui sont liés surtout à la gouvernance (on ne dira pas à la mauvaise gouvernance, mais qui, en tout cas, touche à la gouvernance de façon générale).

Et si le G5 Sahel veut s’attaquer à ce fléau d’insécurité, étant donné que le problème de la gouvernance fait partie des causes, il faut quand même qu’on s’y intéresse. Et il y a beaucoup de partenaires qui s’intéressent à ces questions. L’accès à la justice par exemple. Vous voyez, le phénomène nouveau qui est apparu au niveau de la justice qui l’a complexifiée ; c’est que dans les jeunes radicalisés (les terroristes), lorsque vous les appréhendez et les mettez dans le système classique de la justice, vous vous rendez compte que ça ne marche pas, les juridictions ne sont pas adaptées et ces radicalisés, au contact avec d’autres prisonniers classiques, créent d’autres phénomènes.

Il fallait donc que nous aussi trouvions notre propre stratégie à ce niveau-là, pour qu’on solutionne ces questions nouvelles-là qui se posent. C’est dans cette lancée que vous verrez qu’au-delà de la justice, vous avez des questions qui touchent par exemple à la décentralisation, la déconcentration (vous avez des pays membres pour lesquels, ces questions sont toujours posées). C’est donc important pour nous de s’intéresser aux facteurs qui créent ces situations que nous vivons et la gouvernance en fait partie.

Lefaso.net : Terminons avec le volet le plus connu du G5 Sahel : le volet sécurité avec la Force conjointe. Où en est-on avec cette force de 5 000 hommes ?

M.S. : C’est vrai, vous l’avez bien souligné, je suis l’expert infrastructures, et au niveau du G5 Sahel, pour chaque axe, vous avez un expert qui s’en occupe. Au niveau de l’axe défense et sécurité donc, nous avons un expert, un général mauritanien. Mais en fait, en termes de mobilisation d’hommes, en réalité, le problème ne se pose pas aujourd’hui. Le problème se pose plutôt au niveau de l’acquisition des équipements et du nécessaire pour pouvoir fonctionner.

Et la conférence de février pour le financement de la Force avait permis d’avoir des annonces de l’ordre de 440 millions d’euros pour un besoin qui avait été identifié de 423 millions d’euros. Mais, le problème, c’est que c’était des annonces qui n’étaient pas assez détaillées dès le début.

Donc, il y a eu certains partenaires qui ont annoncé, mais pas forcément pour les besoins qui ont été exprimés par la force (ils financent vraiment les actions de sécurité, mais après quand vous détaillez, vous vous rendez compte qu’ils s’intéressent par exemple à la composante police de la Force conjointe ou à la composante droits de l’homme de la Force conjointe, la composante civilo-militaire).Ce qui ne permet pas, en fait, d’avoir le nécessaire pour aller vers l’équipement dont la Force a besoin.

Le deuxième facteur est que les équipements demandés nécessitent un temps auprès des fournisseurs (temps de fabrication) et en plus, c’est un domaine sensible, qui est encadré. Si fait que parmi les partenaires qui ont fait les annonces, beaucoup ont mis du temps dans la concrétisation.

Un autre paramètre à prendre en compte est que les pays du G5 Sahel ont voulu s’approprier les mécanismes de gestion de ces Fonds qui avaient été annoncés ; donc, il y a eu la création d’un Fonds fiduciaire au secrétariat permanent avec un compte qui a été ouvert au niveau de la Banque centrale mauritanienne où on a demandé aux partenaires d’enregistrer les annonces qui ont été faites pour permettre d’acquérir les équipements dans un délai assez raisonnable. Alors que ce genre de Fonds, vous le savez, il y a des contraintes de mécanismes de gestion.

Donc, on a mis en place un comité de soutien qui devrait être composé d’officiers des cinq pays, on a eu du retard dans la mise en place de ce comité et les partenaires attendent que ce comité soit opérationnel. Et après vous avez suivi aussi ce qui s’est passé au mois de juin dernier (l’attaque du quartier général de la Force conjointe du G5 Sahel à Sévaré, au Mali, ndlr).

Tout cela a contribué à retarder la mise en place opérationnelle effective de la Force conjointe. Mais, en tout cas, les échos que nous recevons des nouveaux commandants de la Force, c’est que les choses vont répartir de plus belle.

Lefaso.net : On a appris que le G5 Sahel, ce n’est pas le tout-miliaire, c’est aussi le développement. On a attendu parler aussi d’un projet de « déradicalisation » des jeunes à l’intérieur de l’espace concerné, de quoi est-il question exactement ?

M.S. : Effectivement, au niveau de l’axe gouvernance, on s’est intéressé à ces questions d’extrémisme violent, en lien avec le champ religieux. Vous savez, dans deux ou trois pays du G5 Sahel, vous avez des ministères qui sont dédiés carrément à la cause du culte. Donc, nous avons voulu que les Etats occupent ce champ religieux-là, qui était plus ou moins abandonné à des acteurs propres au domaine. Alors que parmi ces derniers, tout le monde n’est pas au même niveau, n’a pas la même vision, la même compréhension de la religion.

Nous avons donc créé ce qu’on appelle cellule régionale de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent avec un coordinateur régional au niveau de Nouakchott ici et des antennes nationales dans les pays. Cela veut dire que ces antennes nationales sont chargées de suivre les faits religieux ; tous les faits et gestes liés à l’extrémisme violent, faire remonter les informations pour qu’on puisse les partager avec les autres acteurs qui traitent la question.

Et il y a également une série d’actions de communication, sensibilisation, de colloque qui réunissent tout ce monde qui gravite autour de la question, pour permettre d’avoir les bonnes pratiques. En Mauritanie ici par exemple, très tôt, ils ont adopté ce qu’ils ont appelé un dialogue avec les radicalisés dans les prisons et ça a marché.

Donc, ça a permis aux gens de revenir sur le droit chemin et ces gens qui sont revenus ont même contribué, justement, à aider les autres acteurs. On a donc dit qu’il faut partager ces pratiques avec les autres pays. Cette cellule est opérationnelle et les premiers partenaires de cette cellule, c’est l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international, ndlr) et le Système des Nations unies aussi.

Lefaso.net : Pour le cas du Burkina, il est question d’attaques à répétition et malheureusement, jusqu’à présent, ça continue avec pour conséquence également, la fermeture des écoles dans certaines localités. On sait également qu’à l’intérieur des projets du G5 Sahel, il y a un volet éducation. Qu’est-ce que ça vous fait, en tant qu’expert du G5 Sahel, de savoir que les écoles sont en train d’être fermées au Burkina, et également au Mali, semble-t-il ?

M.S. :
C’est avec beaucoup de peine qu’on suit cette actualité. C’est vraiment désolant. Au-delà de la fermeture des écoles, vous avez des pertes en vies humaines, enregistrées presque tous les jours. C’est déplorable, parce qu’au niveau du Mali, avec l’occupation de certaines zones, l’Etat n’a pas pu se redéployer comme il fallait ; il y a une zone presque de non-droit, qui est infectée par ces groupes qui font des incursions dans cette partie du Burkina, récemment dans cette frontière est avec le Niger.

Dans le concept opération de la Force conjointe, il y avait des fuseaux qui avaient été définis, et malheureusement, cette partie Est du Burkina ne faisait pas partie du fuseau défini initialement. Peut-être qu’ayant conscience qu’ils vont être traqués dans ces zones (Nord et Sahel, ndlr), ces groupes cherchent à avoir des zones où ils peuvent opérer. Mais, ce n’est pas vraiment mon domaine, ces questions étant vraiment sensibles, c’est traiter comme il le faut, les résultats vont certainement arriver, parce que c’est assez complexe.

Lefaso.net : Pour le cas particulier du Burkina, qu’est-ce que les populations peuvent attendre avec la mise en œuvre effective du G5 Sahel ?

M.S. : Je suis, avant tout, Burkinabè, je suis tout ce qui s’y passe au quotidien et c’est avec beaucoup de peine que je vis l’actualité dans ces parties du pays qui traversent cette situation. Comme je le disais tantôt, en 2019, le Burkina va abriter la présence en exercice du G5 Sahel. Peut-être que les gens ne se sont pas, nécessairement, intéressés au G5 Sahel, étant donné qu’il y a eu moins de communication à ce niveau.
Je pense bien que le passage de la présidence en exercice au Burkina permettra de mettre beaucoup plus de lumière sur la question, de sorte que la population comprenne mieux le G5 Sahel.

Et également dire que, comme vous l’avez constaté aujourd’hui, la conférence de coordination des partenaires et bailleurs de Fonds qui a permis de mobiliser ce besoin de financement et dans ce portefeuille de projets, on a beaucoup de projets pour le Burkina, dans tous les quatre axes stratégiques. Spécifiquement, au niveau de l’axe infrastructures qui me concerne, vous avez ces projets de transport qui vont bénéficier au Burkina.

Oumar L. Ouédraogo
(Interview dirigée par Paul-Miki Roamba/Ouaga FM)
Lefaso.net

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